Texte intégral
Monsieur le Président, Cher Bernard Stasi,
Mesdames et Messieurs les membres de la Commission sur l'application du principe de laïcité dans la République,
Monsieur le Président de " Public Sénat ", cher Jean-Pierre Elkabbach,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
D'emblée, je voudrais vous dire combien je suis heureux de vous recevoir pour ce déjeuner convivial, amical et informel ici au Sénat de la République.
Vous êtes ici chez vous, car le Sénat est, à un double titre, votre maison.
En premier lieu, parce que le Sénat a beaucoup uvré, sous la IIIe République et depuis lors, pour définir et donner corps et âme au principe de laïcité, clef de voûte du " vouloir vivre ensemble " républicain.
Au point parfois de s'égarer en refusant, tout au long de la IIIe République, le droit de vote aux femmes considérées par les républicains et les radicaux-socialistes de l'époque comme le cheval de Troie de l'influence de l'église. En cette circonstance, le Sénat est apparu comme conservateur alors qu'il se voulait le conservateur de la République
En second lieu, le Sénat est votre maison parce que vous avez choisi de tenir vos réunions dans ses murs, salle Clemenceau, -quel symbole !-, ou ici à la Présidence.
Bien plus, vous avez accepté que vos auditions aient lieu dans la plus totale transparence, sous le regard des caméras de " Public Sénat ", cette chaîne citoyenne que Jean-Pierre Elkabbach anime avec sa compétence, son brio et sa maestria, désormais légendaires.
Je crois savoir que les retransmissions de vos auditions comptaient parfois un spectateur attentif, un spectateur engagé, en la personne de M. le Président de la République
Vos travaux sont désormais dans leur dernière ligne droite puisque vous avez décidé de remettre vos conclusions, propositions et recommandations avant la fin de l'année.
Continuez, chers amis, de travailler dans la sérénité et ne vous laissez pas influencer, impressionner ou déstabiliser par des rumeurs orchestrées en provenance de " sources soi-disant bien informées. "
La qualité, incontestable et incontestée, des membres qui composent votre commission et la diversité, dans l'excellence, de leurs horizons intellectuels, religieux et philosophiques, font des travaux de votre instance prestigieuse un rendez-vous, indispensable et incontournable, pour éclairer la décision politique.
C'est animé par cette certitude que je voudrais, -brièvement rassurez-vous-, inscrire à l'orée de ce déjeuner amical et républicain, une profession de foi, non pas d'un vicaire savoyard, mais d'un Président du Sénat de la République.
Principe fondamental, à tous les sens du terme, la laïcité est l'un des piliers essentiels de la citoyenneté, du vouloir vivre ensemble, et donc du pacte républicain. D'où le partage entre l'espace public qui doit être " neutralisé " et la sphère privée à laquelle la religion doit être cantonnée.
La laïcité est consubstantielle de la République, d'une République conçue et vécue comme une communauté de citoyens et non comme une fédération de communautés.
Or, force est de constater que notre pays connaît une dérive communautariste, accélérée par la montée des intégrismes religieux, qui ne peut laisser insensibles les pouvoirs publics.
Pendant longtemps j'aurais pu être enclin à partager l'opinion selon laquelle il ne fallait pas légiférer pour ne pas rouvrir la boîte de Pandore, rallumer la guerre des deux France ou ranimer la guerre scolaire.
Aujourd'hui, je suis convaincu, face à la gravité de la menace qui pèse sur notre vouloir vivre ensemble, que nous devons donner un signal fort pour enrayer cette dérive communautariste qui sape les fondements de la République.
L'intervention d'une loi me paraît d'autant plus nécessaire qu'il ne me semble pas très courageux de laisser en première ligne les principaux de collèges et les proviseurs de lycées. En outre, l'application du principe de laïcité ne saurait être à géométrie ou à géographie variable. Le législateur doit prendre ses responsabilités.
Je suis donc partisan d'une loi de renforcement du principe de laïcité pour conforter les règles du jeu du vivre ensemble républicain. Une loi, mais quelle loi ?
Dans mon esprit, il ne s'agirait pas de modifier la loi du 9 décembre 1905, ce monument républicain, ce centenaire législatif dont il ne faut pas toucher à l'équilibre subtil et à la jurisprudence du Conseil d'Etat qui en découle.
Il s'agirait donc d'élaborer une loi spécifique, une loi adaptée, mais pas une loi de circonstance, dont l'objet principal serait d'interdire le port de signes religieux ostentatoires dans les écoles, les collèges et les lycées publics.
Les religions seraient ainsi traitées à égalité même si elles ne sont pas égales au regard de l'égalité des sexes et de la dignité de la femme.
Cette neutralisation de l'espace scolaire public ne serait pas incompatible, -loin s'en faut-, avec un enseignement du fait religieux auquel je suis favorable.
D'autres lieux publics doivent être neutralisés pour préserver notre vouloir vivre ensemble. Je pense notamment, -mais ce ne sont que des pistes de réflexion-, aux hôpitaux, aux bureaux de poste, aux guichets de la sécurité sociale, aux piscines publiques etc
Pensez, chers amis, que les élus locaux, dont le Sénat est l'avocat et le porte-parole, auront besoin de s'appuyer sur une disposition légale pour éviter l'instauration de discriminations dans l'utilisation des équipements publics locaux.
En définitive, je suis partisan d'un coup d'arrêt. Cependant, ne nous faisons pas d'illusion. Cette loi que j'appelle de mes vux est une condition nécessaire mais pas suffisante, à elle seule, pour contrecarrer la dérive communautariste exacerbée par les intégrismes religieux.
Il nous faudra aussi renforcer notre arsenal de lutte contre les discriminations de toute nature, contre le racisme, contre l'antisémitisme.
Il nous faut tarir la source du fanatisme que constituent bien souvent l'humiliation ou l'absence de perspectives.
Il faut remettre en marche l'ascenseur social et relancer la machine à intégrer.
Cette action, indispensable à la survie de notre modèle républicain, passe par une politique de la ville encore plus volontariste et ambitieuse dans son combat pour la suppression des ghettos urbains.
Cette action salutaire passe aussi par une réforme en profondeur de notre système éducatif pour faire vivre l'égalité des chances.
C'est à ce prix que notre République restera fidèle à ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.
Je vous remercie de votre bienveillante attention et je vous souhaite un excellent appétit.
(Source http://www.senat.fr, le 24 novembre 2003)
Mesdames et Messieurs les membres de la Commission sur l'application du principe de laïcité dans la République,
Monsieur le Président de " Public Sénat ", cher Jean-Pierre Elkabbach,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
D'emblée, je voudrais vous dire combien je suis heureux de vous recevoir pour ce déjeuner convivial, amical et informel ici au Sénat de la République.
Vous êtes ici chez vous, car le Sénat est, à un double titre, votre maison.
En premier lieu, parce que le Sénat a beaucoup uvré, sous la IIIe République et depuis lors, pour définir et donner corps et âme au principe de laïcité, clef de voûte du " vouloir vivre ensemble " républicain.
Au point parfois de s'égarer en refusant, tout au long de la IIIe République, le droit de vote aux femmes considérées par les républicains et les radicaux-socialistes de l'époque comme le cheval de Troie de l'influence de l'église. En cette circonstance, le Sénat est apparu comme conservateur alors qu'il se voulait le conservateur de la République
En second lieu, le Sénat est votre maison parce que vous avez choisi de tenir vos réunions dans ses murs, salle Clemenceau, -quel symbole !-, ou ici à la Présidence.
Bien plus, vous avez accepté que vos auditions aient lieu dans la plus totale transparence, sous le regard des caméras de " Public Sénat ", cette chaîne citoyenne que Jean-Pierre Elkabbach anime avec sa compétence, son brio et sa maestria, désormais légendaires.
Je crois savoir que les retransmissions de vos auditions comptaient parfois un spectateur attentif, un spectateur engagé, en la personne de M. le Président de la République
Vos travaux sont désormais dans leur dernière ligne droite puisque vous avez décidé de remettre vos conclusions, propositions et recommandations avant la fin de l'année.
Continuez, chers amis, de travailler dans la sérénité et ne vous laissez pas influencer, impressionner ou déstabiliser par des rumeurs orchestrées en provenance de " sources soi-disant bien informées. "
La qualité, incontestable et incontestée, des membres qui composent votre commission et la diversité, dans l'excellence, de leurs horizons intellectuels, religieux et philosophiques, font des travaux de votre instance prestigieuse un rendez-vous, indispensable et incontournable, pour éclairer la décision politique.
C'est animé par cette certitude que je voudrais, -brièvement rassurez-vous-, inscrire à l'orée de ce déjeuner amical et républicain, une profession de foi, non pas d'un vicaire savoyard, mais d'un Président du Sénat de la République.
Principe fondamental, à tous les sens du terme, la laïcité est l'un des piliers essentiels de la citoyenneté, du vouloir vivre ensemble, et donc du pacte républicain. D'où le partage entre l'espace public qui doit être " neutralisé " et la sphère privée à laquelle la religion doit être cantonnée.
La laïcité est consubstantielle de la République, d'une République conçue et vécue comme une communauté de citoyens et non comme une fédération de communautés.
Or, force est de constater que notre pays connaît une dérive communautariste, accélérée par la montée des intégrismes religieux, qui ne peut laisser insensibles les pouvoirs publics.
Pendant longtemps j'aurais pu être enclin à partager l'opinion selon laquelle il ne fallait pas légiférer pour ne pas rouvrir la boîte de Pandore, rallumer la guerre des deux France ou ranimer la guerre scolaire.
Aujourd'hui, je suis convaincu, face à la gravité de la menace qui pèse sur notre vouloir vivre ensemble, que nous devons donner un signal fort pour enrayer cette dérive communautariste qui sape les fondements de la République.
L'intervention d'une loi me paraît d'autant plus nécessaire qu'il ne me semble pas très courageux de laisser en première ligne les principaux de collèges et les proviseurs de lycées. En outre, l'application du principe de laïcité ne saurait être à géométrie ou à géographie variable. Le législateur doit prendre ses responsabilités.
Je suis donc partisan d'une loi de renforcement du principe de laïcité pour conforter les règles du jeu du vivre ensemble républicain. Une loi, mais quelle loi ?
Dans mon esprit, il ne s'agirait pas de modifier la loi du 9 décembre 1905, ce monument républicain, ce centenaire législatif dont il ne faut pas toucher à l'équilibre subtil et à la jurisprudence du Conseil d'Etat qui en découle.
Il s'agirait donc d'élaborer une loi spécifique, une loi adaptée, mais pas une loi de circonstance, dont l'objet principal serait d'interdire le port de signes religieux ostentatoires dans les écoles, les collèges et les lycées publics.
Les religions seraient ainsi traitées à égalité même si elles ne sont pas égales au regard de l'égalité des sexes et de la dignité de la femme.
Cette neutralisation de l'espace scolaire public ne serait pas incompatible, -loin s'en faut-, avec un enseignement du fait religieux auquel je suis favorable.
D'autres lieux publics doivent être neutralisés pour préserver notre vouloir vivre ensemble. Je pense notamment, -mais ce ne sont que des pistes de réflexion-, aux hôpitaux, aux bureaux de poste, aux guichets de la sécurité sociale, aux piscines publiques etc
Pensez, chers amis, que les élus locaux, dont le Sénat est l'avocat et le porte-parole, auront besoin de s'appuyer sur une disposition légale pour éviter l'instauration de discriminations dans l'utilisation des équipements publics locaux.
En définitive, je suis partisan d'un coup d'arrêt. Cependant, ne nous faisons pas d'illusion. Cette loi que j'appelle de mes vux est une condition nécessaire mais pas suffisante, à elle seule, pour contrecarrer la dérive communautariste exacerbée par les intégrismes religieux.
Il nous faudra aussi renforcer notre arsenal de lutte contre les discriminations de toute nature, contre le racisme, contre l'antisémitisme.
Il nous faut tarir la source du fanatisme que constituent bien souvent l'humiliation ou l'absence de perspectives.
Il faut remettre en marche l'ascenseur social et relancer la machine à intégrer.
Cette action, indispensable à la survie de notre modèle républicain, passe par une politique de la ville encore plus volontariste et ambitieuse dans son combat pour la suppression des ghettos urbains.
Cette action salutaire passe aussi par une réforme en profondeur de notre système éducatif pour faire vivre l'égalité des chances.
C'est à ce prix que notre République restera fidèle à ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.
Je vous remercie de votre bienveillante attention et je vous souhaite un excellent appétit.
(Source http://www.senat.fr, le 24 novembre 2003)