Tribune de MM. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées et Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans "Le Figaro" du 16 juillet 2003, sur la liaison entre le Sida, la tuberculose et le paludisme dans certaines régions du monde et la création du Fonds mondial de lutte contre ces maladies.

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Circonstance : Conférence internationale sur le Sida, la tuberculose et le paludisme à Paris le 16 juillet 2003

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Aujourd'hui se tiennent à Paris de façon concomitante et sur le même site deux conférences internationales consacrées au sida. La première sera d'une très grande ampleur, réunissant près de 5 000 scientifiques de tous les pays et de toutes les disciplines engagés dans la lutte contre la pandémie : chercheurs, praticiens, épidé miologistes, économistes et sociologues de la santé, psy cho logues, infirmiers etc. Les pays du Sud, en particulier, seront largement présents.
Cet événement exceptionnel a pour but de faire le point sur ce qui s'est passé depuis la rencontre du monde scientifique et des malades avec le virus, et de tracer les perspectives pour l'avenir. La question du vaccin sera centrale, mais beaucoup d'autres sujets seront abordés, dans un esprit d'émulation intellectuelle, de partage des connaissances et des pratiques. La gravité, l'intensité et la responsabilité seront au rendez-vous, mais aussi l'enthousiasme et l'espoir.
La seconde conférence, quoique bien différente dans son contenu et ses objectifs, est totalement articulée avec la première. Ce n'est bien sûr pas un hasard. A l'initiative du président de la République, elle a pour objet de provoquer une puissante mobilisation et un vaste mouvement international de soutien au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Le Fonds mondial a été voulu par les pays du G 8 et l'Assemblée générale des Nations unies. Les premières esquisses ont été élaborées au sommet d'Okinawa. Le lancement a eu lieu au sommet de Gênes.
Pourquoi un tel instrument ? Parce qu'il est apparu que ces trois maladies, dont deux, le sida et la tuberculose, sont étroitement associées, étaient dans les pays les plus pauvres du monde, et tout particulièrement sur le continent africain, d'une ampleur et d'une gravité telles qu'elles handicapaient l'avenir même des sociétés. Millions de morts, millions d'orphelins, régression incroyable de l'es pérance de vie, affaiblissement des capacités de production dans tous les domaines de la vie économique, à commencer par l'agriculture, impact négatif sur la sécurité, sur les systèmes de santé et sur les systèmes éducatifs.
Savez-vous, par exemple, qu'au Botswana, où la proportion de séropositifs est la plus élevée au monde, le gouvernement a interdit les funérailles dans la semaine ? Les décès dus au sida sont, en effet, si fréquents, le nombre de morts si élevé et les familles touchées de façon si répétée et si massive que, si les enterrements avaient lieu en semaine, ce serait une bonne partie de l'activité du pays qui serait paralysée.
Alors le Fonds mondial a été créé, il y a dix-huit mois, pour augmenter massivement les moyens de s'attaquer à ces trois fléaux. Depuis, il a approuvé pour 1,5 milliard de dollars de financement de programmes de lutte élaborés et présentés par 93 pays. Car il y a urgence à ce que les pays développés et les pays en développement se coalisent pour stopper, puis pour faire reculer la contamination.
Les pays développés, minoritaires sur le plan démographique, peuvent-ils imaginer une seconde demeurer dans un îlot de sécurité et de bien-être alors que ces pandémies menacent y compris la sécurité mondiale ? Non, ils ne le peuvent pas. Il s'agit de solidarité, de morale et d'éthique, mais il s'agit aussi d'intérêt bien compris. La catastrophe est à leurs portes. Aujourd'hui, l'Afrique, demain la Chine, l'Inde, le golfe Arabo-Persique, l'Asie centrale. L'incendie se généralise. Il faut des pompiers spécialisés. Il faut de l'argent. Beaucoup d'argent. Il faut aussi une vision, une stratégie, une organisation.
Il y a urgence à ce que, dans ces pays développés, tous les acteurs potentiels se mobilisent. Non seulement les institutions publiques d'aide, mais encore les industries pharmaceutiques, les hôpitaux, les entreprises, les ONG, les citoyens. Tous ont quelque chose à apporter, des technologies à transférer, des médicaments à fournir, des formations à assurer, du soutien aux communautés à assurer, des orphelins à extraire de la rue et à faire grandir.
C'est dans cet esprit que nous avons créé, au début de cette année, une "plate-forme" qui réunit régulièrement, de façon informelle, toutes les catégories d'acteurs qui, en France, participent à cette lutte contre le sida. C'est pour cela aussi que le conseil d'administration du Fonds mondial rassemble des représentants d'Etats du Nord et du Sud, des représentants du secteur privé, entreprises et fondations, des ONG du Sud et des ONG du Nord, dont certaines sont représentatives des malades.
Mais il y a urgence aussi à ce que, dans les pays touchés, une véritable prise de conscience se produise et que les Etats et les sociétés se mobilisent. Il faut que cessent le déni de la maladie, la stigmatisation des personnes infectées, la maltraitance des femmes contaminées par leur mari. Il faut des plans d'action précis et concrets qui atteignent directement les populations touchées. De très grands progrès ont été accomplis au cours des dix dernières années, mais c'est encore loin d'être suffisant.
L'aide apportée par le Fonds mondial est l'un des facteurs de cette prise de conscience : les programmes qu'il finance, sous forme de dons, doivent avoir été élaborés et doivent être mis en oeuvre aussi bien par les gouvernements que par les représentants de la société civile. Le Fonds ne se pose en concurrent ni des coopérations menées par chaque pays - à commencer par la coopération française - ni d'organisations internationales comme l'OMS ou Onusida, qui ont vocation l'une à traiter de tout ce qui touche à la santé publique, l'autre à coordonner l'action des agences de l'ONU et à aider les pays à bâtir leurs programmes de lutte contre le sida. Il est additionnel et complémentaire. C'est pourquoi Jacques Chirac a annoncé à Evian que la France allait tripler sa contribution en la portant à 450 millions d'euros sur trois ans.
C'est aussi parce que la réponse du Fonds mondial est en harmonie avec la nôtre, qui refuse de dissocier la prévention et l'accès aux soins et aux médicaments. Quel bouleversement ! Le temps est encore tout proche où certains hauts responsables prétendaient que les populations africaines ne seraient pas aptes à respecter les contraintes d'une trithérapie, puisqu'elles étaient censées être incapables de lire l'heure.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juillet 2003)