Texte intégral
Interview à Libération le 3 juin 2003.
Pensez-vous que la mobilisation puisse encore faire reculer le gouvernement sur la réforme des retraites ?
Oui, si la mobilisation est aussi large que je l'espère. On ne peut pas dire que les organisations syndicales qui contestent le projet de loi ont pris le gouvernement au dépourvu. Depuis le début de l'année, nous avons multiplié les initiatives. Nous recevons une fin de non-recevoir du gouvernement, voire un ultimatum. Nous n'avons pas d'autre choix que de faire appel à la mobilisation pour obtenir d'autres négociations. Les retraites sont un enjeu de société fondamental. On ne peut pas décider de réformes qui vont structurer la vie de millions de gens sur des décennies sans accepter un débat réel, une confrontation des points de vue et une vraie négociation. Aucun parti politique, quel qu'il soit, n'est, à lui seul, capable de représenter une opinion majoritaire dans la population sur les principaux enjeux économiques et sociaux. Le gouvernement a choisi de contourner l'obstacle syndical en acceptant des consultations, mais pas des négociations. Puis il a voulu conclure par ce qui ressemble davantage à une pièce de théâtre de boulevard qu'à une négociation. Je maintiens que les solutions retenues vont affaiblir le système par répartition et accroître les inégalités.
Jusqu'à quand souhaitez-vous que les grèves se poursuivent ?
Le débat parlementaire s'ouvre le 10 juin. La seule chose qui peut modifier la donne, c'est le degré de mobilisation et sa persévérance. Des secteurs vont voir les arrêts de travail durer plusieurs jours, dans d'autres, il y a aura alternance entre arrêts de travail et manifestations. Je souhaite qu'il y ait une multitude d'initiatives qui rassemblent le maximum de salariés. C'est le seul moyen de convaincre le gouvernement qu'il ne peut pas décemment faire légiférer l'Assemblée dans un tel climat de contestation.
De nombreux secteurs, dont les transports, mais aussi la presse, vont être bloqués par la grève. Est-ce le bon moyen de rendre votre position compréhensible par l'opinion ?
Ce n'est pas le blocage de l'activité économique qui est le but du mouvement, c'est de contraindre le gouvernement à revenir à la table des discussions. A partir de là, des salariés dans tous les secteurs, dans la presse comme ailleurs dans le privé, ont recours au droit de grève, ce qui n'est jamais facile, mais nécessaire lorsque des enjeux importants sont en cause.
Mais reste-t-il un espace pour la négociation, alors que le Parlement est saisi du projet de loi ?
J'entends bien que, dans les milieux politiques, on s'interroge sur ce qui apparaîtrait comme un recul de la part du gouvernement. La majorité, le Premier ministre, seraient discrédités. Ce n'est pas notre problème. Notre sujet, c'est l'avenir des retraites. Un gouvernement qui fait le constat qu'une réforme n'est pas partagée et que cela nécessite de revoir le calendrier fixé et les contenus qu'il a initialement retenus ne perdrait pas la face, au contraire. Le courage politique ce n'est pas de poursuivre, quoi qu'il arrive, dans une direction de plus en plus contestée. Où peut conduire un affrontement brutal avec une grande partie des salariés ?
Comprenez-vous néanmoins que la majorité pense que ce pays a besoin de réformes et que le pouvoir politique, après le 21 avril, doit prouver sa capacité de les mener à bien ?
Le besoin de réforme est une évidence. Comme syndicat responsable, nous sommes bien placés pour constater combien la situation faite aux retraités se dégrade d'année en année, par la mise en oeuvre des décrets Balladur de 1993. C'est déjà une baisse des retraites de 10 %. Depuis des mois, nous disons partout qu'il faut s'inscrire dans une réforme. Ce n'est pas l'immobilisme face à la réforme. La question, c'est le contenu de la réforme. Elle doit être réfléchie avec les interlocuteurs syndicaux. Le Premier ministre s'est fixé un calendrier qui relève plus de la communication politique que de la nécessité économique. Il n'y a pas d'impasse financière avant quelques années, cela laisse le temps d'une négociation réelle et sérieuse. Pour ce qui concerne le 21 avril, rappelons que l'insécurité sociale est un élément qui a largement influencé le comportement citoyen lors de l'élection présidentielle. Le gouvernement ne peut pas refaire l'Histoire : son arrivée n'est pas due à une adhésion majoritaire à la réforme des retraites proposée aujourd'hui. Tous les partis politiques devraient faire preuve d'une grande modestie à l'égard des problèmes sociaux et reconnaître que les organisations syndicales sont des interlocutrices utiles pour bien appréhender ce qui permettra à la société française de retrouver de la cohésion.
François Chérèque a opposé hier, dans une interview à "Libération", le syndicalisme réformiste, porté par la CFDT, à un autre syndicalisme, qui se ferait simplement "l'expression des mécontentements". Où se situe la CGT?
Tout le monde est confronté à une réelle détérioration de la situation sociale, en France, mais aussi en Europe et à l'échelle mondiale. La mondialisation renforce les inégalités sociales. Face à ce constat, il n'y a pas de réponse unique. Si par syndicalisme réformiste on entend un syndicat qui, a priori, a décidé de passer un accord avec ses interlocuteurs, patronat ou pouvoirs publics, quel que soit le contenu, ce n'est pas ce syndicalisme réformiste que j'attends. Le réformisme que je suis prêt à assumer, c'est celui qui est capable d'élaborer des solutions aptes à résorber la fracture sociale.
Certains dans la majorité vous accusent de vouloir défaire dans la rue ce qui a été décidé dans les urnes ?
Les organisations syndicales n'ont pas de leçon politique à recevoir. La mobilisation anti-Le Pen du 1er mai 2002 a pris sa force dans l'appel des organisations syndicales. Ceux qui manifestent aujourd'hui pour faire valoir leurs droits à la retraite sont parmi ceux qui se sont le plus mobilisés pour défendre les principes et les valeurs républicaines. Je me souviens qu'à l'époque peu de partisans de la majorité actuelle s'étaient retroussé les manches. Le gouvernement ne nous fera pas taire au motif qu'il est légitimement installé dans les institutions.
Dans ce bras de fer, ne redoutez-vous pas que la majorité soit tentée de provoquer une défaite claire du mouvement social, pour avoir la paix une bonne fois pour toutes ?
Cette voix-là est omniprésente, elle domine dans les rangs du gouvernement. Sinon, comment expliquer qu'après le succès de nos initiatives, et le message des enquêtes d'opinion, le gouvernement maintienne sa copie en l'état? Même si la communication est tout en rondeurs, même si on s'adresse à nous en souriant, la brutalité de la position politique du gouvernement est réelle.
Cet affrontement n'est donc pas bon signe pour l'état du dialogue social sur d'autres questions ?
Refuser de vraies négociations, puis sélectionner les interlocuteurs syndicaux, en écartant la première confédération syndicale de salariés, ce sont des choix lourds de sens. Cela augure mal pour d'autres discussions à venir, sur la Sécurité sociale, par exemple.
(source http://www.tresor.cgt.fr, le 27 août 2003)
Pensez-vous que la mobilisation puisse encore faire reculer le gouvernement sur la réforme des retraites ?
Oui, si la mobilisation est aussi large que je l'espère. On ne peut pas dire que les organisations syndicales qui contestent le projet de loi ont pris le gouvernement au dépourvu. Depuis le début de l'année, nous avons multiplié les initiatives. Nous recevons une fin de non-recevoir du gouvernement, voire un ultimatum. Nous n'avons pas d'autre choix que de faire appel à la mobilisation pour obtenir d'autres négociations. Les retraites sont un enjeu de société fondamental. On ne peut pas décider de réformes qui vont structurer la vie de millions de gens sur des décennies sans accepter un débat réel, une confrontation des points de vue et une vraie négociation. Aucun parti politique, quel qu'il soit, n'est, à lui seul, capable de représenter une opinion majoritaire dans la population sur les principaux enjeux économiques et sociaux. Le gouvernement a choisi de contourner l'obstacle syndical en acceptant des consultations, mais pas des négociations. Puis il a voulu conclure par ce qui ressemble davantage à une pièce de théâtre de boulevard qu'à une négociation. Je maintiens que les solutions retenues vont affaiblir le système par répartition et accroître les inégalités.
Jusqu'à quand souhaitez-vous que les grèves se poursuivent ?
Le débat parlementaire s'ouvre le 10 juin. La seule chose qui peut modifier la donne, c'est le degré de mobilisation et sa persévérance. Des secteurs vont voir les arrêts de travail durer plusieurs jours, dans d'autres, il y a aura alternance entre arrêts de travail et manifestations. Je souhaite qu'il y ait une multitude d'initiatives qui rassemblent le maximum de salariés. C'est le seul moyen de convaincre le gouvernement qu'il ne peut pas décemment faire légiférer l'Assemblée dans un tel climat de contestation.
De nombreux secteurs, dont les transports, mais aussi la presse, vont être bloqués par la grève. Est-ce le bon moyen de rendre votre position compréhensible par l'opinion ?
Ce n'est pas le blocage de l'activité économique qui est le but du mouvement, c'est de contraindre le gouvernement à revenir à la table des discussions. A partir de là, des salariés dans tous les secteurs, dans la presse comme ailleurs dans le privé, ont recours au droit de grève, ce qui n'est jamais facile, mais nécessaire lorsque des enjeux importants sont en cause.
Mais reste-t-il un espace pour la négociation, alors que le Parlement est saisi du projet de loi ?
J'entends bien que, dans les milieux politiques, on s'interroge sur ce qui apparaîtrait comme un recul de la part du gouvernement. La majorité, le Premier ministre, seraient discrédités. Ce n'est pas notre problème. Notre sujet, c'est l'avenir des retraites. Un gouvernement qui fait le constat qu'une réforme n'est pas partagée et que cela nécessite de revoir le calendrier fixé et les contenus qu'il a initialement retenus ne perdrait pas la face, au contraire. Le courage politique ce n'est pas de poursuivre, quoi qu'il arrive, dans une direction de plus en plus contestée. Où peut conduire un affrontement brutal avec une grande partie des salariés ?
Comprenez-vous néanmoins que la majorité pense que ce pays a besoin de réformes et que le pouvoir politique, après le 21 avril, doit prouver sa capacité de les mener à bien ?
Le besoin de réforme est une évidence. Comme syndicat responsable, nous sommes bien placés pour constater combien la situation faite aux retraités se dégrade d'année en année, par la mise en oeuvre des décrets Balladur de 1993. C'est déjà une baisse des retraites de 10 %. Depuis des mois, nous disons partout qu'il faut s'inscrire dans une réforme. Ce n'est pas l'immobilisme face à la réforme. La question, c'est le contenu de la réforme. Elle doit être réfléchie avec les interlocuteurs syndicaux. Le Premier ministre s'est fixé un calendrier qui relève plus de la communication politique que de la nécessité économique. Il n'y a pas d'impasse financière avant quelques années, cela laisse le temps d'une négociation réelle et sérieuse. Pour ce qui concerne le 21 avril, rappelons que l'insécurité sociale est un élément qui a largement influencé le comportement citoyen lors de l'élection présidentielle. Le gouvernement ne peut pas refaire l'Histoire : son arrivée n'est pas due à une adhésion majoritaire à la réforme des retraites proposée aujourd'hui. Tous les partis politiques devraient faire preuve d'une grande modestie à l'égard des problèmes sociaux et reconnaître que les organisations syndicales sont des interlocutrices utiles pour bien appréhender ce qui permettra à la société française de retrouver de la cohésion.
François Chérèque a opposé hier, dans une interview à "Libération", le syndicalisme réformiste, porté par la CFDT, à un autre syndicalisme, qui se ferait simplement "l'expression des mécontentements". Où se situe la CGT?
Tout le monde est confronté à une réelle détérioration de la situation sociale, en France, mais aussi en Europe et à l'échelle mondiale. La mondialisation renforce les inégalités sociales. Face à ce constat, il n'y a pas de réponse unique. Si par syndicalisme réformiste on entend un syndicat qui, a priori, a décidé de passer un accord avec ses interlocuteurs, patronat ou pouvoirs publics, quel que soit le contenu, ce n'est pas ce syndicalisme réformiste que j'attends. Le réformisme que je suis prêt à assumer, c'est celui qui est capable d'élaborer des solutions aptes à résorber la fracture sociale.
Certains dans la majorité vous accusent de vouloir défaire dans la rue ce qui a été décidé dans les urnes ?
Les organisations syndicales n'ont pas de leçon politique à recevoir. La mobilisation anti-Le Pen du 1er mai 2002 a pris sa force dans l'appel des organisations syndicales. Ceux qui manifestent aujourd'hui pour faire valoir leurs droits à la retraite sont parmi ceux qui se sont le plus mobilisés pour défendre les principes et les valeurs républicaines. Je me souviens qu'à l'époque peu de partisans de la majorité actuelle s'étaient retroussé les manches. Le gouvernement ne nous fera pas taire au motif qu'il est légitimement installé dans les institutions.
Dans ce bras de fer, ne redoutez-vous pas que la majorité soit tentée de provoquer une défaite claire du mouvement social, pour avoir la paix une bonne fois pour toutes ?
Cette voix-là est omniprésente, elle domine dans les rangs du gouvernement. Sinon, comment expliquer qu'après le succès de nos initiatives, et le message des enquêtes d'opinion, le gouvernement maintienne sa copie en l'état? Même si la communication est tout en rondeurs, même si on s'adresse à nous en souriant, la brutalité de la position politique du gouvernement est réelle.
Cet affrontement n'est donc pas bon signe pour l'état du dialogue social sur d'autres questions ?
Refuser de vraies négociations, puis sélectionner les interlocuteurs syndicaux, en écartant la première confédération syndicale de salariés, ce sont des choix lourds de sens. Cela augure mal pour d'autres discussions à venir, sur la Sécurité sociale, par exemple.
(source http://www.tresor.cgt.fr, le 27 août 2003)