Interview de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à LCI le 3 mai 2004, sur la préparation des élections européennes et la constitution des listes du PCF, sur la question de la laïcité et de l'intégrisme musulman et sur la question des services publics d'EDF et GDF.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. On va parler de la préparation des élections européennes, mais aussi de l'actualité. Vous avez tenu tenu un conseil national, au PC, vendredi dernier. Et on a vu deux lignes s'affronter : la vôtre, qui prône l'ouverture aux listes communistes à des personnalités altermondialistes, ou de la gauche en général. Et une ligne plus orthodoxe, qui veut que ce soit uniquement des communistes qui conduisent les listes aux prochaines élections européennes. Vous avez demandé 48 heures de réflexion. Où en est-on aujourd'hui ?
R - "Je crois qu'on est en train de constituer une belle liste, mais c'était déjà le cas. On va avoir des listes composées d'hommes et de femmes engagés, dans la vie syndicale, associative ou en politique. Des hommes et des femmes qui, tous, s'opposent au projet de Constitution ultralibérale que l'on veut nous imposer, aux 25 pays de l'Union européenne. Donc, je dirais, des listes engagées, motivées et très colorées, parce que des hommes et des femmes, qui ont eu des itinéraires différents, mais qui, tous, veulent construire une Europe sociale et démocratique."
Q- Oui, cela c'est la définition dirais-je, mais...
R - "Non, on avance bien, et vous verrez que l'on aura de très belles listes. On va d'ailleurs les présenter le 7, au Cirque d'hiver, où on donnera à voir justement, de cette ouverture. On pouvait encore aller plus loin, mais c'est normal, il y a des discussions. On veut aussi pouvoir avoir des députés communistes au Parlement européen, donc voilà, c'est le débat. Mais je crois que cela se présente bien."
Q- Vous proposiez quatre têtes de listes communistes et trois têtes de listes non communistes, avec un système de parité. Serez-vous entendue ou serez-vous obligée de faire des concessions ?
R - "Ce n'est pas une proposition, c'est venu dans le débat au Conseil national, mais ce n'est pas une proposition que j'ai faite moi-même. Je pense qu'il fallait essayer d'ouvrir, je pense que l'on va avoir au moins une ou deux régions où ce sera une personnalité non communiste qui dirigera nos listes. C'est bien, je suis satisfaite."
Q- Les communistes votent en ce moment ou vont voter...
R - "Ils vont résulter jusqu'au 6 mai."
Q- Et donc, résultat le 7 ?
R - "Voilà et présentation le 7."
Q- C'est un peu l'exemple de ce qui s'est passé en Ile-de-France, qui vous a inspirée dans votre démarche. Vous aviez fait un bon score, vous aviez des personnalités extérieures au PC sur votre liste. Mais est-ce que Paris n'est pas une vitrine finalement, et ailleurs c'est tout à fait différent ?
R - "Non. Vous verrez que les sept listes sont vraiment un peu à l'image de la liste de l'Ile-de-France des régionales. C'est-à-dire que vous allez retrouver sur ces listes des hommes et des femmes, notamment d'entreprises qui sont aujourd'hui en lutte, des hommes et des femmes du service public, des hommes et des femmes à la couleur de la nation française d'aujourd'hui. Mais surtout, des hommes et des femmes qui se battent pour le progrès social, qui se battent contre la politique de la droite au pouvoir en France, et aussi contre cette droite qui veut nous imposer une Europe de la régression sociale."
Q- "Des hommes et des femmes qui se battent" : auriez-vous souhaité ou souhaitez-vous faire liste commune avec les altermondialistes ? On a vu l'accueil qu'a eu J. Bové à la Fête de l'Huma. Or, les altermondialistes font leurs propres listes.
R - "On a vraiment intérêt à se rassembler. Parce que nous sommes dans une situation extrêmement grave au niveau de l'Union européenne. Nous sommes 25 pays, 450 millions, et on veut nous imposer une politique du "tout marchand", qui menace nos services publics, qui menace également nos conceptions de l'accès à la santé pour tous, de l'accès à l'éducation pour tous. Donc, je pense que tous ceux et celles qui veulent vraiment se battre contre cette Europe libérale, qui s'est construite avec l'accord de tous les gouvernements qui se sont succédé dans notre pays, doivent se rassembler sur les mêmes listes. La divisions laisse le champ libre à ceux qui veulent un peu plus encore nous exploiter à travers la construction européenne."
Q- Mais cela, c'est du souhait mais finalement on n'y arrive pas !
R - "Mais oui, c'est difficile, parce que c'est vrai que souvent chacun cherche à prêcher un peu pour sa paroisse, à défendre des intérêts partisans. Je crois que l'heure n'est pas à cela, elle est vraiment à un rassemblement de toutes les forces anti-libérales."
Q- Mais au moment où il faudra voter, on aura le choix donc entre plusieurs listes qui se réclament de la gauche. Cela ne fera pas beaucoup de députés à l'arrivée ?
R - "C'est pour cela que j'appelle au rassemblement, il n'est pas trop tard encore. Les listes ne sont pas encore déposées, on peut encore se retrouver, se rassembler. A partir du moment où on est d'accord sur la politique à mener au niveau de l'Europe, rien n'est encore perdu. Je lance cet appel. Je m'étais adressée, d'ailleurs, il y a déjà quelques jours, à l'ensemble des forces de gauche qui veulent se battre contre une Europe libérale. Pour l'instant, ce rassemblement ne se fait pas, mais je n'ai pas encore perdu espoir."
Q- Que sera votre campagne ?
R - "Ma campagne va d'abord être de dire : on ne peut pas accepter que l'on nous fasse voter aux élections européennes, le 13 juin, sans que l'on nous dise, oui ou non, si le peuple va être consulté sur le projet de Constitution. Le président de la République a été d'un flou artistique lors de sa conférence de presse sur la question du référendum. Il faut absolument que maintenant les choses s'éclaircissent. Nous avons besoin d'un référendum, il faut un peu de démocratie dans la construction européenne. Cette Constitution est extrêmement grave. Nous nous battrons pour dire "non" à cette Constitution. Et je le dis tout à fait franchement, parce qu'il faut de l'honnêteté en politique : les forces qui, à gauche, vont nous parler d'"Europe sociale", alors qu'elles s'apprêtent à adopter la Constitution qui installe la marchandisation complète de l'Europe, ce n'est pas honnête. Ce n'est pas honnête de dire : "et maintenant l'Europe sociale", comme je l'entends au niveau du PS, alors que le PS se prononce pour cette Constitution qui, dans ses articles, dit : "c'est la loi de la libre-concurrence qui doit prédominer en Europe" ; les services publics, les services d'intérêt général sont là à titre dérogatoire. Il faut donc être clair. Si on veut l'Europe sociale, il faut se battre contre la Constitution."
Q- Et ne pas voter pour le PS, ni pour les Verts ?
R - "Oui, il faut être clair dans le discours politique."
Q- En ce moment, il y a un grand débat sur la laïcité qui continue. Vous étiez contre la loi sur le port du voile. Le nouveau ministre de l'Intérieur a expulsé, va expulser les imams radicaux. A-t-il raison ?
R - "Je crois qu'il faut que la République affirme le droit, affirme que l'on ne peut pas tenir des propos intégristes, qui visent les droit des femmes, qui visent tout simplement la République. Je pense donc qu'il faut, en effet, réagir, et réagir en respectant le droit. Il ne faut pas utiliser des méthodes qui vont de fait se retourner contre nous. Il faut réagir aussi en s'attaquant aux problème de fond : qu'est-ce qui fait la source de l'intégrisme ? Qu'est-ce qui fait que l'intégrisme trouve un terreau pour se développer ? C'est le fait qu'il y ait encore trop de discriminations, trop de cités-ghettos, l'impression, pour des hommes et des femmes d'être refusés par cette société, de ne pas être reconnus, d'être méprisés. Il faut donc agir aussi sur ces questions. C'est pour cela que j'avais dit très fortement, et je maintiens - et les événements me donnent plus que raison -, que ce n'est pas simplement cette loi - que l'on avait appelée de façon d'ailleurs honteuse, "la loi sur le voile"- qui pouvait régler le problème du combat pour la laïcité."
Q- Ce n'est pas une appellation de la loi.
R - "Non, mais on l'a trop entendue comme cela."
Q- Et finalement, regrettez-vous qu'elle ait été votée ?
R - "On voit que cela n'a pas solutionné le problème. L'intégrisme continue à se développer, et surtout on voit que son application pose de réelles questions."
Q- Ferez-vous une large place aux personnalités issues de l'immigration ?
R - "Oui, nous l'avons fait lors des régionales et nous devons poursuivre. Ce n'est pas leur faire la place, c'est simplement reconnaître que ces hommes et ces femmes, aujourd'hui, ont toute leur place dans la société, y compris dans nos institutions. Il n'est pas possible que nos institutions les laissent au pas de la porte, il faut qu'ils rentrent. Ils sont rentrés dans les régions, notamment en Ile-de-France, et je souhaite que ce soit aussi le cas au Parlement européen."
Q- Vous voulez défendre les services publics. Quand le ministre des Finances dit que "60 à 70 % du capital d'EDF restera public", cela vous satisfait-il ?
R - "Non. Lorsque l'on commence à faire entrer le capital privé dans les entreprises publiques, ce capital privé demande que l'on applique à ces entreprises la loi du marché. Donc, si l'on veut maintenir de grandes entreprises publiques, il faut qu'elles restent vraiment des entreprises publiques."
Q- La loi du marché existe déjà puisqu'il y a ouverture à la concurrence.
R - "Oui, mais je me bats pour reconquérir le champ du service public. Je ne mets pas un trait sur ce qui s'est passé. C'est pour cela que l'enjeu européen est extrêmement important. Va-t-on non seulement défendre les services publics en France, mais faire en sorte qu'il existe au niveau de l'Union européenne, des services publics concernant les grands dossiers concernant le développement humain, comme l'énergie ?"
Q- En un mot, faut-il que l'Etat règle le problème de l'Unedic ?
R- "Il faut que l'Etat se mouille. Il faut que le Gouvernement dise clairement au Medef qu'il faut se rasseoir à la table des négociations et revoir la convention Unedic, concernant, bien sûr, les recalculés. D'ailleurs, la justice a dit que cette convention était quelque part hors-la-loi".
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 mai 2004)