Déclaration de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, sur sa conception de la politique euroméditerranéenne de la France, notamment le bilan et la relance du processus de partenariat euroméditerranéen initié à Barcelone en 1995, Marseille le 7 novembre 2003.

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Circonstance : Convention sur le partenariat euroméditerranéen, à Marseille le 7 novembre 2003

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,
Avant tout, permettez-moi de remercier chaleureusement mon ami François Loos de m'avoir invité à participer à cette convention régionale. Permettez-moi également, en tant que premier adjoint au maire de Marseille, de le remercier également d'avoir choisi Marseille pour cette réunion, ville au passé et au présent résolument méditerranéens.
Ce n'est pas une conférence traditionnelle à laquelle je participe aujourd'hui. Le thème de cette convention - le partenariat euroméditerranéen - m'est particulièrement cher, vous le savez tous. J'aime en effet pouvoir m'exprimer sous mes trois "casquettes" : en tant que fils de Provence-Alpes-Côtes d'Azur ; en tant qu'élu des Bouches-du-Rhône depuis plus de 10 ans ; en tant que membre du gouvernement de la République et secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères.
Il m'est donc particulièrement agréable de vous dire quelques mots, ici, à Marseille, de ma vision politique du bassin méditerranéen, notre Mare Nostrum, en faveur duquel le Président de la République et, à ses côtés, Dominique de Villepin comme moi-même, oeuvrons au Quai d'Orsay.
Ma conception de la politique euroméditerranéenne de la France s'articule autour de deux principes :
- ma conviction que la Méditerranée est une zone stratégique pour l'Europe et pour la France ;
- mon ambition en faveur d'une relance du partenariat euroméditerranéen à l'initiative de la France.
I - Ma conviction : l'espace euroméditerranéen, un enjeu stratégique pour l'Europe et pour la France.
La "Mare nostrum", Un enjeu stratégique
La Méditerranée est un enjeu stratégique pour la France et pour l'Europe. J'en suis intimement convaincu. Pas simplement en raison de mes origines personnelles. Mais parce que l'histoire comme la géographie s'imposent à nous comme une évidence.
Chacun d'entre vous connaît les remarquables travaux de Fernand Braudel sur cette mer Méditerranée, qui symbolise pour tous le brassage des idées, le goût du dialogue, l'exigence de l'ouverture. Qu'ils soient humains, intellectuels ou économiques, les échanges entre les différents sites de ce bassin commun constituent son identité première, sa marque de fabrique, son élément constitutif.
La France à cet égard a un rôle tout particulier à jouer dans une démarche volontariste en faveur du monde arabo-musulman. Non par obligation, par construction intellectuelle ou même par crainte, mais bien parce que nous savons que nous partageons un destin commun. Les rives Nord et Sud de la Méditerranée ne peuvent que travailler ensemble à l'édification d'un monde plus sûr, plus prospère, plus tolérant.
Un nouveau contexte international dans lequel la France a une responsabilité particulière
Le partenariat euroméditerranéen, né en 1995 à Barcelone, est la pierre angulaire des relations euro-méditerranéennes. A l'instar de tout être vivant et de toute institution, il ne saurait rester de marbre face aux évolutions de son environnement. Or, la Méditerranée a été récemment confrontée à de profonds bouleversements (guerre d'Irak, aboutissement du processus d'élargissement de l'Europe, poursuite de la crise au Proche-Orient).
A l'heure où l'Europe se réunit en effet, rien ne serait plus dangereux d'en oublier notre flanc sud. Je suis intimement convaincu que cette Europe réunifiée prendra la dimension qu'elle mérite en accordant une attention toute particulière à la Mer Méditerranée. L'objet même du lancement du processus en 1995 doit donc nous rester à l'esprit : créer un espace de stabilité, de prospérité et d'échanges dans le bassin méditerranéen.
Dans ce contexte, les appels envers la France et l'Europe se sont multipliés. Dominique de Villepin comme moi-même en avons fait l'expérience lors de la réunion ministérielle du "5+5" à Sainte-Maxime en avril, le jour même de la chute de Bagdad. En effet, au cours de cette réunion, qui était la première réunissant les chefs de la diplomatie européens et arabes depuis le début de la crise irakienne, les ministres maghrébins des Affaires étrangères ont, sans exception, insisté sur le renforcement de la solidarité entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée. Ils en ont également appelé à une plus forte présence et une plus forte visibilité de l'Europe dans la zone.
Plus précisément, la connaissance intime que la France a de cette région et des enjeux stratégiques en Méditerranée lui confère un rôle particulier dans la région en général et pour réorienter le processus de Barcelone en particulier. Le crédit de la France sur la rive sud de la Méditerranée, encore renforcé par nos positions sur la crise irakienne, peut être mis au service de cette ambition. Chacun se souvient de l'accueil enthousiaste réservé au président Chirac à Alger au mois de mars, et j'ai pu personnellement constater qu'il en était de même au Maroc le mois dernier.
En résumé, beaucoup de facteurs plaident pour une implication renforcée de la France dans cette région, comme pont entre les deux rives, via notamment le Maghreb. Le passé, par les liens historiques et la proximité géographique ; le présent, par l'imbrication des liens humains, culturels et commerciaux entre nos pays ; enfin l'avenir, par la communauté de destins qui nous lie indiscutablement.
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II - Mon ambition : la détermination française à relancer un processus dont les résultats ne sont pas encore à la hauteur des espérances
Le bilan encore mitigé du processus de Barcelone
Aujourd'hui, on ne peut que procéder à un bilan inégal du processus de Barcelone. Si cet espace unique de dialogue a bien été préservé, la perpétuation du conflit israélo-palestinien n'a pas permis l'adoption d'une Charte de paix et de stabilité ni d'avancer, d'une façon générale sur le volet sécuritaire du processus.
Par ailleurs, le fossé économique ne cesse de s'élargir (rapport de niveau de vie de 1 à 12 entre les deux rives) avec les pressions migratoires qui en résultent. Quant à la baisse de la part de la rive sud de la Méditerranée dans la somme globale des investissements directs à l'étranger, elle témoigne d'un réel risque de marginalisation économique et social de la zone.
Institutionnellement, le dispositif peut être qualifié d'insuffisamment réactif. Les programmes communautaires ont surtout servi à financer des études d'experts sur les aides aux réformes pouvant être engagées. Le paradoxe tient à ce que, alors que les fonds à disposition sont considérables, les sommes réellement décaissées demeurent faibles. Cet état de fait traduit simultanément l'insuffisante cohérence européenne et l'impréparation des pays du sud à élaborer des projets concrets, alors même qu'ils en ont cruellement besoin.
L'ensemble de ces insuffisances, de même que le nouveau contexte international que j'évoquais tout à l'heure, plaide pour une relance du processus, à laquelle la France attache une importance toute particulière.
La volonté française de "dynamiser" le processus
Cette relance est née d'une volonté politique forte exprimée par Dominique de Villepin comme par moi-même. Elle se traduit par une volonté toujours plus forte de dialogue. J'ai évoqué tout à l'heure l'intérêt du dialogue informel "5+5". C'est un premier exemple.
Mais, au-delà, il faut impérativement que l'Europe saisisse l'opportunité que représente la présidence italienne de l'Union européenne pour faire aboutir un certain nombre de dossiers jugés prioritaires. C'était notamment là, le sens de ma mission en Italie en mars dernier. Il convient ainsi qu'à la prochaine Conférence ministérielle de Naples les 2 et 3 décembre, nous soyons en mesure de nous doter rapidement d'outils concrets répondant aux exigences légitimes de paix, de développement, d'échanges au niveau des sociétés civiles dans la région : une banque euroméditerranéenne, une fondation pour le dialogue des cultures, une assemblée interparlementaire.
La France a toujours été l'un des moteurs en Europe de la construction euro-méditerranéenne et elle entend le demeurer, en dépit des obstacles politiques et économiques notamment. Il faut au contraire faire preuve d'imagination. Dominique de Villepin, a ainsi proposé dans son discours du Caire du 12 avril dernier de mettre en place un comité de personnalités de haut niveau pour réfléchir à l'avenir du processus de Barcelone. Par ailleurs, la France a également formulé l'idée d'instaurer une coopération renforcée entre l'Union européenne et des blocs régionaux au Sud, comme le Maghreb : il s'agit là d'encourager l'intégration sud-sud, souvent encore déficiente.
Toujours dans l'idée de tirer le meilleur profit de la présidence italienne, je puis vous informer que la France a tout récemment transmis à Rome un document de travail comportant des pistes de réflexion pour la relance du partenariat, autour d'objectifs simples : introduction d'une véritable co-responsabilité pour promouvoir et accompagner les réformes indispensables au sud de la Méditerranée ; associer plus étroitement les partenaires du Sud à la prise de décision ; favoriser l'intégration régionale et sous-régionale ; enfin, se donner les moyens d'un véritable dialogue en matière de Droits de l'Homme et de démocratisation.
L'Union européenne elle-même, au moment où elle s'élargit à l'Est, souhaite renforcer le cadre de ses relations avec ses voisins, en particulier méditerranéens. L'idée, pour reprendre la formule du président Prodi, est de leur proposer "tout sauf les institutions", ce qui signifie que, sans avoir vocation à adhérer à l'Union, nos partenaires méditerranéens devraient pouvoir participer progressivement aux grandes politiques européennes. A terme, ils auraient ainsi accès au marché unique européen et bénéficieraient des "quatre libertés" (liberté de circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux).
La Commission européenne a récemment précisé ses propositions dans ce sens, autour de l'initiative "Nouveaux voisins". Je rappelle que celle-ci devait concerner initialement l'Ukraine, le Bélarus et la Moldavie et a été élargie aux pays du Sud méditerranéen, essentiellement à la demande de la France. Il s'agit là principalement de concentrer les efforts de la Commission, ainsi que ses substantiels moyens de financement, sur la question des frontières et sur la coopération transfrontalière, reprenant par là même les préoccupations françaises.
A côté du développement économique, nous nous efforçons enfin de stimuler la concertation euroméditerranéenne en matière de lutte contre le terrorisme international.
Les attentats de Casablanca ou bien encore de Djerba ont rappelé à quel point nous étions tous menacés par ce fléau qui vise à saper les fondements même des régimes politiques maghrébins. Ce thème est régulièrement abordé à tous les niveaux et aussi bien dans le cadre du volet politique du processus de Barcelone que dans celui du Dialogue 5+5 ou du Forum méditerranéen. Ce dernier a d'ailleurs adopté en mai 2002 un "code de conduite sur la lutte contre le terrorisme". Cette menace globale exige une réponse globale et la coopération entre les Etats, notamment en Méditerranée, conforte notre message politique de solidarité et de responsabilité partagée face à un ennemi commun, qui voudrait compromettre définitivement toute possibilité de compréhension entre les civilisations et les cultures.
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Tout ce qui contribue au dialogue doit être naturellement promu dans cette zone fragile qu'est la Méditerranée et c'est dans cette voie que la France s'est clairement réengagée depuis 15 mois : les visites d'Etat du président de la République en Algérie en mars, au Maroc le mois dernier, en Tunisie en décembre, en sont le meilleur exemple ; de même que les efforts de notre diplomatie pour réintégrer la Libye dans le concert des nations une fois abouties les procédures de justice et d'indemnisations des attentats commis dans les années 1980 ; sans compter les efforts constants de la France pour ramener la paix au Proche-Orient. Tous ces éléments doivent être mis bout à bout comme participant de la politique euroméditerranéenne de la France.
Moi-même, je m'efforce d'apporter ma contribution à cet édifice par mon souci constant de rendre le processus de Barcelone plus concret et plus efficace : par mes visites en Tunisie, en Italie ou au Portugal ; par mon engagement personnel à faire en sorte, autre exemple, que la fermeture du consulat général d'Israël à Marseille, un temps envisagée par Tel-Aviv pour des raisons budgétaires, soit abandonnée par le gouvernement israélien.
Les politiques comme les sociétés civiles doivent donc travailler à un renforcement de la connaissance mutuelle entre les rives de la Méditerranée. Si le processus de Barcelone peut admettre des critiques, la pertinence même des objectifs du processus n'est pas à remettre en cause. Surtout, force est de reconnaître qu'il offre un format précieux de contact et de dialogue, notamment dans le climat consécutif au 11 septembre. On pourrait même vanter son caractère unique puisqu'il est le seul cadre associant l'Union européenne, des pays arabes et Israël.
Ce dialogue des civilisations doit pouvoir se tenir en tout lieu et à tout moment. Pour ce qui me concerne, je ne crois pas à la thèse d'Huntington sur un "choc des civilisations". L'unilatéralisme de la pensée, comme de l'action d'ailleurs, est toujours le signe, avoué ou non, d'un échec. Ne nous y résignons pas !
La France pour sa part continuera de promouvoir une vision de l'espace méditerranéen conforme aux aspirations légitimes des peuples qui y vivent. Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2003)