Texte intégral
Déclaration en ouverture de la réunion avec les partenaires sociaux - Jeudi 3 février 2000
Je tiens tout d'abord à remercier l'ensemble des organisations syndicales d'avoir bien voulu participer aux rencontres bilatérales que nous avons organisées au mois de décembre. Nous avons considéré que ces réunions étaient fructueuses, dans la mesure où vous avez paru partager nombre des constats que nous avions dressés dans le domaine aussi bien des relations du travail que de la protection sociale. Il existe certes des différences d'appréciation et d'analyse, mais nous avons retiré de ces entretiens la conviction, je dis bien la conviction, que l'on pouvait ensemble entreprendre de dégager des solutions aux nombreuses questions que nous avions identifiées.
Vous le savez, pour nous, la situation actuelle en matière de relations du travail et de protection sociale ne peut pas perdurer.
D'où l'idée que nous avons avancée d'une " refondation ". Il s'agit bel et bien de rebâtir avec vous des systèmes nouveaux, adaptés à notre temps, tenant compte des avancées de la technologie, de l'approfondissement de l'Europe et, bien entendu, et avant tout, des aspirations des entreprises et de leurs salariés. Il s'agit bel et bien de dégager ensemble de nouvelles règles du jeu , pour parvenir à un dialogue social plus efficace, plus profond et plus fécond, à une protection sociale mieux adaptée, plus moderne et moins coûteuse.
Nous sommes pleinement mandatés
L'assemblée générale du MEDEF, qui s'est tenue le 18 janvier 2000, m'a clairement mandaté pour ouvrir avec vous ce vaste round de négociations avec des objectifs ambitieux. Je vous confirme que nous avons la ferme volonté de parvenir avec vous, par la négociation, à des accords innovants. Toute la communauté des entreprises souhaite ce renouveau. La CGPME et l'UPA se joignent au MEDEF pour entreprendre ce vaste chantier. Nous avons tous une ardente obligation.
Le temps nous est compté
Le temps presse certes, mais nous nous sommes donnés du temps. Et nous n'arrivons pas à imaginer que nous ne parvenions pas à dégager, par le dialogue, les voies et moyens de cette " refondation " d'ici la fin de l'année. Je le redis, la situation actuelle de confusion des responsabilités et d'interférence permanente des pouvoirs publics dans le domaine des partenaires sociaux n'est pas tenable. Il nous appartient ensemble désormais de relever ce défi de la " refondation " sociale, dans l'intérêt de tous les salariés comme dans celui de toutes les entreprises.
Nous vous faisons confiance
Vous, les organisations syndicales, vous êtes nos interlocuteurs " naturels ". Nous avons grande confiance, à l'aube de cette série de négociations dans votre active participation à l'élaboration des solutions à nos problèmes communs, sous le signe du respect mutuel, afin de conduire au succès. Trop souvent dans notre pays, les relations entre partenaires sociaux ont été placées sous le seul signe du conflit, de l'antagonisme, et des oppositions. Dans de nombreux pays de l'union européenne, reconnaissons le, le dialogue social fonctionne mieux que chez nous. Il n'y a aucune raison que nous ne parvenions pas à des relations apaisées. L'Etat ne doit plus pouvoir invoquer la médiocrité de nos relations pour se substituer aux partenaires sociaux.
Nous avons lancé le chantier de la "refondation sociale" pour réussir
Si les partenaires sociaux ne sont pas capables de trouver des solutions par le dialogue, l'étatisasion de la protection sociale se poursuivra et la loi remplacera de plus en plus les conventions et accords. Pour notre part, nous y sommes opposés, et nous avons la conviction que ces évolutions ne vous seraient pas favorables. En ce qui nous concerne, nous ouvrons ces négociations avec la ferme volonté d'aboutir.
Nous attendons des Pouvoirs publics qu'ils facilitent le déroulement de nos travaux qui vont dans le sens de l'intérêt des entreprises et de leurs salariés, donc de l'intérêt du pays. Ceci implique en priorité que l'initiative que nous prenons soit respectée. Bien entendu, le moment viendra où nous nous tournerons vers les Pouvoirs publics pour examiner, le cas échéant, avec eux les conséquences législatives ou réglementaires à tirer de nos conclusions.
Quelle est notre vision ?
En matière de protection sociale, nous ne faisons référence à aucun modèle existant. La France, compte tenu de son histoire, se doit d'élaborer un modèle original, empruntant bien entendu , quand cela paraît souhaitable, les solutions concrètes qui ont fait leur preuve dans tel ou tel pays, et cherchant à conjuguer efficacité et solidarité. Dans cet esprit, il faut que chaque salarié, permettez-moi d'insister sur le terme "chaque salarié", puisse disposer d'un accès élargi à la formation professionnelle et enrichir ses qualifications et compétences, retrouve rapidement un emploi s'il n'en dispose pas, puisse partir en retraite à l'âge où il le souhaite avec une pension correspondante, puisse se faire soigner dans les meilleures conditions, et être pris en charge s'il est victime d'un accident du travail. Il faut que l'ensemble de ces garanties satisfassent les critères de compétitivité, et que les dispositifs français soient "eurocompatibles".
S'agissant des relations du travail, nous souhaitons que se développe dans toutes les entreprises un nouveau dialogue, concret, orienté tout entier vers la recherche de solutions aux différents problèmes rencontrés, nous souhaitons qu'on laisse aux partenaires sociaux dans l'entreprise, dans les branches et au niveau interprofessionnel la responsabilité de dégager par la négociation les dispositions essentielles des relations qui lient employeurs et salariés. Nous souhaitons que l'Etat, retrouvant une vraie hauteur de vue, ne s'immisce pas inutilement, en les dévitalisant, dans nos relations. Le rôle de l'Etat est, selon nous, de définir et faire respecter les principes fondamentaux qui régissent les relations entre employeurs et salariés, ni plus ni moins.
Les chantiers à ouvrir sont nombreux
Notre assemblée générale nous a mandatés pour engager ce vaste round de négociations. Dans la lettre que je vous ai fait parvenir, je vous ai indiqué les mandats qui nous ont été donnés. Tous les chantiers sont importants, mais certains d'entre eux nous paraissent prioritaires. Nous avons pris connaissance de votre déclaration commune du 26 janvier 2000. Nous avons constaté que de nombreux thèmes de négociation que vous proposez rejoignent les nôtres.
Aussi, nous pourrions retenir ensemble les thèmes prioritaires suivants, examinés chacun au sein d'un groupe de travail ad hoc : il s'agit là d'une proposition à débattre :
(1) assurance chômage, lutte contre la précarité et insertion des jeunes ;
(2) évolution des régimes d'assurance vieillesse ;
(3) réforme du système de la santé au travail et évolution du régime des accidents du travail ;
(4) voies et moyens de l'approfondissement du dialogue social ;
Bien entendu si vous souhaitez que d'autres thèmes fassent en priorité l'objet de négociation, nous sommes prêts à en discuter.
Nous sommes conscients que nous devrons également réfléchir ensemble au système d'assurance maladie et aux prestations familiales, mais nous suggérons que ceci se fasse dans un deuxième temps
Discutons ensemble du choix de méthodes de travail efficaces
Quelles méthodes de travail choisir ? Il nous semble que chaque organisation devrait désigner les négociateurs pour chacun des chantiers que nous ouvrirons ensemble. Nous pourrions décider de nous réunir à nouveau en séance plénière au printemps pour faire le point sur l'état d'avancement des divers dossiers, et arrêter, nous l'espérons, les premières conclusions. En tant que de besoin, bien entendu nous pourrions décider d'organiser d'autres réunions plénières.
Nous aurons sans doute besoin d'expertise pour étayer nos propositions communes. Il sera alors nécessaire de désigner ensemble les experts et spécialistes qui accompagneront notre démarche.
Nous vous proposons également, si vous en êtes d'accord, de recueillir auprès des observateurs les plus qualifiés des idées ou suggestions pour enrichir nos réflexions. Aussi sommes nous amenés à vous proposer l'ouverture d'une série de rencontres, que nous pourrions intituler " les Entretiens de la Refondation ", ouverts à tous ceux qui participeront à nos chantiers et aux observateurs. Leur objet serait d'accompagner nos négociations en leur donnant une dimension de recherche et d'ouverture.
Nous sommes à votre disposition pour arrêter avec vous le calendrier des négociations.
Quels sont pour conclure, les maîtres mots de ces négociations qui vont s'ouvrir ?
"refondation", car il nous faut élaborer des architectures nouvelles.
"innovation", car nous souhaitons faire place à l'imagination pour trouver des solutions originales.
"concertation", car c'est par le dialogue que nous réussirons.
INVITE DES "QUATRE VERITES" sur France 2 - Vendredi 4 février 2000
GERARD MORIN : Monsieur le président du MEDEF, bonjour.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonjour.
GERARD MORIN : Six heures de discussions hier entre les organisations patronales et les confédérations syndicales, six heures. Et un relevé de décisions pour ouvrir huit chantiers de négociation. C'est ce que vous espériez ? Ou c'est beaucoup plus ou c'est moins ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que je vais être franc. Je vais vous dire que c'est à peu près ce que l'on espérait, c'est-à-dire dans un climat décontracté, regarder en face, nous les partenaires sociaux, ceux qui sont dans la réalité économique et sociale, comment améliorer le système social, comment le refonder selon notre expression, en allant au fond des choses. Et donc le menu, si j'ose dire, qui a été établi est un menu qui nous parait complet, et qui a été largement inspiré par les syndicats qui ont tenu, dans cette réunion bien entendu, un rôle égal au nôtre. Et donc tout ceci nous semble démarrer assez bien.
GERARD MORIN : Oui, parce que vous étiez venus, vous, avec un menu à quatre plats. Ils en ont rajouté quatre. Il n'y a pas un risque d'indigestion ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, je crois, si vous voulez, qu'il va falloir rester à table assez longtemps et marquer de l'appétit.
GERARD MORIN : Vous vous reverriez pour des repas-discussions plusieurs fois dans l'année ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui. Alors, nous avons fixé, si vous voulez, un premier programme de travail. Les quatre groupes principaux, les premiers jugés prioritaires, qui portent sur l'assurance chômage, la retraite complémentaire, la santé au travail et, bien entendu, les voies et moyens de donner au dialogue social plus de force, plus de corps. Eh bien, ces quatre réunions se tiendront d'ici le 15 mars. Donc, on rentre dans le concret, la discussion. Je ne dis pas que cela va être facile. Mais en tout cas, c'est très important que nous ayons reconquis notre espace social.
GERARD MORIN : Même sur la Sécurité sociale vous pourrez discuter ? C'est ce qui permettra de déterminer si vous restez ou pas dans les organismes sociaux ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, écoutez, nous avons décidé d'en sortir à la fin de l'année. Ca, c'est une décision qui a été prise, quasiment à l'unanimité, par nos six cents délégués de MEDEF...
GERARD MORIN :... La discussion d'hier ne change rien là-desssus ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, absolument pas. Ca, c'est une décision... Mais nous avons d'ici là onze mois pour reconstruire quelque chose qui fonctionne mieux et dans lequel les partenaires sociaux, s'ils ont des responsabilités, les tiennent et les tiennent complètement sans que l'Etat, si vous me permettez de le dire, intervienne à tout propos avec sa passion de l'interventionnisme que nous réfutons.
GERARD MORIN : Avant de parler d'Etat, un plat qui n'a pas été mis dans ce menu, c'est celui de la représentativité syndicale. Pourquoi ne l'avez-vous pas mis en plus des huit autres chantiers ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois qu'en traitant les sujets que nous avons inscrits, ce sujet viendra probablement assez naturellement. Ce n'est pas à nous d'en prendre l'initiative...
GERARD MORIN :... Il est transversal ...?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois qu'il est transversal et que les syndicats se rendent compte qu'il y a là une question sur laquelle, bien entendu, nous n'avons pas, nous, à intervenir, mais sur laquelle il faut tout de même que nous reconnaissions qu'il y a peut-être un problème.
GERARD MORIN : Donc vous êtes prêts éventuellement à avoir moins d'interlocuteurs, mais des interlocuteurs plus représentatifs. Cela vous irez peut-être ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois, si vous voulez, que le fonctionnement du dialogue social demande que, de part et d'autre, on se réorganise. Nous nous sommes, nous, MEDEF, beaucoup réorganisés depuis deux ans. Je ne sais pas si les autres voudront en faire autant.
GERARD MORIN : Vous parliez d'Etat à l'instant. C'était le grand " absent " de la réunion d'hier parce que vous avez tenu cette réunion pour un petit peu vous retrouver vous, entre vous, parce que l'Etat s'occupait trop de vos affaires.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, nous avons été, en tout cas nous les entrepreneurs, saturés d'Etat depuis deux ans, depuis l'intervention de cette loi des 35 heures sur laquelle nous n'avons pas modifié en quoi que ce soit notre jugement, et dont nous demandons bien entendu énergiquement la révision. Et je crois que nous l'obtiendrons parce que cette affaire démarre mal, on le sait, et donc il faudra, bien entendu, l'adapter, en corriger les effets. Nous serons très actifs là dessus.
GERARD MORIN : Vous l'obtiendrez comment ? Par un changement de majorité gouvernementale ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, je crois que ce n'est pas à nous de militer dans ce sens. Nous sommes non partisans...
GERARD MORIN : ... Mais si d'aventure cela arrivait, vous le demanderiez à une majorité nouvelle.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si la majorité reste ce qu'elle est de nombreuses années, nous serons aussi insistants que si une autre vient. Ce n'est pas notre problème. Le problème, pour nous, c'est de faire en sorte que les 35 heures, qui sont pleines d'aspérités, qui sont un bazar, qui sont une usine à gaz, eh bien se modifient, de façon à ce que le principe s'adapte à la réalité. Ca, tout le monde en a bien conscience.
GERARD MORIN : Donc, d'ici 2002, pour que les 35 heures ne s'appliquent pas aux entreprises de moins de 20 salariés, vous allez " mettre le paquet " ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, le " paquet ", sûrement oui !
GERARD MORIN : Vous avez des remontées depuis le 1er février, depuis que la loi est applicable, le mécontentement se confirme ou bien il y a des gens qui, quand même, finalement, font avec ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que les remontées, vous les avez vues. Les services publics se sont plus ou moins désorganisés et chacun reconnaît que dans les quatre-vingt-dix huit...
GERARD MORIN : ... Ce n'est pas sous votre responsabilité les services publics...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... Non, mais vous savez monsieur Hollande a dit une chose assez surprenante - que je me permets de vous le rappeler -. Il a dit à RTL il y a quelques jours quand on lui parlait des 35 heures dans la fonction publique, il a dit " vous permettez, là c'est trop compliqué, et en plus de ça, c'est l'argent des Français ". Comme si les salariés et les entrepreneurs qui, eux, ont à traiter la chose, pour eux, cela devait être simple et puis que ce n'était pas de l'argent dont on s'occupait. C'est assez significatif. Vous savez, les 35 heures, cela va encore beaucoup bouger.
GERARD MORIN : Alors, à propos de l'argent de l'Etat, on parle de cagnotte fiscale, des surplus de rentrées d'impôts. Que souhaitez-vous que l'on en fasse justement de cet argent ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, très franchement, qu'on le rende aux Français. On prend trop d'argent aux Français, on prend trop d'argent aux entreprises. On prélève beaucoup plus qu'ailleurs. D'ailleurs, ça rentre à flot tout ceci. C'est absolument insensé. Comment peut-on justifier que l'on prenne trop d'argent aux gens ? Alors, ensuite, on est généreux en leur rendant. Mais c'est bien la moindre des choses ! Qu'on le rende aux Français à l'évidence.
GERARD MORIN : J'ai encore deux questions brèves, Monsieur Seillière. La première, c'est sur la hausse des taux, décidée hier par les autorités monétaires européennes. C'est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour les entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que c'est une preuve que la banque centrale européenne agit avec doigté, d'abord qu'elle existe, qu'elle suit bien les choses dans leur ordre, de ce qu'elle est consciente de ce que l'expansion est forte - et nous nous en félicitons bien sûr - et qu'il faut simplement faire en sorte que l'inflation, qui est un danger, n'est pas de chance de reprendre. D'où une mesure, très légère, que le marché a d'ailleurs bien accueillie et qui montre que la banque centrale a, à mon avis, maintenant bien en main la réalité européenne.
GERARD MORIN : Et vous pour l'aider, vous allez tenir les salaires pour qu'il n'y ait pas de dérapages inflationnistes ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, ça, c'est à chaque entreprise bien entendu de le décider dans son contexte.
GERARD MORIN : Une dernière question d'actualité...ce qui se passe en Autriche et qui fait la une des journaux depuis le début de la semaine. Est-ce-que les entreprises françaises peuvent être amenées à avoir une action vis-à-vis de l'Autriche s'il y avait une action politique au niveau du gouvernement pour boycotter, sanctionner, que sais-je. Que peuvent faire les entreprises dans ce domaine ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, les entreprises, c'est très simple. Ou bien elles peuvent commercer, investir, échanger avec un pays librement. Elles le le font. Chacun prend ses décisions, bien entendu, comme il le veut. Ou bien alors, pour des raisons qui lui sont propres, un Etat intervient en disant qu'il faut limiter les échanges, pose des règles et à ce moment là, bien entendu, les entreprises les suivent. Donc, en ce qui concerne l'Autriche sur lequel nous n'avons strictement, en tant que MEDEF, rien à dire, nous suivrons purement et simplement les décisions qui seront prises.
GERARD MORIN : Le régime mis en place ne vous inquiète pas ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je n'ai vraiment aucun écho à donner au nom des entreprises sur cette question, vous vous en doutez bien.
GERARD MORIN : Monsieur Seillière, je vous remercie, je vous souhaite une bonne journée.
Invité du "VRAI JOURNAL" sur Canal + , Dimanche 6 février 2000
KARL ZERO : Ernest-Antoine Seillière, bonjour. Est-ce que je dois vous appeler, parce que là c'est compliqué, Président, Monsieur le baron, celle-là on doit vous la faire souvent, ou " Ernekind ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, vous avez aussi le choix. Ernest-Antoine. Cela fait donc une panoplie. Mais, si vous m'appelez Ernest-Antoine, c'est mon prénom, c'est celui que j'utilise, alors ça me va.
KARL ZERO : Alors, Ernest-Antoine. Dans la vie, comment vous appelle votre secrétaire, vos domestiques et votre concierge ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : D'abord, je n'ai pas de concierge ; c'est un concierge automatique. Ma secrétaire, Monsieur ; je l'appelle Madame. Un jour, je lui ai dit : " Est-ce qu'on peut peut-être s'appeler par... Je vous appelle par votre prénom, Nadine ", et elle m'a dit : " Je ne préfère pas ". Alors, j'ai dit très bien parfait, on continue comme cela. Mais, si je l'avait appelée Nadine, il aurait fallu qu'elle m'appelle Ernest-Antoine. Alors, je crois qu'il vaut mieux éviter ces choses là, en tout cas, si ça doit être pour un déséquilibre.
KARL ZERO : Alors, franchement, à votre avis, est-ce que vous avez eu de la chance dans la vie ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, incontestablement. Dans beaucoup de domaines ; dans le domaine sentimental, c'est important. Dans le domaine professionnel, où j'ai fait deux métiers de suite. J'ai été fonctionnaire, diplomate, puis ensuite j'ai été dans les affaires, où je suis toujours. Et, j'ai ce rôle actuel de représentant des entrepreneurs. Et tout ça venant bout à bout fait une vie qui, je crois, est une vie dans laquelle la chance a joué son rôle.
KARL ZERO : Est-ce que vous pensez que l'égalité des chances, ça existe ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : L'égalité des chances existe, l'égalité des destins n'existe pas. Mais l'égalité des chances existe et doit être recherchée. C'est comme ça que je conçois l'égalité. Non pas comme point d'aboutissement, mais comme point de départ.
KARL ZERO : Mais à la naissance, il n'y a pas d'égalité des chances ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si, parce que la chance, c'est la capacité personnelle que l'on a d'assurer sa propre réussite, son propre développement. Et là, il y a, je crois, une part de volonté, une part de détermination qui est à peu près à la portée de tous . Bien entendu, là aussi, pour que l'on chemine jusqu'à un point d'aboutissement qui ne peut pas être le même pour tous.
KARL ZERO : C'est quoi vos loisirs préférés ? J'en ai trois à vous proposer : le fleuret, le polo et le menuet. Enfin, c'est peut-être un peu...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... C'est comme cela que l'on me voit, et après tout pourquoi pas. En réalité, mes loisirs préférés, c'est d'abord, très honnêtement, me reposer parce que j'ai vraiment une vie de chien . Enfin, je ne suis pas le seul.
KARL ZERO : Vous êtes content d'avoir cette vie en même temps ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, mais enfin, c'est parfois un peu lourd. Mais cela dit, c'est motivant. Mes loisirs préférés, c'est se reposer, ce n'est peut-être pas très noble, mais c'est vrai. Ensuite, c'est de monter à cheval, ce qui est tout de même quelque chose qui vous coupe complètement de l'environnement, et vous pouvez accéder à la nature, etc...Et puis, les amis, si vous voulez. Mes loisirs préférés, c'est de giberner avec une bouteille de bordeaux entre amis. C'est ça l'important.
KARL ZERO : Qu'est-ce que c'est que " giberner " ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pour moi, " giberner ", je ne sais pas si c'est un mot qu'on utilise souvent, ça veut dire laisser librement galoper la pensée, pas forcément pour dire des choses intéressantes.
KARL ZERO : C'est ce qu'on va essayer de faire entre nous.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Voilà, nous gibernons.
KARL ZERO : Je vais vous demandez de choisir entre plusieurs définitions que j'ai relevés ça et là qui dressent votre portrait. L'aristo du patronat ou alors le premier de la caste des tauliers ou alors le " serial killer " des lois Aubry, vous choisissez laquelle ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ni l'une ni l'autre ne me plaisent beaucoup pour être très ...Que signifie " taulier " ?
KARL ZERO : Cela signifie patron.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah bon. Ben, voyez-vous, je suis arrivé à la dimension que j'ai aujourd'hui sans jamais m'être rendu compte que cela s'appelait comme ça.
KARL ZERO : Pourquoi est-ce que vous avez fait une telle fixette sur les 35 heures ? Vous avez quelque chose personnellement contre Martine Aubry ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est le concept des 35 heures voulu comme une sorte de slogan national qui m'a paru dès le départ totalement erroné, complètement à contresens de ce qu'il faut faire ; et donc, c'est à la fois le fond et la méthode qui très honnêtement provoquent chez moi beaucoup d'antagonisme.
KARL ZERO : On va regarder un petit sujet de John-Paul Lepers. Il a posé la question à plein de français sur les 35 heures (...). Micro trottoir
KARL ZERO : Ernest-Antoine, si vous étiez vous-même salarié, ouvrier d'une de vos entreprises, mettons Valeo. Vous gagnez 8000 francs par mois, vous travaillez sur une machine avec des gestes répétitifs 39 heures par semaine. Vous n'auriez pas envie de ces 35 heures, de travailler moins ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Qu'on ait envie de travailler moins, c'est tout à fait naturel ; que l'on décide de s'organiser pour travailler moins, c'est tout à fait naturel. Que dans notre pays aujourd'hui, la loi vienne décréter qu'il est interdit de travailler plus de 35 heures, ça ce n'est pas naturel.
KARL ZERO : Cette semaine, les syndicats ont appelé à la grève à la fois dans le public et un peu dans le privé. Vous avez du boire du petit lait de retrouver les syndicats avec vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ils appellent à la grève parce que, à leur sens, les 35 heures ne sont pas mises en place assez vite, et qu'ils ne veulent pas donner en contrepartie ce qui est essentiel, c'est-à-dire ce que l'on appelle la flexibilité, une meilleure organisation du travail, voire une certaine réduction de la progression du pouvoir d'achat. Or, on a tellement installé maintenant l'idée qu'il y a un droit à travailler moins, soit en nombre de jours dans l'année, soit en nombre d'heures dans la semaine, que les gens disent c'est la loi, moi je veux la loi et j'ai rien à donner en échange. Et ça, ce n'est pas possible. Nous savons, nous, que les 35 heures ne créent pas d'emploi et peu de gens aujourd'hui nous contredisent.
KARL ZERO : Aucun ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca ne crée pas d'emploi. Ca en crée peut-être ici ou là, et ça en détruit ailleurs. Le solde général de cette affaire n'est pas positif. On nous avait dit : ça va être une grande promotion du dialogue social ; c'est du conflit social.
KARL ZERO : Ernest-Antoine, depuis deux ans que vous êtes à la tête du MEDEF, on vous a entendu crier sur tous les toits qu'on étouffait l'initiative, qu'on étranglait les patrons. Pourtant, cela va plutôt bien ? Le chômage baisse, la croissance est revenue...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors là, vous vous trompez sur le sens de notre message. Il faut que les entrepreneurs retrouvent leur position. Mais nous sommes très optimistes sur leur capacité, avec les salariés bien entendu, de faire réussir les entreprises de notre pays. Si nous n'étions pas optimistes, nous ne mènerions pas ce combat pour essayer de faire prendre en compte les points de vue des entrepreneurs.
KARL ZERO : Vous êtes tellement optimiste qu'on a l'impression que vous êtes le président du dernier parti de droite en France.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors ça si vous voulez, quand les gens n'ont plus d'arguments contre nous, ils disent : " vous faites de la politique ". C'est un contresens total. Nous sommes complètement non partisans. Peu nous importe que ce soit la gauche qui reconnaisse notre argumentaire et le mette en place ou la droite qui s'en saisisse pour faire un programme. Peu nous importe...
KARL ZERO : Vous êtes quand même plus proche de la droite ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais pas du tout ! Pas du tout ! Vous savez, j'ai beaucoup d'amis à gauche, je connais très bien ce milieu. Ne m'accusez pas d'appartenir à un clan. Je n'appartiens pas à un clan ; pas du tout.
KARL ZERO : Vous gibernez avec des mecs de gauche ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je giberne avec des mecs de gauche ! Très fréquemment. J'ai appartenu à l'Unef. Vous vous rendez compte...
KARL ZERO : Dangereux trotskiste, alors ? Qu'est-ce que vous pensez de Chirac ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Chirac est un homme politique de grand talent puisqu'il a accédé au poste suprême dans son pays.
KARL ZERO : C'est un bon Président ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est un Président qui fait son travail.
KARL ZERO : Et vous, vous ne seriez pas un bon Président ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors ça, c'est encore une blague. Vous ne feriez pas un bon président du MEDEF, vous par hasard ?
KARL ZERO : Peut-être...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Reconnaissez que c'est quand même quelque chose qui n'a pas de sens.
KARL ZERO : De temps en temps, vous n'avez pas envie de faire une carrière politique ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : J'ai toujours refusé ; je refuse parce que ce n'est pas mon truc. Moi, je suis un entrepreneur. J'étais d'abord un fonctionnaire, j'ai quitté ce métier. Cela fait 20 ans que je suis dans l'entreprise. J'y crois, ça me passionne, je suis bien dans ce milieu, et il ne s'agit pas d'autre chose.
KARL ZERO : Une petite devinette maintenant : combien de chômeurs on aurait pu embaucher au SMIC avec les indemnités touchées par Philippe Jaffré quand il a été remercié de chez ELF ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, moi je ne connais pas le montant des indemnités de Monsieur Jaffré.
KARL ZERO : 200 millions de francs.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est ce qu'on dit. Je crois que cela n'a jamais été bien vérifié par personne. Ce sont des chiffres qui flottent, et moi les chiffres qui flottent, je ne les prends pas comme référence.
KARL ZERO : Mais, ça ne vous a pas choqué cette affaire ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, rien ne me choque à partir du moment où ce ne sont pas mes affaires. L'entreprise est un monde où il y a une certaine logique, c'est-à-dire que des actionnaires décident de créer une entreprise, on y embauche, on veut des talents pour faire fonctionner les différentes fonctions de l'entreprise, notamment le président qui, par définition, s'il veut réussir, a du talent, et qui doit donc être payé un certain prix. Ce sont leurs affaires. Je ne crois pas que l'on puisse s'autoriser à créer une sorte de norme morale, un niveau à partir duquel il devient scandaleux d'être rémunéré, qu'on soit artiste, footballeur, vedette de la chanson ou entrepreneur.
KARL ZERO : Je ne sais pas si vous avez vu, mais j'ai trouvé ça dans " La Gazette du Palais " : Philippe Jaffré a lancé une nouvelle boite qui s'appelle " Stock option ". Je ne l'invente pas, regardez.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors écoutez, ça doit être probablement un canular. Je crois que cela m'étonnerait beaucoup qu'il ait fait quelque chose comme ça. Mais, je n'ai pas mes lunettes, je ne peux pas vérifier.
KARL ZERO : C'est marqué. " Stock option ", siège social, capital 150 000 francs. Ce n'est pas beaucoup. La gérance, Monsieur Philippe Jaffré.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca le regarde. Je n'ai pas non plus à juger ses initiatives.
KARL ZERO : Quand vous étiez plus jeune, il paraît que vous étiez très copain avec Lionel Jospin, au quai d'Orsay...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais, ce n'est pas lorsque j'étais plus jeune. Je suis resté copain avec Lionel Jospin. Nous avons travaillé ensemble au quai d'Orsay. Nous avons été trois ans dans le même bureau. Nous avons établi entre nous des relations extrêmement fortes qui ne se sont pas défaites parce que l'un a un très grand destin national et que, en ce qui me concerne, j'ai la responsabilité actuellement de parler pour les entrepreneurs. Cela n'a pas modifié nos relations.
KARL ZERO : Lui, c'est un rigolo ou il est plutôt austère ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, c'est un type qui a beaucoup le sens de l'humour. Mais, dans l'exercice de ses responsabilités nationales, bien entendu, cela laisse peu de place...C'est tout à fait naturel.
KARL ZERO : Vous n'avez pas une petite anecdote de l'époque à nous livrer ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ça, si vous voulez, je crois que cela nous appartient.
KARL ZERO : Vous le tutoyez le Premier ministre ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bien entendu ; mais, quand je le rencontre, d'un rapide coup d'oeil, je vois si c'est le genre " Vous, Monsieur le Premier ministre " ou le genre " tu " et notre prénom.
KARL ZERO : Et nous deux, maintenant que l'on se connaît, est-ce qu'on peut se tutoyer ou est-ce qu'on n'est pas du même monde ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je vais vous dire très franchement, moi je vous trouve très très sympathique et donc, si vous voulez me tutoyer je n'y ai strictement aucune objection. Alors ça franchement...
KARL ZERO : Si je veux vous tutoyer ; mais vous, vous avez envie de me tutoyer ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Plutôt, oui.
KARL ZERO : Alors, dites-moi quelque chose en me disant " tu ".
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ben écoute, tu mènes une interview correctement, et je crois que tu fais bien ton métier.
KARL ZERO : Puisqu'on se tutoie, Ernest-Antoine, je vais te passer un petit sketche car tu sais que dans " Le vrai journal ", il y a des sketches aussi ; et je sais que tu ne rates jamais " Le vrai journal ". Hein ? Ne me regarde pas comme ça, écoute...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est l'idée de voir un sketche qui me tétanise, si c'est sur moi.
KARL ZERO : D'accord. Alors, on va commenter après. Sketche du Trivial patron
KARL ZERO : Qu'est-ce que vous comprenez à çà ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : J'ai pas compris...
KARL ZERO : Qu'est-ce que tu comprends à çà Ernest-Antoine ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : J'ai pas compris. Je n'ai pas vu de quoi il s'agissait à la fin. Cette boite...?
KARL ZERO : C'est une boite de Trivial Pursuit. D'où le gag " Trivial patron ". Vous savez, ce jeu Trivial Pursuit. Tu sais, ce jeu...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, je connais le jeu. Bon, et ben, écoutez, on se marre...
KARL ZERO : C'est le flop total...Merci.
Invité de Jean-Marc Sylvestre sur LCI - mardi 15 février 2000
JEAN-MARC SYLVESTRE : Bonsoir. Les 35 heures sont officiellement entrées en application depuis le 1er février mais suscitent toujours autant de scepticisme et de questions. Le gouvernement a dévoilé le montant officiel de la fameuse cagnotte fiscale accumulée en 1999, mais n'a pas dit précisément à quoi elle pourrait servir. Quant au MEDEF, eh bien il poursuit ses travaux de refondation sociale mais continue d'entretenir une opposition assez frontale au gouvernement. Alors sur tous ces points, Ernest-Antoine Seillière, président du Mouvement des Entreprises de France, merci de nous apporter votre éclairage. Je dis bien votre éclairage parce qu'on a le sentiment que vous continuez de ferrailler contre le gouvernement sans qu'on sache exactement ce que vous attendez ou ce que vous espérez. Je prend l'exemple des 35 heures, par exemple. Aujourd'hui encore, lors d'une conférence de presse, vous êtes revenu à la charge, alors même que les 35 heures sont officiellement en application depuis le 1er février, je le disais. Est-ce vous n'avez pas le sentiment, là, de mener maintenant un peu un combat d'arrière-garde, parce que finalement, le train est parti ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous savez nous menons le combat des entreprises, c'est notre rôle à nous MEDEF. Et les entreprises, je pense qu'elles vous le diraient par centaines de milliers, ne sont pas aux 35 heures, ne savent pas comment y passer et considèrent que la loi qu'on leur a imposé est une usine à gaz dont elles ne savent pas comment la mettre en oeuvre. Alors, nous n'allons pas, nous, parce que la loi a été votée et qu'une vingtaine de milliers d'entreprises l'ont mise en oeuvre - parce qu'il y a des entreprises, effet d'aubaine, qui l'ont mise en oeuvre - nous n'allons pas pour autant baisser les bras. Et j'ai été mandaté par notre Assemblée générale, 561 délégués qui votaient avec une machine à voter, j'ai été mandaté pour demander la révision de la loi. Et nous allons donc attendre quelques mois pour voir comment cette affaire rentre ou ne rentre pas dans la réalité des entreprises, quels sont les points de blocage, pour demander, mais j'en suis vraiment mandaté, la révision de la loi sur tel ou tel point de blocage qui aura été bien identifié.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca, ça veut dire que vous vous donnez quand même du temps pour essayer de négocier des accords dans les entreprises et de voir si la loi est applicable ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout à fait. Alors, si vous voulez, il va y avoir des renégociations au niveau des branches, des négociations dans les entreprise. Et nous n'avons strictement aucun barrage organisé, mais nous verrons bien si, comme nous le pensons, cette loi, inadaptée au réel, imposée à un moment où je vous le rappelle la croissance est forte, il y a beaucoup de commandes, on commence à manquer de main-d'oeuvre qualifiée, nous allons voir en effet si cette loi peut entrer en oeuvre dans les entreprises. Si elle ne le fait pas, eh bien nous en demanderons la révision et nous serons, bien entendu, très énergiques sur cette affaire.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous dites : on va essayer de voir comment elle peut entrer en oeuvre. Elle est déjà entrée en oeuvre dans pas mal d'entreprises, il y a eu beaucoup d'accords signés.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non. Ecoutez, il y en a 20 000, c'est-à-dire en réalité 1,6 % des entreprises françaises. Alors, bien entendu, les moins de 20, actuellement, ne sont pas concernées par la loi, elles peuvent mettre en oeuvre les 35 heures si elles le veulent mais elles ont encore deux ans pour le faire. Et les autres peuvent parfaitement passer l'année avec 39 heures en utilisant les fameuses dispositions transitoires que la loi, avec beaucoup de prudence, a mis en oeuvre pour l'année 2000. Donc en fait...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Ca veut dire, ça, que vous ne reconnaissez pas les chiffres officiels, par exemple en matière de création d'emplois. L'objectif de cette loi, enfin l'un des objectifs de la loi telle que Martine Aubry l'avait définie, c'était de pouvoir créer des emplois et de favoriser la création d'emplois. Elle voulait, elle, 150 000 emplois, enfin, elle pensait créer 150 000 emplois. Les chiffres officiels du ministère des Affaires sociales tablent aujourd'hui sur 160 000 emplois créés, dont 18 000 j'allais dire seulement dans le secteur public et dans les entreprises publiques.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, on ne va pas se battre sur ces chiffres. Nous savons, nous, que la loi des 35 heures ne crée pas d'emplois...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Les chiffres sont faux ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous savez, il y a une polémique sans fin sur ces chiffres. Le gouvernement dit 150 000, les experts que nous avons mis disent 40 000 sans compter les emplois non créés bien entendu à cause de la loi. Et puis je vous dirais une chose : dans la Fonction publique, quelle a été la consigne du gouvernement ? Mettre en place les 35 heures à condition que cela ne crée pas d'emplois. Alors, vous savez la confusion est totale. La croissance...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Vous ne voudriez tout de même pas qu'on crée des emplois dans la Fonction publique, pas vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, mais attendez. Simplement, les 35 heures ne créent pas d'emplois dans le privé et ne doivent pas en créer dans le public. Et cette loi qui a été lancée pour lutter contre le chôma ge, on le sait aujourd'hui, est à contre-emploi, si j'ose dire. La croissance crée des emplois toute seule, il y a des manques très importants de main-d'oeuvre qualifiée qui commencent à gêner actuellement la croissance et c'est sur cette main-d'oeuvre qualifiée qu'on veut réduire les horaires. Nous sommes en réalité, et tout le monde le sait très bien, avec les 35 heures avec un embarras économique et social.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Quels sont les points de blocage très très précisément au niveau de l'application ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, ils sont innombrables et c'est très technique.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous avez dit il y a un instant, il y a en a qu'on voudrait en recenser 4 ou 5, de façon très précise, de façon à obtenir une révision de la loi.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non mais laissez, s'il vous plaît, les choses se dérouler. Pour une fois que nous sommes, si j'ose dire, bienveillants et nous disons que tout le monde négocie pour voir où sont les points de blocage, ne me demandez pas de les prédéfinir. Mais je peux vous dire que, par exemple, en ce qui concerne le nombre d'heures supplémentaires, à l'évidence, nous avons des choses à revoir.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Est-ce qu'il n'y a pas dans l'opinion publique des salariés, un sentiment assez favorable sur l'idée de travailler un petit moins, de travailler 35 heures ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous ne seriez pas favorable, vous-même, à l'idée, et moi aussi ...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Non, non, ce que je veux dire, c'est qu'au début, lorsqu'on a commencé à parler de cette loi, on disait : mais l'opinion publique n'y est pas favorable, ce qu'elle veut c'est gagner de l'argent, ce qu'elle veut c'est travailler, ce qu'elle veut c'est des emplois. Et aujourd'hui que la croissance est revenue, aujourd'hui que les emplois reviennent, on a quand même le sentiment que dans le monde des salariés, on se dit : si on pouvait respirer un petit peu.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : L'opinion publique a été matraquée par de l'argumentaire des 35 heures...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Matraquée ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Matraquée. Ca a été vraiment une opération lourde d'opinion publique pendant deux ans....
JEAN-MARC SYLVESTRE :... Non, mais enfin...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... Laissez-moi parler, s'il vous plaît. Pendant deux ans on a dit, du temps pour moi, un emploi pour les autres, vous vous souvenez de la formule. Eh bien entendu tout ceci a diffusé dans l'opinion qui s'est dit : pourquoi pas, on me propose de travailler moins, si possible de gagner autant et en plus de cela ça va rendre service à la France. Tout le monde est donc, si vous voulez, impressionné par cet argumentaire. Et d'ailleurs nous en tenons compte parce que nous ne demandons pas l'abrogation de la loi mais sa révision. Nous reconnaissons qu'en deux ans, bien entendu, cette loi a eu des effets sur l'opinion et sur les salariés. Et qu'il y a beaucoup de demandes , mais qu'il y a aussi beaucoup d'inquiétudes et beaucoup de frustrations. Parce que, comme on le sait, on ne peut pas à la fois réduire les horaires, maintenir les salaires et en plus de cela refuser la flexibilité, c'est-à-dire une réorganisation du travail. Or les salariés ne sont pas demandeurs de maintien du salaire à leur niveau actuel. Ils veulent plus, bien entendu, de salaire, plus de rémunération et donc tout ceci, mais vous le savez très bien, embarrasse actuellement tout le monde.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Cela veut dire quoi ? Ca veut dire plus d'adaptation, plus de souplesse dans son application ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca veut dire...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Qu'est-ce qui vous gêne ? C'est le SMIC, c'est les heures supplémentaires ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais écoutez, vous avez lu la loi ? Les cent trente cinq pages de circulaires que l'on va adresser à chaque entreprise ? Mais vous avez vu une petite entreprise de vingt-cinq personnes salariées qui va recevoir cent trente cinq pages pour expliquer comment il faut mettre en place les 35 heures. Tout ceci est ubuesque, vous le savez bien. C'est une dérive administrative et politique, et nous sommes les seuls au monde à avoir cette réglementation qui s'applique à nos entreprises. Et donc, nous ferrons en sorte, puisqu'on la veut en France cette réglementation des 35 heures, qu'elle puisse s'assouplir. Ce sera la révision.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ce qui est quand même paradoxal, c'est qu'au départ vous promettiez quasiment une espèce de catastrophe économique. Vous disiez : ça va casser la reprise, ça va désorganiser les entreprises. Or, cela n'a pas cassé la reprise, la croissance est là avec un rythme soutenu et dynamique. Ca n'a pas cassé les emplois.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, je crois qu'on peut dire que les 35 heures sont un concept beaucoup plus facile à manier dès lors que la croissance internationale nous donne un flot et un flux de croissance de l'ordre de 3%, peut-être un peu plus, cela facilite les choses. Mais vous verrez malheureusement que les 35 heures, par justement le rationnement du travail qu'elles imposent, vont être complètement à contre-courant de cette expansion. Et donc, on verra ces grandes difficultés parce qu'il y a croissance. S'il y avait eu récession, je pense que les 35 heures auraient été un bienfait. Chacun aurait diminué son activité et diminué son horaire. Mais comme maintenant il y a beaucoup de croissance, pour chacun, et on le sait bien, c'est actuellement en fait un paradoxe et quelque chose de très difficile à manier.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous voulez dire que cela aurait permis d'avoir une marge d'amortissement ou de souplesse en cas de fluctuation conjoncturelle.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : On aurait réduit son horaire parce qu'on aurait eu moins à travailler et on se serait fait payer par des subventions pour cela. Ca aurait marché, comme d'ailleurs on le pensait, dans un climat de peu de croissance ou de récession. Maintenant que la croissance, du fait de la croissance mondiale, est très forte, les 35 heures apparaissent comme quelque chose qui est gênant et inutile.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors justement, comment jugez-vous aujourd'hui la conjoncture économique ? Parce qu'on a le sentiment, après une fin d'année 1999 qui a été relativement euphorique en terme d'activité - on a quand même frôlé les 4 %, sans doute peut-être même dépassé les 4 % -, comment vous jugez aujourd'hui les perspectives des entreprises ? Il n'y a pas un tassement, il n'y a pas un ralentissement dans le rythme d'activité ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, moi je dirais que nous sommes optimistes, nous pensons que la conjoncture est porteuse et le restera en l'an 2000 à un niveau supérieur à 3 %. Je ne suis pas capable, à quelques points, de dire combien. Nous pensons que les fondamentaux français sont bons, que l'infrastructure française est bonne, et nous sommes, nous entrepreneurs, extrêmement optimistes et à l'appui de la réussite française. Et nous sommes, pour cette raison d'ailleurs, très hostiles à tout ce qui peut la freiner.
JEAN-MARC SYLVESTRE : L'euro, qui est descendu en-dessous du dollar à 0,97, 0,98, c'est un facteur favorable ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est un facteur favorable...
JEAN-MARC SYLVESTRE :... Pour les industriels ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est un facteur favorable pour les industriels. Ils en profitent en étant plus compétitifs sur les marchés du dollar. Et donc, en fait, nous avons une partie de la croissance française qui est certainement liée au fait que l'euro a un rapport de change qui est devenu, à mon sens, réaliste. Je crois que le franc, ce que l'on appelle 6,50 francs, le dollar à 6,50 francs, c'est à peu près le niveau du dollar actuel et de l'euro, c'est en réalité un niveau de compétitivité retrouvé de l'économie française sur le marché mondial. Je crois que nous en profitons.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca veut dire que tous ceux qui craignaient un euro trop fort avaient tort à l'époque ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, on n'a pas pensé que l'euro serait trop fort, on a pensé que l'euro aurait une valeur...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Si, il y avait quelques hommes politiques, il y avait beaucoup de chefs d'entreprise aussi qui craignaient d'avoir un euro trop fort, calé sur le deutsche mark.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Voilà. Les Allemands, eux, craignaient que le dollar soit moins fort que le deutsche mark. Mais, je dirais qu'en France, on espérait que l'euro ne serait pas aussi fort que le deutsche mark. Je ne suis pas capable de qualifier aujourd'hui si la valeur de l'euro est bonne ou pas bonne, mais ça profite certainement, en effet, à l'économie française.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Sauf que l'euro ne peut pas rester durablement en-dessous de la parité dollar.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pourquoi pas ?
JEAN-MARC SYLVESTRE : La Banque centrale européenne peut s'en inquiéter.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, je ne sais pas si elle s'en inquiétera ou pas...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...A terme, cela peut être générateur de poussées inflationnistes, de tensions inflationnistes.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, si vous voulez il y a en équilibre à trouver dans tout ceci, mais je crois que les marchés en réalité donnent à l'euro une valeur qui est une valeur de compétitivité à peu près juste entre le dollar, le yen et l'euro. Et je ne crois pas que ce soit pour l'instant une cause de préoccupation. La Banque centrale aura, bien entendu, à gérer les tensions inflationnistes en Europe, s'il en vient. Or, comme le vous savez, actuellement...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Cette croissance-là va continuer d'être créatrice d'emplois ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La croissance sera créatrice d'emplois. Elle l'est déjà d'ailleurs assez largement. Vous savez qu'il y a 300 000 emplois à peu près par an créés par la croissance que je compare, d'ailleurs, avec les quelques dizaines de milliers revendiqués par les 35 heures, une proportion entre le cheval et l'alouette, et donc, je crois que nous avons en l'an 2000, du fait de la croissance, de la création d'emplois, probablement aux alentours également de 300 000. Donc, une diminution du chômage et donc, tout ceci est bien orienté. JEAN-MARC SYLVESTRE : Il y a un autre facteur dans l'activité économique qui domine la conjoncture, c'est l'émergence de ce que l'on appelle la nouvelle économie, c'est-à-dire le développement d'un secteur fondé sur la haute technologie, les techniques de communication et l'Internet. Est-ce que vous jugez cette économie comme une économie réelle ou comme une économie virtuelle, susceptible du jour au lendemain de se renverser ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : L'économie de l'Internet est une économie prodigieusement réelle. Elle s'appelle virtuelle parce qu'elle met le consommateur en contact du monde entier à travers la mécanique...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Oui, mais qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, écoutez, tous les mécanismes actuels de la distribution vont être modifiés par le fait que le consommateur, là où il est, c'est-à-dire chez lui, va pouvoir avoir accès au monde entier. Et le consommateur n'est pas forcément le consommateur individuel. C'est ce que l'on appelle également le " B to B ", Business to Business, " l'acheteur-entrepreneur ". Et " l'acheteur-entrepreneur " fait une énorme pression sur les marchés et sur les prix actuellement, déjà par la voie de l'Internet. Donc, transformation de toutes les modalités de distribution, ouverture formidable des concurrences, possibilités et opportunités sans limites pour ceux qui sont bons, problèmes pour ceux qui ne sont pas bons. C'est la raison pour laquelle nous sommes si énergiques à défendre la compétitivité française là où elle peut être handicapée par ceci ou par cela, donc par les 35 heures. Sachez le : sur l'écran, on sera hors jeu si les coûts ne sont pas bons. On ne sera même pas vu, on ne sera même pas lu dans son offre. C'est donc quelque chose de tout à fait...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Et la France est décalée aujourd'hui, elle est en retard ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La France est encore dans la compétitivité mais elle est à la veille de décrocher si on ne fait pas le nécessaire pour la mettre aux mêmes conditions que les autres. Et encore une fois, j'y reviens, quand un gouvernement veut, pour des raisons qui lui sont propres, soumettre l'appareil de production à des tensions de réglementations ou à des taxations qui ne sont pas à l'image de ce qui entoure la France, la France sortira des écrans. Les offres françaises sortiront des écrans. Et vous verrez, hélas, d'ici quelques années parce que le phénomène n'est pas immédiat, la compétitivité française remise en question. Tout notre combat, à nous MEDEF, est un combat pour la compétition française, donc pour l'emploi, donc pour les salariés. Il faut comprendre cela...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Oui, alors, Ernest-Antoine Seillière, l'un des moteurs de cette nouvelle économie, notamment aux Etats-Unis, c'est l'intéressement des salariés à la valorisation des entreprises, c'est-à-dire au capital. Soit sous forme de stock-options, on en a beaucoup parlé, soit sous forme d'épargne salariée. On n'a pas le sentiment que le MEDEF, le mouvement patronal français, soit très vaillant dans ce domaine, dans ce secteur.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, je ne sais pas comment on mesure la vaillance...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Non mais, vous n'avez pas une force de proposition...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Excusez-moi, nous avons une force de proposition dans ce domaine et nous avons des propositions que nous rendrons d'ailleurs publiques dans quinze jours, et nous avons vu, avec satisfaction d'ailleurs, le gouvernement se mettre sur cette piste. Car il semble bien que le gouvernement reconnaisse qu'une des manières que l'on a aujourd'hui de rendre de la motivation dans les entreprises, est de rendre les salariés actionnaires. C'est l'actionnariat des salariés. Nous sommes bien entendu totalement en faveur de cette évolution et nous l'appuierons de toutes nos forces. Mais pour une fois, permettez-moi de vous le dire, que le gouvernement est sur la bonne piste, laissons lui en profiter.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Y compris lorsqu'il imagine utiliser la participation des salariés au capital comme un moyen de contrôle ou un contre-pouvoir au niveau des directions d'entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, je crois là aussi, si vous voulez, qu'il ne faut pas trop typifier les choses...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...C'est dans le rapport Sapin. Je pense notamment...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Oui, mais il y a de nombreuses entreprises qui ont des administrateurs salariés et qui vivent parfaitement cette réalité. Je dirais que moi je pense que nous aurons des tendances à aller dans cette direction. Il n'y a pas de crispation là dessus. Mais vouloir, là aussi, faire intervenir la loi, le règlement, encore lui, avant que l'évolution n'ait pu se faire, pour forcer les choses, pour des raisons politiques, ne nous paraît pas la bonne façon de faire. Laissons la réalité se mettre en place et vous verrez que s'il y a de l'actionnariat salarié, il y aura bien entendu une intervention plus forte des salariés dans la gestion des entreprises. C'est inévitable.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca veut dire que le marché a toujours raison ? Ca veut dire que vous ne reconnaissez pas au gouvernement le droit de mettre en place des règles du jeu ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous reconnaissons bien entendu tous les droits au gouvernement car nous sommes de bons citoyens. Mais nous disons qu'il y a ...
JEAN-MARC SYLVESTRE :... J'ai vu que cet après-midi vous aviez brocardé une fois de plus le projet de loi de réglementation ou de régulation.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, parce qu'il y a une démocratie sociale que nous essayons de mettre en place et qui occupe l'espace social que les partenaires sociaux, les syndicats et les entrepreneurs veulent occuper, sans sans cesse être harcelés par la réglementation, par la loi. Et donc ça, c'est une chose tout à fait claire, c'est la refondataion sociale dans laquelle nous nous sommes avancés. Et nous serons bien entendu très énergiques pour dire au gouvernement, au législateur : s'il vous plaît, vous avez beaucoup de sujets, la sécurité, l'école, les problèmes internationaux, qui sont les vôtres, laissez l'entreprise vivre un peu seule, sans vous en préoccuper chaque jour, comme on le fait ailleurs.
JEAN-MARC SYLVESTRE : C'est-à-dire que l'Etat doit se replier sur ses fonctions régaliennes, c'est ça ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais oui, c'est tout à fait clair. Il faut que l'Etat cesse d'intervenir à tout propos dans le domaine social et économique. C'est une réalité que nous défendons parce que nous la savons efficace pour la réussite des entreprises. Et donc, nous appelons en effet le gouvernement à plus de retenue. Mais, il est toujours, comme vous le savez, très tenté par la régulation ou par la réglementation.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors, vous avez pris l'initiative, donc, justement, de lancer ce projet de refondation sociale. Vous avez consulté tous les syndicats. Vous en êtes où, là aujourd'hui, avec quel calendrier ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors nous avons eu, si vous voulez, la satisfaction de voir, après notre Assemblée générale qui nous a mandaté pour entrer en relation avec les syndicats afin de définir les voies et les moyens d'une véritable rénovation, refondation sociale, de demander aux syndicats s'ils seraient intéressés à nous rencontrer. Le 3 février, ils sont tous venus. Nous avons eu cinq heures de négociations qui ont été à la fois, je dirai, fermes mais parfaitement positives. Et nous sommes sortis avec une liste de sujets sur lesquels nous rentrerons en négociation, une méthode et un calendrier.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Justement. Quand on regarde dans votre liste de sujets, il y a la négociation collective, il y a l'assurance chômage, il y a les risques au travail, les régimes de retraites complémentaires. Il n'y a pas l'assurance maladie ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si, si, bien entendu.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Mais pas pour dans l'immédiat. C'est pour plus tard ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si vous voulez, nous avons défini une priorité, si vous voulez. Nous avons défini quatre sujets sur lesquels il fallait aller vite.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Les sujets les moins difficiles quand même ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non. Des sujets comme l'assurance chômage, l'insertion des jeunes, la formation professionnelle sont des grands sujets, la santé au travail est un grand sujet également très important, la retraite complémentaire. Non mais simplement, si vous voulez, l'assurance maladie viendra plutôt au deuxième semestre mais on commencera à travailler sur la première partie de l'année. Tous les grands sujets sont ouverts aujourd'hui à discussion entre partenaires sociaux pour les améliorer, c'est-à-dire une meilleure relation sociale, une meilleure protection sociale, plus large, plus efficace et bien entendu, si possible, moins coûteuse.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Mais est-ce qu'il n'y a pas une contraction, relevée d'ailleurs par un certain nombre d'observateurs, dans votre démarche ? Vous qui êtes un avocat convaincu du libéralisme, de la nécessité d'être pragmatique, de traiter les choses entreprise par entreprise, secteur par secteur, avec cette démarche qui consiste à organiser finalement une grand-messe ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ce n'est pas une grand-messe...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... On se croirait revenir comme au temps de Grenelle, presque. Réunion entre le patronat et les syndicats. François Ceyrac, André Bergeron ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : On peut toujours faire des allusions au passé et essayer de...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Non mais c'est un peu ça quand même ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non s'il vous plaît, pas de scepticisme. Nous avons réussi à intéresser l'ensemble de nos partenaires sociaux à une rénovation du système social français dans lequel, il faut que vous le sachiez, nous ne voulons plus nous maintenir avec les fausses responsabilités qui sont nôtres et les faux accords qu'on nous fait signer, accords qui sont entièrement dans d'autres mains que les nôtres. Donc nous avons dit tout à fait clairement : ou bien nous rénovons tout cela par un dialogue avec les partenaires sociaux près du réel, ou bien nous n'en serons pas. Et nous avons, comme vous le savez, été mandatés pour quitter l'ensemble de ce qu'on appelle le paritarisme à la fin de l'année. Donc la décision est prise, à la fin de l'année nous n'en serons plus. Et nous avons un an pour rénover. Et tout le monde est d'accord pour le faire. Alors s'il vous plaît pas trop de scepticisme. C'est une condition à mon avis excellente. Il y a longtemps que, dans la démocratie française, l'on n'avait pas vu les partenaires sociaux, comme on dit, prêts à travailler ensemble. S'il vous plaît, laissez-nous faire !
JEAN-MARC SYLVESTRE : Avec l'arrière-pensée ou avec la tentation ou avec la satisfaction d'essayer de mettre le gouvernement en dehors de tout ça.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, ce n'est pas du tout une satisfaction, c'est une nécessité...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Une petite vengeance politique, il y a une vengeance politique...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... Allons ! Nous ne faisons pas de politique, nous ne sommes pas partisans. Nous avons, et il faut que vous le sachiez, en vue simplement l'efficacité française dans la compétition mondiale qui vient, qui déferle. Euro, Internet, ce sont des données énormes, immenses, dont on verra les conséquences très très vastes dans l'économie. Nous devons, nous les entrepreneurs, prendre l'initiative de faire face à tout cela. Et c'est ce que nous faisons actuellement.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Quelle leçon vous avez tirée, avec le recul, de votre combat quotidien avec Martine Aubry, avec le gouvernement ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, quand on a une idée, il faut s'y tenir, quand elle est proche du réel et qu'elle est vraie sur le plan économique et social. Nous ne faisons pas de politique. Nous sommes peut-être en effet battus par le législateur, mais nous avons au moins la satisfaction d'être toujours en conformité avec ce que nous croyons être efficace sur le plan du réel économique et social.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ernest-Antoine Seillière, merci beaucoup.
(source http://www.medef.fr, le 17 février 2000)
Je tiens tout d'abord à remercier l'ensemble des organisations syndicales d'avoir bien voulu participer aux rencontres bilatérales que nous avons organisées au mois de décembre. Nous avons considéré que ces réunions étaient fructueuses, dans la mesure où vous avez paru partager nombre des constats que nous avions dressés dans le domaine aussi bien des relations du travail que de la protection sociale. Il existe certes des différences d'appréciation et d'analyse, mais nous avons retiré de ces entretiens la conviction, je dis bien la conviction, que l'on pouvait ensemble entreprendre de dégager des solutions aux nombreuses questions que nous avions identifiées.
Vous le savez, pour nous, la situation actuelle en matière de relations du travail et de protection sociale ne peut pas perdurer.
D'où l'idée que nous avons avancée d'une " refondation ". Il s'agit bel et bien de rebâtir avec vous des systèmes nouveaux, adaptés à notre temps, tenant compte des avancées de la technologie, de l'approfondissement de l'Europe et, bien entendu, et avant tout, des aspirations des entreprises et de leurs salariés. Il s'agit bel et bien de dégager ensemble de nouvelles règles du jeu , pour parvenir à un dialogue social plus efficace, plus profond et plus fécond, à une protection sociale mieux adaptée, plus moderne et moins coûteuse.
Nous sommes pleinement mandatés
L'assemblée générale du MEDEF, qui s'est tenue le 18 janvier 2000, m'a clairement mandaté pour ouvrir avec vous ce vaste round de négociations avec des objectifs ambitieux. Je vous confirme que nous avons la ferme volonté de parvenir avec vous, par la négociation, à des accords innovants. Toute la communauté des entreprises souhaite ce renouveau. La CGPME et l'UPA se joignent au MEDEF pour entreprendre ce vaste chantier. Nous avons tous une ardente obligation.
Le temps nous est compté
Le temps presse certes, mais nous nous sommes donnés du temps. Et nous n'arrivons pas à imaginer que nous ne parvenions pas à dégager, par le dialogue, les voies et moyens de cette " refondation " d'ici la fin de l'année. Je le redis, la situation actuelle de confusion des responsabilités et d'interférence permanente des pouvoirs publics dans le domaine des partenaires sociaux n'est pas tenable. Il nous appartient ensemble désormais de relever ce défi de la " refondation " sociale, dans l'intérêt de tous les salariés comme dans celui de toutes les entreprises.
Nous vous faisons confiance
Vous, les organisations syndicales, vous êtes nos interlocuteurs " naturels ". Nous avons grande confiance, à l'aube de cette série de négociations dans votre active participation à l'élaboration des solutions à nos problèmes communs, sous le signe du respect mutuel, afin de conduire au succès. Trop souvent dans notre pays, les relations entre partenaires sociaux ont été placées sous le seul signe du conflit, de l'antagonisme, et des oppositions. Dans de nombreux pays de l'union européenne, reconnaissons le, le dialogue social fonctionne mieux que chez nous. Il n'y a aucune raison que nous ne parvenions pas à des relations apaisées. L'Etat ne doit plus pouvoir invoquer la médiocrité de nos relations pour se substituer aux partenaires sociaux.
Nous avons lancé le chantier de la "refondation sociale" pour réussir
Si les partenaires sociaux ne sont pas capables de trouver des solutions par le dialogue, l'étatisasion de la protection sociale se poursuivra et la loi remplacera de plus en plus les conventions et accords. Pour notre part, nous y sommes opposés, et nous avons la conviction que ces évolutions ne vous seraient pas favorables. En ce qui nous concerne, nous ouvrons ces négociations avec la ferme volonté d'aboutir.
Nous attendons des Pouvoirs publics qu'ils facilitent le déroulement de nos travaux qui vont dans le sens de l'intérêt des entreprises et de leurs salariés, donc de l'intérêt du pays. Ceci implique en priorité que l'initiative que nous prenons soit respectée. Bien entendu, le moment viendra où nous nous tournerons vers les Pouvoirs publics pour examiner, le cas échéant, avec eux les conséquences législatives ou réglementaires à tirer de nos conclusions.
Quelle est notre vision ?
En matière de protection sociale, nous ne faisons référence à aucun modèle existant. La France, compte tenu de son histoire, se doit d'élaborer un modèle original, empruntant bien entendu , quand cela paraît souhaitable, les solutions concrètes qui ont fait leur preuve dans tel ou tel pays, et cherchant à conjuguer efficacité et solidarité. Dans cet esprit, il faut que chaque salarié, permettez-moi d'insister sur le terme "chaque salarié", puisse disposer d'un accès élargi à la formation professionnelle et enrichir ses qualifications et compétences, retrouve rapidement un emploi s'il n'en dispose pas, puisse partir en retraite à l'âge où il le souhaite avec une pension correspondante, puisse se faire soigner dans les meilleures conditions, et être pris en charge s'il est victime d'un accident du travail. Il faut que l'ensemble de ces garanties satisfassent les critères de compétitivité, et que les dispositifs français soient "eurocompatibles".
S'agissant des relations du travail, nous souhaitons que se développe dans toutes les entreprises un nouveau dialogue, concret, orienté tout entier vers la recherche de solutions aux différents problèmes rencontrés, nous souhaitons qu'on laisse aux partenaires sociaux dans l'entreprise, dans les branches et au niveau interprofessionnel la responsabilité de dégager par la négociation les dispositions essentielles des relations qui lient employeurs et salariés. Nous souhaitons que l'Etat, retrouvant une vraie hauteur de vue, ne s'immisce pas inutilement, en les dévitalisant, dans nos relations. Le rôle de l'Etat est, selon nous, de définir et faire respecter les principes fondamentaux qui régissent les relations entre employeurs et salariés, ni plus ni moins.
Les chantiers à ouvrir sont nombreux
Notre assemblée générale nous a mandatés pour engager ce vaste round de négociations. Dans la lettre que je vous ai fait parvenir, je vous ai indiqué les mandats qui nous ont été donnés. Tous les chantiers sont importants, mais certains d'entre eux nous paraissent prioritaires. Nous avons pris connaissance de votre déclaration commune du 26 janvier 2000. Nous avons constaté que de nombreux thèmes de négociation que vous proposez rejoignent les nôtres.
Aussi, nous pourrions retenir ensemble les thèmes prioritaires suivants, examinés chacun au sein d'un groupe de travail ad hoc : il s'agit là d'une proposition à débattre :
(1) assurance chômage, lutte contre la précarité et insertion des jeunes ;
(2) évolution des régimes d'assurance vieillesse ;
(3) réforme du système de la santé au travail et évolution du régime des accidents du travail ;
(4) voies et moyens de l'approfondissement du dialogue social ;
Bien entendu si vous souhaitez que d'autres thèmes fassent en priorité l'objet de négociation, nous sommes prêts à en discuter.
Nous sommes conscients que nous devrons également réfléchir ensemble au système d'assurance maladie et aux prestations familiales, mais nous suggérons que ceci se fasse dans un deuxième temps
Discutons ensemble du choix de méthodes de travail efficaces
Quelles méthodes de travail choisir ? Il nous semble que chaque organisation devrait désigner les négociateurs pour chacun des chantiers que nous ouvrirons ensemble. Nous pourrions décider de nous réunir à nouveau en séance plénière au printemps pour faire le point sur l'état d'avancement des divers dossiers, et arrêter, nous l'espérons, les premières conclusions. En tant que de besoin, bien entendu nous pourrions décider d'organiser d'autres réunions plénières.
Nous aurons sans doute besoin d'expertise pour étayer nos propositions communes. Il sera alors nécessaire de désigner ensemble les experts et spécialistes qui accompagneront notre démarche.
Nous vous proposons également, si vous en êtes d'accord, de recueillir auprès des observateurs les plus qualifiés des idées ou suggestions pour enrichir nos réflexions. Aussi sommes nous amenés à vous proposer l'ouverture d'une série de rencontres, que nous pourrions intituler " les Entretiens de la Refondation ", ouverts à tous ceux qui participeront à nos chantiers et aux observateurs. Leur objet serait d'accompagner nos négociations en leur donnant une dimension de recherche et d'ouverture.
Nous sommes à votre disposition pour arrêter avec vous le calendrier des négociations.
Quels sont pour conclure, les maîtres mots de ces négociations qui vont s'ouvrir ?
"refondation", car il nous faut élaborer des architectures nouvelles.
"innovation", car nous souhaitons faire place à l'imagination pour trouver des solutions originales.
"concertation", car c'est par le dialogue que nous réussirons.
INVITE DES "QUATRE VERITES" sur France 2 - Vendredi 4 février 2000
GERARD MORIN : Monsieur le président du MEDEF, bonjour.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonjour.
GERARD MORIN : Six heures de discussions hier entre les organisations patronales et les confédérations syndicales, six heures. Et un relevé de décisions pour ouvrir huit chantiers de négociation. C'est ce que vous espériez ? Ou c'est beaucoup plus ou c'est moins ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que je vais être franc. Je vais vous dire que c'est à peu près ce que l'on espérait, c'est-à-dire dans un climat décontracté, regarder en face, nous les partenaires sociaux, ceux qui sont dans la réalité économique et sociale, comment améliorer le système social, comment le refonder selon notre expression, en allant au fond des choses. Et donc le menu, si j'ose dire, qui a été établi est un menu qui nous parait complet, et qui a été largement inspiré par les syndicats qui ont tenu, dans cette réunion bien entendu, un rôle égal au nôtre. Et donc tout ceci nous semble démarrer assez bien.
GERARD MORIN : Oui, parce que vous étiez venus, vous, avec un menu à quatre plats. Ils en ont rajouté quatre. Il n'y a pas un risque d'indigestion ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, je crois, si vous voulez, qu'il va falloir rester à table assez longtemps et marquer de l'appétit.
GERARD MORIN : Vous vous reverriez pour des repas-discussions plusieurs fois dans l'année ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui. Alors, nous avons fixé, si vous voulez, un premier programme de travail. Les quatre groupes principaux, les premiers jugés prioritaires, qui portent sur l'assurance chômage, la retraite complémentaire, la santé au travail et, bien entendu, les voies et moyens de donner au dialogue social plus de force, plus de corps. Eh bien, ces quatre réunions se tiendront d'ici le 15 mars. Donc, on rentre dans le concret, la discussion. Je ne dis pas que cela va être facile. Mais en tout cas, c'est très important que nous ayons reconquis notre espace social.
GERARD MORIN : Même sur la Sécurité sociale vous pourrez discuter ? C'est ce qui permettra de déterminer si vous restez ou pas dans les organismes sociaux ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, écoutez, nous avons décidé d'en sortir à la fin de l'année. Ca, c'est une décision qui a été prise, quasiment à l'unanimité, par nos six cents délégués de MEDEF...
GERARD MORIN :... La discussion d'hier ne change rien là-desssus ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, absolument pas. Ca, c'est une décision... Mais nous avons d'ici là onze mois pour reconstruire quelque chose qui fonctionne mieux et dans lequel les partenaires sociaux, s'ils ont des responsabilités, les tiennent et les tiennent complètement sans que l'Etat, si vous me permettez de le dire, intervienne à tout propos avec sa passion de l'interventionnisme que nous réfutons.
GERARD MORIN : Avant de parler d'Etat, un plat qui n'a pas été mis dans ce menu, c'est celui de la représentativité syndicale. Pourquoi ne l'avez-vous pas mis en plus des huit autres chantiers ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois qu'en traitant les sujets que nous avons inscrits, ce sujet viendra probablement assez naturellement. Ce n'est pas à nous d'en prendre l'initiative...
GERARD MORIN :... Il est transversal ...?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois qu'il est transversal et que les syndicats se rendent compte qu'il y a là une question sur laquelle, bien entendu, nous n'avons pas, nous, à intervenir, mais sur laquelle il faut tout de même que nous reconnaissions qu'il y a peut-être un problème.
GERARD MORIN : Donc vous êtes prêts éventuellement à avoir moins d'interlocuteurs, mais des interlocuteurs plus représentatifs. Cela vous irez peut-être ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois, si vous voulez, que le fonctionnement du dialogue social demande que, de part et d'autre, on se réorganise. Nous nous sommes, nous, MEDEF, beaucoup réorganisés depuis deux ans. Je ne sais pas si les autres voudront en faire autant.
GERARD MORIN : Vous parliez d'Etat à l'instant. C'était le grand " absent " de la réunion d'hier parce que vous avez tenu cette réunion pour un petit peu vous retrouver vous, entre vous, parce que l'Etat s'occupait trop de vos affaires.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, nous avons été, en tout cas nous les entrepreneurs, saturés d'Etat depuis deux ans, depuis l'intervention de cette loi des 35 heures sur laquelle nous n'avons pas modifié en quoi que ce soit notre jugement, et dont nous demandons bien entendu énergiquement la révision. Et je crois que nous l'obtiendrons parce que cette affaire démarre mal, on le sait, et donc il faudra, bien entendu, l'adapter, en corriger les effets. Nous serons très actifs là dessus.
GERARD MORIN : Vous l'obtiendrez comment ? Par un changement de majorité gouvernementale ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, je crois que ce n'est pas à nous de militer dans ce sens. Nous sommes non partisans...
GERARD MORIN : ... Mais si d'aventure cela arrivait, vous le demanderiez à une majorité nouvelle.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si la majorité reste ce qu'elle est de nombreuses années, nous serons aussi insistants que si une autre vient. Ce n'est pas notre problème. Le problème, pour nous, c'est de faire en sorte que les 35 heures, qui sont pleines d'aspérités, qui sont un bazar, qui sont une usine à gaz, eh bien se modifient, de façon à ce que le principe s'adapte à la réalité. Ca, tout le monde en a bien conscience.
GERARD MORIN : Donc, d'ici 2002, pour que les 35 heures ne s'appliquent pas aux entreprises de moins de 20 salariés, vous allez " mettre le paquet " ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, le " paquet ", sûrement oui !
GERARD MORIN : Vous avez des remontées depuis le 1er février, depuis que la loi est applicable, le mécontentement se confirme ou bien il y a des gens qui, quand même, finalement, font avec ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que les remontées, vous les avez vues. Les services publics se sont plus ou moins désorganisés et chacun reconnaît que dans les quatre-vingt-dix huit...
GERARD MORIN : ... Ce n'est pas sous votre responsabilité les services publics...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... Non, mais vous savez monsieur Hollande a dit une chose assez surprenante - que je me permets de vous le rappeler -. Il a dit à RTL il y a quelques jours quand on lui parlait des 35 heures dans la fonction publique, il a dit " vous permettez, là c'est trop compliqué, et en plus de ça, c'est l'argent des Français ". Comme si les salariés et les entrepreneurs qui, eux, ont à traiter la chose, pour eux, cela devait être simple et puis que ce n'était pas de l'argent dont on s'occupait. C'est assez significatif. Vous savez, les 35 heures, cela va encore beaucoup bouger.
GERARD MORIN : Alors, à propos de l'argent de l'Etat, on parle de cagnotte fiscale, des surplus de rentrées d'impôts. Que souhaitez-vous que l'on en fasse justement de cet argent ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, très franchement, qu'on le rende aux Français. On prend trop d'argent aux Français, on prend trop d'argent aux entreprises. On prélève beaucoup plus qu'ailleurs. D'ailleurs, ça rentre à flot tout ceci. C'est absolument insensé. Comment peut-on justifier que l'on prenne trop d'argent aux gens ? Alors, ensuite, on est généreux en leur rendant. Mais c'est bien la moindre des choses ! Qu'on le rende aux Français à l'évidence.
GERARD MORIN : J'ai encore deux questions brèves, Monsieur Seillière. La première, c'est sur la hausse des taux, décidée hier par les autorités monétaires européennes. C'est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour les entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que c'est une preuve que la banque centrale européenne agit avec doigté, d'abord qu'elle existe, qu'elle suit bien les choses dans leur ordre, de ce qu'elle est consciente de ce que l'expansion est forte - et nous nous en félicitons bien sûr - et qu'il faut simplement faire en sorte que l'inflation, qui est un danger, n'est pas de chance de reprendre. D'où une mesure, très légère, que le marché a d'ailleurs bien accueillie et qui montre que la banque centrale a, à mon avis, maintenant bien en main la réalité européenne.
GERARD MORIN : Et vous pour l'aider, vous allez tenir les salaires pour qu'il n'y ait pas de dérapages inflationnistes ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, ça, c'est à chaque entreprise bien entendu de le décider dans son contexte.
GERARD MORIN : Une dernière question d'actualité...ce qui se passe en Autriche et qui fait la une des journaux depuis le début de la semaine. Est-ce-que les entreprises françaises peuvent être amenées à avoir une action vis-à-vis de l'Autriche s'il y avait une action politique au niveau du gouvernement pour boycotter, sanctionner, que sais-je. Que peuvent faire les entreprises dans ce domaine ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, les entreprises, c'est très simple. Ou bien elles peuvent commercer, investir, échanger avec un pays librement. Elles le le font. Chacun prend ses décisions, bien entendu, comme il le veut. Ou bien alors, pour des raisons qui lui sont propres, un Etat intervient en disant qu'il faut limiter les échanges, pose des règles et à ce moment là, bien entendu, les entreprises les suivent. Donc, en ce qui concerne l'Autriche sur lequel nous n'avons strictement, en tant que MEDEF, rien à dire, nous suivrons purement et simplement les décisions qui seront prises.
GERARD MORIN : Le régime mis en place ne vous inquiète pas ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je n'ai vraiment aucun écho à donner au nom des entreprises sur cette question, vous vous en doutez bien.
GERARD MORIN : Monsieur Seillière, je vous remercie, je vous souhaite une bonne journée.
Invité du "VRAI JOURNAL" sur Canal + , Dimanche 6 février 2000
KARL ZERO : Ernest-Antoine Seillière, bonjour. Est-ce que je dois vous appeler, parce que là c'est compliqué, Président, Monsieur le baron, celle-là on doit vous la faire souvent, ou " Ernekind ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, vous avez aussi le choix. Ernest-Antoine. Cela fait donc une panoplie. Mais, si vous m'appelez Ernest-Antoine, c'est mon prénom, c'est celui que j'utilise, alors ça me va.
KARL ZERO : Alors, Ernest-Antoine. Dans la vie, comment vous appelle votre secrétaire, vos domestiques et votre concierge ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : D'abord, je n'ai pas de concierge ; c'est un concierge automatique. Ma secrétaire, Monsieur ; je l'appelle Madame. Un jour, je lui ai dit : " Est-ce qu'on peut peut-être s'appeler par... Je vous appelle par votre prénom, Nadine ", et elle m'a dit : " Je ne préfère pas ". Alors, j'ai dit très bien parfait, on continue comme cela. Mais, si je l'avait appelée Nadine, il aurait fallu qu'elle m'appelle Ernest-Antoine. Alors, je crois qu'il vaut mieux éviter ces choses là, en tout cas, si ça doit être pour un déséquilibre.
KARL ZERO : Alors, franchement, à votre avis, est-ce que vous avez eu de la chance dans la vie ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, incontestablement. Dans beaucoup de domaines ; dans le domaine sentimental, c'est important. Dans le domaine professionnel, où j'ai fait deux métiers de suite. J'ai été fonctionnaire, diplomate, puis ensuite j'ai été dans les affaires, où je suis toujours. Et, j'ai ce rôle actuel de représentant des entrepreneurs. Et tout ça venant bout à bout fait une vie qui, je crois, est une vie dans laquelle la chance a joué son rôle.
KARL ZERO : Est-ce que vous pensez que l'égalité des chances, ça existe ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : L'égalité des chances existe, l'égalité des destins n'existe pas. Mais l'égalité des chances existe et doit être recherchée. C'est comme ça que je conçois l'égalité. Non pas comme point d'aboutissement, mais comme point de départ.
KARL ZERO : Mais à la naissance, il n'y a pas d'égalité des chances ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si, parce que la chance, c'est la capacité personnelle que l'on a d'assurer sa propre réussite, son propre développement. Et là, il y a, je crois, une part de volonté, une part de détermination qui est à peu près à la portée de tous . Bien entendu, là aussi, pour que l'on chemine jusqu'à un point d'aboutissement qui ne peut pas être le même pour tous.
KARL ZERO : C'est quoi vos loisirs préférés ? J'en ai trois à vous proposer : le fleuret, le polo et le menuet. Enfin, c'est peut-être un peu...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... C'est comme cela que l'on me voit, et après tout pourquoi pas. En réalité, mes loisirs préférés, c'est d'abord, très honnêtement, me reposer parce que j'ai vraiment une vie de chien . Enfin, je ne suis pas le seul.
KARL ZERO : Vous êtes content d'avoir cette vie en même temps ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, mais enfin, c'est parfois un peu lourd. Mais cela dit, c'est motivant. Mes loisirs préférés, c'est se reposer, ce n'est peut-être pas très noble, mais c'est vrai. Ensuite, c'est de monter à cheval, ce qui est tout de même quelque chose qui vous coupe complètement de l'environnement, et vous pouvez accéder à la nature, etc...Et puis, les amis, si vous voulez. Mes loisirs préférés, c'est de giberner avec une bouteille de bordeaux entre amis. C'est ça l'important.
KARL ZERO : Qu'est-ce que c'est que " giberner " ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pour moi, " giberner ", je ne sais pas si c'est un mot qu'on utilise souvent, ça veut dire laisser librement galoper la pensée, pas forcément pour dire des choses intéressantes.
KARL ZERO : C'est ce qu'on va essayer de faire entre nous.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Voilà, nous gibernons.
KARL ZERO : Je vais vous demandez de choisir entre plusieurs définitions que j'ai relevés ça et là qui dressent votre portrait. L'aristo du patronat ou alors le premier de la caste des tauliers ou alors le " serial killer " des lois Aubry, vous choisissez laquelle ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ni l'une ni l'autre ne me plaisent beaucoup pour être très ...Que signifie " taulier " ?
KARL ZERO : Cela signifie patron.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah bon. Ben, voyez-vous, je suis arrivé à la dimension que j'ai aujourd'hui sans jamais m'être rendu compte que cela s'appelait comme ça.
KARL ZERO : Pourquoi est-ce que vous avez fait une telle fixette sur les 35 heures ? Vous avez quelque chose personnellement contre Martine Aubry ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est le concept des 35 heures voulu comme une sorte de slogan national qui m'a paru dès le départ totalement erroné, complètement à contresens de ce qu'il faut faire ; et donc, c'est à la fois le fond et la méthode qui très honnêtement provoquent chez moi beaucoup d'antagonisme.
KARL ZERO : On va regarder un petit sujet de John-Paul Lepers. Il a posé la question à plein de français sur les 35 heures (...). Micro trottoir
KARL ZERO : Ernest-Antoine, si vous étiez vous-même salarié, ouvrier d'une de vos entreprises, mettons Valeo. Vous gagnez 8000 francs par mois, vous travaillez sur une machine avec des gestes répétitifs 39 heures par semaine. Vous n'auriez pas envie de ces 35 heures, de travailler moins ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Qu'on ait envie de travailler moins, c'est tout à fait naturel ; que l'on décide de s'organiser pour travailler moins, c'est tout à fait naturel. Que dans notre pays aujourd'hui, la loi vienne décréter qu'il est interdit de travailler plus de 35 heures, ça ce n'est pas naturel.
KARL ZERO : Cette semaine, les syndicats ont appelé à la grève à la fois dans le public et un peu dans le privé. Vous avez du boire du petit lait de retrouver les syndicats avec vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ils appellent à la grève parce que, à leur sens, les 35 heures ne sont pas mises en place assez vite, et qu'ils ne veulent pas donner en contrepartie ce qui est essentiel, c'est-à-dire ce que l'on appelle la flexibilité, une meilleure organisation du travail, voire une certaine réduction de la progression du pouvoir d'achat. Or, on a tellement installé maintenant l'idée qu'il y a un droit à travailler moins, soit en nombre de jours dans l'année, soit en nombre d'heures dans la semaine, que les gens disent c'est la loi, moi je veux la loi et j'ai rien à donner en échange. Et ça, ce n'est pas possible. Nous savons, nous, que les 35 heures ne créent pas d'emploi et peu de gens aujourd'hui nous contredisent.
KARL ZERO : Aucun ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca ne crée pas d'emploi. Ca en crée peut-être ici ou là, et ça en détruit ailleurs. Le solde général de cette affaire n'est pas positif. On nous avait dit : ça va être une grande promotion du dialogue social ; c'est du conflit social.
KARL ZERO : Ernest-Antoine, depuis deux ans que vous êtes à la tête du MEDEF, on vous a entendu crier sur tous les toits qu'on étouffait l'initiative, qu'on étranglait les patrons. Pourtant, cela va plutôt bien ? Le chômage baisse, la croissance est revenue...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors là, vous vous trompez sur le sens de notre message. Il faut que les entrepreneurs retrouvent leur position. Mais nous sommes très optimistes sur leur capacité, avec les salariés bien entendu, de faire réussir les entreprises de notre pays. Si nous n'étions pas optimistes, nous ne mènerions pas ce combat pour essayer de faire prendre en compte les points de vue des entrepreneurs.
KARL ZERO : Vous êtes tellement optimiste qu'on a l'impression que vous êtes le président du dernier parti de droite en France.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors ça si vous voulez, quand les gens n'ont plus d'arguments contre nous, ils disent : " vous faites de la politique ". C'est un contresens total. Nous sommes complètement non partisans. Peu nous importe que ce soit la gauche qui reconnaisse notre argumentaire et le mette en place ou la droite qui s'en saisisse pour faire un programme. Peu nous importe...
KARL ZERO : Vous êtes quand même plus proche de la droite ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais pas du tout ! Pas du tout ! Vous savez, j'ai beaucoup d'amis à gauche, je connais très bien ce milieu. Ne m'accusez pas d'appartenir à un clan. Je n'appartiens pas à un clan ; pas du tout.
KARL ZERO : Vous gibernez avec des mecs de gauche ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je giberne avec des mecs de gauche ! Très fréquemment. J'ai appartenu à l'Unef. Vous vous rendez compte...
KARL ZERO : Dangereux trotskiste, alors ? Qu'est-ce que vous pensez de Chirac ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Chirac est un homme politique de grand talent puisqu'il a accédé au poste suprême dans son pays.
KARL ZERO : C'est un bon Président ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est un Président qui fait son travail.
KARL ZERO : Et vous, vous ne seriez pas un bon Président ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors ça, c'est encore une blague. Vous ne feriez pas un bon président du MEDEF, vous par hasard ?
KARL ZERO : Peut-être...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Reconnaissez que c'est quand même quelque chose qui n'a pas de sens.
KARL ZERO : De temps en temps, vous n'avez pas envie de faire une carrière politique ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : J'ai toujours refusé ; je refuse parce que ce n'est pas mon truc. Moi, je suis un entrepreneur. J'étais d'abord un fonctionnaire, j'ai quitté ce métier. Cela fait 20 ans que je suis dans l'entreprise. J'y crois, ça me passionne, je suis bien dans ce milieu, et il ne s'agit pas d'autre chose.
KARL ZERO : Une petite devinette maintenant : combien de chômeurs on aurait pu embaucher au SMIC avec les indemnités touchées par Philippe Jaffré quand il a été remercié de chez ELF ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, moi je ne connais pas le montant des indemnités de Monsieur Jaffré.
KARL ZERO : 200 millions de francs.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est ce qu'on dit. Je crois que cela n'a jamais été bien vérifié par personne. Ce sont des chiffres qui flottent, et moi les chiffres qui flottent, je ne les prends pas comme référence.
KARL ZERO : Mais, ça ne vous a pas choqué cette affaire ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, rien ne me choque à partir du moment où ce ne sont pas mes affaires. L'entreprise est un monde où il y a une certaine logique, c'est-à-dire que des actionnaires décident de créer une entreprise, on y embauche, on veut des talents pour faire fonctionner les différentes fonctions de l'entreprise, notamment le président qui, par définition, s'il veut réussir, a du talent, et qui doit donc être payé un certain prix. Ce sont leurs affaires. Je ne crois pas que l'on puisse s'autoriser à créer une sorte de norme morale, un niveau à partir duquel il devient scandaleux d'être rémunéré, qu'on soit artiste, footballeur, vedette de la chanson ou entrepreneur.
KARL ZERO : Je ne sais pas si vous avez vu, mais j'ai trouvé ça dans " La Gazette du Palais " : Philippe Jaffré a lancé une nouvelle boite qui s'appelle " Stock option ". Je ne l'invente pas, regardez.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors écoutez, ça doit être probablement un canular. Je crois que cela m'étonnerait beaucoup qu'il ait fait quelque chose comme ça. Mais, je n'ai pas mes lunettes, je ne peux pas vérifier.
KARL ZERO : C'est marqué. " Stock option ", siège social, capital 150 000 francs. Ce n'est pas beaucoup. La gérance, Monsieur Philippe Jaffré.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca le regarde. Je n'ai pas non plus à juger ses initiatives.
KARL ZERO : Quand vous étiez plus jeune, il paraît que vous étiez très copain avec Lionel Jospin, au quai d'Orsay...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais, ce n'est pas lorsque j'étais plus jeune. Je suis resté copain avec Lionel Jospin. Nous avons travaillé ensemble au quai d'Orsay. Nous avons été trois ans dans le même bureau. Nous avons établi entre nous des relations extrêmement fortes qui ne se sont pas défaites parce que l'un a un très grand destin national et que, en ce qui me concerne, j'ai la responsabilité actuellement de parler pour les entrepreneurs. Cela n'a pas modifié nos relations.
KARL ZERO : Lui, c'est un rigolo ou il est plutôt austère ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, c'est un type qui a beaucoup le sens de l'humour. Mais, dans l'exercice de ses responsabilités nationales, bien entendu, cela laisse peu de place...C'est tout à fait naturel.
KARL ZERO : Vous n'avez pas une petite anecdote de l'époque à nous livrer ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ça, si vous voulez, je crois que cela nous appartient.
KARL ZERO : Vous le tutoyez le Premier ministre ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bien entendu ; mais, quand je le rencontre, d'un rapide coup d'oeil, je vois si c'est le genre " Vous, Monsieur le Premier ministre " ou le genre " tu " et notre prénom.
KARL ZERO : Et nous deux, maintenant que l'on se connaît, est-ce qu'on peut se tutoyer ou est-ce qu'on n'est pas du même monde ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je vais vous dire très franchement, moi je vous trouve très très sympathique et donc, si vous voulez me tutoyer je n'y ai strictement aucune objection. Alors ça franchement...
KARL ZERO : Si je veux vous tutoyer ; mais vous, vous avez envie de me tutoyer ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Plutôt, oui.
KARL ZERO : Alors, dites-moi quelque chose en me disant " tu ".
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ben écoute, tu mènes une interview correctement, et je crois que tu fais bien ton métier.
KARL ZERO : Puisqu'on se tutoie, Ernest-Antoine, je vais te passer un petit sketche car tu sais que dans " Le vrai journal ", il y a des sketches aussi ; et je sais que tu ne rates jamais " Le vrai journal ". Hein ? Ne me regarde pas comme ça, écoute...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est l'idée de voir un sketche qui me tétanise, si c'est sur moi.
KARL ZERO : D'accord. Alors, on va commenter après. Sketche du Trivial patron
KARL ZERO : Qu'est-ce que vous comprenez à çà ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : J'ai pas compris...
KARL ZERO : Qu'est-ce que tu comprends à çà Ernest-Antoine ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : J'ai pas compris. Je n'ai pas vu de quoi il s'agissait à la fin. Cette boite...?
KARL ZERO : C'est une boite de Trivial Pursuit. D'où le gag " Trivial patron ". Vous savez, ce jeu Trivial Pursuit. Tu sais, ce jeu...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, je connais le jeu. Bon, et ben, écoutez, on se marre...
KARL ZERO : C'est le flop total...Merci.
Invité de Jean-Marc Sylvestre sur LCI - mardi 15 février 2000
JEAN-MARC SYLVESTRE : Bonsoir. Les 35 heures sont officiellement entrées en application depuis le 1er février mais suscitent toujours autant de scepticisme et de questions. Le gouvernement a dévoilé le montant officiel de la fameuse cagnotte fiscale accumulée en 1999, mais n'a pas dit précisément à quoi elle pourrait servir. Quant au MEDEF, eh bien il poursuit ses travaux de refondation sociale mais continue d'entretenir une opposition assez frontale au gouvernement. Alors sur tous ces points, Ernest-Antoine Seillière, président du Mouvement des Entreprises de France, merci de nous apporter votre éclairage. Je dis bien votre éclairage parce qu'on a le sentiment que vous continuez de ferrailler contre le gouvernement sans qu'on sache exactement ce que vous attendez ou ce que vous espérez. Je prend l'exemple des 35 heures, par exemple. Aujourd'hui encore, lors d'une conférence de presse, vous êtes revenu à la charge, alors même que les 35 heures sont officiellement en application depuis le 1er février, je le disais. Est-ce vous n'avez pas le sentiment, là, de mener maintenant un peu un combat d'arrière-garde, parce que finalement, le train est parti ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous savez nous menons le combat des entreprises, c'est notre rôle à nous MEDEF. Et les entreprises, je pense qu'elles vous le diraient par centaines de milliers, ne sont pas aux 35 heures, ne savent pas comment y passer et considèrent que la loi qu'on leur a imposé est une usine à gaz dont elles ne savent pas comment la mettre en oeuvre. Alors, nous n'allons pas, nous, parce que la loi a été votée et qu'une vingtaine de milliers d'entreprises l'ont mise en oeuvre - parce qu'il y a des entreprises, effet d'aubaine, qui l'ont mise en oeuvre - nous n'allons pas pour autant baisser les bras. Et j'ai été mandaté par notre Assemblée générale, 561 délégués qui votaient avec une machine à voter, j'ai été mandaté pour demander la révision de la loi. Et nous allons donc attendre quelques mois pour voir comment cette affaire rentre ou ne rentre pas dans la réalité des entreprises, quels sont les points de blocage, pour demander, mais j'en suis vraiment mandaté, la révision de la loi sur tel ou tel point de blocage qui aura été bien identifié.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca, ça veut dire que vous vous donnez quand même du temps pour essayer de négocier des accords dans les entreprises et de voir si la loi est applicable ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout à fait. Alors, si vous voulez, il va y avoir des renégociations au niveau des branches, des négociations dans les entreprise. Et nous n'avons strictement aucun barrage organisé, mais nous verrons bien si, comme nous le pensons, cette loi, inadaptée au réel, imposée à un moment où je vous le rappelle la croissance est forte, il y a beaucoup de commandes, on commence à manquer de main-d'oeuvre qualifiée, nous allons voir en effet si cette loi peut entrer en oeuvre dans les entreprises. Si elle ne le fait pas, eh bien nous en demanderons la révision et nous serons, bien entendu, très énergiques sur cette affaire.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous dites : on va essayer de voir comment elle peut entrer en oeuvre. Elle est déjà entrée en oeuvre dans pas mal d'entreprises, il y a eu beaucoup d'accords signés.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non. Ecoutez, il y en a 20 000, c'est-à-dire en réalité 1,6 % des entreprises françaises. Alors, bien entendu, les moins de 20, actuellement, ne sont pas concernées par la loi, elles peuvent mettre en oeuvre les 35 heures si elles le veulent mais elles ont encore deux ans pour le faire. Et les autres peuvent parfaitement passer l'année avec 39 heures en utilisant les fameuses dispositions transitoires que la loi, avec beaucoup de prudence, a mis en oeuvre pour l'année 2000. Donc en fait...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Ca veut dire, ça, que vous ne reconnaissez pas les chiffres officiels, par exemple en matière de création d'emplois. L'objectif de cette loi, enfin l'un des objectifs de la loi telle que Martine Aubry l'avait définie, c'était de pouvoir créer des emplois et de favoriser la création d'emplois. Elle voulait, elle, 150 000 emplois, enfin, elle pensait créer 150 000 emplois. Les chiffres officiels du ministère des Affaires sociales tablent aujourd'hui sur 160 000 emplois créés, dont 18 000 j'allais dire seulement dans le secteur public et dans les entreprises publiques.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, on ne va pas se battre sur ces chiffres. Nous savons, nous, que la loi des 35 heures ne crée pas d'emplois...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Les chiffres sont faux ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous savez, il y a une polémique sans fin sur ces chiffres. Le gouvernement dit 150 000, les experts que nous avons mis disent 40 000 sans compter les emplois non créés bien entendu à cause de la loi. Et puis je vous dirais une chose : dans la Fonction publique, quelle a été la consigne du gouvernement ? Mettre en place les 35 heures à condition que cela ne crée pas d'emplois. Alors, vous savez la confusion est totale. La croissance...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Vous ne voudriez tout de même pas qu'on crée des emplois dans la Fonction publique, pas vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, mais attendez. Simplement, les 35 heures ne créent pas d'emplois dans le privé et ne doivent pas en créer dans le public. Et cette loi qui a été lancée pour lutter contre le chôma ge, on le sait aujourd'hui, est à contre-emploi, si j'ose dire. La croissance crée des emplois toute seule, il y a des manques très importants de main-d'oeuvre qualifiée qui commencent à gêner actuellement la croissance et c'est sur cette main-d'oeuvre qualifiée qu'on veut réduire les horaires. Nous sommes en réalité, et tout le monde le sait très bien, avec les 35 heures avec un embarras économique et social.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Quels sont les points de blocage très très précisément au niveau de l'application ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, ils sont innombrables et c'est très technique.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous avez dit il y a un instant, il y a en a qu'on voudrait en recenser 4 ou 5, de façon très précise, de façon à obtenir une révision de la loi.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non mais laissez, s'il vous plaît, les choses se dérouler. Pour une fois que nous sommes, si j'ose dire, bienveillants et nous disons que tout le monde négocie pour voir où sont les points de blocage, ne me demandez pas de les prédéfinir. Mais je peux vous dire que, par exemple, en ce qui concerne le nombre d'heures supplémentaires, à l'évidence, nous avons des choses à revoir.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Est-ce qu'il n'y a pas dans l'opinion publique des salariés, un sentiment assez favorable sur l'idée de travailler un petit moins, de travailler 35 heures ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous ne seriez pas favorable, vous-même, à l'idée, et moi aussi ...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Non, non, ce que je veux dire, c'est qu'au début, lorsqu'on a commencé à parler de cette loi, on disait : mais l'opinion publique n'y est pas favorable, ce qu'elle veut c'est gagner de l'argent, ce qu'elle veut c'est travailler, ce qu'elle veut c'est des emplois. Et aujourd'hui que la croissance est revenue, aujourd'hui que les emplois reviennent, on a quand même le sentiment que dans le monde des salariés, on se dit : si on pouvait respirer un petit peu.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : L'opinion publique a été matraquée par de l'argumentaire des 35 heures...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Matraquée ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Matraquée. Ca a été vraiment une opération lourde d'opinion publique pendant deux ans....
JEAN-MARC SYLVESTRE :... Non, mais enfin...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... Laissez-moi parler, s'il vous plaît. Pendant deux ans on a dit, du temps pour moi, un emploi pour les autres, vous vous souvenez de la formule. Eh bien entendu tout ceci a diffusé dans l'opinion qui s'est dit : pourquoi pas, on me propose de travailler moins, si possible de gagner autant et en plus de cela ça va rendre service à la France. Tout le monde est donc, si vous voulez, impressionné par cet argumentaire. Et d'ailleurs nous en tenons compte parce que nous ne demandons pas l'abrogation de la loi mais sa révision. Nous reconnaissons qu'en deux ans, bien entendu, cette loi a eu des effets sur l'opinion et sur les salariés. Et qu'il y a beaucoup de demandes , mais qu'il y a aussi beaucoup d'inquiétudes et beaucoup de frustrations. Parce que, comme on le sait, on ne peut pas à la fois réduire les horaires, maintenir les salaires et en plus de cela refuser la flexibilité, c'est-à-dire une réorganisation du travail. Or les salariés ne sont pas demandeurs de maintien du salaire à leur niveau actuel. Ils veulent plus, bien entendu, de salaire, plus de rémunération et donc tout ceci, mais vous le savez très bien, embarrasse actuellement tout le monde.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Cela veut dire quoi ? Ca veut dire plus d'adaptation, plus de souplesse dans son application ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca veut dire...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Qu'est-ce qui vous gêne ? C'est le SMIC, c'est les heures supplémentaires ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais écoutez, vous avez lu la loi ? Les cent trente cinq pages de circulaires que l'on va adresser à chaque entreprise ? Mais vous avez vu une petite entreprise de vingt-cinq personnes salariées qui va recevoir cent trente cinq pages pour expliquer comment il faut mettre en place les 35 heures. Tout ceci est ubuesque, vous le savez bien. C'est une dérive administrative et politique, et nous sommes les seuls au monde à avoir cette réglementation qui s'applique à nos entreprises. Et donc, nous ferrons en sorte, puisqu'on la veut en France cette réglementation des 35 heures, qu'elle puisse s'assouplir. Ce sera la révision.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ce qui est quand même paradoxal, c'est qu'au départ vous promettiez quasiment une espèce de catastrophe économique. Vous disiez : ça va casser la reprise, ça va désorganiser les entreprises. Or, cela n'a pas cassé la reprise, la croissance est là avec un rythme soutenu et dynamique. Ca n'a pas cassé les emplois.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, je crois qu'on peut dire que les 35 heures sont un concept beaucoup plus facile à manier dès lors que la croissance internationale nous donne un flot et un flux de croissance de l'ordre de 3%, peut-être un peu plus, cela facilite les choses. Mais vous verrez malheureusement que les 35 heures, par justement le rationnement du travail qu'elles imposent, vont être complètement à contre-courant de cette expansion. Et donc, on verra ces grandes difficultés parce qu'il y a croissance. S'il y avait eu récession, je pense que les 35 heures auraient été un bienfait. Chacun aurait diminué son activité et diminué son horaire. Mais comme maintenant il y a beaucoup de croissance, pour chacun, et on le sait bien, c'est actuellement en fait un paradoxe et quelque chose de très difficile à manier.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous voulez dire que cela aurait permis d'avoir une marge d'amortissement ou de souplesse en cas de fluctuation conjoncturelle.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : On aurait réduit son horaire parce qu'on aurait eu moins à travailler et on se serait fait payer par des subventions pour cela. Ca aurait marché, comme d'ailleurs on le pensait, dans un climat de peu de croissance ou de récession. Maintenant que la croissance, du fait de la croissance mondiale, est très forte, les 35 heures apparaissent comme quelque chose qui est gênant et inutile.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors justement, comment jugez-vous aujourd'hui la conjoncture économique ? Parce qu'on a le sentiment, après une fin d'année 1999 qui a été relativement euphorique en terme d'activité - on a quand même frôlé les 4 %, sans doute peut-être même dépassé les 4 % -, comment vous jugez aujourd'hui les perspectives des entreprises ? Il n'y a pas un tassement, il n'y a pas un ralentissement dans le rythme d'activité ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, moi je dirais que nous sommes optimistes, nous pensons que la conjoncture est porteuse et le restera en l'an 2000 à un niveau supérieur à 3 %. Je ne suis pas capable, à quelques points, de dire combien. Nous pensons que les fondamentaux français sont bons, que l'infrastructure française est bonne, et nous sommes, nous entrepreneurs, extrêmement optimistes et à l'appui de la réussite française. Et nous sommes, pour cette raison d'ailleurs, très hostiles à tout ce qui peut la freiner.
JEAN-MARC SYLVESTRE : L'euro, qui est descendu en-dessous du dollar à 0,97, 0,98, c'est un facteur favorable ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est un facteur favorable...
JEAN-MARC SYLVESTRE :... Pour les industriels ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est un facteur favorable pour les industriels. Ils en profitent en étant plus compétitifs sur les marchés du dollar. Et donc, en fait, nous avons une partie de la croissance française qui est certainement liée au fait que l'euro a un rapport de change qui est devenu, à mon sens, réaliste. Je crois que le franc, ce que l'on appelle 6,50 francs, le dollar à 6,50 francs, c'est à peu près le niveau du dollar actuel et de l'euro, c'est en réalité un niveau de compétitivité retrouvé de l'économie française sur le marché mondial. Je crois que nous en profitons.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca veut dire que tous ceux qui craignaient un euro trop fort avaient tort à l'époque ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, on n'a pas pensé que l'euro serait trop fort, on a pensé que l'euro aurait une valeur...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Si, il y avait quelques hommes politiques, il y avait beaucoup de chefs d'entreprise aussi qui craignaient d'avoir un euro trop fort, calé sur le deutsche mark.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Voilà. Les Allemands, eux, craignaient que le dollar soit moins fort que le deutsche mark. Mais, je dirais qu'en France, on espérait que l'euro ne serait pas aussi fort que le deutsche mark. Je ne suis pas capable de qualifier aujourd'hui si la valeur de l'euro est bonne ou pas bonne, mais ça profite certainement, en effet, à l'économie française.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Sauf que l'euro ne peut pas rester durablement en-dessous de la parité dollar.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pourquoi pas ?
JEAN-MARC SYLVESTRE : La Banque centrale européenne peut s'en inquiéter.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, je ne sais pas si elle s'en inquiétera ou pas...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...A terme, cela peut être générateur de poussées inflationnistes, de tensions inflationnistes.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, si vous voulez il y a en équilibre à trouver dans tout ceci, mais je crois que les marchés en réalité donnent à l'euro une valeur qui est une valeur de compétitivité à peu près juste entre le dollar, le yen et l'euro. Et je ne crois pas que ce soit pour l'instant une cause de préoccupation. La Banque centrale aura, bien entendu, à gérer les tensions inflationnistes en Europe, s'il en vient. Or, comme le vous savez, actuellement...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Cette croissance-là va continuer d'être créatrice d'emplois ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La croissance sera créatrice d'emplois. Elle l'est déjà d'ailleurs assez largement. Vous savez qu'il y a 300 000 emplois à peu près par an créés par la croissance que je compare, d'ailleurs, avec les quelques dizaines de milliers revendiqués par les 35 heures, une proportion entre le cheval et l'alouette, et donc, je crois que nous avons en l'an 2000, du fait de la croissance, de la création d'emplois, probablement aux alentours également de 300 000. Donc, une diminution du chômage et donc, tout ceci est bien orienté. JEAN-MARC SYLVESTRE : Il y a un autre facteur dans l'activité économique qui domine la conjoncture, c'est l'émergence de ce que l'on appelle la nouvelle économie, c'est-à-dire le développement d'un secteur fondé sur la haute technologie, les techniques de communication et l'Internet. Est-ce que vous jugez cette économie comme une économie réelle ou comme une économie virtuelle, susceptible du jour au lendemain de se renverser ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : L'économie de l'Internet est une économie prodigieusement réelle. Elle s'appelle virtuelle parce qu'elle met le consommateur en contact du monde entier à travers la mécanique...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Oui, mais qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, écoutez, tous les mécanismes actuels de la distribution vont être modifiés par le fait que le consommateur, là où il est, c'est-à-dire chez lui, va pouvoir avoir accès au monde entier. Et le consommateur n'est pas forcément le consommateur individuel. C'est ce que l'on appelle également le " B to B ", Business to Business, " l'acheteur-entrepreneur ". Et " l'acheteur-entrepreneur " fait une énorme pression sur les marchés et sur les prix actuellement, déjà par la voie de l'Internet. Donc, transformation de toutes les modalités de distribution, ouverture formidable des concurrences, possibilités et opportunités sans limites pour ceux qui sont bons, problèmes pour ceux qui ne sont pas bons. C'est la raison pour laquelle nous sommes si énergiques à défendre la compétitivité française là où elle peut être handicapée par ceci ou par cela, donc par les 35 heures. Sachez le : sur l'écran, on sera hors jeu si les coûts ne sont pas bons. On ne sera même pas vu, on ne sera même pas lu dans son offre. C'est donc quelque chose de tout à fait...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Et la France est décalée aujourd'hui, elle est en retard ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La France est encore dans la compétitivité mais elle est à la veille de décrocher si on ne fait pas le nécessaire pour la mettre aux mêmes conditions que les autres. Et encore une fois, j'y reviens, quand un gouvernement veut, pour des raisons qui lui sont propres, soumettre l'appareil de production à des tensions de réglementations ou à des taxations qui ne sont pas à l'image de ce qui entoure la France, la France sortira des écrans. Les offres françaises sortiront des écrans. Et vous verrez, hélas, d'ici quelques années parce que le phénomène n'est pas immédiat, la compétitivité française remise en question. Tout notre combat, à nous MEDEF, est un combat pour la compétition française, donc pour l'emploi, donc pour les salariés. Il faut comprendre cela...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Oui, alors, Ernest-Antoine Seillière, l'un des moteurs de cette nouvelle économie, notamment aux Etats-Unis, c'est l'intéressement des salariés à la valorisation des entreprises, c'est-à-dire au capital. Soit sous forme de stock-options, on en a beaucoup parlé, soit sous forme d'épargne salariée. On n'a pas le sentiment que le MEDEF, le mouvement patronal français, soit très vaillant dans ce domaine, dans ce secteur.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, je ne sais pas comment on mesure la vaillance...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Non mais, vous n'avez pas une force de proposition...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Excusez-moi, nous avons une force de proposition dans ce domaine et nous avons des propositions que nous rendrons d'ailleurs publiques dans quinze jours, et nous avons vu, avec satisfaction d'ailleurs, le gouvernement se mettre sur cette piste. Car il semble bien que le gouvernement reconnaisse qu'une des manières que l'on a aujourd'hui de rendre de la motivation dans les entreprises, est de rendre les salariés actionnaires. C'est l'actionnariat des salariés. Nous sommes bien entendu totalement en faveur de cette évolution et nous l'appuierons de toutes nos forces. Mais pour une fois, permettez-moi de vous le dire, que le gouvernement est sur la bonne piste, laissons lui en profiter.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Y compris lorsqu'il imagine utiliser la participation des salariés au capital comme un moyen de contrôle ou un contre-pouvoir au niveau des directions d'entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, je crois là aussi, si vous voulez, qu'il ne faut pas trop typifier les choses...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...C'est dans le rapport Sapin. Je pense notamment...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Oui, mais il y a de nombreuses entreprises qui ont des administrateurs salariés et qui vivent parfaitement cette réalité. Je dirais que moi je pense que nous aurons des tendances à aller dans cette direction. Il n'y a pas de crispation là dessus. Mais vouloir, là aussi, faire intervenir la loi, le règlement, encore lui, avant que l'évolution n'ait pu se faire, pour forcer les choses, pour des raisons politiques, ne nous paraît pas la bonne façon de faire. Laissons la réalité se mettre en place et vous verrez que s'il y a de l'actionnariat salarié, il y aura bien entendu une intervention plus forte des salariés dans la gestion des entreprises. C'est inévitable.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ca veut dire que le marché a toujours raison ? Ca veut dire que vous ne reconnaissez pas au gouvernement le droit de mettre en place des règles du jeu ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous reconnaissons bien entendu tous les droits au gouvernement car nous sommes de bons citoyens. Mais nous disons qu'il y a ...
JEAN-MARC SYLVESTRE :... J'ai vu que cet après-midi vous aviez brocardé une fois de plus le projet de loi de réglementation ou de régulation.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, parce qu'il y a une démocratie sociale que nous essayons de mettre en place et qui occupe l'espace social que les partenaires sociaux, les syndicats et les entrepreneurs veulent occuper, sans sans cesse être harcelés par la réglementation, par la loi. Et donc ça, c'est une chose tout à fait claire, c'est la refondataion sociale dans laquelle nous nous sommes avancés. Et nous serons bien entendu très énergiques pour dire au gouvernement, au législateur : s'il vous plaît, vous avez beaucoup de sujets, la sécurité, l'école, les problèmes internationaux, qui sont les vôtres, laissez l'entreprise vivre un peu seule, sans vous en préoccuper chaque jour, comme on le fait ailleurs.
JEAN-MARC SYLVESTRE : C'est-à-dire que l'Etat doit se replier sur ses fonctions régaliennes, c'est ça ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais oui, c'est tout à fait clair. Il faut que l'Etat cesse d'intervenir à tout propos dans le domaine social et économique. C'est une réalité que nous défendons parce que nous la savons efficace pour la réussite des entreprises. Et donc, nous appelons en effet le gouvernement à plus de retenue. Mais, il est toujours, comme vous le savez, très tenté par la régulation ou par la réglementation.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors, vous avez pris l'initiative, donc, justement, de lancer ce projet de refondation sociale. Vous avez consulté tous les syndicats. Vous en êtes où, là aujourd'hui, avec quel calendrier ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors nous avons eu, si vous voulez, la satisfaction de voir, après notre Assemblée générale qui nous a mandaté pour entrer en relation avec les syndicats afin de définir les voies et les moyens d'une véritable rénovation, refondation sociale, de demander aux syndicats s'ils seraient intéressés à nous rencontrer. Le 3 février, ils sont tous venus. Nous avons eu cinq heures de négociations qui ont été à la fois, je dirai, fermes mais parfaitement positives. Et nous sommes sortis avec une liste de sujets sur lesquels nous rentrerons en négociation, une méthode et un calendrier.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Justement. Quand on regarde dans votre liste de sujets, il y a la négociation collective, il y a l'assurance chômage, il y a les risques au travail, les régimes de retraites complémentaires. Il n'y a pas l'assurance maladie ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si, si, bien entendu.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Mais pas pour dans l'immédiat. C'est pour plus tard ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si vous voulez, nous avons défini une priorité, si vous voulez. Nous avons défini quatre sujets sur lesquels il fallait aller vite.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Les sujets les moins difficiles quand même ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non. Des sujets comme l'assurance chômage, l'insertion des jeunes, la formation professionnelle sont des grands sujets, la santé au travail est un grand sujet également très important, la retraite complémentaire. Non mais simplement, si vous voulez, l'assurance maladie viendra plutôt au deuxième semestre mais on commencera à travailler sur la première partie de l'année. Tous les grands sujets sont ouverts aujourd'hui à discussion entre partenaires sociaux pour les améliorer, c'est-à-dire une meilleure relation sociale, une meilleure protection sociale, plus large, plus efficace et bien entendu, si possible, moins coûteuse.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Mais est-ce qu'il n'y a pas une contraction, relevée d'ailleurs par un certain nombre d'observateurs, dans votre démarche ? Vous qui êtes un avocat convaincu du libéralisme, de la nécessité d'être pragmatique, de traiter les choses entreprise par entreprise, secteur par secteur, avec cette démarche qui consiste à organiser finalement une grand-messe ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ce n'est pas une grand-messe...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... On se croirait revenir comme au temps de Grenelle, presque. Réunion entre le patronat et les syndicats. François Ceyrac, André Bergeron ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : On peut toujours faire des allusions au passé et essayer de...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Non mais c'est un peu ça quand même ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non s'il vous plaît, pas de scepticisme. Nous avons réussi à intéresser l'ensemble de nos partenaires sociaux à une rénovation du système social français dans lequel, il faut que vous le sachiez, nous ne voulons plus nous maintenir avec les fausses responsabilités qui sont nôtres et les faux accords qu'on nous fait signer, accords qui sont entièrement dans d'autres mains que les nôtres. Donc nous avons dit tout à fait clairement : ou bien nous rénovons tout cela par un dialogue avec les partenaires sociaux près du réel, ou bien nous n'en serons pas. Et nous avons, comme vous le savez, été mandatés pour quitter l'ensemble de ce qu'on appelle le paritarisme à la fin de l'année. Donc la décision est prise, à la fin de l'année nous n'en serons plus. Et nous avons un an pour rénover. Et tout le monde est d'accord pour le faire. Alors s'il vous plaît pas trop de scepticisme. C'est une condition à mon avis excellente. Il y a longtemps que, dans la démocratie française, l'on n'avait pas vu les partenaires sociaux, comme on dit, prêts à travailler ensemble. S'il vous plaît, laissez-nous faire !
JEAN-MARC SYLVESTRE : Avec l'arrière-pensée ou avec la tentation ou avec la satisfaction d'essayer de mettre le gouvernement en dehors de tout ça.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, ce n'est pas du tout une satisfaction, c'est une nécessité...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Une petite vengeance politique, il y a une vengeance politique...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... Allons ! Nous ne faisons pas de politique, nous ne sommes pas partisans. Nous avons, et il faut que vous le sachiez, en vue simplement l'efficacité française dans la compétition mondiale qui vient, qui déferle. Euro, Internet, ce sont des données énormes, immenses, dont on verra les conséquences très très vastes dans l'économie. Nous devons, nous les entrepreneurs, prendre l'initiative de faire face à tout cela. Et c'est ce que nous faisons actuellement.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Quelle leçon vous avez tirée, avec le recul, de votre combat quotidien avec Martine Aubry, avec le gouvernement ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, quand on a une idée, il faut s'y tenir, quand elle est proche du réel et qu'elle est vraie sur le plan économique et social. Nous ne faisons pas de politique. Nous sommes peut-être en effet battus par le législateur, mais nous avons au moins la satisfaction d'être toujours en conformité avec ce que nous croyons être efficace sur le plan du réel économique et social.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Ernest-Antoine Seillière, merci beaucoup.
(source http://www.medef.fr, le 17 février 2000)