Interviews de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "LCI" le 19 novembre 2003 et dans "Libération" le 24 novembre 2003, sur le budget 2004 et l'abstention de l'UDF, le débat au sein du PS sur la constitution européenne, sur Tarik Ramadan, sur l'antisémitisme, et sur la proposition de l'instauration d'un service civil.

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Média : Emission Forum RMC Libération - La Chaîne Info - Libération - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. Bonjour J.-M. Ayrault.
- "Bonjour."
Le groupe socialiste a naturellement voté contre le budget 2004, mais est-ce que l'UDF qui s'est abstenue et qui finalement présente les mêmes objections que vous, ne vous empêche pas de vous faire entendre ?
- "Ecoutez! vous parlez davantage des cactus dans la majorité que de l'opposition réelle, mais n'empêche que l'opposition réelle, quand il y a un vrai désaccord sur un budget, c'est nous, puisque nous sommes les seuls à voter contre. Les centristes disent toujours qu'ils sont dans la majorité. Là, ils se sont abstenus. C'est un petit peu le centrisme traditionnel, c'est-à-dire qu'on est dans l'opposition pour les mots mais quand il s'agit des places on n'oublie pas qu'on doit rester dans la majorité. Mais en même temps, je vous dirais que si l'UDF se permet cela - au-delà du destin personnel de F. Bayrou - c'est parce que ça va mal dans la majorité, parce qu'il y a une sorte de délitement de la majorité. Donc c'est un signe que les choses ne vont pas bien et que ce budget est mauvais. Ceux qui ont voté pour, vous savez, ils ne sont pas vraiment convaincus de la sincérité de ce budget, parce que dans quelques jours - et la France a jusqu'au 25 novembre - F. Mer va faire des propositions pour réduire le déficit de la France, donc modifier le budget qui vient d'être voté, donc ce budget n'est pas le vrai budget."
Même au niveau collectif ?
- "Eh bien oui, je crois qu'il faut quand même dire les choses telles qu'elles sont. On vient de voter un budget - enfin nous, nous avons voté contre -, mais ce n'est pas le vrai budget de la France et ce qui se prépare, c'est un nouveau plan d'austérité où les Français vont devoir à nouveau se serrer la ceinture, et parfois, alors qu'on leur dit qu'on va baisser les impôts, vont voir leurs impôts augmenter, les taxes au plan national, mais aussi au plan local. En ce moment, se tient le congrès des maires. Je peux vous dire que beaucoup de maires, quelle que soit leur tendance politique, sont très inquiets parce qu'ils sont dans une situation très difficile et parfois obligés d'augmenter les impôts locaux."
A cause du transfert des charges ?
- "Bien sûr."
Vous dites ça ne va pas bien dans la majorité, ça on s'en rend compte, mais est-ce que ça va vraiment mieux chez vous, au Parti socialiste ? Il y a une chose qui est sur la place publique, c'est le débat qui a éclaté après la participation du PS à la manifestation du Forum social européen. Le PS n'était pas bienvenu, on y est allé quand même sans y aller, tout en y allant pas, enfin...
- "D'après ce que j'ai compris, parce que moi je ne suis pas allé à la manifestation..."
Vous n'y seriez pas allé par principe ?
- "Pas par principe, mais pas dans les conditions où on nous met. Par exemple, systématiquement, lorsqu'il y a des manifestations de ce type, les organisateurs nous mettent à côté des anars, les anarchistes, alors il ne faut pas s'étonner si ça se termine comme ça s'est terminé. Donc moi je crois qu'il faudrait que dans ces cas-là, on dise on veut bien manifester, mais on vous demande simplement, aux organisateurs, que les choses se passent normalement. Non par contre ce que je crois, c'est que tous ceux qui ont participé au FSE dans les forums, ont été bien accueillis. Cela ne veut pas dire qu'on est d'accord avec tout ce qu'ils disent. Mais nous, nous acceptons la confrontation des idées, et je crois qu'il faut le faire en toute franchise, en toute clarté. Il ne s'agit pas de courir derrière certains mouvements extrémistes qui retrouvent à travers la lutte contre la mondialisation telle qu'elle est aujourd'hui, je dirais le romantisme révolutionnaire. Il ne s'agit pas de se laisser entraîner derrière les groupes gauchistes, il s'agit de poser les vrais problèmes. Et quelles sont les réponses ? "
Attendez, les groupes gauchistes...
- "Je ne veux pas leur donner plus d'importance qu'ils n'en ont, simplement ça sert à rien de courir derrière. Par contre tous ces mouvements, notamment chez les jeunes mais aussi chez les autres, les plus âgés, qui souhaitent que le monde dans lequel nous vivons soit un monde plus juste, et notamment je pense aux rapports entre le Nord et le Sud, ils posent des vraies questions. Tout le problème est de savoir quelles réponses on apporte. Et nous, la gauche - la gauche réformiste, celle qui peut aspirer à exercer les responsabilités en France et dans les différents pays du monde - doit apporter ses propres réponses, elle est confrontée avec ceux qui aspirent à un autre monde."
Mais même s'ils ne sont pas extrémistes comme vous dites, ceux qui.. les altermondialistes disent gauche, droite c'est pareil.
- "Non je ne crois pas. Simplement, il faut leur dire clairement quelles sont les solutions que vous proposez. Je voudrais évoquer juste un sujet : comment peut-on être pour une autre mondialisation, alors qu'aujourd'hui elle est dominée par le modèle américain, en étant en même temps contre l'Europe ? Je constate que dans beaucoup de ces mouvements, il y a une sorte de montée du souverainisme... "
Chez vous aussi.
- "Oui mais justement, je crois qu'on ne peut pas à la fois dire qu'il faut une autre mondialisation, qui ne soit pas dominée par le modèle américain, et en même temps, être contre l'Europe ou en tout cas avoir une approche frileuse de l'Europe. Je vais vous dire pourquoi c'est très important. Hier nous avons reçu le président d'Afrique du Sud à l'Assemblée nationale, le président Mbeki. Il a dit clairement qu'il attendait beaucoup de la France mais aussi beaucoup de l'Europe qui est presque considérée comme un modèle d'espoirs pour lui. Le président Lula au Brésil dit la même chose. Tous ces grands pays en développement qui veulent s'en sortir savent bien qu'il faut qu'ils soient aidés et c'est l'Europe qui peut le faire."
D'accord, mais quand il faut voter le traité d'adhésion pour l'élargissement de l'Europe, le Parti socialiste se divise.
- "Mais le Parti socialiste ne se divise pas. Il y a une minorité qui est défavorable à cet élargissement en disant qu'on met la charrue avant les boeufs, etc. - je n'ai pas très bien compris ce que ça voulait dire - par contre l'écrasante majorité des députés socialistes à l'Assemblée nationale sont pour l'élargissement. Moi-même, j'interviendrai dans ce débat, et ma réponse sera très clairement positive. Evidemment que ces pays de l'Europe qui ne sont pas encore membres de l'Union européenne sont les bienvenus parmi l'Union européenne, qui ont fait en quelque sorte la réunification de l'Europe."
M. Ayrault, il y a eu des attentats antisémites le week-end dernier. Le Parti socialiste a dit qu'il attendait des actes de la part du Gouvernement, qui a réagi..
- "Il a réagi clairement.."
Qui a réagi clairement, hier L. Ferry a dit qu'on ne lutte pas contre l'antisémitisme uniquement avec des leçons de morale et l'instruction civique, qu'il faut un livret républicain, il faut projeter un travail pédagogique, projeter des films etc, à l'école. Cela vous satisfait cette réponse ?
- "Oui, enfin c'était très confus ce qu'il a dit. Vous savez, je crois que L. Ferry, plus il parle, moins on comprend ce qu'il veut dire."
Il était là hier matin, c'était très clair..
- "Oui, mais enfin en tout cas, hier, à l'Assemblée nationale, il a semblé dédouaner l'extrême droite. Je crois que sur l'antisémitisme.."
Ce n'est pas ce qu'on a entendu hier !
- "En tout cas, moi, j'étais à l'Assemblée nationale. J'ai écouté, j'ai trouvé qu'il était très confus, mais ce n'est pas ça le problème principal. Le problème, c'est qu'il y a une montée d'antisémitisme sous des formes nouvelles, violentes, et qu'il faut le combattre de toutes nos forces. Et quand le Président de la République déclare des choses qui vont dans ce sens, je ne peux que l'approuver, et je pense qu'il faut qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur ces questions, que ce soit la montée du racisme, que ce soit la montée de l'antisémitisme - comme ce qui s'est passé à ce lycée juif de Gagny - on doit combattre, pas seulement par des mots mais par des actes, en étant d'une sévérité exemplaire. Mais en même temps en faisant tout un travail de prévention, d'éducation, en rappelant que la France n'est pas raciste et antisémite mais que c'est une République dans laquelle chacun, quelle que soit sa confession, sa croyance, doit vivre dans la sécurité et qu'il doit avoir le sentiment qu'il appartient à la même communauté nationale. Ce qui veut dire d'une certaine façon lutter aussi contre toutes les formes de communautarisme qui montent en France."
C'est pour ça que vous voulez instaurer un service civil ?
- "Je crois qu'une des raisons de la crise française, c'est qu'on ne sait pas transmettre les valeurs républicaines notamment aux jeunes, on ne sait pas le faire alors que la République c'est à la fois des droits, des devoirs, c'est aussi l'exercice de la responsabilité. Donc il ne s'agit pas de remettre en place une sorte de service militaire bis, militaire " civil ", ou encore un super cours d'instruction civique, mais il s'agit quand même de permettre aux jeunes, qui ont beaucoup de générosité parce que, heureusement, il y a une immense générosité dans la jeunesse, de pouvoir s'exprimer à travers un service civique obligatoire au service des autres, c'est-à-dire en donnant quelque chose à leur pays. Je crois que c'est ça les droits et les devoirs très concrètement.."
Ils seraient encadrés comment ?
- "Alors nous proposons que ce service soit de deux mois avec une partie, je dirais, de formation, puis ensuite des jeunes qui vont s'engager dans des collectivités locales, dans des associations en France ou à l'étranger, et avec la possibilité de prolonger de six mois à un an ce service civique d'un type nouveau. Je crois qu'il serait obligatoire pour les garçons et les filles et qui, je crois, serait une occasion de contribuer à l'intégration des jeunes dans notre société."
Merci. Ça va être discuté dans quelques jours à l'Assemblée.
- "La semaine prochaine."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 novembre 2003)
Que dites-vous aux députés socialistes qui menacent de s'abstenir demain ?
Est-ce qu'on s'abstient quand un mur de l'Histoire tombe ? Non. N'ayons pas un égoïsme de riches dicté par des considérations franco-françaises. L'élargissement est un projet historique. Les socialistes n'ont pas le droit d'être frileux. François Mitterrand avait bataillé pour convaincre du bien-fondé de l'entrée de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce dans l'Union européenne. Historiquement, c'est lui qui avait raison.
Ce désaccord sur l'élargissement va attiser les divisions du PS sur la Constitution...
Je comprends la crainte exprimée à propos des dérives libérales de l'Europe. Mais je ne vois pas en quoi le fait de provoquer une crise conjurera cette dérive. Ceux qui le pensent sont dans leur tour d'ivoire. Personne n'a cette approche dans la social-démocratie européenne. Le seul qui se réjouirait d'une crise s'appelle George Bush. Le PS n'a jamais manqué de rendez-vous européen. Je suis convaincu qu'il ne s'en sortira pas en restant trop longtemps dans le ni-ni, dans l'entre-deux.
Vous critiquez l'attentisme de François Hollande ?
Je n'ai pas de doute sur ses convictions européennes. Se prononcer sur un texte qui n'est pas achevé relèverait de la naïveté. Le danger actuel est de voir la Conférence intergouvernementale affaiblir le projet de Constitution issu de la convention Giscard. De ce point de vue, la passivité de Jacques Chirac m'inquiète. La position de la France est trop frileuse.
Ce projet de Constitution est donc acceptable ?
On peut, bien sûr, aller plus loin. Mais il reconnaît l'existence de services publics, la nécessité de politiques sociales, il renforce le rôle du Parlement européen, etc. La référence au marché figurait déjà dans le traité de Rome. Croire que ce projet est un cheval de Troie au service d'une Europe libérale est donc un faux débat. Une Constitution, c'est un cadre qui ne fixe pas les choix politiques. La vraie réponse, c'est de porter un projet politique qui fasse contre-poids à la mondialisation libérale. Le pacte de stabilité doit être réorienté pour mieux servir la croissance. Et il faut bâtir un projet qui aille au-delà d'une Europe garante de la paix. Cette ambition des pères fondateurs ne suffit plus. Nous devons travailler à l'alliance des forces progressistes européennes, voire altermondialistes. Et favoriser des coopérations renforcées, avec l'Allemagne, mais aussi l'Italie et parfois l'Angleterre... En avançant ainsi, sans exclure personne a priori, nous formulerons une ambition nouvelle et réaliste pour l'Europe.
Les militants socialistes doutent de l'Europe...
L'Europe a besoin d'une nouvelle légitimité populaire. Mais il ne faut pas se laisser piéger par la seule question de la Constitution, alibi de notre insuffisance. Les socialistes ne retrouveront pas la confiance des milieux populaires en criant " vive la crise " de l'Europe. Nous donnerions le sentiment de nous renier et de légitimer des discours populistes.

(source http://www.psinfo.net, le 24 novembre 2003)