Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à La Chaîne info le 16 octobre 2003, sur la délégation de parole donnée par G. Schroeder à J. Chirac pour le Conseil européen, l'éventualité d'un référendum sur la future constitution européenne et sur la situation politique.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. Il y a un sommet européen qui se réunit à Bruxelles aujourd'hui et demain, avec un symbole fort : J. Chirac a délégation de parole de la part de G. Schröder, qui ne peut pas assister à ce sommet. Cela vous fait chaud au coeur ?
- "J'aime bien les Allemands, on est en paix avec eux depuis longtemps, mais je trouve que c'est un gadget inutile. Cela dit, je me mets à la place des Allemands. J. Chirac leur a déjà proposé que ce soit J. Fischer qui soit le futur ministre des Affaires étrangères de l'Union européenne après application de la Constitution européenne de Giscard. Et il a tout cédé aux Allemands à Nice - 99 députés pour les Allemands, 72 pour les Français -, et avec un système au Conseil qui permet aux Allemands d'être arithmétiquement majoritaires. Donc c'est logique, mais cela me choque profondément, parce que je crois que si on veut que les Nations européennes soient en paix les unes avec les autres, il ne faut pas céder à ce type de gadget. Schröder, c'est l'Allemagne ; Chirac, c'est la France ; on est en parfaite entente, en bonne harmonie, mais franchement, c'est grotesque."
Ce n'est pas un facteur de guerre quand même...
- "Le problème, c'est que, quand les Allemands discutent de la Constitution européenne, vous croyez qu'ils discutent en mettant les intérêts allemands sur l'autel de l'union et de la fusion ? Les Italiens défendent l'Italie, les Anglais défendent l'Angleterre, les Suédois défendent la Suède, et la France défend l'Europe ; c'est toute la différence. Et J. Chirac est un spécialiste de la défense de l'Europe au détriment des intérêts français."
C'est grave, ce que vous dites...
- "Je pense que ce que doit représenter le président de la République, ce n'est pas l'Allemagne, c'est la France, les intérêts français, par rapport à l'euromondialisme où nous nous abîmons - on le voit bien avec Alstom, Cancun, etc - et par rapport à une Europe qui aujourd'hui nous épuise et ne résout aucun de nos problèmes."
Est-ce que la France n'est pas en train de sombrer dans un sentiment anti-européen ? On a entendu L. Fabius hier dire qu'il était prêt à voter contre la future Constitution européenne, si la France était minorée ?
- "Les Français ne sont pas anti-européens. Ils sont pour une Europe différente, qui soit respectueuse des peuples, des identités, des singularités. L'élargissement est une occasion extraordinaire, historique, de passer d'une Europe disciplinaire, centralisée, normative, "à la soviétique" - un seul ensemble d'un seul tenant -, à une Europe diverse, fondée sur la géométrie variable... Parce qu'à vingt-cinq pays, ce sera impossible de faire tenir la même Europe fusionnelle, centralisée.."
Tout le monde en est conscient...
- "Oui, mais la Constitution européenne, c'est quoi ? C'est exactement le contraire de ce qu'il faut faire. Là où il faudrait faire plus de souplesse, d'adaptation et de respect des démocraties, on centralise encore un peu plus. D'ailleurs, le mot "Constitution", c'est la règle suprême qu'un peuple souverain se donne pour conférer un statut à son Etat. Qu'est-ce qui est prévu dans la Constitution européenne ? On fait toujours des circonvolutions. Moi, je voudrais, peut-être pour une des premières fois, dire ce qu'il y a dedans. Il y a quatre phrases, quatre choses : d'abord, le droit européen sera désormais supérieur à tous les droits nationaux. Cela veut dire que n'importe quelle directive sera supérieure à la Constitution française ; la Constitution française sera le règlement intérieur d'un conseil régional. Deuxième chose, la personnalité juridique de l'Union européenne, qui lui est accordée et qui lui permettra de signer en son nom, et non plus au nom des Etats, des traités, et par exemple de revendiquer le siège de membre permanent de la France au Conseil de sécurité. Avec monsieur J. Fischer ; la boucle est bouclée. On comprend que les Allemands soient contents et qu'ils puissent partir tranquilles. Troisièmement, la généralisation de la décision à la majorité. Aujourd'hui, la règle, c'est l'unanimité ; ce sera exactement l'inverse. La règle, ce sera la majorité, et le veto, dans quelques cas."
Cela se comprend, si on est vingt-cinq ?
- "Oui, mais le problème, c'est que les Nations ne pourront plus défendre leurs intérêts vitaux. Or nous avons, nous, des intérêts vitaux. Et enfin, évidemment, un ministre des Affaires étrangères. Imaginez qu'il y ait eu un ministre des Affaires étrangères et un vote à la majorité au moment de l'affaire irakienne : les soldats français seraient partis en Irak. Et moi, je n'accepte pas ce tropisme atlantique ; peut-être pour les autres, mais pas pour la France."
Je suppose que vous revendiquez un référendum pour la future Constitution...
- "Je pense qu'il n'y en aura pas. Je pense qu'ils vont se dégonfler."
Vous pensez que la France peut être le seul pays qui ne fasse pas de référendum ?
- "Je pense que les Français sont méprisés par nos hommes politiques qui n'osent pas leur dire qu'ils ont décidé de liquider la France. M. Gallo a fait un très bon papier hier dans Le Parisien en disant : comment voulez-vous qu'il n'y ait pas de malaise dans notre pays ? On ne sait plus ce qu'on fait de notre pays. Comment voulez-vous qu'il y ait une Education nationale, puisqu'on éduque à quoi ? A la fraternité cosmique ?"
Vous évoquez M. Gallo. Est-ce que cela veut dire que les souverainistes de droite et de gauche vont se rapprocher pour les futures européennes ?
- "Cela ne veut rien dire, "souverainiste de droite", "souverainiste de gauche" ; il y a une chose qui veut dire quelque chose, c'est "la souveraineté française dans une Europe des souverainetés." C'est-à-dire que je suis souverainiste pour la France mais aussi pour les autres. Et je comprends très bien aujourd'hui l'attitude des Espagnols, des Anglais, des Suédois, de tous ceux qui sont désenchantés."
Eux, ils font leur campagne... Je suppose que vous allez reprendre le flambeau pour les européennes...
- "Oui, avec huit listes dans les huit régions."
Il y a une chose que je ne comprends pas très bien, c'est que vous "tirez les listes" au moment des élections, et puis après, vous revenez au Parlement français quand même...
- "Oui, mais maintenant, avec la Constitution européenne, le pouvoir sera définitivement là-bas."
Donc vous restez là-bas ?
- "Tant que le pouvoir était là, il fallait revenir là. Maintenant, il faut rester là-bas, hélàs ! Là-bas, c'est Strasbourg ou Bruxelles. Je vais vous donner un exemple : la marée noire. Vous regardez les choses : c'est là-bas que cela se passe. La France n'a plus aucun pouvoir ; il nous restera, après la Constitution européenne, la carte des anciens combattants, le calendrier scolaire, et peut-être les urgences."
Vous exagérez un peu...
- "Non, pas tellement. J'étais aux Questions ces deux jours. Les Questions d'actualité, ce sont des questions de Conseil général."
Vous allez quitter le Conseil général, si j'ai bien compris...
- "Non, pas du tout. Ce n'est pas du tout incompatible."
Est-ce que vous abandonnez la bataille des régionales dans ce contexte ?
- "La bataille des régionales, c'est une bataille locale. J'espère que la droite va gagner et que la gauche sera battue. Mais je suis inquiet."
Pourquoi êtes-vous inquiet ? A cause des dissenssions entre l'UMP et l'UDF ?
- "Je suis inquiet parce que en fait, il y a une inertie depuis les élections. Il ne se passe pas grand-chose, et les réformes ne sont pas faites. Quand je vois l'histoire du gazole... On tape les buralistes, alors qu'au coin de la rue, en face, il y a des immigrés clandestins qui vendent de la cigarette de contrebande, et on ne leur dit rien... [Il y a] un Budget qui n'abolit pas les 35 heures, qui ne prépare pas l'avenir, qui ne tape pas dans la dépense publique."
Vous êtes d'accord avec F. Bayrou ?
- "F. Bayrou a sa logique, mais je crois que si l'UMP n'avait pas eu du mépris pour F. Bayrou, peut-être que Bayrou n'aurait pas aujourd'hui de la haine pour l'UMP. Mais je ne rentre pas dans des questions politiciennes, parce que la situation me paraît trop sérieuse et trop grave pour notre pays. La vraie question, c'est de savoir - le Premier ministre l'a d'ailleurs effleurée - si on va s'attaquer aux vrais problèmes, par exemple le problème de l'immigration, la vitalité de la France et la souveraineté de la France."
Vous [lui] faites confiance ? Répondez par oui ou par non...
- "A J.-P. Raffarin ?"
Oui.
- "Ecoutez, moi, je ne veux pas le gêner, parce que j'aime l'homme ; c'est un homme sympathique et de bonne foi. Maintenant, je réponds ou je ne réponds pas, parce que malheureusement, pour l'instant, on n'attaque pas les problèmes essentiels, il y a trop de tabous."

(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 octobre 2003)