Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à "CFDT Magazine" le 20 juin 2003, sur les débats suscités au sein de la CFDT par la signature de l'accord sur le projet de réforme des retraites, et sur la réflexion sur l'emploi, la pénibilité du travail et le déroulement de la vie professionnelle que sous-tend ce texte.

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Média : CFDT Magazine

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CFDT Magazine.- Pour financer les retraites, la CFDT fait clairement le choix d'une baisse du chômage. Un pari ?
François Chérèque.- "Non, une ambition. Celle du droit à l'emploi pour tous et à un emploi de qualité".
- Parmi les critiques exprimées par les adhérents sur la réforme des retraites, l'absence de consultation interne avant de prendre position revient souvent. Que réponds-tu ?
"Il faut regarder les choses en face. C'est vrai, la CFDT a été secouée, et ce n'est pas surprenant. C'est en effet la première fois, depuis 1968, que le résultat d'une négociation entre gouvernement et partenaires sociaux se transforme par une loi. Les grands enjeux de société font rarement l'objet d'une négociation. Les Français n'y sont pas habitués et ne s'attendent pas à ce qu'un syndicat s'engage sur ces thèmes. Quatre mois de concertation conclus par un relevé de décision repris dans la loi, c'est une démarche peu commune. Et c'est à l'honneur de la CFDT de l'avoir assumée jusqu'au bout.
Le débat qui traverse la CFDT est légitime. Comment faisons-nous, dans un tel scénario, pour mettre en uvre le syndicalisme participatif tout en respectant notre système de démocratie par délégation ? La réponse n'est ni le référendum ni la décision autocrate et individuelle. Il s'agit plutôt de consolider le lien entre l'élaboration des revendications et la construction du compromis. Ce débat n'est pas nouveau dans la CFDT. Et si nous le poursuivons, c'est avant tout parce que nous sommes une organisation démocratique".
- Le financement de la réforme repose pour beaucoup sur un redémarrage de l'emploi. N'est-ce pas un pari un peu trop optimiste ?
"L'un des enjeux de la réussite de cette réforme, c'est effectivement la baisse du chômage dans les dix ans qui viennent, et de façon durable. Une hypothèse contestée par certains.
Mais une organisation comme la CFDT, qui a toujours fait de l'emploi une de ses priorités, peut-elle se résigner à la fatalité du chômage dans le cadre du financement des régimes sociaux? Pendant les négociations, FO nous traitait de doux rêveurs et suggérait de puiser dans le produit intérieur brut pour financer les retraites. De notre côté, nous disons que s'il faut opérer un prélèvement sur la richesse nationale, c'est pour relancer l'emploi. On ne peut pas financer nos systèmes sociaux par l'exclusion d'une partie d'entre nous. On a fait sciemment le choix de travailler sur l'hypothèse de la baisse du chômage. Si on n'y arrive pas d'ici 2008, alors on prendra la décision d'augmenter les prélèvements obligatoires. C'est écrit dans le relevé de décision et dans la loi.
La CFDT veut ainsi démontrer que les retraites sont intimement liées à la question du travail. C'est toute la richesse de ce débat de société. La réforme permet de remettre au premier plan deux thèmes essentiels: le niveau de l'emploi, à travers le financement, et le contenu même du travail avec la prise en compte de la pénibilité et des carrières longues".
- Qui dit baisse du chômage, dit relance de l'emploi. Ce gouvernement s'en donne-t-il vraiment les moyens ?
"Nous sommes très critiques sur la politique de l'emploi de ce gouvernement. C'est une politique libérale au sens économique : il attend tout du marché et de la reprise de la croissance pour régler les problèmes. Son action se limite à miser sur la baisse des impôts. Ce faisant, il commet une triple erreur. D'abord, parce que dans une période de marasme, un bon traitement social du chômage est vital. Aujourd'hui le gouvernement le détruit petit à petit: fin des emplois-jeunes, retard dans la mise en uvre du Civis, remise en cause des moyens accordés à la lutte contre l'exclusion. Ensuite, parce que la baisse des impôts, au lieu de doper la consommation, permet à ceux qui épargnent déjà de le faire davantage. Enfin, parce qu'en freinant les 35 heures et les allègements de charge, il met un coup d'arrêt aux négociations, créatrices d'emplois.
Autre grief, et non des moindres, ce gouvernement manque totalement d'initiatives avec les autres pays de l'Union pour exiger une relance économique au niveau européen. Il devient pourtant urgent d'intervenir pour harmoniser les politiques fiscales et sociales, pour que cessent la concurrence et le dumping, surtout avec l'arrivée de dix nouveaux pays. Les politiques sectorielles pour l'industrie et la recherche ont besoin d'une forte impulsion.
Dans la pharmacie, par exemple, si l'UE n'investit pas rapidement de façon importante, nous allons nous retrouver complètement dépendants des États-Unis au niveau de la politique du médicament".
- L'emploi, ce n'est pas seulement le gouvernement, c'est le patronat aussi...
"Le Medef doit sortir de ses contradictions. Il ne peut pas, d'un côté, souhaiter l'allongement de la durée de cotisation, et de l'autre, licencier les salariés âgés de plus de 55 ans. Il ne peut pas non plus réclamer que les salariés soient de plus en plus formés et leur demander de se payer leur formation sur leur temps libre, comme il le revendique actuellement dans les négociations sur la formation professionnelle.
Les partenaires sociaux dans leur ensemble, patronat et syndicats, doivent prendre leurs responsabilités pour améliorer les conditions de vie au travail. Pour cela des chantiers sont déjà ouverts, d'autres sont à venir. La formation professionnelle doit permettre aux salariés d'évoluer tout au long de leur vie.
Dans le cadre de l'anticipation des licenciements et des restructurations, les entreprises doivent être responsabilisées sur les plans sociaux, y compris vis-à-vis de leurs sous-traitants et des salariés précaires. Autre négociation, l'égalité professionnelle qui traitera des discriminations pénalisant les femmes dans leur vie active et a fortiori dans leurs niveaux de pensions.
Il faut aussi s'attaquer aux sujets prévus par la réforme des retraites. Des points sur lesquels la loi invite les partenaires sociaux à se mettre autour de la table comme la pénibilité du travail et l'emploi des salariés de plus de 50 ans. Ces deux thèmes, qui concernent d'ailleurs aussi bien le secteur privé que le secteur public, nous lancent deux nouveaux défis: définir d'abord la pénibilité pour se donner les moyens de la faire reculer et anticiper le droit à la retraite des salariés concernés. Les dernières années de la vie au travail ensuite, avec la possibilité d'offrir une évolution de carrière qui valorise l'expérience des " seniors "."
- Les inquiétudes bien fondées sur les fins de carrière ne valent-elles pas aussi pour l'entrée dans la vie active, c'est-à-dire pour les jeunes ?
"L'État et l'entreprise sont en première ligne. L'État parce qu'il doit mettre fin à un phénomène français unique en Europe : 160 000 jeunes sortent chaque année sans qualification du système scolaire. Le débat sur la formation est posé. L'entreprise aussi, parce que l'accueil des jeunes nécessite certes des aides spécifiques mais également un suivi et une adaptation réguliers, ceci afin qu'ils ne deviennent pas les chômeurs de demain".
- La controverse sur la réforme des retraites n'a-t-elle pas finalement fait l'impasse sur la question du temps de la vie que l'on passe au travail ?
"J'ai été marqué dans la période d'entendre si souvent dire : " Vivement la retraite, que je puisse souffler ". Nous qui avons un projet de transformation sociale, pouvons-nous accepter qu'une grande partie des salariés aspirent à vieillir et à quitter leur emploi pour enfin vivre ? Il faut redonner l'espoir de nouvelles perspectives professionnelles. Notre ambition, c'est que les salariés puissent d'abord travailler dans les meilleures conditions, le plus longtemps possible pour ensuite profiter d'une retraite, en bonne santé, avec une espérance de vie qui augmente."
(Source http://www.cfdt.fr, le 20 juin 2003)