Texte intégral
Q - Est-ce que c'est exact, vous faites avec nous la fête à la Pologne ?
R - Absolument. D'ailleurs j'avais organisé au ministère des Affaires étrangères, le lendemain même de la signature du Traité d'Athènes, qui a scellé les retrouvailles de la grande famille européenne maintenant à 25, une grande fête
Q - Il y avait du monde !
R - Il y avait 1 300 personnes, un très grand nombre de Français d'origine polonaise, et beaucoup de Polonais liés à la France. Donc la fête continue, jusqu'au 1er mai 2004. C'est un grand moment historique que nos générations ont la chance de vivre.
Q - Madame la Ministre, peut-on dire ici, et vous me direz si vous êtes en accord avec nous, qu'il s'agit dans cette opération de réunification de l'Europe, de faire oublier à nos amis polonais les crimes de l'histoire perpétués contre leur nation au fil des ans ?
R - C'est vrai que dans l'idée de l'Europe, il y a l'idée de panser des blessures. Cela a été vrai de la réconciliation franco-allemande, vous vous souvenez, dans les années 1950 ; cela a été vrai de la réconciliation germano-polonaise, avec "l'Ostpolitik" de Willy Brandt ; et c'est vrai de l'Europe aujourd'hui. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les Européens devraient avoir davantage le sentiment qu'ils reconstruisent leur histoire. Ils reconstruisent l'histoire du continent européen qui a connu tant de guerres et qui maintenant doit connaître non seulement la paix, qui doit se perpétuer et qui est celle de notre destin depuis cinquante ans, mais aussi qui nous appelle faire des choses ensemble, concrètement. C'est toute l'idée de l'Europe nouvelle.
Q - Moi je suis heureux d'entendre cela, Madame la Ministre, car vous savez, on a très peu expliqué aux Français, on leur a présenté l'élargissement comme quelque chose qui s'imposait, dont on avait peur, c'était "touche pas à mes subventions". On avait peur, on ne savait pas qu'ils revenaient et qu'il fallait les accompagner et les recevoir, alors que cela apparaît maintenant comme une vieille affaire : parce qu'il y a dix ans qu'on parle de l'élargissement.
R - Quinze ans !
Q - Quinze ans ! Il y a quinze ans qu'on montre la possible photo future qu'on aura avec les quinze de plus.
R - Le président de la République a été, il faut le souligner, le premier homme politique européen de très haut niveau - il était maire de Paris - à avoir souhaité que cet élargissement, une fois l'Europe ayant la capacité de se réunifier, soit le plus ample possible. Maintenant c'est chose faite. Souvenez-vous de la liesse dans toute l'Europe après la chute du mur de Berlin, et de Rostropovitch qui était à ce moment dans les rues en train de jouer de son magnifique violoncelle Eh bien maintenant on a l'impression que ce qui a été le grand soulagement, le grand "ouf" de l'époque, on ne le retrouve pas assez. Je crois que c'est un peu dommage. Pour ce qui concerne la Pologne - nous avons quand même un million de ressortissants français d'origine polonaise - c'est vraiment un pays avec lequel nous vivons.
Q - (A propos d'une discussion avec M. Jan Truszczynski, sous-secrétaire d'Etat au ministère des Affaires étrangères de Pologne)
R - Je crois que le dialogue fonctionne très bien entre nous. C'est vrai que nous avons connu une crise importante pour un motif grave. C'est vrai que les pays européens n'ont pas tous suivi toujours la même direction, je parle de la crise irakienne. Mais maintenant, ce qu'il faut savoir, c'est qu'il est très important que tous les pays européens aient la même volonté : aller dans le sens d'une politique européenne des Affaires étrangères digne de ce nom, qui permette à l'Europe d'être un véritable acteur sur la scène internationale. Ce qui justifie qu'on aille plus loin dans la politique européenne de sécurité et de défense qui est l'instrument, si je puis dire, de cette politique étrangère, ne serait-ce que parce que nous avons aussi pour mission, vis-à-vis de nos concitoyens, d'assurer leur sécurité.
Je suis contente à cet égard de voir que, lors de ma dernière visite à Varsovie le 26 mai dernier, avec mon collègue allemand, M. Bury, où j'ai rencontré Mme Hübner, qui est une de nos collègues, ministre des Affaires européennes de la Pologne, nous avons adopté une déclaration commune : nous nous sommes mis d'accord sur la nécessité dans la future nouvelle grande Europe, d'un renforcement de nos capacités civiles et militaires, et cela, dit cette déclaration, d'une manière qui soit "compatible" avec l'OTAN. Ce qui veut dire qu'il faut que l'Europe soit en relation de partenariat avec l'OTAN. Nous ne sommes pas à l'écart de la relation transatlantique. Mais il y a aussi la nécessité pour nous de pouvoir affirmer que nous avons la volonté de construire notre destin et d'assurer aussi notre sécurité.
()
Q - (A propos de la politique étrangère européenne)
R - Je suis juste un tout petit peu étonnée de voir un de nos amis et éminent Français d'origine polonaise, M. Zalewski, le directeur de la bibliothèque polonaise à Paris, être aussi, je dirais, défaitiste. Parce que la politique étrangère qui a été définie déjà depuis une dizaine d'années, commence tout juste. Lorsque nous avons fait l'euro et qu'il a été mis en circulation en 2002, cela faisait trente ans que nous essayions pas à pas de faire cette grande uvre qui, maintenant, nous paraît aussi évidente et aussi naturelle que si nous n'avions jamais eu de francs dans notre poche. La politique étrangère s'est fondée sur une volonté qui est de donner une identité à l'Europe. Parce qu'on se construit aussi vis-à-vis des autres.
Les Européens doivent se raccrocher à l'idée très volontariste qu'ils sont en train de construire l'Europe, au lieu de constater que nous ne sommes pas toujours d'accord. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur la politique agricole commune. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur la libéralisation du marché. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur la meilleure manière de contrôler, disons les pollutions, ou même de réglementer la chasse en Europe. Et pourtant nous faisons l'Europe. S'il n'y a pas une volonté politique, que les politiques arrivent à transmettre à la population, et notamment aux intellectuels, qui ont une responsabilité historique à cet égard, nous n'arriverons pas à continuer l'Europe à 25. Parce que nous baisserons les bras à la moindre crise. La crise consubstantielle à la construction de l'Europe est, je dirais, la marque de l'intérêt de la construction européenne. Parce que sans cela, si nous considérons que, parce que nous nous disputons et que nous ne sommes pas d'accord, il faut revenir en arrière, nous ne ferons jamais l'Europe. Ou alors peut-être nous risquerons de nous faire la guerre comme nous l'avons faite pendant des siècles et des siècles, puisque c'est ce que nous avons de plus commun, dans notre destin, hélas, d'Européens.
Le monde n'attend pas l'Europe, et donc les Européens doivent être bien décidés à continuer, sans cela on reviendra en arrière. Et moi je dis, aujourd'hui, "tak", je voudrais dire à nos amis polonais "tak, tak, tak". Ce sont les trois coups de la nouvelle Europe au sein de laquelle on ne peut pas imaginer que la Pologne ne figure pas. Cela veut dire "oui, oui, oui" en polonais, trois fois oui.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 juin 2003)
R - Absolument. D'ailleurs j'avais organisé au ministère des Affaires étrangères, le lendemain même de la signature du Traité d'Athènes, qui a scellé les retrouvailles de la grande famille européenne maintenant à 25, une grande fête
Q - Il y avait du monde !
R - Il y avait 1 300 personnes, un très grand nombre de Français d'origine polonaise, et beaucoup de Polonais liés à la France. Donc la fête continue, jusqu'au 1er mai 2004. C'est un grand moment historique que nos générations ont la chance de vivre.
Q - Madame la Ministre, peut-on dire ici, et vous me direz si vous êtes en accord avec nous, qu'il s'agit dans cette opération de réunification de l'Europe, de faire oublier à nos amis polonais les crimes de l'histoire perpétués contre leur nation au fil des ans ?
R - C'est vrai que dans l'idée de l'Europe, il y a l'idée de panser des blessures. Cela a été vrai de la réconciliation franco-allemande, vous vous souvenez, dans les années 1950 ; cela a été vrai de la réconciliation germano-polonaise, avec "l'Ostpolitik" de Willy Brandt ; et c'est vrai de l'Europe aujourd'hui. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les Européens devraient avoir davantage le sentiment qu'ils reconstruisent leur histoire. Ils reconstruisent l'histoire du continent européen qui a connu tant de guerres et qui maintenant doit connaître non seulement la paix, qui doit se perpétuer et qui est celle de notre destin depuis cinquante ans, mais aussi qui nous appelle faire des choses ensemble, concrètement. C'est toute l'idée de l'Europe nouvelle.
Q - Moi je suis heureux d'entendre cela, Madame la Ministre, car vous savez, on a très peu expliqué aux Français, on leur a présenté l'élargissement comme quelque chose qui s'imposait, dont on avait peur, c'était "touche pas à mes subventions". On avait peur, on ne savait pas qu'ils revenaient et qu'il fallait les accompagner et les recevoir, alors que cela apparaît maintenant comme une vieille affaire : parce qu'il y a dix ans qu'on parle de l'élargissement.
R - Quinze ans !
Q - Quinze ans ! Il y a quinze ans qu'on montre la possible photo future qu'on aura avec les quinze de plus.
R - Le président de la République a été, il faut le souligner, le premier homme politique européen de très haut niveau - il était maire de Paris - à avoir souhaité que cet élargissement, une fois l'Europe ayant la capacité de se réunifier, soit le plus ample possible. Maintenant c'est chose faite. Souvenez-vous de la liesse dans toute l'Europe après la chute du mur de Berlin, et de Rostropovitch qui était à ce moment dans les rues en train de jouer de son magnifique violoncelle Eh bien maintenant on a l'impression que ce qui a été le grand soulagement, le grand "ouf" de l'époque, on ne le retrouve pas assez. Je crois que c'est un peu dommage. Pour ce qui concerne la Pologne - nous avons quand même un million de ressortissants français d'origine polonaise - c'est vraiment un pays avec lequel nous vivons.
Q - (A propos d'une discussion avec M. Jan Truszczynski, sous-secrétaire d'Etat au ministère des Affaires étrangères de Pologne)
R - Je crois que le dialogue fonctionne très bien entre nous. C'est vrai que nous avons connu une crise importante pour un motif grave. C'est vrai que les pays européens n'ont pas tous suivi toujours la même direction, je parle de la crise irakienne. Mais maintenant, ce qu'il faut savoir, c'est qu'il est très important que tous les pays européens aient la même volonté : aller dans le sens d'une politique européenne des Affaires étrangères digne de ce nom, qui permette à l'Europe d'être un véritable acteur sur la scène internationale. Ce qui justifie qu'on aille plus loin dans la politique européenne de sécurité et de défense qui est l'instrument, si je puis dire, de cette politique étrangère, ne serait-ce que parce que nous avons aussi pour mission, vis-à-vis de nos concitoyens, d'assurer leur sécurité.
Je suis contente à cet égard de voir que, lors de ma dernière visite à Varsovie le 26 mai dernier, avec mon collègue allemand, M. Bury, où j'ai rencontré Mme Hübner, qui est une de nos collègues, ministre des Affaires européennes de la Pologne, nous avons adopté une déclaration commune : nous nous sommes mis d'accord sur la nécessité dans la future nouvelle grande Europe, d'un renforcement de nos capacités civiles et militaires, et cela, dit cette déclaration, d'une manière qui soit "compatible" avec l'OTAN. Ce qui veut dire qu'il faut que l'Europe soit en relation de partenariat avec l'OTAN. Nous ne sommes pas à l'écart de la relation transatlantique. Mais il y a aussi la nécessité pour nous de pouvoir affirmer que nous avons la volonté de construire notre destin et d'assurer aussi notre sécurité.
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Q - (A propos de la politique étrangère européenne)
R - Je suis juste un tout petit peu étonnée de voir un de nos amis et éminent Français d'origine polonaise, M. Zalewski, le directeur de la bibliothèque polonaise à Paris, être aussi, je dirais, défaitiste. Parce que la politique étrangère qui a été définie déjà depuis une dizaine d'années, commence tout juste. Lorsque nous avons fait l'euro et qu'il a été mis en circulation en 2002, cela faisait trente ans que nous essayions pas à pas de faire cette grande uvre qui, maintenant, nous paraît aussi évidente et aussi naturelle que si nous n'avions jamais eu de francs dans notre poche. La politique étrangère s'est fondée sur une volonté qui est de donner une identité à l'Europe. Parce qu'on se construit aussi vis-à-vis des autres.
Les Européens doivent se raccrocher à l'idée très volontariste qu'ils sont en train de construire l'Europe, au lieu de constater que nous ne sommes pas toujours d'accord. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur la politique agricole commune. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur la libéralisation du marché. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur la meilleure manière de contrôler, disons les pollutions, ou même de réglementer la chasse en Europe. Et pourtant nous faisons l'Europe. S'il n'y a pas une volonté politique, que les politiques arrivent à transmettre à la population, et notamment aux intellectuels, qui ont une responsabilité historique à cet égard, nous n'arriverons pas à continuer l'Europe à 25. Parce que nous baisserons les bras à la moindre crise. La crise consubstantielle à la construction de l'Europe est, je dirais, la marque de l'intérêt de la construction européenne. Parce que sans cela, si nous considérons que, parce que nous nous disputons et que nous ne sommes pas d'accord, il faut revenir en arrière, nous ne ferons jamais l'Europe. Ou alors peut-être nous risquerons de nous faire la guerre comme nous l'avons faite pendant des siècles et des siècles, puisque c'est ce que nous avons de plus commun, dans notre destin, hélas, d'Européens.
Le monde n'attend pas l'Europe, et donc les Européens doivent être bien décidés à continuer, sans cela on reviendra en arrière. Et moi je dis, aujourd'hui, "tak", je voudrais dire à nos amis polonais "tak, tak, tak". Ce sont les trois coups de la nouvelle Europe au sein de laquelle on ne peut pas imaginer que la Pologne ne figure pas. Cela veut dire "oui, oui, oui" en polonais, trois fois oui.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 juin 2003)