Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Après 10 ans de rapports, de commissions et d'hésitations, j'ai l'honneur de présenter devant le Sénat la première réforme globale de notre système de retraite depuis l'après-guerre.
C'était un engagement du Président de la République souscrit avec les Français. Nous le mettons en uvre. A l'occasion de sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002, le Premier ministre a fixé le calendrier de cette réforme. Nous l'avons scrupuleusement respecté.
Le premier temps fut celui du dialogue social.
Durant près de quatre mois, du début février à la mi-mai, j'ai - avec Jean-Paul Delevoye - écouté, dialogué et négocié, avec l'ensemble des partenaires sociaux, sur tous les aspects de la réforme.
Cette longue phase de concertation a porté ses fruits :
- Elle a offert à toutes les organisations syndicales l'occasion d'apporter des contributions utiles à notre réflexion et à la rédaction de notre projet.
- Elle a permis de trouver un accord le 15 mai 2003.
Dans cette négociation, j'ai la certitude d'être allé au bout des limites de ce qu'autorise l'intérêt général. Nous avons bâti un projet équilibré.
Ce projet traverse les pratiques culturelles, économiques et sociales de notre pays. Il révèle à la fois les nuds de la France et les défis qu'elle doit surmonter. Il est un miroir au travers duquel se reflète :
- Le vieillissement de notre société
- La perception de la notion de travail
- L'esprit de justice et d'équité
- La nécessaire conciliation entre le collectif et l'individuel
C'est autour de ces quatre thèmes que je me propose d'engager le débat avec vous.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La France va bientôt vivre une révolution unique dans son histoire : celle du vieillissement.
Tout va basculer dans moins de trois ans. Entre 2006 et 2010, la France subira les effets d'un ciseau démographique sans précédent avec le départ massif à la retraite de la génération du baby boom.
Nous ne serons alors qu'au prologue.
A partir de 2010, le vieillissement est appelé à s'accélérer du fait principalement de l'allongement de la vie. La proportion des plus de 60 ans par rapport aux 20-59 ans en âge d'activité sera de 54 % alors qu'elle était de 39 % en 2000.
A cela s'ajoute une fécondité insuffisante provoquant cette fois-ci un vieillissement de la population par le bas. Du coup, le poids des plus de 45 ans s'accroît aux dépens des générations plus jeunes d'actifs.
Ces mutations démographiques, il est de notre devoir d'en mesurer les implications.
Nous les abordons aujourd'hui à travers ce projet. Mais le vieillissement va bouleverser la société française dans toutes ses dimensions et nous obligera à changer nos façons d'envisager l'avenir et de travailler, de gérer les temps de la vie, de percevoir l'identité et le rôle de chaque âge, de concevoir les rapports entre les générations...
Ces données, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, il nous faut les garder à l'esprit.
Pour autant, l'avenir de nos régimes de retraite ne saurait être décidé ici et maintenant une bonne fois pour toutes. Au cours des vingt prochaines années, les effets du basculement démographique devront être constatés et accompagnés.
C'est pourquoi nous avons décidé de placer au cur de notre projet la progressivité et le pilotage. Ce sont là les principes d'une réforme en continu, avec des rendez-vous réguliers.
Mesdames et messieurs les Sénateurs, ce basculement démographique soulève un enjeu politique : faut-il répondre collectivement ou individuellement au défi du vieillissement ?
C'est le débat entre répartition et capitalisation.
Ce débat, le gouvernement l'a tranché.
Notre projet de loi n'a qu'un seul but : assurer la viabilité et la pérennité de la répartition.
Ce choix est politique.
Nous choisissons la répartition parce que son principe est l'un de nos consensus.
Nous choisissons la répartition, parce qu'elle épouse la cause de la République !
Mais ce choix de la répartition est exigeant. Il impose de définir l'intérêt général. Il suppose de rester ferme face aux requêtes des intérêts particuliers.
Mesdames et messieurs les Sénateurs,
Avec la révolution du vieillissement, l'autre grande question soulevée par cette réforme est la relation des Français avec la notion même de travail.
Le débat sur l'avenir de nos retraites est d'abord un débat sur la place du travail en France. Les crispations autour de l'allongement de la durée de cotisation le montrent.
Nous privilégions effectivement l'augmentation du taux d'activité et donc de la durée de cotisation, pour combler le déficit de nos régimes par répartition à l'horizon 2020.
Demander à tous de travailler un peu plus, pour leur assurer un haut niveau
de retraite sans accroître la pression fiscale qui est déjà l'une des plus élevées d'Europe : c'est là, la clef de voûte de notre projet.
Ce que nous proposons, c'est un effort collectif par le travail pour sauver le cur du pacte social : la solidarité entre les générations.
Vous le savez, l'âge moyen de cessation d'activité des salariés est, en France l'un des plus faibles de tous les pays industrialisés : nous sommes au 23e rang des 29 pays de l'OCDE. Nous cumulons le triste record du taux d'activité des seniors le plus bas et celui du plus fort chômage des jeunes, preuve s'il en est qu'un départ à la retraite ne libère nullement la place pour un jeune. Tel est le résultat des politiques malthusiennes qu'il s'agit de renverser.
Ce renversement suppose une redéfinition sociale de l'âge de travailler. Si le choc démographique la rend indispensable, il la facilite aussi.
Il la rend indispensable parce que nous arrivons à une époque ou le nombre de sexagénaires va dépasser celui des jeunes de moins de vingt ans. Nous avons d'ores et déjà les étudiants les plus âgés et les retraités les plus jeunes des pays comparables au nôtre. La France est seule à être arrivée à cette situation incroyable où une seule génération - parmi des familles qui en comptent trois ou quatre - travaille !
La conclusion s'impose : sans augmenter le taux d'activité des Français, il n'y aura bientôt plus suffisamment d'actifs, non seulement pour payer les retraites, mais pour assurer ne serait-ce que le développement économique du pays !
Mais l'allongement de l'espérance de vie est l'autre grande donnée du choc démographique. Depuis les années 1930, l'espérance de vie a augmenté de 18 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes. A 60 ans nous ne serons bientôt qu'aux deux tiers de notre existence.
C'est cette donnée qui permet raisonnablement de tabler sur l'augmentation du taux d'activité qui nous fait tant défaut. Pourtant, elle n'a jamais été prise en compte dans le financement des retraites.
C'est précisément ce que nous nous proposons de faire.
Jusque-là, l'augmentation de l'espérance de vie après 60 ans ne bénéficiait qu'à la retraite. Il semble normal qu'elle se traduise désormais par une augmentation proportionnelle de la vie active et de la retraite, ce d'autant plus que la vie active est déjà réduite par le recul constant de l'âge de fin d'études.
Pour y parvenir, le projet de loi qui vous est soumis repose sur un mécanisme simple : maintenir inchangé à l'horizon 2020 le partage actuel entre vie active et retraite. Le temps de la retraite continuera à augmenter et à bénéficier des gains d'espérance de vie. C'est une bonne chose. Mais le temps de vie active pour financer les retraites devra augmenter aussi.
Cet allongement de la durée d'activité et d'assurance pour toucher une retraite à taux plein, en fonction de l'espérance de vie, est la meilleure garantie, la plus juste et la plus sûre, pour assurer un haut niveau de retraite sans reporter sur les actifs de demain une charge écrasante.
La durée d'assurance doit d'abord être la même pour tous : ce préalable est une nécessité au regard de l'équité.
Une fois l'étape des 40 ans atteinte en 2008 dans les régimes de la fonction publique, la durée de cotisation augmentera très progressivement pour tout le monde de la même manière. La stabilisation du rapport entre temps de travail et temps de retraite nous conduira à une durée de cotisation de 41 ans en 2012.
Cette évolution, je n'ai pas voulu qu'elle soit automatique. Une Commission de garantie des retraites, spécialement constituée à cet effet, se réunira périodiquement, d'abord en 2008 puis en 2012, pour faire des propositions à partir de l'observation des données.
Ces rendez-vous permettront un pilotage dans la durée de notre système de retraites.
L'augmentation programmée de cette durée serait en effet impraticable, si aucun progrès n'était constaté quant à l'âge réel de cessation d'activité des Français. C'est pour cette raison que nous ne proposons pas d'augmenter dès 2004 la durée de cotisation dans le secteur privé. C'est également la raison pour laquelle nous avons fixé un objectif réaliste tendant à faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de 57,5 ans aujourd'hui à 59 ans en 2008.
La France a cinq ans pour préparer ce premier rendez-vous.
Réussir suppose un profond changement pour limiter la tendance au départ précoce des actifs qui caractérise notre marché du travail.
Pour y parvenir, il est d'abord indispensable de recentrer nos dispositifs de préretraite. Nous ne pouvons plus nous permettre d'encourager le départ anticipé des salariés âgés, comme l'ont fait la plupart des pays européens depuis quinze ans.
Certes les préretraites ne peuvent êtres supprimées du jour au lendemain. Mais il faut en limiter rapidement la portée aux métiers les plus pénibles justifiant un départ anticipé et les réserver aux plans sociaux lorsque la survie de l'entreprise est en jeu.
Au-delà des préretraites, le défi est d'inciter le monde du travail à réinvestir l'emploi, la carrière et la formation des salariés âgés.
Pour ce faire, il est indispensable de changer le regard des entreprises sur les salariés de plus de 55 ans, mais aussi de changer le regard qu'ils portent sur eux-mêmes.
Notre projet de loi propose ainsi une série de dispositions afin de repenser la place des seniors dans l'entreprise, de leur trouver des activités complémentaires ou encore de miser sur la transmission des savoirs et des métiers.
Dans cet esprit, nous souhaitons :
- Assouplir le dispositif de la retraite progressive qui demeure une exception. Ainsi la liquidation de la pension aura un caractère provisoire afin que l'assuré puisse améliorer ses droits par la poursuite d'une activité à temps partiel. De même, le bénéfice de la retraite progressive sera largement ouvert aux assurés ne bénéficiant pas encore du taux plein.
- Repousser de 60 à 65 ans, l'âge auquel un employeur peut mettre d'office un salarié à la retraite, s'il remplit les conditions pour bénéficier du taux plein.
- Revoir les règles de cumul d'un emploi et d'une retraite qui sont aujourd'hui prohibitives. En quoi devrions nous empêcher un retraité qui le souhaite de reprendre une activité lui procurant ainsi quelques revenus supplémentaires ?
Ces premières mesures ne sauraient suffire. Il faudra aller plus loin en repensant, notamment, notre système de formation continue. Celle-ci a un rôle essentiel à jouer pour permettre l'essor du travail des seniors.
La formation tout au long de la vie doit permettre aux salariés de valoriser leur expérience, de changer de métier ou de poste après 50 ans et au-delà de rendre à chacun plus de confiance en soi face aux mutations de l'économie.
J'ai fortement incité les partenaires sociaux à engager une négociation sur le sujet. Leurs travaux doivent avancer. Certes, de nombreuses difficultés restent en suspens, mais je souhaite vous présenter un projet de loi sur la formation dès cet automne.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Tout au long de ces dernières semaines, j'ai entendu ceux qui rejettent notre projet nous opposer la question du chômage.
Lorsque nous disons aux Français qu'ils doivent travailler plus, on nous objecte les licenciements. Et d'avancer de soi-disant contre-propositions et prétendues alternatives ayant toutes pour point commun d'esquiver le rallongement de la durée de cotisation : ici on réclame un renforcement de la pression fiscale sur les entreprises ou sur les ménages, là une ponction sur les revenus financiers.
Ceux qui pensent pouvoir sauver notre pacte social en handicapant notre économie et en stigmatisant les entrepreneurs font fausse route. Les exonérations de cotisations patronales sont indispensables à l'allégement du coût de l'emploi, notamment pour l'emploi peu qualifié.
Ceux qui pensent pouvoir préserver notre modèle social en augmentant les impôts et autres cotisations pesant sur les foyers se trompent. Les conséquences sur le pouvoir d'achat des ménages seraient désastreuses pour la consommation, pour la relance et pour l'emploi.
Ceux qui pensent sécuriser la répartition en réclamant d'asseoir le financement des retraites sur les flux financiers et les bénéfices des entreprises se fourvoient. Ils ne font que le lit de la capitalisation qu'ils exècrent par ailleurs.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, l'équation à réaliser nous la connaissons : la diminution du chômage à long terme est indispensable à la sauvegarde de notre système de retraite par répartition. La démographie devrait nous y aider car elle modifiera les paramètres et les besoins du marché de l'emploi.
Dans cet esprit, notre projet fait l'hypothèse d'une diminution progressive du taux de chômage à l'horizon 2020. Dans son scénario central, le COR a retenu un chiffre de 4,5 % en 2020 contre 9 % aujourd'hui. Nous avons basé le financement de notre réforme sur un objectif de 5% à 6 %, toujours à l'horizon 2020.
C'est cette hypothèse qui nous permet de rester cohérents avec la volonté de réduire, ou tout au moins de stabiliser le niveau des prélèvements obligatoires tout en assurant le financement des retraites.
Je constate au passage que ceux qui contestent cette hypothèse se gardent bien de préciser quel niveau de chômage ils retiennent pour 2020 dans ses contre-propositions. Et pour cause !
Si le niveau de chômage retenu est plus important que le nôtre, alors que ceux-là mêmes veuillent bien nous expliquer comment ils se proposent de financer les retraites sans une hausse inavouable des prélèvements ou sans un plongeon tout aussi inavouable du niveau des pensions.
Il va bien falloir se résoudre à accepter la réalité : il n'y a pas de " trésor caché " ni d'échappatoire pour sécuriser l'avenir des retraites.
Si nous disons qu'il n'y a pas de vraie alternative à cette réforme, ce n'est ni par arrière pensée tactique, ni par arrogance. C'est qu'il est objectivement difficile de concevoir un plan dont l'architecture soit radicalement différente.
On sait que le besoin de financement des régimes de base du privé et du public est chiffré par le COR à 43 milliards d'euros en 2020.
Les mesures d'allongement de la durée d'assurance et l'indexation des pensions sur les prix que nous proposons ainsi que la hausse des cotisations en 2006 permettent de dégager 21 milliards d'euros, soit plus de 46 % du besoin de financement en 2020.
Mais les mesures de justice sociale et d'équité que nous nous proposons d'introduire par la réforme - et sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants - ont naturellement un coût. Nous l'évaluons à 2,7 milliards d'euros par an en 2020.
L'impact net de la réforme devrait donc s'établir à plus de 18 milliards d'euros, ce qui représente plus de 42 % du déficit prévu à l'horizon 2020.
Le choix étant fait de ne pas baisser le montant des pensions, nous proposons de financer le solde, qui représente les deux tiers du déficit prévu pour le régime général, par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites, et donc par une augmentation des cotisations vieillesse.
Dire que nous faisons de la durée d'assurance le seul paramètre d'équilibre est donc tout simplement faux.
Faux puisque les mesures de justice sociale que nous introduisons seront financées par une hausse des cotisations vieillesse de 0,2 % en 2006.
Faux puisque nous proposons d'assurer l'équilibre du régime général par une augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008, et jusqu'en 2020, de l'ordre de 3 points. Cela représente un peu moins de 10 milliards d'euros par an.
Simplement, nous voulons assurer l'équilibre de la répartition à prélèvements obligatoires constants pour ne pas handicaper la lutte pour l'emploi. Voilà pourquoi, nous avons prévu de " gager " l'augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008 par la diminution escomptée des cotisations d'assurance chômage.
En effet, avec un taux de chômage à 5 % en 2020, les recettes disponibles sont évaluées à plus de 15 milliards d'euros, ce qui est largement supérieur aux 10 milliards nécessaires.
Enfin, pour être complet, les régimes de la fonction publique seront équilibrés par des prélèvements supplémentaires.
Au regard de ces conditions, la réforme permet d'assurer l'intégralité des déficits de nos régimes de retraite, tels qu'ils sont aujourd'hui prévus pour 2020.
Elle est donc financée à 100 %.
Notre objectif était de consolider la répartition pour les deux prochaines décennies et de mettre en place les outils nécessaires au pilotage de son évolution.
Cet objectif est atteint.
Mesdames et messieurs les Sénateurs,
La question des retraites a mis en lumière quelques injustices profondes.
Derrière les grands mots de " solidarité " et d'"égalité ", il y a des réalités moins brillantes avec lesquelles le conservatisme s'arrange toujours !
Quelles sont ces injustices les plus flagrantes ?
La première d'entre elles concerne l'inégalité qui caractérise la durée de cotisation entre le public et le privé. Cette distinction ne repose sur aucune justification. Ni la moyenne des salaires, ni celle des conditions de travail, n'autorise une telle disparité de traitement entre les Français.
Nul ne pourrait comprendre que la fonction publique, fer de lance de la République, soit exonérée de l'effort demandé à tous pour la survie de notre système de retraite. C'est tout le sens du rendez-vous de l'équité en 2008.
Grâce à cet effort collectif, nous ferons avancer la justice sociale :
Justice pour les salariés ayant toujours travaillé au SMIC. Leur retraite s'élèvera, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC net en 2008, contre, je le rappelle, 81 % aujourd'hui.
Justice pour ceux de nos compatriotes qui travaillent depuis l'âge de 14, 15 et 16 ans et qui malgré tout doivent attendre l'âge de soixante ans pour partir à la retraite. Le projet de loi leur ouvre le droit de partir en retraite à taux plein entre 56 et 59 ans. C'est une avancée sociale considérable et unique en Europe.
Justice pour ceux qui exercent un métier dont la pénibilité mériterait d'être prise en compte. L'Assemblée nationale a inscrit dans le texte l'engagement pris par les partenaires sociaux de définir, dans les trois ans à venir, les contours de cette notion. Considérant la nature variable suivant les époques, les métiers et les technologies, la pénibilité du travail ne pouvait faire l'objet d'une définition législative uniforme et intangible.
Justice également pour les fonctionnaires qui voient une partie de leurs primes alimentées un nouveau régime de retraite.
Justice pour les familles avec le maintien des avantages familiaux, notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés. Des dispositions favorables pour les parents d'enfants gravement handicapés ont été également adoptées par l'Assemblée nationale en première lecture. Ils bénéficieront d'une majoration de leur durée d'assurance.
Justice enfin pour les retraités dont le pouvoir d'achat sera garanti à travers l'indexation sur les prix.
Toutes ces avancées démontrent que c'est bien la réforme par l'effort collectif et partagé qui permet de dégager les marges de manuvre qui font progresser la justice sociale.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Une autre question a surgi au cours du débat de ces derniers mois : malgré l'attachement à l'" unicité " de notre système de retraite, un désir de liberté s'est fait jour. Les Français sont attachés aux règles communes, mais n'en sont pas moins soucieux d'exprimer leurs choix individuels pour préparer leur retraite.
C'est en ce sens que notre réforme fixe un cadre commun sécurisé et mise, dans le même temps, sur la liberté et la responsabilité.
Je le sais, pour certains, liberté et responsabilité individuelles sont ennemies de l'égalité et de la solidarité. C'est à cette conflictualité que l'on doit l'étouffement du modèle français. Pour nous, ces principes ne s'opposent pas, ils s'enrichissent mutuellement !
Notre réforme avance ainsi une série de mesures qui évoquent l'idée d'une " retraite à la carte ", une " carte " cependant encadrée, car il ne s'agit pas d'échapper aux principes généraux de la solidarité et de la répartition. Dans cet esprit, un repère et un pivot demeurent : je veux parler du droit de liquider sa retraite à 60 ans.
Ce droit est confirmé.
Mais il n'y a jamais eu, vous le savez, un droit de liquider sa retraite à 60 ans à taux plein, quelle que soit la durée d'assurance. Ce droit est aujourd'hui donné à 65 ans. Il le sera demain : rien ne change donc en la matière !
En revanche, ce qui va changer ce sont les modalités qui entoureront le choix du départ, modalités autour desquelles s'exercera la responsabilité de chacun :
- Pour les salariés qui souhaitent partir à 60 ans alors même qu'ils ne disposent pas de la durée d'assurance nécessaire, nous allégeons le taux de " décote ". Aujourd'hui de 10 % par année manquante, nous comptons atteindre, progressivement, 5 % par année manquante qu'il s'agisse d'un salarié du privé ou d'un agent du public.
- Pour ceux qui, au contraire, souhaitent continuer à travailler au-delà de 60 ans et de la durée d'assurance requise, est instauré un mécanisme de " surcote ", dont le taux sera de 3 % par an.
Avec l'assouplissement des mécanismes de retraite progressive et l'élargissement dans la fonction publique de la cessation progressive d'activité, nous ouvrons un espace pour tous ceux qui souhaitent passer de manière moins brutale du " tout travail " au " tout retraite. "
La retraite ne sera ainsi plus le couperet de naguère.
La souplesse consiste également à ouvrir le droit au rachat de trimestres, dans des conditions financièrement neutres pour les régimes. Ce rachat sera possible pour les années d'études dans la limite de douze trimestres, soit trois ans.
L'accès de tous à des outils d'épargne retraite peut élargir l'éventail des possibilités offertes aux Français. Ils s'ajouteront à la répartition mais ne se substitueront pas à elle. J'entends dire, ici et là, que cette disposition ferait le lit de la capitalisation... Je ne vois pas en quoi la Préfon a fait le lit de la capitalisation dans la fonction publique. Je ne vois pas alors pourquoi ce droit réservé aux fonctionnaires deviendrait condamnable dès lors qu'il franchit le seuil de nos administrations !
Tout salarié du secteur privé bénéficiera d'une incitation fiscale lui permettant de disposer d'une rente à l'âge de la retraite. Le projet de loi simplifie la galaxie des différents dispositifs existants. Il les sécurise. Il crée le Plan d' Epargne Individuel pour la Retraite (le PEIR) dont les modalités ont été précisées à l'Assemblée nationale. Il allonge la durée du " plan partenarial d'épargne salariale volontaire ", créé par la loi Fabius de 2001, afin de permettre aux salariés de disposer d'une véritable épargne en vue de la retraite, en rente ou en capital.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Autour de cette réforme, les crispations étaient inéluctables. Mais, au risque de vous surprendre, je considère qu'elles n'ont pas été inutiles dans le franchissement d'une étape collective ; une étape mise au service d'une prise de conscience sur les défis que nous devons surmonter pour répondre aux défis du XXIème siècle.
Notre modèle social doit être courageusement réformé. L'avenir de ce modèle n'est pas dans le statu quo et le chacun pour soi. Nous devons, tous ensemble, nous retrousser les manches.
On ne peut avoir le système de retraite le plus généreux d'Europe, la meilleure santé du monde, l'École et l'Université gratuite pour tous, sans donner le meilleur de nous-même. Donner le meilleur de soi-même, c'est travailler plus et mieux. C'est avoir conscience que nous sommes, chacun d'entre-nous, les maillons d'une chaîne de solidarité et de progrès. Dans le monde ouvert et compétitif qui nous environne, notre prospérité économique et sociale n'est pas une donnée intangible. Elle est un combat dont l'issue relève du courage, de la formation et de la responsabilité de chacun.
Cette réforme n'est pas inspirée par des considérations dogmatiques.
Beaucoup ont contribué à en préparer le terrain : qu'il s'agisse du Livre Blanc de Michel Rocard, de l'évolution progressive de la réforme Balladur, des orientations du COR voulu par Lionel Jospin et du Fonds de Réserve des Retraites décidé par lui.
Cette réforme peut nous rassembler car elle est juste, équitable et marquée par de véritables avancées sociales. Elle est progressive, rythmée par des rendez-vous dont cette majorité et les suivantes feront un usage responsable.
Enfin et surtout, ce projet peut nous rassembler car il s'inscrit dans un choix de société qui nous unit : celui de la solidarité et de la répartition. Ce choix dicte aujourd'hui notre devoir : celui de réformer.
Je sais que le Sénat a beaucoup travaillé, et ce depuis longtemps, sur la difficile question des retraites. Je sais qu'il est prêt à accompagner ce discours de réforme ; je sais qu'il l'attend. Les amendements présentés par sa majorité auront à cur, j'en ai la conviction, de préciser le texte adopté par l'Assemblée nationale, sans en remettre en cause l'économie générale.
Il nous revient, maintenant et ensemble, d'ouvrir le débat et de prendre nos responsabilités face à l'avenir.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 08 juillet 2003)
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Après 10 ans de rapports, de commissions et d'hésitations, j'ai l'honneur de présenter devant le Sénat la première réforme globale de notre système de retraite depuis l'après-guerre.
C'était un engagement du Président de la République souscrit avec les Français. Nous le mettons en uvre. A l'occasion de sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002, le Premier ministre a fixé le calendrier de cette réforme. Nous l'avons scrupuleusement respecté.
Le premier temps fut celui du dialogue social.
Durant près de quatre mois, du début février à la mi-mai, j'ai - avec Jean-Paul Delevoye - écouté, dialogué et négocié, avec l'ensemble des partenaires sociaux, sur tous les aspects de la réforme.
Cette longue phase de concertation a porté ses fruits :
- Elle a offert à toutes les organisations syndicales l'occasion d'apporter des contributions utiles à notre réflexion et à la rédaction de notre projet.
- Elle a permis de trouver un accord le 15 mai 2003.
Dans cette négociation, j'ai la certitude d'être allé au bout des limites de ce qu'autorise l'intérêt général. Nous avons bâti un projet équilibré.
Ce projet traverse les pratiques culturelles, économiques et sociales de notre pays. Il révèle à la fois les nuds de la France et les défis qu'elle doit surmonter. Il est un miroir au travers duquel se reflète :
- Le vieillissement de notre société
- La perception de la notion de travail
- L'esprit de justice et d'équité
- La nécessaire conciliation entre le collectif et l'individuel
C'est autour de ces quatre thèmes que je me propose d'engager le débat avec vous.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La France va bientôt vivre une révolution unique dans son histoire : celle du vieillissement.
Tout va basculer dans moins de trois ans. Entre 2006 et 2010, la France subira les effets d'un ciseau démographique sans précédent avec le départ massif à la retraite de la génération du baby boom.
Nous ne serons alors qu'au prologue.
A partir de 2010, le vieillissement est appelé à s'accélérer du fait principalement de l'allongement de la vie. La proportion des plus de 60 ans par rapport aux 20-59 ans en âge d'activité sera de 54 % alors qu'elle était de 39 % en 2000.
A cela s'ajoute une fécondité insuffisante provoquant cette fois-ci un vieillissement de la population par le bas. Du coup, le poids des plus de 45 ans s'accroît aux dépens des générations plus jeunes d'actifs.
Ces mutations démographiques, il est de notre devoir d'en mesurer les implications.
Nous les abordons aujourd'hui à travers ce projet. Mais le vieillissement va bouleverser la société française dans toutes ses dimensions et nous obligera à changer nos façons d'envisager l'avenir et de travailler, de gérer les temps de la vie, de percevoir l'identité et le rôle de chaque âge, de concevoir les rapports entre les générations...
Ces données, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, il nous faut les garder à l'esprit.
Pour autant, l'avenir de nos régimes de retraite ne saurait être décidé ici et maintenant une bonne fois pour toutes. Au cours des vingt prochaines années, les effets du basculement démographique devront être constatés et accompagnés.
C'est pourquoi nous avons décidé de placer au cur de notre projet la progressivité et le pilotage. Ce sont là les principes d'une réforme en continu, avec des rendez-vous réguliers.
Mesdames et messieurs les Sénateurs, ce basculement démographique soulève un enjeu politique : faut-il répondre collectivement ou individuellement au défi du vieillissement ?
C'est le débat entre répartition et capitalisation.
Ce débat, le gouvernement l'a tranché.
Notre projet de loi n'a qu'un seul but : assurer la viabilité et la pérennité de la répartition.
Ce choix est politique.
Nous choisissons la répartition parce que son principe est l'un de nos consensus.
Nous choisissons la répartition, parce qu'elle épouse la cause de la République !
Mais ce choix de la répartition est exigeant. Il impose de définir l'intérêt général. Il suppose de rester ferme face aux requêtes des intérêts particuliers.
Mesdames et messieurs les Sénateurs,
Avec la révolution du vieillissement, l'autre grande question soulevée par cette réforme est la relation des Français avec la notion même de travail.
Le débat sur l'avenir de nos retraites est d'abord un débat sur la place du travail en France. Les crispations autour de l'allongement de la durée de cotisation le montrent.
Nous privilégions effectivement l'augmentation du taux d'activité et donc de la durée de cotisation, pour combler le déficit de nos régimes par répartition à l'horizon 2020.
Demander à tous de travailler un peu plus, pour leur assurer un haut niveau
de retraite sans accroître la pression fiscale qui est déjà l'une des plus élevées d'Europe : c'est là, la clef de voûte de notre projet.
Ce que nous proposons, c'est un effort collectif par le travail pour sauver le cur du pacte social : la solidarité entre les générations.
Vous le savez, l'âge moyen de cessation d'activité des salariés est, en France l'un des plus faibles de tous les pays industrialisés : nous sommes au 23e rang des 29 pays de l'OCDE. Nous cumulons le triste record du taux d'activité des seniors le plus bas et celui du plus fort chômage des jeunes, preuve s'il en est qu'un départ à la retraite ne libère nullement la place pour un jeune. Tel est le résultat des politiques malthusiennes qu'il s'agit de renverser.
Ce renversement suppose une redéfinition sociale de l'âge de travailler. Si le choc démographique la rend indispensable, il la facilite aussi.
Il la rend indispensable parce que nous arrivons à une époque ou le nombre de sexagénaires va dépasser celui des jeunes de moins de vingt ans. Nous avons d'ores et déjà les étudiants les plus âgés et les retraités les plus jeunes des pays comparables au nôtre. La France est seule à être arrivée à cette situation incroyable où une seule génération - parmi des familles qui en comptent trois ou quatre - travaille !
La conclusion s'impose : sans augmenter le taux d'activité des Français, il n'y aura bientôt plus suffisamment d'actifs, non seulement pour payer les retraites, mais pour assurer ne serait-ce que le développement économique du pays !
Mais l'allongement de l'espérance de vie est l'autre grande donnée du choc démographique. Depuis les années 1930, l'espérance de vie a augmenté de 18 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes. A 60 ans nous ne serons bientôt qu'aux deux tiers de notre existence.
C'est cette donnée qui permet raisonnablement de tabler sur l'augmentation du taux d'activité qui nous fait tant défaut. Pourtant, elle n'a jamais été prise en compte dans le financement des retraites.
C'est précisément ce que nous nous proposons de faire.
Jusque-là, l'augmentation de l'espérance de vie après 60 ans ne bénéficiait qu'à la retraite. Il semble normal qu'elle se traduise désormais par une augmentation proportionnelle de la vie active et de la retraite, ce d'autant plus que la vie active est déjà réduite par le recul constant de l'âge de fin d'études.
Pour y parvenir, le projet de loi qui vous est soumis repose sur un mécanisme simple : maintenir inchangé à l'horizon 2020 le partage actuel entre vie active et retraite. Le temps de la retraite continuera à augmenter et à bénéficier des gains d'espérance de vie. C'est une bonne chose. Mais le temps de vie active pour financer les retraites devra augmenter aussi.
Cet allongement de la durée d'activité et d'assurance pour toucher une retraite à taux plein, en fonction de l'espérance de vie, est la meilleure garantie, la plus juste et la plus sûre, pour assurer un haut niveau de retraite sans reporter sur les actifs de demain une charge écrasante.
La durée d'assurance doit d'abord être la même pour tous : ce préalable est une nécessité au regard de l'équité.
Une fois l'étape des 40 ans atteinte en 2008 dans les régimes de la fonction publique, la durée de cotisation augmentera très progressivement pour tout le monde de la même manière. La stabilisation du rapport entre temps de travail et temps de retraite nous conduira à une durée de cotisation de 41 ans en 2012.
Cette évolution, je n'ai pas voulu qu'elle soit automatique. Une Commission de garantie des retraites, spécialement constituée à cet effet, se réunira périodiquement, d'abord en 2008 puis en 2012, pour faire des propositions à partir de l'observation des données.
Ces rendez-vous permettront un pilotage dans la durée de notre système de retraites.
L'augmentation programmée de cette durée serait en effet impraticable, si aucun progrès n'était constaté quant à l'âge réel de cessation d'activité des Français. C'est pour cette raison que nous ne proposons pas d'augmenter dès 2004 la durée de cotisation dans le secteur privé. C'est également la raison pour laquelle nous avons fixé un objectif réaliste tendant à faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de 57,5 ans aujourd'hui à 59 ans en 2008.
La France a cinq ans pour préparer ce premier rendez-vous.
Réussir suppose un profond changement pour limiter la tendance au départ précoce des actifs qui caractérise notre marché du travail.
Pour y parvenir, il est d'abord indispensable de recentrer nos dispositifs de préretraite. Nous ne pouvons plus nous permettre d'encourager le départ anticipé des salariés âgés, comme l'ont fait la plupart des pays européens depuis quinze ans.
Certes les préretraites ne peuvent êtres supprimées du jour au lendemain. Mais il faut en limiter rapidement la portée aux métiers les plus pénibles justifiant un départ anticipé et les réserver aux plans sociaux lorsque la survie de l'entreprise est en jeu.
Au-delà des préretraites, le défi est d'inciter le monde du travail à réinvestir l'emploi, la carrière et la formation des salariés âgés.
Pour ce faire, il est indispensable de changer le regard des entreprises sur les salariés de plus de 55 ans, mais aussi de changer le regard qu'ils portent sur eux-mêmes.
Notre projet de loi propose ainsi une série de dispositions afin de repenser la place des seniors dans l'entreprise, de leur trouver des activités complémentaires ou encore de miser sur la transmission des savoirs et des métiers.
Dans cet esprit, nous souhaitons :
- Assouplir le dispositif de la retraite progressive qui demeure une exception. Ainsi la liquidation de la pension aura un caractère provisoire afin que l'assuré puisse améliorer ses droits par la poursuite d'une activité à temps partiel. De même, le bénéfice de la retraite progressive sera largement ouvert aux assurés ne bénéficiant pas encore du taux plein.
- Repousser de 60 à 65 ans, l'âge auquel un employeur peut mettre d'office un salarié à la retraite, s'il remplit les conditions pour bénéficier du taux plein.
- Revoir les règles de cumul d'un emploi et d'une retraite qui sont aujourd'hui prohibitives. En quoi devrions nous empêcher un retraité qui le souhaite de reprendre une activité lui procurant ainsi quelques revenus supplémentaires ?
Ces premières mesures ne sauraient suffire. Il faudra aller plus loin en repensant, notamment, notre système de formation continue. Celle-ci a un rôle essentiel à jouer pour permettre l'essor du travail des seniors.
La formation tout au long de la vie doit permettre aux salariés de valoriser leur expérience, de changer de métier ou de poste après 50 ans et au-delà de rendre à chacun plus de confiance en soi face aux mutations de l'économie.
J'ai fortement incité les partenaires sociaux à engager une négociation sur le sujet. Leurs travaux doivent avancer. Certes, de nombreuses difficultés restent en suspens, mais je souhaite vous présenter un projet de loi sur la formation dès cet automne.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Tout au long de ces dernières semaines, j'ai entendu ceux qui rejettent notre projet nous opposer la question du chômage.
Lorsque nous disons aux Français qu'ils doivent travailler plus, on nous objecte les licenciements. Et d'avancer de soi-disant contre-propositions et prétendues alternatives ayant toutes pour point commun d'esquiver le rallongement de la durée de cotisation : ici on réclame un renforcement de la pression fiscale sur les entreprises ou sur les ménages, là une ponction sur les revenus financiers.
Ceux qui pensent pouvoir sauver notre pacte social en handicapant notre économie et en stigmatisant les entrepreneurs font fausse route. Les exonérations de cotisations patronales sont indispensables à l'allégement du coût de l'emploi, notamment pour l'emploi peu qualifié.
Ceux qui pensent pouvoir préserver notre modèle social en augmentant les impôts et autres cotisations pesant sur les foyers se trompent. Les conséquences sur le pouvoir d'achat des ménages seraient désastreuses pour la consommation, pour la relance et pour l'emploi.
Ceux qui pensent sécuriser la répartition en réclamant d'asseoir le financement des retraites sur les flux financiers et les bénéfices des entreprises se fourvoient. Ils ne font que le lit de la capitalisation qu'ils exècrent par ailleurs.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, l'équation à réaliser nous la connaissons : la diminution du chômage à long terme est indispensable à la sauvegarde de notre système de retraite par répartition. La démographie devrait nous y aider car elle modifiera les paramètres et les besoins du marché de l'emploi.
Dans cet esprit, notre projet fait l'hypothèse d'une diminution progressive du taux de chômage à l'horizon 2020. Dans son scénario central, le COR a retenu un chiffre de 4,5 % en 2020 contre 9 % aujourd'hui. Nous avons basé le financement de notre réforme sur un objectif de 5% à 6 %, toujours à l'horizon 2020.
C'est cette hypothèse qui nous permet de rester cohérents avec la volonté de réduire, ou tout au moins de stabiliser le niveau des prélèvements obligatoires tout en assurant le financement des retraites.
Je constate au passage que ceux qui contestent cette hypothèse se gardent bien de préciser quel niveau de chômage ils retiennent pour 2020 dans ses contre-propositions. Et pour cause !
Si le niveau de chômage retenu est plus important que le nôtre, alors que ceux-là mêmes veuillent bien nous expliquer comment ils se proposent de financer les retraites sans une hausse inavouable des prélèvements ou sans un plongeon tout aussi inavouable du niveau des pensions.
Il va bien falloir se résoudre à accepter la réalité : il n'y a pas de " trésor caché " ni d'échappatoire pour sécuriser l'avenir des retraites.
Si nous disons qu'il n'y a pas de vraie alternative à cette réforme, ce n'est ni par arrière pensée tactique, ni par arrogance. C'est qu'il est objectivement difficile de concevoir un plan dont l'architecture soit radicalement différente.
On sait que le besoin de financement des régimes de base du privé et du public est chiffré par le COR à 43 milliards d'euros en 2020.
Les mesures d'allongement de la durée d'assurance et l'indexation des pensions sur les prix que nous proposons ainsi que la hausse des cotisations en 2006 permettent de dégager 21 milliards d'euros, soit plus de 46 % du besoin de financement en 2020.
Mais les mesures de justice sociale et d'équité que nous nous proposons d'introduire par la réforme - et sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants - ont naturellement un coût. Nous l'évaluons à 2,7 milliards d'euros par an en 2020.
L'impact net de la réforme devrait donc s'établir à plus de 18 milliards d'euros, ce qui représente plus de 42 % du déficit prévu à l'horizon 2020.
Le choix étant fait de ne pas baisser le montant des pensions, nous proposons de financer le solde, qui représente les deux tiers du déficit prévu pour le régime général, par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites, et donc par une augmentation des cotisations vieillesse.
Dire que nous faisons de la durée d'assurance le seul paramètre d'équilibre est donc tout simplement faux.
Faux puisque les mesures de justice sociale que nous introduisons seront financées par une hausse des cotisations vieillesse de 0,2 % en 2006.
Faux puisque nous proposons d'assurer l'équilibre du régime général par une augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008, et jusqu'en 2020, de l'ordre de 3 points. Cela représente un peu moins de 10 milliards d'euros par an.
Simplement, nous voulons assurer l'équilibre de la répartition à prélèvements obligatoires constants pour ne pas handicaper la lutte pour l'emploi. Voilà pourquoi, nous avons prévu de " gager " l'augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008 par la diminution escomptée des cotisations d'assurance chômage.
En effet, avec un taux de chômage à 5 % en 2020, les recettes disponibles sont évaluées à plus de 15 milliards d'euros, ce qui est largement supérieur aux 10 milliards nécessaires.
Enfin, pour être complet, les régimes de la fonction publique seront équilibrés par des prélèvements supplémentaires.
Au regard de ces conditions, la réforme permet d'assurer l'intégralité des déficits de nos régimes de retraite, tels qu'ils sont aujourd'hui prévus pour 2020.
Elle est donc financée à 100 %.
Notre objectif était de consolider la répartition pour les deux prochaines décennies et de mettre en place les outils nécessaires au pilotage de son évolution.
Cet objectif est atteint.
Mesdames et messieurs les Sénateurs,
La question des retraites a mis en lumière quelques injustices profondes.
Derrière les grands mots de " solidarité " et d'"égalité ", il y a des réalités moins brillantes avec lesquelles le conservatisme s'arrange toujours !
Quelles sont ces injustices les plus flagrantes ?
La première d'entre elles concerne l'inégalité qui caractérise la durée de cotisation entre le public et le privé. Cette distinction ne repose sur aucune justification. Ni la moyenne des salaires, ni celle des conditions de travail, n'autorise une telle disparité de traitement entre les Français.
Nul ne pourrait comprendre que la fonction publique, fer de lance de la République, soit exonérée de l'effort demandé à tous pour la survie de notre système de retraite. C'est tout le sens du rendez-vous de l'équité en 2008.
Grâce à cet effort collectif, nous ferons avancer la justice sociale :
Justice pour les salariés ayant toujours travaillé au SMIC. Leur retraite s'élèvera, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC net en 2008, contre, je le rappelle, 81 % aujourd'hui.
Justice pour ceux de nos compatriotes qui travaillent depuis l'âge de 14, 15 et 16 ans et qui malgré tout doivent attendre l'âge de soixante ans pour partir à la retraite. Le projet de loi leur ouvre le droit de partir en retraite à taux plein entre 56 et 59 ans. C'est une avancée sociale considérable et unique en Europe.
Justice pour ceux qui exercent un métier dont la pénibilité mériterait d'être prise en compte. L'Assemblée nationale a inscrit dans le texte l'engagement pris par les partenaires sociaux de définir, dans les trois ans à venir, les contours de cette notion. Considérant la nature variable suivant les époques, les métiers et les technologies, la pénibilité du travail ne pouvait faire l'objet d'une définition législative uniforme et intangible.
Justice également pour les fonctionnaires qui voient une partie de leurs primes alimentées un nouveau régime de retraite.
Justice pour les familles avec le maintien des avantages familiaux, notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés. Des dispositions favorables pour les parents d'enfants gravement handicapés ont été également adoptées par l'Assemblée nationale en première lecture. Ils bénéficieront d'une majoration de leur durée d'assurance.
Justice enfin pour les retraités dont le pouvoir d'achat sera garanti à travers l'indexation sur les prix.
Toutes ces avancées démontrent que c'est bien la réforme par l'effort collectif et partagé qui permet de dégager les marges de manuvre qui font progresser la justice sociale.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Une autre question a surgi au cours du débat de ces derniers mois : malgré l'attachement à l'" unicité " de notre système de retraite, un désir de liberté s'est fait jour. Les Français sont attachés aux règles communes, mais n'en sont pas moins soucieux d'exprimer leurs choix individuels pour préparer leur retraite.
C'est en ce sens que notre réforme fixe un cadre commun sécurisé et mise, dans le même temps, sur la liberté et la responsabilité.
Je le sais, pour certains, liberté et responsabilité individuelles sont ennemies de l'égalité et de la solidarité. C'est à cette conflictualité que l'on doit l'étouffement du modèle français. Pour nous, ces principes ne s'opposent pas, ils s'enrichissent mutuellement !
Notre réforme avance ainsi une série de mesures qui évoquent l'idée d'une " retraite à la carte ", une " carte " cependant encadrée, car il ne s'agit pas d'échapper aux principes généraux de la solidarité et de la répartition. Dans cet esprit, un repère et un pivot demeurent : je veux parler du droit de liquider sa retraite à 60 ans.
Ce droit est confirmé.
Mais il n'y a jamais eu, vous le savez, un droit de liquider sa retraite à 60 ans à taux plein, quelle que soit la durée d'assurance. Ce droit est aujourd'hui donné à 65 ans. Il le sera demain : rien ne change donc en la matière !
En revanche, ce qui va changer ce sont les modalités qui entoureront le choix du départ, modalités autour desquelles s'exercera la responsabilité de chacun :
- Pour les salariés qui souhaitent partir à 60 ans alors même qu'ils ne disposent pas de la durée d'assurance nécessaire, nous allégeons le taux de " décote ". Aujourd'hui de 10 % par année manquante, nous comptons atteindre, progressivement, 5 % par année manquante qu'il s'agisse d'un salarié du privé ou d'un agent du public.
- Pour ceux qui, au contraire, souhaitent continuer à travailler au-delà de 60 ans et de la durée d'assurance requise, est instauré un mécanisme de " surcote ", dont le taux sera de 3 % par an.
Avec l'assouplissement des mécanismes de retraite progressive et l'élargissement dans la fonction publique de la cessation progressive d'activité, nous ouvrons un espace pour tous ceux qui souhaitent passer de manière moins brutale du " tout travail " au " tout retraite. "
La retraite ne sera ainsi plus le couperet de naguère.
La souplesse consiste également à ouvrir le droit au rachat de trimestres, dans des conditions financièrement neutres pour les régimes. Ce rachat sera possible pour les années d'études dans la limite de douze trimestres, soit trois ans.
L'accès de tous à des outils d'épargne retraite peut élargir l'éventail des possibilités offertes aux Français. Ils s'ajouteront à la répartition mais ne se substitueront pas à elle. J'entends dire, ici et là, que cette disposition ferait le lit de la capitalisation... Je ne vois pas en quoi la Préfon a fait le lit de la capitalisation dans la fonction publique. Je ne vois pas alors pourquoi ce droit réservé aux fonctionnaires deviendrait condamnable dès lors qu'il franchit le seuil de nos administrations !
Tout salarié du secteur privé bénéficiera d'une incitation fiscale lui permettant de disposer d'une rente à l'âge de la retraite. Le projet de loi simplifie la galaxie des différents dispositifs existants. Il les sécurise. Il crée le Plan d' Epargne Individuel pour la Retraite (le PEIR) dont les modalités ont été précisées à l'Assemblée nationale. Il allonge la durée du " plan partenarial d'épargne salariale volontaire ", créé par la loi Fabius de 2001, afin de permettre aux salariés de disposer d'une véritable épargne en vue de la retraite, en rente ou en capital.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Autour de cette réforme, les crispations étaient inéluctables. Mais, au risque de vous surprendre, je considère qu'elles n'ont pas été inutiles dans le franchissement d'une étape collective ; une étape mise au service d'une prise de conscience sur les défis que nous devons surmonter pour répondre aux défis du XXIème siècle.
Notre modèle social doit être courageusement réformé. L'avenir de ce modèle n'est pas dans le statu quo et le chacun pour soi. Nous devons, tous ensemble, nous retrousser les manches.
On ne peut avoir le système de retraite le plus généreux d'Europe, la meilleure santé du monde, l'École et l'Université gratuite pour tous, sans donner le meilleur de nous-même. Donner le meilleur de soi-même, c'est travailler plus et mieux. C'est avoir conscience que nous sommes, chacun d'entre-nous, les maillons d'une chaîne de solidarité et de progrès. Dans le monde ouvert et compétitif qui nous environne, notre prospérité économique et sociale n'est pas une donnée intangible. Elle est un combat dont l'issue relève du courage, de la formation et de la responsabilité de chacun.
Cette réforme n'est pas inspirée par des considérations dogmatiques.
Beaucoup ont contribué à en préparer le terrain : qu'il s'agisse du Livre Blanc de Michel Rocard, de l'évolution progressive de la réforme Balladur, des orientations du COR voulu par Lionel Jospin et du Fonds de Réserve des Retraites décidé par lui.
Cette réforme peut nous rassembler car elle est juste, équitable et marquée par de véritables avancées sociales. Elle est progressive, rythmée par des rendez-vous dont cette majorité et les suivantes feront un usage responsable.
Enfin et surtout, ce projet peut nous rassembler car il s'inscrit dans un choix de société qui nous unit : celui de la solidarité et de la répartition. Ce choix dicte aujourd'hui notre devoir : celui de réformer.
Je sais que le Sénat a beaucoup travaillé, et ce depuis longtemps, sur la difficile question des retraites. Je sais qu'il est prêt à accompagner ce discours de réforme ; je sais qu'il l'attend. Les amendements présentés par sa majorité auront à cur, j'en ai la conviction, de préciser le texte adopté par l'Assemblée nationale, sans en remettre en cause l'économie générale.
Il nous revient, maintenant et ensemble, d'ouvrir le débat et de prendre nos responsabilités face à l'avenir.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 08 juillet 2003)