Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales à "RMC" le 30 juin 2003, sur la grâce éventuelle de José Bové, sur la réglementation européenne concernant les OGM, sur les aides aux agriculteurs.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin-. Première partie - 8h35 :
Arrivez-vous à vous déplacer en ce moment ? Il paraît que c'est la chasse aux ministres, c'est ce que nous disent les militants de la Confédération paysanne...
- "Non, j'étais encore dans mon département et dans ma région vendredi et samedi, je n'ai pas eu de problèmes..."
Donc, vous sortez ?
- "Tout à fait. Le rôle d'un ministre de l'Agriculture c'est d'être sur le terrain, ce n'est pas de rester dans des bureaux !"
On va revenir sur la PAC, évidemment, mais je voudrais parler de J. Bové qui, de sa prison, interpelle J. Chirac : "La désobéissance civile est un moyen pas une fin", dit-il. Pensez-vous que c'est un appel à la désobéissance civile ?
- "Je ne vais pas commenter ce que dit J. Bové. Il y a une procédure qui est en cours, tout cela est assez éloigné en réalité de l'agriculture au quotidien dont je m'occupe. Donc, je n'ai pas de commentaire particulier à faire."
Faut-il le gracier ? Va-t-il être gracié ?
- "Je ne sais pas la réponse, elle ne m'appartient pas."
Enfin, vous avez une idée quand même !
- "Si j'en avais une, et peut-être en ai-je une, souffrez que je ne vous en laisse pas l'exclusivité."
Mais vous en avez sûrement une, j'en suis sûr ! On parle d'une grâce, quelques jours avant le 14 Juillet. Ceci dit, imaginons la grâce et imaginons J. Bové sortir triomphalement de sa prison ? Vous n'imaginez pas cela ?
- "Je n'ai pas de commentaire à faire, pour moi, c'est un non-sujet..."
C'est un non-sujet ? Même l'arrestation, qui a choqué de nombreux Français, au petit matin, une vitre brisée, un hameau occupé, des gardes-mobiles, des chiens policiers, un engin blindé, etc... Trouvez-vous que c'est beaucoup ?!
- "D. Perben a dit tout ce qu'il fallait dire sur ce sujet. Je suis ministre de l'Agriculture, pas Garde des Sceaux."
J. Bové ne vous intéresse pas ?!
- "Non, je le connais bien, puisque je l'ai reçu trois ou quatre fois depuis que je suis ministre de l'Agriculture, il est président d'une importante organisation agricole, donc il est normal que je le reçoive périodiquement. Mais ce n'est pas la chronique judiciaire qui m'intéresse, c'est l'agriculture."
Et son combat ?
- "Quel combat ?"
Le combat de J. Bové...
- "Celui de la Palestine, celui... Lequel ? Parce qu'il y en a beaucoup de combats !"
Des OGM ?
- "Sur les OGM, les choses sont relativement claires et simples : la France et quelques autres pays ont imposé, il y a quelques années, un moratoire au niveau européen. Nous avons défini au mois de décembre les conditions d'étiquetage et de traçabilité pour les OGM, pour que les consommateurs soient bien informés et aient la liberté du choix. En ce moment, ces textes sont en train d'être examinés au Parlement européen, qui est en ce moment en train de s'exprimer sur ce sujet. Et donc, ce que nous souhaitons, c'est que toutes les conditions soient réunies pour la transparence du citoyen."
Donc, la levée du moratoire européen ?
- "La levée, je ne sais pas quand elle pourra..."
Décision à l'automne ?
- "Je ne sais pas aujourd'hui..."
Quelle est la position de la France, franchement ? Souhaiteriez-vous la levée de ce moratoire ?
- "Mais ce n'est pas "le souhaiter" ou "ne pas le souhaiter", c'est que les pays européens, dont la France - et je le dis d'autant plus que ce n'était pas notre gouvernement à l'époque, mais j'approuve la politique du gouvernement de l'époque sur ce sujet - ont posé un certain nombre de conditions. Quand ces conditions seront réunies, cela voudra dire que la transparence et la liberté du choix du consommateur et des citoyens seront assurées. Donc, il n'y a pas d'opposition à ce qu'on entre dans une deuxième phase. Mais je voudrais dire ici que, dans l'hypothèse où le moratoire était levé, cela ne veut pas dire pour autant que notre marché serait envahi d'OGM, puisqu'en réalité, pour chaque sujet, chaque nouvel OGM, il y a un dossier d'autorisation, avec une expertise communautaire, et avec une procédure très rigoureuse."
La semaine prochaine, le Parlement européen adoptera une nouvelle réglementation sur l'étiquetage concernant les OGM. G. Bush souhaite quand même que les oppositions européennes soient levées avant cette fameuse réunion de l'OMC en septembre ?
- "Cela n'a rien à voir, absolument rien à voir. Je connais la position américaine. Je suis allé aux Etats-Unis fin janvier, pendant trois jours, pour parler des questions du commerce mondial et des questions des OGM, donc pour réaffirmer très nettement quelle était la position de la France et la position de l'Europe. Les Etats-Unis, dans cette affaire, sont uniquement sous la pression d'intérêts financiers. C'est la raison pour laquelle ils ont attaqué l'Europe devant l'OMC."
Imaginons que l'Europe lève la moratoire. Est-ce que cela veut dire que la France lève le moratoire ?
- "Puisque, par définition, toutes les importations sont communautarisées, il est clair que c'est une approche européenne et pas nationale."
Dans ce cas, est-ce que le Parlement français sera consulté ?
- "Bien évidemment, puisque toutes les directives européennes sur ces sujets, font l'objet de transposition au Parlement français."
Avant de parler de la PAC, je voudrais votre commentaire sur cette petite phrase de L. Jospin, à propos de la réforme des retraites : "C'est une réforme injuste, brutale et non financée". Que lui répondez-vous ?
- "Tout ce qui est excessif est insignifiant. Monsieur Jospin n'a rien fait sur les retraites pendant cinq ans. Pire que cela, il avait dit qu'il ferait et il n'a rien fait. Donc, on est allé de rapports en rapports, de non-décisions en non-décisions. Je pense qu'il a perdu, sauf tout le respect que je lui dois, une bonne occasion de se taire."
663.000 exploitations agricoles en France, 2 millions de personnes vivent sur ces exploitations, La France est le premier producteur agricole européen, avec 30 % de la production céréalière... La France représente près de 23 % de la production agricole de l'Union européenne, d'où l'importance des longues, dures et difficiles discussions qui ont eu lieu à Bruxelles. Peut-on parler de "réforme" de la PAC ?
- "Oui, c'est une réforme, puisque sur un certain nombre de sujets, il y a une modification des règles du jeu. Et ce qui nous a incités à conclure ce compromis, c'est d'abord parce que nous avons obtenu satisfaction sur tous les sujets, sur lesquels nous nous battions, et qu'ensuite, il me semblait important de réformer maintenant, pour ne plus y revenir. Puisque les paysans que je rencontre me disent : "Nous, on veut des perspectives, on veut des stabilités dans les règles du jeu", je crois que c'est désormais acquis une bonne fois pour toutes et je crois que c'est une bonne chose."
J. Chirac s'était quand même engagé pendant la campagne présidentielle à ne pas accepter de réforme de la PAC, on s'en souvient...
- "Non, il n'avait pas dit cela. Il a dit qu'il voulait une agriculture, lors d'un discours tout à fait remarquable à Ussel, économiquement forte et écologiquement responsable. Je crois que ces deux qualificatifs se retrouvent dans la réforme que nous avons adoptée."
Deuxième partie - 8h45 :
Essayons de comprendre ce qui s'est passé à Bruxelles : il y aura moins de liens entre la productivité, la production et la subvention ; c'est cela ?
- "Je vais essayer d'être simple et le plus clair possible, parce que ces affaires sont très compliquées. Il faut faire un peu d'histoire rapide : jusqu'en 1992, le fondement de la politique agricole européenne était de garantir des prix élevés. Cette garantie de prix élevés avait un coût budgétaire. Mais en 1992, on a décidé de baisser les prix garantis et donc, on a compensé aux paysans concernés cette baisse de prix. C'est ce que l'on appelle "les aides directes"..."
Par des primes...
- "Voilà, par des primes. D'ailleurs, les paysans n'en voulaient pas, parce que leur slogan - que je comprends - était : "Nous voulons des prix pas des primes". C'est ce qui a été décidé en 1992, et qui concerne notamment le secteur céréalier et le secteur de l'élevage, principalement. Donc ça, c'est la situation depuis 1992. Il y a ces aides compensatoires, ces primes compensatoires qui étaient accordées en fonction de ce qui était produit. Qu'est-ce qui a été décidé avant hier et qui sera mis en application dans les années qui viennent, au plus tard en 2007 ? C'est qu'une partie de ces aides reste aux quantités produites et une partie, que l'on appelle "découplées" dans le jargon, qui seront calculées en fonction de ce que les paysans avaient jusqu'à maintenant. Voilà en gros de quoi il s'agit."
Cela veut-il dire que les paysans auront un manque à gagner ? Ils le disent !
- "Non, mais il est normal qu'il y ait de l'inquiétude. C'est une réforme très compliquée, qui n'a pas encore été expliquée, parce qu'il y a dix sujets différents. C'est ce à quoi je vais m'employer dans les jours et les semaines qui viennent dans le pays. La grande victoire de cette négociation pour la France, c'est que la ferme France continuera chaque année, pendant dix ans, à avoir plus de 9,2 milliards d'euros en provenance de Bruxelles pour financer la politique agricole."
Il est plutôt sain que le paysan vive de ce qu'il produit et non pas de primes venues de Bruxelles, encore faut-il qu'il puisse vivre, qu'il ait les moyens de vivre ! Allez-vous aider les agriculteurs français ?
- "Ce qui est intéressant dans cet accord, c'est que nous sommes arrivés à dégager des marges de manoeuvre pour aider les paysans, notamment à financer des travaux qui pèsent très lourds dans leur exploitation. Je pense aux mises aux normes environnementales, aux mises aux normes en matière de bien-être animal et de sécurité sanitaire et alimentaire, puisque l'Europe est l'espace au monde où il y a les normes les plus sévères, donc les plus coûteuses et pour lesquelles les paysans n'étaient pas aidés. Avec cet accord, nous avons, à la demande de la France, - c'est une grande victoire française - voté un plan de qualification environnementale sur dix ans des exploitations agricoles, ce qui va permettre de soulager les paysans. Mais vous avez posé la question centrale des prix et c'est vrai que sur ce sujet, il y a une divergence entre la vision française et européenne d'une part, et la vision américaine et mondialiste. Nous, nous pensons qu'il faut des prix rémunérateurs, parce que nous pensons que le prix mondial, tel qu'il existe actuellement, n'est pas représentatif de la réalité économique, sociale et environnementale."
Allez-vous aider les agriculteurs français ?
- "Je ne fais que cela !"
Oui, mais quelles nouvelles aides allez-vous compenser... ?
- "Je voudrais redire très clairement ce que j'ai dis il y a deux minutes : il n'y a pas de baisse des aides agricoles. C'est pour cela que cette réforme, on a du mal à la comprendre, parce que c'est la première fois que l'on fait une réforme de l'agriculture sans réduction budgétaire. C'est quelque chose d'extrêmement important. Ceci étant, d'autres problèmes seront à régler, notamment en matière fiscale pour la transmission des exploitations et d'installation des jeunes. Beaucoup de sujets sont sur la table..."
Qu'est-ce qui est prévu ?
- "Pour l'instant, rien n'est prévu, mais cela fait des sujets sur lesquels nous discuterons dans les semaines et les mois qui viennent."
On parle beaucoup d'agriculture raisonnée (...), entre une agriculture productiviste comme l'agriculture américaine, et l'agriculture bio. Cette agriculture raisonnée, c'est l'avenir ?
- "Il faut bien distinguer : il y a l'agriculture bio qui est la production de produits bio..."
Et qui marchent bien...
- "Plus ou moins bien, selon les secteurs. Un jeune parlementaire brillant, qui s'appelle M. Saddier, député de la Haute-Savoie, va me remettre dans quelques jours un rapport sur le bio et nous aurons un plan d'action sur le bio."
Qu'allez-vous annoncer sur le bio ?
- "Je ne sais pas. Je ne vais pas plus vite que la musique ; le rapport va m'être remis dans quelques jours et j'aurai l'occasion de m'exprimer ensuite. Deuxièmement, il y a l'agriculture raisonnée où là, la conception est un peu différente : quand on parle d'agriculture raisonnée, on ne parle pas produit par produit, il n'y aura pas une étiquette "raisonnée" sur les produits raisonnés, si j'ose dire, ce n'est pas le sujet. C'est au contraire une approche dans la production agricole sur chacune des exploitations. Donc, madame Lambert, qui est présidente du réseau FARRE et qui est vice-présidente de la FNSEA, fait un travail tout à fait remarquable. J'ai installé au début de l'année la Commission nationale de l'agriculture raisonnée, présidée par un autre jeune parlementaire du Bas-Rhin, A. Herth. Et donc, là-dessus, nous souhaitons pousser les feux, parce que chacun sent bien que c'est l'avenir."
Vous préparez une loi sur les affaires rurales, que va-t-elle contenir cette loi ?
- "Elle sera annoncée dans les derniers jours du mois d'août, donc les choses ne sont pas arbitrées. Dans les trois problématiques les plus importants, il y a la question du foncier, notamment dans l'agriculture mais pas seulement dans l'agriculture : le prix de la terre, les successions, l'urbanisation. Ce sont des problèmes majeurs. Deuxième sujet : l'attractivité économique des territoires ruraux, pour créer des emplois dans le milieu rural, dans le secteur agricole mais aussi dans le commerce, l'artisanat et les services. Troisième sujet : l'offre de services dans le milieu rural. Non seulement les services publics - on connaît la problématique de la Poste etc. - mais les services aux personnes."
Lutter contre la désertification ?
- "Voilà, c'est-à-dire les médecins de campagne, les infirmières libérales, les gardes d'enfants à domicile, l'assistance aux personnes âgées... Cette loi sera une loi interministérielle, dont le Premier ministre m'a chargé d'assurer la coordination, mais elle concerne tous mes collègues du Gouvernement. On se rendra dan la France rurale dans les derniers jours du mois d'août, autour du Premier ministre, pour un comité interministériel, en faveur du développement rural."
La sécheresse ?
- "Je suis à la fois le ministre du gel et de la sécheresse, et d'ailleurs souvent les mêmes zones ont été touchées par le gel au mois d'avril et le sont maintenant pas la sécheresse. J'ai vu des choses épouvantables dans ma région Rhône-Alpes, ce week-end... Deux choses : tout d'abord, il faut que j'obtienne de la Commission européenne la possibilité d'utiliser la jachère pour le fourrage..."
Est-ce que vous avez l'intention ou est-ce que c'est demandé ?
- "C'est demandé depuis dix jours déjà et j'espère avoir rapidement une réponse de la Commission européenne, parce que j'ai vu beaucoup de paysans ce week-end qui sont très inquiets pour leur approvisionnement en fourrage pour nourrir leurs bêtes. C'est le premier sujet ponctuel. Deuxième remarque : bien évidemment, nous sommes en train de procéder à l'état des lieux en liaison avec les organisations professionnelles agricoles. Les sinistres et les dommages constatés seront bien évidemment éligibles aux catastrophes agricoles."
Question d'un auditeur, producteur de lait de la Creuse, à propos de l'achat à bas prix des productions de lait et de la mise aux normes.
- "Sur le lait, on a obtenu, avant hier à Bruxelles, la prolongation des quotas laitiers jusqu'en 2013. Nous attachons une importance très grande - et les producteurs français - au système des quotas laitiers pour gérer la production, parce que dans tous les autres pays où ce n'est pas fait, c'est encore pire que la situation difficile que nous vivons depuis maintenant six ou huit mois sur le marché du lait. C'est quelque chose de très important. Et nous avons obtenu également le décalage de deux ans de l'augmentation des quotas laitiers au plan européen qui était prévue. Pour la gestion du marché à moyen terme, c'était quelque chose demandé par les professionnels, que nous avons obtenu. Deuxième chose : comme vous le savez, il y a eu un accord en 1997 sur le marché du lait, entre l'ensemble des partenaires de la filière. Je m'en entretiens périodiquement avec eux et je souhaite, bien évidemment que les mesures soient prises pour que l'on ait une amélioration de ce prix du lait, parce que deux francs est déjà considéré comme quelque chose de minimal, et vous, vous êtes passé en dessous de la barre des deux francs, d'après ce que vous me dites, et avec 40 % [ndlr : de matière grasse], donc, c'est vrai que ce n'est pas normal. Sur les mises aux normes, je pense qu'il ne faut pas trop en faire et arrêter de toujours mettre des normes de plus en plus sévères chaque mois ou chaque année, parce qu'on n'y comprend plus rien. L'Europe est déjà la plus sévère en matière de normes, donc, ce que l'on a obtenu la semaine dernière, c'est que l'on finance, que l'on aide les paysans pour financer ces mises aux normes, ce qui vous permettra d'avoir un équilibre d'exploitation meilleure."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 juin 2003)