Texte intégral
Mes chers amis,
Nous considérons l'élection européenne comme une élection cruciale.
Nous n'avons pas l'intention de laisser détourner l'élection européenne en une élection de politique intérieure française avec des débats qui feraient perdre de vue le grand sujet européen. Nous avons l'intention d'assumer notre responsabilité, nous sommes le parti européen de la politique française. Le parti qui a fait naître l'idée d'Europe et qui l'a faite avancer et nous avons l'intention de défendre dans cette élection une vision de l'Europe. Pas une vision des polémiques intérieures. Il y a un temps pour le débat intérieur et il y a un temps pour le débat européen. Et nous le ferons d'autant plus que nous considérons qu'autour de l'idée européenne, on peut fédérer des femmes, des hommes, des citoyens français qui viennent d'horizons différents et qui l'attendent. Il n'y a pas de sujet sur lequel sont plus nombreux les Français qui voudraient qu'on se rassemble pour construire. Construire l'Europe, c'est le grand enjeu de l'avenir. Voilà notre ligne et voilà l'intention qui est la nôtre.
Il y a une immense absence d'information européenne. Les citoyens ne savent pas comment l'Europe fonctionne. Ce devrait être la responsabilité des pouvoirs publics que de le leur dire. Ils ne l'ont pas fait et n'ont pas l'intention de le faire. Et bien nous, nous avons l'intention de le faire à la mesure de nos forces. Un tiers des spots de télévision qui vont nous être alloués pendant cette campagne électorale sera consacré à l'information sur l'Europe à destination des citoyens : comment elle fonctionne, comment elle marche et qu'apporte-t-elle à un citoyen qui veut décider de son avenir. Voilà nos choix et ces choix ont une explication sur laquelle je voudrais revenir une minute.
Devant l'Europe, nous ne sommes pas comme les autres partis parce que nous sommes le parti de Robert Schuman. Ceux qui me connaissent ou me visitent savent que je n'ai jamais eu qu'une seule photo dans mon bureau, aucune autre, la photo de Robert Schuman. Parce qu'il me semble que si la vocation politique avait une icône, c'est Robert Schuman qui devrait être cette représentation. Un homme grand et modeste. Un modeste grand homme. Un homme - Henri Goetschy le disait ce matin - des frontières déchirées. Allemand, français et chaque fois l'humiliation, et chaque fois le regard en coin de ceux qui ne sont pas pareils. Et le cortège de déchirures, de familles brisées et de morts réfléchir et lire et méditer et peut-être prier, le week-end, au milieu des siens. Je trouve qu'il y a dans cette immense force d'idéal, accompagnée d'une modestie si profonde, une image de ce que la politique devrait être. Que nous formions ensemble, et que nous ne l'ayons jamais oublié, le parti de Robert Schuman, cela nous donne des responsabilités. Qu'en 54 ans, nous n'ayons jamais manqué, pas une seule fois, au combat européen, quelle qu'ait été la difficulté des affrontements, cela donne une fierté. Je veux, par la pensée, saluer tous ceux qui ont tenu leur place sur la ligne de bataille, les bons et les mauvais jours. Je salue les parlementaires qui pleuraient en ce jour de 1954 où la fantastique idée de communauté européenne de défense a été annihilée par des alliances nationalistes. Je pense à ceux qui ont mené le combat européen et naturellement je pense à l'apport à l'Union européenne de Valéry Giscard d'Estaing qui aura été absolument exceptionnel. Cet homme aura fait l'élection du Parlement européen au suffrage universel, l'invention du Conseil européen. Il aura été parmi les promoteurs de la monnaie unique pour l'Europe et il aura été le rédacteur, si elle voit le jour, de la Constitution européenne.
C'est une formidable fierté d'avoir eu comme famille politique cette intuition. Et nous n'avons pas manqué non plus ces dernières années. Cette génération, notre génération a su, elle aussi, prendre ses responsabilités. J'ai été heureux qu'on rappelle que nous sommes la première famille politique a avoir osé faire d'une Constitution pour l'Europe et d'un Président pour l'Europe, le premier point de son programme, sous les ricanements généraux, aux dernières élections européennes de 1999. Il y avait dans tout cela une intuition qui est la colonne vertébrale du projet et je voudrais reprendre cette intuition parce qu'elle est aujourd'hui d'actualité cruciale. que cela comporte et entraîne. Et que ce soit cet homme-là qui, cinq ans seulement après la fin de la guerre, se soit levé, il y a cinquante-quatre ans et une semaine, dans le salon de l'horloge du quai d'Orsay pour dire cette chose incroyable : non pas seulement " nous allons faire la paix ", non pas seulement " nous devons travailler ensemble ", mais " nous allons bâtir une maison commune autour de ce pourquoi nous nous sommes fait la guerre pendant presque un siècle ". Il fallait être habité par une idée de l'homme et de l'engagement civique, politique, incroyable, par une foi à soulever les montagnes, pour être capable de faire cette proposition et de l'imposer, d'un coup, comme un mouvement irrésistible, à l'ensemble de l'Europe. Et le même homme qui, le vendredi reprenait le train, sans garde du corps, sans chauffeur, sans apparat, pour rentrer dans sa maison de Scy-Chazelles et Cette intuition est qu'il ne suffit pas, pour faire de grandes choses entre les pays européens, qu'ils aient de bonnes relations de voisinage. Il convient qu'ils forment une maison commune. Ce n'est pas la même chose. On peut être de bons voisins et s'entendre, on demeure étrangers. Mais si l'on bâtit une maison, on forme une famille et il y a des choses qu'on ne peut faire qu'avec l'élan et l'émotion d'une famille vivant dans une maison commune. C'était déjà l'intuition de Schuman et de Monet en 1950 et si vous y réfléchissez un peu, cela vaut pour une grande partie de la planète, ils se sont dit qu'on ne ferait pas la paix entre voisins. Il y avait presque un siècle qu'on essayait de faire la paix entre voisins et toujours le nationalisme reprenait le dessus. Il fallait dépasser le voisinage pour entrer dans une communauté. J'ai souvent pensé que si l'on songe à l'avenir du Proche-Orient, la pensée de Schuman et de Monet, n'était peut-être pas étrangère à l'une des seules clés qui existe pour l'avenir. Je ferme cette parenthèse. Ils ont pensé la même chose, communauté et pas voisinage, pour la prospérité économique, le marché commun, la Communauté économique, le Traité de Rome. Tout cela c'est une famille qui se formait et c'est la même chose pour la monnaie. Il ne suffisait pas que des banques centrales voisines nouent de bonnes relations, pour que nous trouvions la souveraineté monétaire que nous avions perdue. Regardons, il y a à peine trois ans, qui voudrait revenir aux monnaies nationales ? Y-a-t-il un seul des souverainistes qui se présentent dans cette élection qui proposerait à la France de quitter l'euro pour revenir au franc ? Y en a-t-il un seul ? Et ayant posé cette question à chacun d'entre eux à l'occasion des débats innombrables, alors qu'on mesure que leurs positions sont désormais des postures, qu'il n'y a pas de cohérence, il n'y a rien au bout de leur chemin. Je le dis sans sévérité, sans méchanceté, je comprends très bien l'enracinement dans l'idée nationale, dans la fierté nationale ; qui d'entre nous ne l'a pas ? Mais j'aime bien la formule du Général Morillon " c'est parce que je suis patriote, que je suis européen ", " c'est parce que nous sommes patriotes, que nous sommes européens ". Et cette vision, faisant ensemble, nous retrouvons des souverainetés que nous ne pouvons pas exercer tout seul. Il n'y avait plus de souveraineté monétaire pour le franc, il y avait l'attitude de soumission de ceux qui subissaient des dévaluations compétitives et des mouvements monétaires dont ils étaient victimes. Avec l'euro, nous avons récupéré notre souveraineté monétaire et ainsi le projet des Pères fondateurs - comme on dit - a-t-il été extraordinaire dans ses résultats. La paix est un fait tellement acquis, que nul n'ose même plus imaginer, y compris dans des délires, qu'il puisse y avoir des affrontements intra-européens, ils apparaîtraient comme une guerre civile. La prospérité a été telle que l'exemple proposé par l'Union européenne a fait tomber le mur de Berlin. La fermeté qui a été manifestée a fait tomber le mur de Berlin et l'euro est désormais une monnaie, chacun peut s'en apercevoir, qui est dans le monde, au moins à égalité avec le dollar et il ne se passera pas dix ans avant que les conséquences de ce fait ne se fassent sentir. Formidable réussite et formidable héritage.
Mais maintenant, nous sommes devant un nouveau défi et c'est la raison pour laquelle nous sommes-là. Le temps a changé. Le problème n'est plus seulement la paix, ce n'est plus seulement la prospérité, le problème est désormais la place de nos pays, de notre civilisation dans le monde des super-géants. La planète a pris un nouveau visage et nous voyons le super-géant américain, le super-géant chinois, chacun porteur d'un modèle de civilisation, d'un modèle de société, d'une culture et d'une langue, s'avancer sur la scène du monde comme des empires. Nous savons qu'il y aura au moins deux méga-puissances et si l'on regarde l'Inde, sans doute trois. La seule question est de savoir si nous voulons qu'autour de la table où se prendront les décisions du monde, nous soyons représentés ou pas. Ceci est une question pour notre temps, ce n'est plus de la politique comme on en fait entre partis. C'est de la politique pour l'histoire. Quand dans cinquante ou cent ans on écrira des livres d'histoire, on regardera à la loupe le début du XXIème siècle et ce jour-là on dira qui ont été les visionnaires et qui ont été les conservateurs frileux. Si nous voulons être représentés autour de la table où se prendront les décisions de la planète, en face des États-Unis, en face de la Chine, alors il faut que nous bâtissions une Europe digne de ce nom et il n'y a pas d'autre choix possible. Et il faut que nous l'assumions !
Et cela se décide maintenant, parce qu'il y a deux modèles en concurrence et que personne ne le dit. Défendus l'un et l'autre par des hommes tout à fait estimables, mais il y a bien deux modèles et selon l'aiguillage que nous prendrons, nous ne nous retrouverons pas au même endroit dans le siècle qui vient. Il y a des hommes avec qui on peut avoir des divergences et d'autres avec qui on a de l'amitié ou de l'admiration, mais qui défendent le même modèle qui n'est pas le nôtre. Parce que le modèle que défend Berlusconi est aussi défendu par des hommes comme Michel Rocard et par beaucoup de chefs d'État et de gouvernement européens. Ce modèle est, de leur aveu-même, le contraire du modèle que nous avons cherché à construire. Nous avons construit, nous, l'idée d'une Europe qui parlerait d'une seule voix pour agir sur la scène du monde. Et ils ont construit, eux, un modèle dans lequel l'Europe serait une espèce d'ONU à la dimension du continent dans laquelle auraient naturellement leur place tous les États qui le souhaiteraient pourvu qu'ils adoptent les règles du libre marché et un socle juridique commun. Dans les débats que j'ai souvent eus avec Michel Rocard, il affirme, il confesse qu'en effet il a renoncé au modèle de l'Europe, union politique parlant d'une seule voix. C'est la raison pour laquelle c'est parfaitement logique et cohérent : ceux-là voient l'Europe en perpétuelle extension, la Turquie, l'Ukraine, la Russie dit M. Berlusconi, nos pays voisins et amis du Maghreb, Israël, une Europe qui ne s'arrêterait jamais de grandir et donc, dont on ne connaîtrait jamais l'identité et la volonté. Ceci est un modèle qui n'est pas le nôtre et vous ne vous étonnerez pas que ce soit naturellement le modèle soutenu par nos amis Américains. Parce qu'une Europe en constante extension, qui ne trouverait jamais sa forme, son identité et son unité, c'est formidable pour faire du commerce et cela présente l'avantage que cela ne parlera jamais sur la scène du monde. C'est une Europe qui est une zone commerciale et juridique, ce n'est pas un acteur de la vie politique de la planète.
Nous avons l'intention de défendre l'autre modèle. L'Europe unie, homogène et qui parle assez fort pour qu'on l'écoute pour défendre ses valeurs et son modèle social. Car de la compétition des empires dépend évidemment le modèle de société dans lequel vous allez vivre. S'il y a une prééminence de la puissance américaine, vous aurez un modèle de société américain. S'il y a demain, dans vingt ou trente ans, une prééminence de la puissance chinoise, vous aurez un modèle de société qui s'en inspirera. Si vous voulez défendre les valeurs sociales, culturelles et scientifiques européennes, alors, il faut bâtir une Europe qui soit capable de parler aussi fort que les autres et de faire respecter sa parole. Mais il y a à cela deux conditions : la première est que nous sachions ce que c'est que l'Europe, quel est son patrimoine historique, géographique, culturel, quelles sont ses valeurs et quel est son périmètre. La seconde est que nous fassions de l'Europe une démocratie pour les citoyens. Je voudrais m'arrêter une seconde sur ce point.
Il y a dans l'esprit de beaucoup de Français un quiproquo sur l'idée européenne dont les gouvernants sont responsables. Les Français ressentent l'Europe comme une bureaucratie tatillonne qui vient essayer de réglementer les fromages au lait cru, la chasse ou les marchés ruraux du mardi matin. Pour nous, l'Europe c'est exactement le contraire. Nous avons besoin d'Europe pour s'occuper de l'essentiel c'est-à-dire de la défense européenne, de la lutte contre le terrorisme, de la recherche et de la défense de nos emplois et ce n'est pas la mission de l'Europe de s'occuper principalement du foie gras. Nous voulons une Europe qui s'occupe de défense et pas une Europe qui s'occupe du foie gras. Et si on le dit ainsi, alors on voit apparaître la vraie majorité silencieuse des citoyens européens, ces 70% de citoyens qui savent bien que pour leurs enfants, ils ont besoin d'Europe et qui voudraient simplement la comprendre et y participer. Notre choix est celui-là : nous voulons que l'union politique de l'Europe soit une démocratie et c'est très simple de bâtir une démocratie, si on sait exactement ce qu'on veut. On veut que les citoyens sachent comment ça marche. On veut qu'ils soient informés de toutes les décisions à l'avance et pas qu'ils l'apprennent dans le journal parce qu'on leur dit " l'Europe a décidé que ". C'est la raison pour laquelle nous proposerons dans notre programme, qu'aucune décision de l'Europe ne puisse être prise sans que les citoyens en aient été informé six mois à l'avance, pour qu'ils aient le temps de s'organiser, d'aller voir leur parlementaire européen et de dire " si vous ne nous écoutez pas, on ne vous réélira pas ". C'est la raison pour laquelle nous voulons des dirigeants responsables. Nous avons été les premiers à proposer l'idée d'un président pour l'Union européenne, d'une Constitution qui fasse un président et c'est pourquoi nous sommes perplexes au minimum quand on voit qu'au lieu de donner un président à l'Union on va en donner deux, presque trois. Un président pour le Conseil, un président pour la Commission - et on ne sait pas très bien comment leurs rapports seront organisés - et de surcroît un ministre des affaires étrangères qui sera une sorte de troisième président à lui tout seul. Nous disons que l'engagement pour une Europe démocratique, cela veut dire qu'il y ait des responsables que les citoyens identifient pour aller leur demander des comptes et leur demander de porter leurs idées. Une transparence de toutes les décisions des responsables et des débats publics. Nous voulons que les débats du Conseil deviennent des débats auxquels, par l'intermédiaire de la télévision et des journaux, tous les citoyens européens puissent participer. Je voudrais vous soumettre un souvenir. Dans le drame irakien, tous les citoyens de la planète ont vu fonctionner le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Vous tous qui êtes là, vous vous souvenez du discours du Ministre des Affaires étrangères français, du Ministre des Affaires étrangères américain ; vous savez où l'un et l'autre étaient assis, quelle était la couleur des murs et de quel ton ils s'exprimaient et vous avez entendu les applaudissements qui en disaient beaucoup naturellement, sur le sentiment du monde à l'égard des positions des uns et des autres. C'était une scène du débat public de la planète. N'avez-vous jamais eu la moindre de ces images pour un Conseil européen ? Or, c'est une union politique, mais cela se passe dans les couloirs, entre initiés, personne n'en sait jamais rien. Je rêve de voir le Président de la République française se lever et dire " au nom de la France, je pense que nous devrions faire cela " et en face de lui le Premier ministre britannique ou polonais disant " au nom de la Grande-Bretagne ", " au nom de la Pologne, je pense et je demande que l'on fasse cela ". Dès l'instant où le débat est public et où les décisions ou l'agenda sont annoncés aux citoyens, la démocratie naît et les citoyens récupèrent le pouvoir que les gouvernants ne pensent généralement qu'à leur dérober. Voilà pourquoi nous voulons une Europe démocratique.
L'idée est très simple et je la résume : pour exister face aux Etats-Unis et à la Chine, il faut une Europe unie. Pour qu'elle soit unie, il faut qu'elle soit homogène. Pour qu'elle soit forte, il faut qu'elle soit démocratique. C'est une vision complètement différente des brouillons balbutiants que nous avons eu ces dernières années. Nous voulons cette Europe d'un nouveau siècle. Nous la voulons pour nous-mêmes et nous la voudrions pour d'autres.
Je voudrais que l'on réfléchisse à ceci : il existe des continents - je pense à l'Amérique du Sud, je pense à l'Afrique, je pense à une partie de l'Asie du sud-est - qui rencontrent tant de crises et tant de souffrances qui viennent de ce qu'ils sont divisés, désorganisés et que leur voix ne peut pas se faire entendre. Le modèle qu'ont pensé les pères de l'Europe, il y a 50 ans, le modèle de Schuman et de Monet, ce modèle-là vaut pour nous et, mes chers amis, il vaut aussi pour eux. C'est le plus des cadeaux que nous pourrions faire au monde, de montrer à chacun de ceux qui s'angoissent, qui meurent de faim, qui n'arrivent pas à s'en sortir, qu'il existe un modèle, qu'il existe un chemin dans lequel chacun peut conserver son identité, chacun peut conserver ses valeurs, mais où en travaillant tous ensemble on parvient à changer le monde. C'est cela que nous allons défendre devant les Français aux élections européennes.
Nous avons besoin d'Europe. La France a besoin d'Europe, mais le monde a besoin d'Europe et nous ne le ferons pas seulement pour nous, nous le ferons aussi pour eux.
Je vous remercie
(Source http://www.udf.org, le 17 mai 2004)
Nous considérons l'élection européenne comme une élection cruciale.
Nous n'avons pas l'intention de laisser détourner l'élection européenne en une élection de politique intérieure française avec des débats qui feraient perdre de vue le grand sujet européen. Nous avons l'intention d'assumer notre responsabilité, nous sommes le parti européen de la politique française. Le parti qui a fait naître l'idée d'Europe et qui l'a faite avancer et nous avons l'intention de défendre dans cette élection une vision de l'Europe. Pas une vision des polémiques intérieures. Il y a un temps pour le débat intérieur et il y a un temps pour le débat européen. Et nous le ferons d'autant plus que nous considérons qu'autour de l'idée européenne, on peut fédérer des femmes, des hommes, des citoyens français qui viennent d'horizons différents et qui l'attendent. Il n'y a pas de sujet sur lequel sont plus nombreux les Français qui voudraient qu'on se rassemble pour construire. Construire l'Europe, c'est le grand enjeu de l'avenir. Voilà notre ligne et voilà l'intention qui est la nôtre.
Il y a une immense absence d'information européenne. Les citoyens ne savent pas comment l'Europe fonctionne. Ce devrait être la responsabilité des pouvoirs publics que de le leur dire. Ils ne l'ont pas fait et n'ont pas l'intention de le faire. Et bien nous, nous avons l'intention de le faire à la mesure de nos forces. Un tiers des spots de télévision qui vont nous être alloués pendant cette campagne électorale sera consacré à l'information sur l'Europe à destination des citoyens : comment elle fonctionne, comment elle marche et qu'apporte-t-elle à un citoyen qui veut décider de son avenir. Voilà nos choix et ces choix ont une explication sur laquelle je voudrais revenir une minute.
Devant l'Europe, nous ne sommes pas comme les autres partis parce que nous sommes le parti de Robert Schuman. Ceux qui me connaissent ou me visitent savent que je n'ai jamais eu qu'une seule photo dans mon bureau, aucune autre, la photo de Robert Schuman. Parce qu'il me semble que si la vocation politique avait une icône, c'est Robert Schuman qui devrait être cette représentation. Un homme grand et modeste. Un modeste grand homme. Un homme - Henri Goetschy le disait ce matin - des frontières déchirées. Allemand, français et chaque fois l'humiliation, et chaque fois le regard en coin de ceux qui ne sont pas pareils. Et le cortège de déchirures, de familles brisées et de morts réfléchir et lire et méditer et peut-être prier, le week-end, au milieu des siens. Je trouve qu'il y a dans cette immense force d'idéal, accompagnée d'une modestie si profonde, une image de ce que la politique devrait être. Que nous formions ensemble, et que nous ne l'ayons jamais oublié, le parti de Robert Schuman, cela nous donne des responsabilités. Qu'en 54 ans, nous n'ayons jamais manqué, pas une seule fois, au combat européen, quelle qu'ait été la difficulté des affrontements, cela donne une fierté. Je veux, par la pensée, saluer tous ceux qui ont tenu leur place sur la ligne de bataille, les bons et les mauvais jours. Je salue les parlementaires qui pleuraient en ce jour de 1954 où la fantastique idée de communauté européenne de défense a été annihilée par des alliances nationalistes. Je pense à ceux qui ont mené le combat européen et naturellement je pense à l'apport à l'Union européenne de Valéry Giscard d'Estaing qui aura été absolument exceptionnel. Cet homme aura fait l'élection du Parlement européen au suffrage universel, l'invention du Conseil européen. Il aura été parmi les promoteurs de la monnaie unique pour l'Europe et il aura été le rédacteur, si elle voit le jour, de la Constitution européenne.
C'est une formidable fierté d'avoir eu comme famille politique cette intuition. Et nous n'avons pas manqué non plus ces dernières années. Cette génération, notre génération a su, elle aussi, prendre ses responsabilités. J'ai été heureux qu'on rappelle que nous sommes la première famille politique a avoir osé faire d'une Constitution pour l'Europe et d'un Président pour l'Europe, le premier point de son programme, sous les ricanements généraux, aux dernières élections européennes de 1999. Il y avait dans tout cela une intuition qui est la colonne vertébrale du projet et je voudrais reprendre cette intuition parce qu'elle est aujourd'hui d'actualité cruciale. que cela comporte et entraîne. Et que ce soit cet homme-là qui, cinq ans seulement après la fin de la guerre, se soit levé, il y a cinquante-quatre ans et une semaine, dans le salon de l'horloge du quai d'Orsay pour dire cette chose incroyable : non pas seulement " nous allons faire la paix ", non pas seulement " nous devons travailler ensemble ", mais " nous allons bâtir une maison commune autour de ce pourquoi nous nous sommes fait la guerre pendant presque un siècle ". Il fallait être habité par une idée de l'homme et de l'engagement civique, politique, incroyable, par une foi à soulever les montagnes, pour être capable de faire cette proposition et de l'imposer, d'un coup, comme un mouvement irrésistible, à l'ensemble de l'Europe. Et le même homme qui, le vendredi reprenait le train, sans garde du corps, sans chauffeur, sans apparat, pour rentrer dans sa maison de Scy-Chazelles et Cette intuition est qu'il ne suffit pas, pour faire de grandes choses entre les pays européens, qu'ils aient de bonnes relations de voisinage. Il convient qu'ils forment une maison commune. Ce n'est pas la même chose. On peut être de bons voisins et s'entendre, on demeure étrangers. Mais si l'on bâtit une maison, on forme une famille et il y a des choses qu'on ne peut faire qu'avec l'élan et l'émotion d'une famille vivant dans une maison commune. C'était déjà l'intuition de Schuman et de Monet en 1950 et si vous y réfléchissez un peu, cela vaut pour une grande partie de la planète, ils se sont dit qu'on ne ferait pas la paix entre voisins. Il y avait presque un siècle qu'on essayait de faire la paix entre voisins et toujours le nationalisme reprenait le dessus. Il fallait dépasser le voisinage pour entrer dans une communauté. J'ai souvent pensé que si l'on songe à l'avenir du Proche-Orient, la pensée de Schuman et de Monet, n'était peut-être pas étrangère à l'une des seules clés qui existe pour l'avenir. Je ferme cette parenthèse. Ils ont pensé la même chose, communauté et pas voisinage, pour la prospérité économique, le marché commun, la Communauté économique, le Traité de Rome. Tout cela c'est une famille qui se formait et c'est la même chose pour la monnaie. Il ne suffisait pas que des banques centrales voisines nouent de bonnes relations, pour que nous trouvions la souveraineté monétaire que nous avions perdue. Regardons, il y a à peine trois ans, qui voudrait revenir aux monnaies nationales ? Y-a-t-il un seul des souverainistes qui se présentent dans cette élection qui proposerait à la France de quitter l'euro pour revenir au franc ? Y en a-t-il un seul ? Et ayant posé cette question à chacun d'entre eux à l'occasion des débats innombrables, alors qu'on mesure que leurs positions sont désormais des postures, qu'il n'y a pas de cohérence, il n'y a rien au bout de leur chemin. Je le dis sans sévérité, sans méchanceté, je comprends très bien l'enracinement dans l'idée nationale, dans la fierté nationale ; qui d'entre nous ne l'a pas ? Mais j'aime bien la formule du Général Morillon " c'est parce que je suis patriote, que je suis européen ", " c'est parce que nous sommes patriotes, que nous sommes européens ". Et cette vision, faisant ensemble, nous retrouvons des souverainetés que nous ne pouvons pas exercer tout seul. Il n'y avait plus de souveraineté monétaire pour le franc, il y avait l'attitude de soumission de ceux qui subissaient des dévaluations compétitives et des mouvements monétaires dont ils étaient victimes. Avec l'euro, nous avons récupéré notre souveraineté monétaire et ainsi le projet des Pères fondateurs - comme on dit - a-t-il été extraordinaire dans ses résultats. La paix est un fait tellement acquis, que nul n'ose même plus imaginer, y compris dans des délires, qu'il puisse y avoir des affrontements intra-européens, ils apparaîtraient comme une guerre civile. La prospérité a été telle que l'exemple proposé par l'Union européenne a fait tomber le mur de Berlin. La fermeté qui a été manifestée a fait tomber le mur de Berlin et l'euro est désormais une monnaie, chacun peut s'en apercevoir, qui est dans le monde, au moins à égalité avec le dollar et il ne se passera pas dix ans avant que les conséquences de ce fait ne se fassent sentir. Formidable réussite et formidable héritage.
Mais maintenant, nous sommes devant un nouveau défi et c'est la raison pour laquelle nous sommes-là. Le temps a changé. Le problème n'est plus seulement la paix, ce n'est plus seulement la prospérité, le problème est désormais la place de nos pays, de notre civilisation dans le monde des super-géants. La planète a pris un nouveau visage et nous voyons le super-géant américain, le super-géant chinois, chacun porteur d'un modèle de civilisation, d'un modèle de société, d'une culture et d'une langue, s'avancer sur la scène du monde comme des empires. Nous savons qu'il y aura au moins deux méga-puissances et si l'on regarde l'Inde, sans doute trois. La seule question est de savoir si nous voulons qu'autour de la table où se prendront les décisions du monde, nous soyons représentés ou pas. Ceci est une question pour notre temps, ce n'est plus de la politique comme on en fait entre partis. C'est de la politique pour l'histoire. Quand dans cinquante ou cent ans on écrira des livres d'histoire, on regardera à la loupe le début du XXIème siècle et ce jour-là on dira qui ont été les visionnaires et qui ont été les conservateurs frileux. Si nous voulons être représentés autour de la table où se prendront les décisions de la planète, en face des États-Unis, en face de la Chine, alors il faut que nous bâtissions une Europe digne de ce nom et il n'y a pas d'autre choix possible. Et il faut que nous l'assumions !
Et cela se décide maintenant, parce qu'il y a deux modèles en concurrence et que personne ne le dit. Défendus l'un et l'autre par des hommes tout à fait estimables, mais il y a bien deux modèles et selon l'aiguillage que nous prendrons, nous ne nous retrouverons pas au même endroit dans le siècle qui vient. Il y a des hommes avec qui on peut avoir des divergences et d'autres avec qui on a de l'amitié ou de l'admiration, mais qui défendent le même modèle qui n'est pas le nôtre. Parce que le modèle que défend Berlusconi est aussi défendu par des hommes comme Michel Rocard et par beaucoup de chefs d'État et de gouvernement européens. Ce modèle est, de leur aveu-même, le contraire du modèle que nous avons cherché à construire. Nous avons construit, nous, l'idée d'une Europe qui parlerait d'une seule voix pour agir sur la scène du monde. Et ils ont construit, eux, un modèle dans lequel l'Europe serait une espèce d'ONU à la dimension du continent dans laquelle auraient naturellement leur place tous les États qui le souhaiteraient pourvu qu'ils adoptent les règles du libre marché et un socle juridique commun. Dans les débats que j'ai souvent eus avec Michel Rocard, il affirme, il confesse qu'en effet il a renoncé au modèle de l'Europe, union politique parlant d'une seule voix. C'est la raison pour laquelle c'est parfaitement logique et cohérent : ceux-là voient l'Europe en perpétuelle extension, la Turquie, l'Ukraine, la Russie dit M. Berlusconi, nos pays voisins et amis du Maghreb, Israël, une Europe qui ne s'arrêterait jamais de grandir et donc, dont on ne connaîtrait jamais l'identité et la volonté. Ceci est un modèle qui n'est pas le nôtre et vous ne vous étonnerez pas que ce soit naturellement le modèle soutenu par nos amis Américains. Parce qu'une Europe en constante extension, qui ne trouverait jamais sa forme, son identité et son unité, c'est formidable pour faire du commerce et cela présente l'avantage que cela ne parlera jamais sur la scène du monde. C'est une Europe qui est une zone commerciale et juridique, ce n'est pas un acteur de la vie politique de la planète.
Nous avons l'intention de défendre l'autre modèle. L'Europe unie, homogène et qui parle assez fort pour qu'on l'écoute pour défendre ses valeurs et son modèle social. Car de la compétition des empires dépend évidemment le modèle de société dans lequel vous allez vivre. S'il y a une prééminence de la puissance américaine, vous aurez un modèle de société américain. S'il y a demain, dans vingt ou trente ans, une prééminence de la puissance chinoise, vous aurez un modèle de société qui s'en inspirera. Si vous voulez défendre les valeurs sociales, culturelles et scientifiques européennes, alors, il faut bâtir une Europe qui soit capable de parler aussi fort que les autres et de faire respecter sa parole. Mais il y a à cela deux conditions : la première est que nous sachions ce que c'est que l'Europe, quel est son patrimoine historique, géographique, culturel, quelles sont ses valeurs et quel est son périmètre. La seconde est que nous fassions de l'Europe une démocratie pour les citoyens. Je voudrais m'arrêter une seconde sur ce point.
Il y a dans l'esprit de beaucoup de Français un quiproquo sur l'idée européenne dont les gouvernants sont responsables. Les Français ressentent l'Europe comme une bureaucratie tatillonne qui vient essayer de réglementer les fromages au lait cru, la chasse ou les marchés ruraux du mardi matin. Pour nous, l'Europe c'est exactement le contraire. Nous avons besoin d'Europe pour s'occuper de l'essentiel c'est-à-dire de la défense européenne, de la lutte contre le terrorisme, de la recherche et de la défense de nos emplois et ce n'est pas la mission de l'Europe de s'occuper principalement du foie gras. Nous voulons une Europe qui s'occupe de défense et pas une Europe qui s'occupe du foie gras. Et si on le dit ainsi, alors on voit apparaître la vraie majorité silencieuse des citoyens européens, ces 70% de citoyens qui savent bien que pour leurs enfants, ils ont besoin d'Europe et qui voudraient simplement la comprendre et y participer. Notre choix est celui-là : nous voulons que l'union politique de l'Europe soit une démocratie et c'est très simple de bâtir une démocratie, si on sait exactement ce qu'on veut. On veut que les citoyens sachent comment ça marche. On veut qu'ils soient informés de toutes les décisions à l'avance et pas qu'ils l'apprennent dans le journal parce qu'on leur dit " l'Europe a décidé que ". C'est la raison pour laquelle nous proposerons dans notre programme, qu'aucune décision de l'Europe ne puisse être prise sans que les citoyens en aient été informé six mois à l'avance, pour qu'ils aient le temps de s'organiser, d'aller voir leur parlementaire européen et de dire " si vous ne nous écoutez pas, on ne vous réélira pas ". C'est la raison pour laquelle nous voulons des dirigeants responsables. Nous avons été les premiers à proposer l'idée d'un président pour l'Union européenne, d'une Constitution qui fasse un président et c'est pourquoi nous sommes perplexes au minimum quand on voit qu'au lieu de donner un président à l'Union on va en donner deux, presque trois. Un président pour le Conseil, un président pour la Commission - et on ne sait pas très bien comment leurs rapports seront organisés - et de surcroît un ministre des affaires étrangères qui sera une sorte de troisième président à lui tout seul. Nous disons que l'engagement pour une Europe démocratique, cela veut dire qu'il y ait des responsables que les citoyens identifient pour aller leur demander des comptes et leur demander de porter leurs idées. Une transparence de toutes les décisions des responsables et des débats publics. Nous voulons que les débats du Conseil deviennent des débats auxquels, par l'intermédiaire de la télévision et des journaux, tous les citoyens européens puissent participer. Je voudrais vous soumettre un souvenir. Dans le drame irakien, tous les citoyens de la planète ont vu fonctionner le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Vous tous qui êtes là, vous vous souvenez du discours du Ministre des Affaires étrangères français, du Ministre des Affaires étrangères américain ; vous savez où l'un et l'autre étaient assis, quelle était la couleur des murs et de quel ton ils s'exprimaient et vous avez entendu les applaudissements qui en disaient beaucoup naturellement, sur le sentiment du monde à l'égard des positions des uns et des autres. C'était une scène du débat public de la planète. N'avez-vous jamais eu la moindre de ces images pour un Conseil européen ? Or, c'est une union politique, mais cela se passe dans les couloirs, entre initiés, personne n'en sait jamais rien. Je rêve de voir le Président de la République française se lever et dire " au nom de la France, je pense que nous devrions faire cela " et en face de lui le Premier ministre britannique ou polonais disant " au nom de la Grande-Bretagne ", " au nom de la Pologne, je pense et je demande que l'on fasse cela ". Dès l'instant où le débat est public et où les décisions ou l'agenda sont annoncés aux citoyens, la démocratie naît et les citoyens récupèrent le pouvoir que les gouvernants ne pensent généralement qu'à leur dérober. Voilà pourquoi nous voulons une Europe démocratique.
L'idée est très simple et je la résume : pour exister face aux Etats-Unis et à la Chine, il faut une Europe unie. Pour qu'elle soit unie, il faut qu'elle soit homogène. Pour qu'elle soit forte, il faut qu'elle soit démocratique. C'est une vision complètement différente des brouillons balbutiants que nous avons eu ces dernières années. Nous voulons cette Europe d'un nouveau siècle. Nous la voulons pour nous-mêmes et nous la voudrions pour d'autres.
Je voudrais que l'on réfléchisse à ceci : il existe des continents - je pense à l'Amérique du Sud, je pense à l'Afrique, je pense à une partie de l'Asie du sud-est - qui rencontrent tant de crises et tant de souffrances qui viennent de ce qu'ils sont divisés, désorganisés et que leur voix ne peut pas se faire entendre. Le modèle qu'ont pensé les pères de l'Europe, il y a 50 ans, le modèle de Schuman et de Monet, ce modèle-là vaut pour nous et, mes chers amis, il vaut aussi pour eux. C'est le plus des cadeaux que nous pourrions faire au monde, de montrer à chacun de ceux qui s'angoissent, qui meurent de faim, qui n'arrivent pas à s'en sortir, qu'il existe un modèle, qu'il existe un chemin dans lequel chacun peut conserver son identité, chacun peut conserver ses valeurs, mais où en travaillant tous ensemble on parvient à changer le monde. C'est cela que nous allons défendre devant les Français aux élections européennes.
Nous avons besoin d'Europe. La France a besoin d'Europe, mais le monde a besoin d'Europe et nous ne le ferons pas seulement pour nous, nous le ferons aussi pour eux.
Je vous remercie
(Source http://www.udf.org, le 17 mai 2004)