Texte intégral
Devant cette audience très avertie, il est à la fois naturel et un peu audacieux de répondre à cette invite de mon ami Jean-François Théodore en vous parlant de ma conception de "la France face à la mondialisation". C'est-à-dire l'adaptation de notre politique étrangère au monde global d'aujourd'hui, de ses 185 pays. Naturel et audacieux, car vous êtes vous-mêmes immergés dans cette mondialisation. Vos sociétés, vos organisations l'ont entièrement intégrée dans leurs stratégies. C'est votre horizon naturel. Ce qui se passe à Tokyo ou à New York se répercute ici chaque jour. La moindre modification d'anticipation sur un pays, sur un taux d'intérêt, sur une société cotée se traduit par des mouvements de très grande ampleur. Je ne vous apprendrai rien à ce sujet.
Aujourd'hui cependant, la crise financière, partie de l'Asie, s'est étendue à la Russie et menace l'Amérique. L'inquiétude liée à la globalisation, à la connexion permanente et instantanée des marchés gagne les places financières, les entreprises, les investisseurs. Elle accentue une aversion au risque et amplifie la crise elle-même. Dans ce contexte, on perçoit une attente nouvelle de la part des opinions publiques, des acteurs économiques eux-mêmes. Cette attente se dirige vers les Etats et les organisations internationales pour apporter la régulation que la loi des marchés ne peut pas garantir. C'est un défi sur lequel nous devons nous interroger ensemble.
Quelques remarques tout d'abord sur l'interdépendance, sur l'instabilité du monde d'aujourd'hui.
I. Le monde global est interdépendant et instable :
1) La mondialisation aujourd'hui depuis la disparition du monde bipolaire, c'est essentiellement une tendance à l'homogénéisation du monde autour du modèle occidental des marchés, des médias, de la démocratie et le corollaire de tout cela : l'interdépendance.
L'ouverture des marchés des biens, des services, des capitaux, a été continue depuis l'après-guerre. Elle s'est accélérée au cours des dix dernières années après la chute du système soviétique et le discrédit des modèles autarciques de développement. Le cadre du GATT, puis de l'Organisation mondiale du commerce ont puissamment contribué à ces évolutions venues des forces du marché.
L'intégration des réseaux mondiaux de communication, l'apparition de médias globaux (CNN) et d'Internet accentuent cette interdépendance. Emerge alors progressivement une opinion publique mondiale réagissant instantanément, comme l'a montré le rôle des ONG et des médias dans le blocage au printemps dernier de la négociation de l'AMI.
- La première conséquence, c'est la perte relative de pouvoir et d'autonomie des Etats qui ont réduit leurs pouvoirs par idéologie. Même dans leur domaine de compétence ils ne peuvent agir entièrement seuls, que ce soit dans la conduite de leur action internationale ou même dans l'élaboration de leur politique nationale.
- A cela s'ajoute l'hégémonie américaine. Les Etats-Unis dominent aujourd'hui dans tous les domaines : politique, militaire, économique, technologique, par les médias, par le dollar, par CNN et Internet. La propagation sans précédent du modèle et des choix américains est un fait. Outre les irritations qu'elle peut susciter, cette hyperpuissance a aussi ses faiblesses : la multiplication des centres de décision antagonistes (l'administration, le Congrès) la relativise.
- L'autre donnée fondamentale, dans ce monde mouvant, c'est qu'aucune situation n'est jamais acquise définitivement, ni pour les individus, ni pour les entreprises, ni pour les peuples. C'est en effet un monde de compétition permanente, où il faut s'adapter sans cesse et où les plus faibles se retrouvent vite marginalisés. Les individus sans qualification se retrouvent socialement déclassés. Les entreprises ne peuvent plus s'abriter derrière les protections commerciales ou les subventions. Elles doivent croître sans cesse pour atteindre la taille jugée critique - elle-même croissante - sur le marché mondial. Quant aux pays les plus pauvres, dépendant de la vente d'une ou deux matières premières, ils ont hélas tendance à s'appauvrir et à être écartés de fait des flux financiers internationaux.
Mon propos ici n'est pas de déplorer, il est de constater, sans perdre de vue évidemment la contribution du libre échange et de l'investissement à la croissance mondiale.
2) Un monde où se développent de puissants facteurs d'instabilité :
L'instabilité a toujours existé. Inutile de rappeler ici les soubresauts du siècle, la crise de 29, la guerre froide, les chocs pétroliers, la crise d'endettement de l'Amérique latine dans les années 80. Mais l'illusion d'un monde plus homogène, rationalisé et apaisé du fait de la fin de la guerre froide, de la généralisation du modèle libéral occidental et de la surinformation en temps réel, cette illusion s'est dissipée. Ce n'est ni la fin de l'Histoire, ni le magique nouvel ordre international.
- Les crises financières que nous connaissons aujourd'hui illustrent les imperfections de notre globalisation financière. Le comportement moutonnier des marchés de capitaux à court terme a amplifié de façon folle les effets de certaines déficiences structurelles et des écarts de conjoncture, à l'instant même où ils sont apparus. Le doute s'est répandu et la contagion s'est faite, même entre des marchés qui n'étaient pas objectivement interdépendants : entre la Russie et l'Asie par exemple.
Ce qui me frappe personnellement dans ces crises, c'est la permanence d'un risque politique très mal appréhendé par les marchés des capitaux, par les investisseurs. La cause en est peut-être une insuffisante communication entre les organisations internationales et la diplomatie d'une part, les acteurs économiques d'autre part.
En Russie, la perte de crédibilité de l'Etat, son incapacité à lever les impôts, à assurer le financement des services publics et à payer ses fonctionnaires est le problème n° 1. C'est un problème politique qui doit être résolu par une volonté forte du gouvernement et de la Douma de restructurer un Etat de droit et d'affronter les intérêts puissants des oligarchies financières.
En Asie du Sud-Est et même au Japon, c'est une certaine opacité des relations entre les décideurs politiques, le système financier et les industries qui entretient le doute. Des collusions ont faussé les mécanismes de marché, ont conduit les banques à favoriser exagérément des projets ou des entreprises tenues par des proches. Seules des réformes de nature politique peuvent remédier à ces situations. Ces réformes sont les plus difficiles. D'où la résistance aux ajustements qui sont perçus comme imposés de l'extérieur par le FMI et la communauté internationale.
Ces résistances sont d'autant plus fortes lorsque les programmes d'ajustement méconnaissent les réalités sociales, politiques et financières des pays concernés. La critique faite aux institutions financières internationales trouve là une certaine justification, même si une large part de la responsabilité en revient aux Etats concernés. La crise est une crise des modèles : crise du modèle dit asiatique, crise du modèle libéral uniforme. Celui-ci ne peut être plaqué sur tous les pays sans tenir compte de leur situation de départ. Libéraliser les marchés de capitaux et les marchés des changes précipitamment, sans précaution, sans avoir consolidé les règles prudentielles ni assuré la transparence, fait courir des risques maintenant dénoncés par le Wall Street Journal. C'est dire...
- Les facteurs de déstabilisation ne sont pas seulement économiques. Ils sont politiques. L'effondrement du bloc soviétique n'a pas - au contraire - consacré l'avènement d'un nouvel ordre mondial coopératif et démocratique. Il y a aujourd'hui dans le monde près de trente conflits impliquant une cinquantaine d'Etats.
La prolifération de la souveraineté (185 pays) ou des aspirations à la souveraineté est elle-même un facteur d'instabilité, comme on l'a vu dans l'ex-Yougoslavie. La conscience plus aiguë de l'identité nationale prospère sur une angoisse collective de la dilution, de la submersion par un modèle culturel étranger. Les échecs économiques y ont aussi leur part. Les tensions récurrentes entre l'Inde et le Pakistan sont certes l'expression de la fracture originelle du sous-continent, d'un conflit territorial, le Cachemire et d'un antagonisme entre communautés religieuses. Mais elles canalisent également l'énergie des populations désemparées par leur situation sociale.
Que peut faire, que doit faire la France face à ces crises, à ce monde global où la souveraineté se dilue ? Négocier, coopérer.
II. Pour préserver une certaine stabilité, pour défendre nos intérêts et nos valeurs, nous devons négocier 24 heures sur 24.
1) Promouvoir la stabilité :
A court terme, c'est la situation financière des pays en transition et des pays dits émergents qui est la plus préoccupante. Que peut-on faire dans l'immédiat ? D'abord soutenir et consolider les institutions financières internationales et leur accorder les moyens nécessaires. Ce que le Congrès américain refuse encore de faire.
Ensuite on ne peut qu'inciter les pays concernés à conduire les réformes nécessaires, sans imposer un modèle unique comme on l'a trop fait dans le passé. La limite de notre action est la souveraineté des Etats. C'est aux Russes de dire s'ils veulent un secteur public ou privé de l'énergie, s'ils veulent taxer plutôt le gaz ou les rentiers.
Mais il est communément admis qu'une conditionnalité de l'aide financière internationale reste indispensable, faute de quoi cette assistance risquerait d'être inutile et peut être dilapidée. La France et l'Union européenne ont fait part de leur disponibilité à renforcer leur assistance technique, à mieux la cibler (notamment le programme TACIS) sur les besoins immédiats : restauration de la fiscalité, du contrôle des autorités monétaires, etc... Il faut aussi que les différentes institutions compétentes pour l'assistance technique se coordonnent mieux entre elles.
Quant au Japon, la communauté internationale attend une réelle concrétisation de sa volonté affichée de restructurer le secteur bancaire, de relancer l'économie. Vis-à-vis de ce pays nous n'avons guère d'autre moyen que l'appeler à prendre ses responsabilités, dans le cadre du G7 notamment.
- La stabilité du monde dépendra aussi de la poursuite des efforts de la communauté internationale en faveur du développement. L'écart entre pays riches et pays pauvres continue à se creuser. Ce seul fait ajouté à la croissance démographique, aux épidémies, à la pression migratoire, est explosif à terme. La France plaide donc constamment pour que des flux importants d'aide au développement continuent à être apportés aux pays en développement, tout en les encourageant à s'affranchir progressivement de l'assistance traditionnelle, à s'intégrer au jeu mondial. C'est le sens des orientations prises par l'Union européenne pour la renégociation de la Convention de Lomé et plus généralement pour son partenariat économique avec ses voisins comme les pays du Maghreb. C'est aussi le sens de la réforme de la coopération française que nous avons engagée il y a un an.
2) Dans ce cadre global, il nous faut aussi négocier constamment pour défendre nos intérêts et nos idées, pour maintenir notre influence. C'est le grand impératif de notre diplomatie pour les années à venir. Des négociations importantes vont s'ouvrir ou se poursuivre dans tous les domaines. Ces négociations sont souvent interdépendantes. Les négociations multilatérales à l'OMC par exemple ne se présentent pas de la même façon selon que la réforme des politiques communes, tout particulièrement agricole, qui doit précéder l'élargissement de l'Union aura été accomplie dans un sens ou dans un autre.
a - A l'OMC un nouveau cycle doit reprendre à la fin de l'année prochaine, même si son champ n'est pas encore décidé. Ce qui est assuré, c'est que la négociation reprendra sur l'agriculture et les services. Dans certains de ces secteurs, la France risque d'être sur la défensive et a donc intérêt à plaider aussi pour le renforcement des règles de l'OMC. Elle a aussi intérêt à plaider pour leur élargissement à des sujets nouveaux où il n'existe pas de règles internationales : les questions de concurrence, la corruption dans les transactions internationales, les obstacles aux investissements, l'arbitrage à trouver entre les règles commerciales et les règles d'environnement.
Même si certaines de ces négociations seront difficiles, il est de notre intérêt de soutenir l'OMC qui offre la garantie du multilatéralisme et d'un règlement des différents équilibré. Sur ce terrain, la Commission européenne qui négocie au nom de l'Union peut trouver des alliés. L'expérience montre en effet que l'Union défend plutôt mieux ses intérêts dans le cadre multilatéral que dans un face à face bilatéral, en particulier avec les Etats-Unis.
b - La négociation de l'AMI à l'OCDE nous pose un problème différent. Dans le principe, dans l'intérêt de nos entreprises, le gouvernement est favorable à l'adoption des règles internationales permettant d'ouvrir les marchés étrangers aux investisseurs étrangers et de protéger les investissements. Mais les principaux obstacles ne se rencontrent pas dans la zone OCDE. En outre, l'architecture même du projet d'AMI lui donne une portée très large qui risque de porter atteinte à notre souveraineté. Par exemple dans le secteur culturel, voire dans des secteurs non prévus du fait d'une conception extensive de l'expropriation et du principe de non discrimination. L'émotion suscitée par ce projet d'accord dans les milieux culturels, dans certaines ONG, illustre, en tout cas, un besoin croissant : celui de garantir une certaine transparence vis-à-vis de l'opinion, d'où la nécessité d'expliquer nos intérêts et nos contraintes. C'est pourquoi le gouvernement a confié à Mme Lalumière une mission de consultation avec la société civile pour affiner nos propositions.
Une solution serait peut-être de repartir sur des bases plus saines à l'OMC, une fois trouvé un terrain d'entente d'une portée plus modeste à l'OCDE.
c) Mais c'est dans le cadre européen que se noue pour nous l'essentiel de ces négociations. C'est aussi le cadre à privilégier pour approfondir l'harmonisation des législations et construire des politiques communes.
Nous devons nous appuyer sur l'Union européenne pour bâtir nos coopérations économiques et commerciales avec les pays tiers. Mais il faut éviter la tentation permanente de la dilution dans un espace trop vaste et insuffisamment intégré.
C'est pourquoi la France n'a pas pu accepter certains des éléments des premières propositions de la Commission visant à constituer une zone de libre échange avec les Etats-Unis (le fameux NTM du commissaire Brittan). En revanche le nouveau projet de partenariat qui a pris en compte nos objections nous parait établi sur de meilleures bases.
Les prochains mois et les toutes prochaines années seront cruciaux pour l'avenir de l'Europe, au moment où se profile le plus grand élargissement de son
histoire. Les solutions qui seront trouvées feront que la construction européenne se poursuivra ou qu'elle sera paralysée. Rarement la Communauté n'a été confrontée à tant de défis en même temps. Tout d'abord, son financement pour les années 2000 à 2006, la réforme et l'adaptation des politiques communes qui peuvent l'accompagner, en premier lieu la politique agricole commune et la politiques des fonds structurels. Tout ce qu'on appelle "l'Agenda 2000". Il faudra maîtriser les dépenses communautaires tout en préservant les politiques qui sont l'essence de la construction européenne. Cela sera difficile. Chacun veut payer moins et récolter plus. Il s'agit également de prendre en compte les futures adhésions des pays candidats et préparer les négociations multilatérales. Il y a ensuite les réformes nécessaires pour restaurer l'efficacité des institutions communautaires conçues pour une Communauté à six ou à neuf. Il faut reprendre le contrôle politique de la machine européenne, et cela avant le prochain élargissement. Régler les problèmes avant la conclusion des négociations d'adhésion pour qu'ils ne nous paralysent pas après.
III.- Nous devons construire un monde mieux régulé.
La régulation internationale n'est pas à la hauteur des enjeux actuels de la globalisation. L'opinion ne rejette pas la globalisation en tant que telle. Elle ne rejette pas le développement de l'économie de marché en tant que telle, comme elle est profitable à tous. Ce dont elle ne veut pas c'est d'une société de marché où les Etats, la puissance publique, auraient renoncé à presque tout, où ce serait la loi du plus fort.
Je vois quatre axes pour renforcer cette régulation.
1) Le premier point, c'est le nécessaire renforcement des institutions économiques et financières et de la régulation en matière économique.
Comme je l'ai dit, les critiques adressées au FMI sont souvent injustes. Car la crise aurait été pire en Asie du Sud-Est notamment si le FMI n'était pas intervenu. Mais il est clair que le FMI n'a pas, dans son fonctionnement actuel, une légitimité politique suffisante. Les conditions qu'il impose ne peuvent pas, à elles seules, réformer les sociétés en profondeur. Ce sont souvent les couches défavorisées qui paient les conséquences des remèdes imposés pour assainir les finances publiques et certains cercles corrompus trouvent, du fait de l'assistance internationale, un répit supplémentaire.
C'est pourquoi la France vient de transmettre à ses partenaires européens un mémorandum qui présente une série de propositions visant à consolider le système financier international, à bâtir un nouveau Bretton-Woods.
Au coeur de ces propositions, il y a la mise en place d'un véritable gouvernement politique du FMI, approuvant par vote les orientations stratégiques. Le comité intérimaire serait transformé à cette fin en un conseil des ministres. Le nouveau FMI devrait aussi organiser le dialogue entre les pays industrialisés et les pays émergents et mieux coopérer avec les autres institutions comme la Banque mondiale. Il devrait s'atteler à la lourde tâche de la transparence et de la surveillance prudentielle en élaborant des normes internationales applicables aux pouvoirs publics mais aussi aux institutions privées.
Une nouvelle approche plus progressive et coordonnée de l'ouverture des capitaux doit être aussi préconisée. En cas d'instabilité avérée, les pays émergents doivent avoir la possibilité de recourir temporairement à une clause de sauvegarde financière, c'est-à-dire de rétablir, en liaison avec le FMI, un contrôle de certains mouvements de capitaux à court terme. L'expérience du Chili est à cet égard intéressante.
La mise en place de l'euro doit permettre à l'Europe de jouer un rôle plus important dans cette nouvelle régulation. L'euro servira de point d'appui à la stabilité monétaire internationale.
2) Une Europe dotée d'un projet, d'une identité, d'une capacité d'action internationale.
L'émergence d'un monde multipolaire organisé n'a de sens pour nous que si l'Europe y a sa place, que si elle joue un rôle conforme à son poids économique et très bientôt monétaire.
Le marché unique est déjà une réalisation remarquable. Il a contribué à la modernisation de nos économies et de nos entreprises. Il a élargi leur marché. Il est un facteur de compétitivité indispensable pour l'Europe. La Communauté a également exercé une influence décisive dans la définition des nouvelles règles commerciales multilatérales issues des Accords de Marrakech. Mais exister en tant que pôle dans le monde global exige plus.
L'euro est un atout majeur. A l'intérieur, il couronne le marché unique et fait disparaître une barrière psychologique forte aux échanges intra-communautaires. Vis à vis de l'extérieur, il est un gage de stabilité et de confiance. Il attire les investissements et encourage donc la croissance. Nous devons mettre l'accent dès maintenant sur l'établissement de relations d'échanges stables avec d'autres monnaies européennes, y compris en Europe centrale et orientale. La zone euro doit pouvoir apporter une contribution à la solution des problèmes ou des crises à l'aune de son poids réel. D'où l'importance du débat actuel sur la représentation extérieure de la zone euro, dont les ministres de l'Economie et des Finances ont parlé cette fin de semaine à Vienne.
Cependant la monnaie unique ne peut porter à elle seule une véritable union politique. Au-delà de la réforme institutionnelle dont je parlais tout à l'heure, et qui s'attache à préserver l'essentiel, il convient de réfléchir maintenant à une nouvelle architecture européenne. Le grand élargissement appelle un renouvellement du système. Le problème des limites géographiques et institutionnelles de l'Union est posé. L'Europe de demain devra être plus souple et plus diverse. Vis-à-vis de son environnement proche, elle devra avec les pays voisins, au fur et à mesure des nouvelles adhésions, assurer le passage de la coopération à l'intégration, laquelle ne veut pas dire nécessairement adhésion à l'Union Européenne. Il faudra trouver des relations de partenariat stratégiques avec les pays qui ne feront pas partie de l'Union mais qui la borderont comme la Russie ou les pays du Maghreb. A l'intérieur, la différenciation sera nécessaire pour permettre à l'Europe d'avancer. Il faudra permettre à des avant-gardes composées de quelques Etats membres d'aller plus vite et plus loin, avant d'être rejoints par les autres, comme nous l'avons fait pour l'euro ou pour Schengen.
Repenser les institutions signifie aussi repenser le rapport avec les citoyens et les entreprises, qu'il s'agisse du contrôle démocratique, de ce que l'on appelle la subsidiarité et qui n'est autre que le principe selon lequel les décisions doivent être prises au niveau le mieux adapté (européen, national, régional), transparence, nouveaux droits civiques ou sociaux. Cela renvoie à l'Europe que nous voulons et donc aux priorités.
L'Europe ce ne sont pas seulement les Etats, les gouvernements, les institutions communautaires qui la font. L'avenir de l'Europe c'est d'abord vous. C'est à dire votre capacité à construire avec vos partenaires des autres Etats-membres des pôles européens industriels ou de services. L'aéronautique et l'industrie de défense sont des exemples que vous connaissez bien. Le gouvernement donnera les impulsions politiques nécessaires. Mais tous les champs doivent être explorés, et notamment les nouvelles technologies, les médias, les services financiers. L'alliance récente des bourses de Francfort montre qu'il faut veiller en tout cas à ne pas être mis à l'écart.
Aucun des défis dont je viens de parler, ne pourra être relevé sans le moteur franco-allemand. L'Allemagne vient de choisir une nouvelle voie, de nouvelles équipes. Une relance franco-allemande est pour les mois à venir une nécessité. Aucune autre force d'entraînement ne peut se substituer à lui pour la construction européenne.
3) Nous devons aussi consolider l'autorité et la légitimité des Nations Unies afin de renforcer leur efficacité.
C'est le rôle du Conseil de sécurité et non de tel ou tel Etat de veiller à la sécurité internationale en autorisant le cas échéant le recours à la force. Mais l'ONU doit aussi s'adapter au monde d'aujourd'hui et intégrer comme membres permanents du Conseil de sécurité les principales puissances d'influence mondiale. Améliorer la représentativité du Conseil, c'est renforcer sa légitimité. Je l'ai rappelé, la semaine dernière, à l'Assemblée générale des Nations unies à New York.
La question des sanctions économiques est également du ressort des Nations unies. Malheureusement on assiste à une prolifération de sanctions à caractère unilatéral, la plupart du temps d'origine américaine. Et comme vous le savez, dans certains cas, ces sanctions ont même une portée extra territoriale c'est-à-dire qu'elles s'appliquent aux entreprises des pays tiers qui investissent ou commercent avec le pays visé (loi d'Amato, loi Helms-Burton). La France s'oppose constamment, le plus souvent avec succès, à ces pratiques avec l'appui d'ailleurs de ses partenaires européens.
Les Nations unies doivent être aussi capables de s'atteler aux nouveaux défis du monde global. Je pense en particulier à la lutte contre les réseaux terroristes qui ne sera efficace que si l'on s'attaque aussi à ses mécanismes de financement. C'est pourquoi j'ai proposé, au nom de la France, la négociation d'une convention contre le financement du terrorisme. C'est aussi le rôle des Nations unies d'organiser la coopération internationale pour lutter contre la grande criminalité et le trafic de drogue.
4) La coopération multilatérale doit s'élargir à de nouveaux enjeux :
- la société de l'information, l'essor prodigieux d'Internet, la convergence entre les médias et les télécommunications, nous imposent une nouvelle vision de la régulation. Il convient certes de préserver le cadre convivial, démocratique, décentralisé des nouveaux réseaux. Il importe néanmoins d'y apporter une sécurité minimale aux citoyens, aux consommateurs, face aux nouvelles formes de criminalité qui se développent dans le cyberespace, face aux atteintes à la vie privée et à la propriété intellectuelle. Il faut aussi veiller à une certaine diversité culturelle et linguistique. Ceci suppose de nouvelles formes de coopération internationale, notamment pour permettre le développement du commerce électronique.
- l'environnement, la lutte contre les changements climatiques, la préservation des ressources de la planète, voilà également un enjeu global qui doit être pris en compte dans de nombreux domaines.
- La protection du consommateur, est également une revendication majeure. La régulation internationale dans ce domaine est lacunaire. Il existe des règles communautaires ou nationales en matière de concentrations d'entreprises, d'abus de positions dominantes, d'ententes. Mais rien au niveau mondial. D'où les problèmes posés par les entreprises multinationales qui détiennent des quasi-monopoles (Microsoft, Coca-Cola, Boeing, pour ne citer que des exemples récents).
- L'élaboration de normes sociales enfin, est encore un domaine où la régulation internationale est tâtonnante car on se trouve là directement dans le champ de souveraineté des Etats. Mais on pourrait faire mieux sans doute au sein de l'Europe, et au niveau mondial pour sanctionner les abus les plus criants.
Voilà pourquoi, en songeant à toutes ces négociations, à ces multiples enceintes multilatérales, je dis que la diplomatie doit exercer dans le monde aujourd'hui, telle une tour de contrôle, une vigilance de tous les instants et garder un oeil sur toutes ces négociations simultanées et interactives pour veiller sur tous ces fronts à nos intérêts.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)
Aujourd'hui cependant, la crise financière, partie de l'Asie, s'est étendue à la Russie et menace l'Amérique. L'inquiétude liée à la globalisation, à la connexion permanente et instantanée des marchés gagne les places financières, les entreprises, les investisseurs. Elle accentue une aversion au risque et amplifie la crise elle-même. Dans ce contexte, on perçoit une attente nouvelle de la part des opinions publiques, des acteurs économiques eux-mêmes. Cette attente se dirige vers les Etats et les organisations internationales pour apporter la régulation que la loi des marchés ne peut pas garantir. C'est un défi sur lequel nous devons nous interroger ensemble.
Quelques remarques tout d'abord sur l'interdépendance, sur l'instabilité du monde d'aujourd'hui.
I. Le monde global est interdépendant et instable :
1) La mondialisation aujourd'hui depuis la disparition du monde bipolaire, c'est essentiellement une tendance à l'homogénéisation du monde autour du modèle occidental des marchés, des médias, de la démocratie et le corollaire de tout cela : l'interdépendance.
L'ouverture des marchés des biens, des services, des capitaux, a été continue depuis l'après-guerre. Elle s'est accélérée au cours des dix dernières années après la chute du système soviétique et le discrédit des modèles autarciques de développement. Le cadre du GATT, puis de l'Organisation mondiale du commerce ont puissamment contribué à ces évolutions venues des forces du marché.
L'intégration des réseaux mondiaux de communication, l'apparition de médias globaux (CNN) et d'Internet accentuent cette interdépendance. Emerge alors progressivement une opinion publique mondiale réagissant instantanément, comme l'a montré le rôle des ONG et des médias dans le blocage au printemps dernier de la négociation de l'AMI.
- La première conséquence, c'est la perte relative de pouvoir et d'autonomie des Etats qui ont réduit leurs pouvoirs par idéologie. Même dans leur domaine de compétence ils ne peuvent agir entièrement seuls, que ce soit dans la conduite de leur action internationale ou même dans l'élaboration de leur politique nationale.
- A cela s'ajoute l'hégémonie américaine. Les Etats-Unis dominent aujourd'hui dans tous les domaines : politique, militaire, économique, technologique, par les médias, par le dollar, par CNN et Internet. La propagation sans précédent du modèle et des choix américains est un fait. Outre les irritations qu'elle peut susciter, cette hyperpuissance a aussi ses faiblesses : la multiplication des centres de décision antagonistes (l'administration, le Congrès) la relativise.
- L'autre donnée fondamentale, dans ce monde mouvant, c'est qu'aucune situation n'est jamais acquise définitivement, ni pour les individus, ni pour les entreprises, ni pour les peuples. C'est en effet un monde de compétition permanente, où il faut s'adapter sans cesse et où les plus faibles se retrouvent vite marginalisés. Les individus sans qualification se retrouvent socialement déclassés. Les entreprises ne peuvent plus s'abriter derrière les protections commerciales ou les subventions. Elles doivent croître sans cesse pour atteindre la taille jugée critique - elle-même croissante - sur le marché mondial. Quant aux pays les plus pauvres, dépendant de la vente d'une ou deux matières premières, ils ont hélas tendance à s'appauvrir et à être écartés de fait des flux financiers internationaux.
Mon propos ici n'est pas de déplorer, il est de constater, sans perdre de vue évidemment la contribution du libre échange et de l'investissement à la croissance mondiale.
2) Un monde où se développent de puissants facteurs d'instabilité :
L'instabilité a toujours existé. Inutile de rappeler ici les soubresauts du siècle, la crise de 29, la guerre froide, les chocs pétroliers, la crise d'endettement de l'Amérique latine dans les années 80. Mais l'illusion d'un monde plus homogène, rationalisé et apaisé du fait de la fin de la guerre froide, de la généralisation du modèle libéral occidental et de la surinformation en temps réel, cette illusion s'est dissipée. Ce n'est ni la fin de l'Histoire, ni le magique nouvel ordre international.
- Les crises financières que nous connaissons aujourd'hui illustrent les imperfections de notre globalisation financière. Le comportement moutonnier des marchés de capitaux à court terme a amplifié de façon folle les effets de certaines déficiences structurelles et des écarts de conjoncture, à l'instant même où ils sont apparus. Le doute s'est répandu et la contagion s'est faite, même entre des marchés qui n'étaient pas objectivement interdépendants : entre la Russie et l'Asie par exemple.
Ce qui me frappe personnellement dans ces crises, c'est la permanence d'un risque politique très mal appréhendé par les marchés des capitaux, par les investisseurs. La cause en est peut-être une insuffisante communication entre les organisations internationales et la diplomatie d'une part, les acteurs économiques d'autre part.
En Russie, la perte de crédibilité de l'Etat, son incapacité à lever les impôts, à assurer le financement des services publics et à payer ses fonctionnaires est le problème n° 1. C'est un problème politique qui doit être résolu par une volonté forte du gouvernement et de la Douma de restructurer un Etat de droit et d'affronter les intérêts puissants des oligarchies financières.
En Asie du Sud-Est et même au Japon, c'est une certaine opacité des relations entre les décideurs politiques, le système financier et les industries qui entretient le doute. Des collusions ont faussé les mécanismes de marché, ont conduit les banques à favoriser exagérément des projets ou des entreprises tenues par des proches. Seules des réformes de nature politique peuvent remédier à ces situations. Ces réformes sont les plus difficiles. D'où la résistance aux ajustements qui sont perçus comme imposés de l'extérieur par le FMI et la communauté internationale.
Ces résistances sont d'autant plus fortes lorsque les programmes d'ajustement méconnaissent les réalités sociales, politiques et financières des pays concernés. La critique faite aux institutions financières internationales trouve là une certaine justification, même si une large part de la responsabilité en revient aux Etats concernés. La crise est une crise des modèles : crise du modèle dit asiatique, crise du modèle libéral uniforme. Celui-ci ne peut être plaqué sur tous les pays sans tenir compte de leur situation de départ. Libéraliser les marchés de capitaux et les marchés des changes précipitamment, sans précaution, sans avoir consolidé les règles prudentielles ni assuré la transparence, fait courir des risques maintenant dénoncés par le Wall Street Journal. C'est dire...
- Les facteurs de déstabilisation ne sont pas seulement économiques. Ils sont politiques. L'effondrement du bloc soviétique n'a pas - au contraire - consacré l'avènement d'un nouvel ordre mondial coopératif et démocratique. Il y a aujourd'hui dans le monde près de trente conflits impliquant une cinquantaine d'Etats.
La prolifération de la souveraineté (185 pays) ou des aspirations à la souveraineté est elle-même un facteur d'instabilité, comme on l'a vu dans l'ex-Yougoslavie. La conscience plus aiguë de l'identité nationale prospère sur une angoisse collective de la dilution, de la submersion par un modèle culturel étranger. Les échecs économiques y ont aussi leur part. Les tensions récurrentes entre l'Inde et le Pakistan sont certes l'expression de la fracture originelle du sous-continent, d'un conflit territorial, le Cachemire et d'un antagonisme entre communautés religieuses. Mais elles canalisent également l'énergie des populations désemparées par leur situation sociale.
Que peut faire, que doit faire la France face à ces crises, à ce monde global où la souveraineté se dilue ? Négocier, coopérer.
II. Pour préserver une certaine stabilité, pour défendre nos intérêts et nos valeurs, nous devons négocier 24 heures sur 24.
1) Promouvoir la stabilité :
A court terme, c'est la situation financière des pays en transition et des pays dits émergents qui est la plus préoccupante. Que peut-on faire dans l'immédiat ? D'abord soutenir et consolider les institutions financières internationales et leur accorder les moyens nécessaires. Ce que le Congrès américain refuse encore de faire.
Ensuite on ne peut qu'inciter les pays concernés à conduire les réformes nécessaires, sans imposer un modèle unique comme on l'a trop fait dans le passé. La limite de notre action est la souveraineté des Etats. C'est aux Russes de dire s'ils veulent un secteur public ou privé de l'énergie, s'ils veulent taxer plutôt le gaz ou les rentiers.
Mais il est communément admis qu'une conditionnalité de l'aide financière internationale reste indispensable, faute de quoi cette assistance risquerait d'être inutile et peut être dilapidée. La France et l'Union européenne ont fait part de leur disponibilité à renforcer leur assistance technique, à mieux la cibler (notamment le programme TACIS) sur les besoins immédiats : restauration de la fiscalité, du contrôle des autorités monétaires, etc... Il faut aussi que les différentes institutions compétentes pour l'assistance technique se coordonnent mieux entre elles.
Quant au Japon, la communauté internationale attend une réelle concrétisation de sa volonté affichée de restructurer le secteur bancaire, de relancer l'économie. Vis-à-vis de ce pays nous n'avons guère d'autre moyen que l'appeler à prendre ses responsabilités, dans le cadre du G7 notamment.
- La stabilité du monde dépendra aussi de la poursuite des efforts de la communauté internationale en faveur du développement. L'écart entre pays riches et pays pauvres continue à se creuser. Ce seul fait ajouté à la croissance démographique, aux épidémies, à la pression migratoire, est explosif à terme. La France plaide donc constamment pour que des flux importants d'aide au développement continuent à être apportés aux pays en développement, tout en les encourageant à s'affranchir progressivement de l'assistance traditionnelle, à s'intégrer au jeu mondial. C'est le sens des orientations prises par l'Union européenne pour la renégociation de la Convention de Lomé et plus généralement pour son partenariat économique avec ses voisins comme les pays du Maghreb. C'est aussi le sens de la réforme de la coopération française que nous avons engagée il y a un an.
2) Dans ce cadre global, il nous faut aussi négocier constamment pour défendre nos intérêts et nos idées, pour maintenir notre influence. C'est le grand impératif de notre diplomatie pour les années à venir. Des négociations importantes vont s'ouvrir ou se poursuivre dans tous les domaines. Ces négociations sont souvent interdépendantes. Les négociations multilatérales à l'OMC par exemple ne se présentent pas de la même façon selon que la réforme des politiques communes, tout particulièrement agricole, qui doit précéder l'élargissement de l'Union aura été accomplie dans un sens ou dans un autre.
a - A l'OMC un nouveau cycle doit reprendre à la fin de l'année prochaine, même si son champ n'est pas encore décidé. Ce qui est assuré, c'est que la négociation reprendra sur l'agriculture et les services. Dans certains de ces secteurs, la France risque d'être sur la défensive et a donc intérêt à plaider aussi pour le renforcement des règles de l'OMC. Elle a aussi intérêt à plaider pour leur élargissement à des sujets nouveaux où il n'existe pas de règles internationales : les questions de concurrence, la corruption dans les transactions internationales, les obstacles aux investissements, l'arbitrage à trouver entre les règles commerciales et les règles d'environnement.
Même si certaines de ces négociations seront difficiles, il est de notre intérêt de soutenir l'OMC qui offre la garantie du multilatéralisme et d'un règlement des différents équilibré. Sur ce terrain, la Commission européenne qui négocie au nom de l'Union peut trouver des alliés. L'expérience montre en effet que l'Union défend plutôt mieux ses intérêts dans le cadre multilatéral que dans un face à face bilatéral, en particulier avec les Etats-Unis.
b - La négociation de l'AMI à l'OCDE nous pose un problème différent. Dans le principe, dans l'intérêt de nos entreprises, le gouvernement est favorable à l'adoption des règles internationales permettant d'ouvrir les marchés étrangers aux investisseurs étrangers et de protéger les investissements. Mais les principaux obstacles ne se rencontrent pas dans la zone OCDE. En outre, l'architecture même du projet d'AMI lui donne une portée très large qui risque de porter atteinte à notre souveraineté. Par exemple dans le secteur culturel, voire dans des secteurs non prévus du fait d'une conception extensive de l'expropriation et du principe de non discrimination. L'émotion suscitée par ce projet d'accord dans les milieux culturels, dans certaines ONG, illustre, en tout cas, un besoin croissant : celui de garantir une certaine transparence vis-à-vis de l'opinion, d'où la nécessité d'expliquer nos intérêts et nos contraintes. C'est pourquoi le gouvernement a confié à Mme Lalumière une mission de consultation avec la société civile pour affiner nos propositions.
Une solution serait peut-être de repartir sur des bases plus saines à l'OMC, une fois trouvé un terrain d'entente d'une portée plus modeste à l'OCDE.
c) Mais c'est dans le cadre européen que se noue pour nous l'essentiel de ces négociations. C'est aussi le cadre à privilégier pour approfondir l'harmonisation des législations et construire des politiques communes.
Nous devons nous appuyer sur l'Union européenne pour bâtir nos coopérations économiques et commerciales avec les pays tiers. Mais il faut éviter la tentation permanente de la dilution dans un espace trop vaste et insuffisamment intégré.
C'est pourquoi la France n'a pas pu accepter certains des éléments des premières propositions de la Commission visant à constituer une zone de libre échange avec les Etats-Unis (le fameux NTM du commissaire Brittan). En revanche le nouveau projet de partenariat qui a pris en compte nos objections nous parait établi sur de meilleures bases.
Les prochains mois et les toutes prochaines années seront cruciaux pour l'avenir de l'Europe, au moment où se profile le plus grand élargissement de son
histoire. Les solutions qui seront trouvées feront que la construction européenne se poursuivra ou qu'elle sera paralysée. Rarement la Communauté n'a été confrontée à tant de défis en même temps. Tout d'abord, son financement pour les années 2000 à 2006, la réforme et l'adaptation des politiques communes qui peuvent l'accompagner, en premier lieu la politique agricole commune et la politiques des fonds structurels. Tout ce qu'on appelle "l'Agenda 2000". Il faudra maîtriser les dépenses communautaires tout en préservant les politiques qui sont l'essence de la construction européenne. Cela sera difficile. Chacun veut payer moins et récolter plus. Il s'agit également de prendre en compte les futures adhésions des pays candidats et préparer les négociations multilatérales. Il y a ensuite les réformes nécessaires pour restaurer l'efficacité des institutions communautaires conçues pour une Communauté à six ou à neuf. Il faut reprendre le contrôle politique de la machine européenne, et cela avant le prochain élargissement. Régler les problèmes avant la conclusion des négociations d'adhésion pour qu'ils ne nous paralysent pas après.
III.- Nous devons construire un monde mieux régulé.
La régulation internationale n'est pas à la hauteur des enjeux actuels de la globalisation. L'opinion ne rejette pas la globalisation en tant que telle. Elle ne rejette pas le développement de l'économie de marché en tant que telle, comme elle est profitable à tous. Ce dont elle ne veut pas c'est d'une société de marché où les Etats, la puissance publique, auraient renoncé à presque tout, où ce serait la loi du plus fort.
Je vois quatre axes pour renforcer cette régulation.
1) Le premier point, c'est le nécessaire renforcement des institutions économiques et financières et de la régulation en matière économique.
Comme je l'ai dit, les critiques adressées au FMI sont souvent injustes. Car la crise aurait été pire en Asie du Sud-Est notamment si le FMI n'était pas intervenu. Mais il est clair que le FMI n'a pas, dans son fonctionnement actuel, une légitimité politique suffisante. Les conditions qu'il impose ne peuvent pas, à elles seules, réformer les sociétés en profondeur. Ce sont souvent les couches défavorisées qui paient les conséquences des remèdes imposés pour assainir les finances publiques et certains cercles corrompus trouvent, du fait de l'assistance internationale, un répit supplémentaire.
C'est pourquoi la France vient de transmettre à ses partenaires européens un mémorandum qui présente une série de propositions visant à consolider le système financier international, à bâtir un nouveau Bretton-Woods.
Au coeur de ces propositions, il y a la mise en place d'un véritable gouvernement politique du FMI, approuvant par vote les orientations stratégiques. Le comité intérimaire serait transformé à cette fin en un conseil des ministres. Le nouveau FMI devrait aussi organiser le dialogue entre les pays industrialisés et les pays émergents et mieux coopérer avec les autres institutions comme la Banque mondiale. Il devrait s'atteler à la lourde tâche de la transparence et de la surveillance prudentielle en élaborant des normes internationales applicables aux pouvoirs publics mais aussi aux institutions privées.
Une nouvelle approche plus progressive et coordonnée de l'ouverture des capitaux doit être aussi préconisée. En cas d'instabilité avérée, les pays émergents doivent avoir la possibilité de recourir temporairement à une clause de sauvegarde financière, c'est-à-dire de rétablir, en liaison avec le FMI, un contrôle de certains mouvements de capitaux à court terme. L'expérience du Chili est à cet égard intéressante.
La mise en place de l'euro doit permettre à l'Europe de jouer un rôle plus important dans cette nouvelle régulation. L'euro servira de point d'appui à la stabilité monétaire internationale.
2) Une Europe dotée d'un projet, d'une identité, d'une capacité d'action internationale.
L'émergence d'un monde multipolaire organisé n'a de sens pour nous que si l'Europe y a sa place, que si elle joue un rôle conforme à son poids économique et très bientôt monétaire.
Le marché unique est déjà une réalisation remarquable. Il a contribué à la modernisation de nos économies et de nos entreprises. Il a élargi leur marché. Il est un facteur de compétitivité indispensable pour l'Europe. La Communauté a également exercé une influence décisive dans la définition des nouvelles règles commerciales multilatérales issues des Accords de Marrakech. Mais exister en tant que pôle dans le monde global exige plus.
L'euro est un atout majeur. A l'intérieur, il couronne le marché unique et fait disparaître une barrière psychologique forte aux échanges intra-communautaires. Vis à vis de l'extérieur, il est un gage de stabilité et de confiance. Il attire les investissements et encourage donc la croissance. Nous devons mettre l'accent dès maintenant sur l'établissement de relations d'échanges stables avec d'autres monnaies européennes, y compris en Europe centrale et orientale. La zone euro doit pouvoir apporter une contribution à la solution des problèmes ou des crises à l'aune de son poids réel. D'où l'importance du débat actuel sur la représentation extérieure de la zone euro, dont les ministres de l'Economie et des Finances ont parlé cette fin de semaine à Vienne.
Cependant la monnaie unique ne peut porter à elle seule une véritable union politique. Au-delà de la réforme institutionnelle dont je parlais tout à l'heure, et qui s'attache à préserver l'essentiel, il convient de réfléchir maintenant à une nouvelle architecture européenne. Le grand élargissement appelle un renouvellement du système. Le problème des limites géographiques et institutionnelles de l'Union est posé. L'Europe de demain devra être plus souple et plus diverse. Vis-à-vis de son environnement proche, elle devra avec les pays voisins, au fur et à mesure des nouvelles adhésions, assurer le passage de la coopération à l'intégration, laquelle ne veut pas dire nécessairement adhésion à l'Union Européenne. Il faudra trouver des relations de partenariat stratégiques avec les pays qui ne feront pas partie de l'Union mais qui la borderont comme la Russie ou les pays du Maghreb. A l'intérieur, la différenciation sera nécessaire pour permettre à l'Europe d'avancer. Il faudra permettre à des avant-gardes composées de quelques Etats membres d'aller plus vite et plus loin, avant d'être rejoints par les autres, comme nous l'avons fait pour l'euro ou pour Schengen.
Repenser les institutions signifie aussi repenser le rapport avec les citoyens et les entreprises, qu'il s'agisse du contrôle démocratique, de ce que l'on appelle la subsidiarité et qui n'est autre que le principe selon lequel les décisions doivent être prises au niveau le mieux adapté (européen, national, régional), transparence, nouveaux droits civiques ou sociaux. Cela renvoie à l'Europe que nous voulons et donc aux priorités.
L'Europe ce ne sont pas seulement les Etats, les gouvernements, les institutions communautaires qui la font. L'avenir de l'Europe c'est d'abord vous. C'est à dire votre capacité à construire avec vos partenaires des autres Etats-membres des pôles européens industriels ou de services. L'aéronautique et l'industrie de défense sont des exemples que vous connaissez bien. Le gouvernement donnera les impulsions politiques nécessaires. Mais tous les champs doivent être explorés, et notamment les nouvelles technologies, les médias, les services financiers. L'alliance récente des bourses de Francfort montre qu'il faut veiller en tout cas à ne pas être mis à l'écart.
Aucun des défis dont je viens de parler, ne pourra être relevé sans le moteur franco-allemand. L'Allemagne vient de choisir une nouvelle voie, de nouvelles équipes. Une relance franco-allemande est pour les mois à venir une nécessité. Aucune autre force d'entraînement ne peut se substituer à lui pour la construction européenne.
3) Nous devons aussi consolider l'autorité et la légitimité des Nations Unies afin de renforcer leur efficacité.
C'est le rôle du Conseil de sécurité et non de tel ou tel Etat de veiller à la sécurité internationale en autorisant le cas échéant le recours à la force. Mais l'ONU doit aussi s'adapter au monde d'aujourd'hui et intégrer comme membres permanents du Conseil de sécurité les principales puissances d'influence mondiale. Améliorer la représentativité du Conseil, c'est renforcer sa légitimité. Je l'ai rappelé, la semaine dernière, à l'Assemblée générale des Nations unies à New York.
La question des sanctions économiques est également du ressort des Nations unies. Malheureusement on assiste à une prolifération de sanctions à caractère unilatéral, la plupart du temps d'origine américaine. Et comme vous le savez, dans certains cas, ces sanctions ont même une portée extra territoriale c'est-à-dire qu'elles s'appliquent aux entreprises des pays tiers qui investissent ou commercent avec le pays visé (loi d'Amato, loi Helms-Burton). La France s'oppose constamment, le plus souvent avec succès, à ces pratiques avec l'appui d'ailleurs de ses partenaires européens.
Les Nations unies doivent être aussi capables de s'atteler aux nouveaux défis du monde global. Je pense en particulier à la lutte contre les réseaux terroristes qui ne sera efficace que si l'on s'attaque aussi à ses mécanismes de financement. C'est pourquoi j'ai proposé, au nom de la France, la négociation d'une convention contre le financement du terrorisme. C'est aussi le rôle des Nations unies d'organiser la coopération internationale pour lutter contre la grande criminalité et le trafic de drogue.
4) La coopération multilatérale doit s'élargir à de nouveaux enjeux :
- la société de l'information, l'essor prodigieux d'Internet, la convergence entre les médias et les télécommunications, nous imposent une nouvelle vision de la régulation. Il convient certes de préserver le cadre convivial, démocratique, décentralisé des nouveaux réseaux. Il importe néanmoins d'y apporter une sécurité minimale aux citoyens, aux consommateurs, face aux nouvelles formes de criminalité qui se développent dans le cyberespace, face aux atteintes à la vie privée et à la propriété intellectuelle. Il faut aussi veiller à une certaine diversité culturelle et linguistique. Ceci suppose de nouvelles formes de coopération internationale, notamment pour permettre le développement du commerce électronique.
- l'environnement, la lutte contre les changements climatiques, la préservation des ressources de la planète, voilà également un enjeu global qui doit être pris en compte dans de nombreux domaines.
- La protection du consommateur, est également une revendication majeure. La régulation internationale dans ce domaine est lacunaire. Il existe des règles communautaires ou nationales en matière de concentrations d'entreprises, d'abus de positions dominantes, d'ententes. Mais rien au niveau mondial. D'où les problèmes posés par les entreprises multinationales qui détiennent des quasi-monopoles (Microsoft, Coca-Cola, Boeing, pour ne citer que des exemples récents).
- L'élaboration de normes sociales enfin, est encore un domaine où la régulation internationale est tâtonnante car on se trouve là directement dans le champ de souveraineté des Etats. Mais on pourrait faire mieux sans doute au sein de l'Europe, et au niveau mondial pour sanctionner les abus les plus criants.
Voilà pourquoi, en songeant à toutes ces négociations, à ces multiples enceintes multilatérales, je dis que la diplomatie doit exercer dans le monde aujourd'hui, telle une tour de contrôle, une vigilance de tous les instants et garder un oeil sur toutes ces négociations simultanées et interactives pour veiller sur tous ces fronts à nos intérêts.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)