Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale, sur les grands axes du projet de loi relatif à la politique de santé publique à l'Assemblée nationale le 7 avril 2004.

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Circonstance : Présentation en deuxième lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à la politique de santé publique à l'Assemblée nationale à Paris le 7 avril 2004

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les députés,
Le projet de loi dont nous allons débattre en deuxième lecture est au coeur des attentes les plus fortes des Françaises et des Français. Le 7 avril de chaque année, nous célébrons à la demande de l'OMS la journée mondiale de la santé. Aujourd'hui, le thème en est l'insécurité routière. La France a été choisie pour en être le pays organisateur. Et cela parce qu'à la demande du Président de la République, nous avons cassé cette hécatombe intolérable. Pouvions nous souhaiter meilleur jour pour que la représentation nationale débatte de la politique de santé publique ?
Dans un monde troublée par la rapidité des évolutions économiques, sociales et politiques, nos concitoyens ont besoin de savoir que leur bien le plus précieux, la santé, sera efficacement protégé.
Mondialisation, délocalisations, terrorisme, phénomènes migratoires incontrôlés : l'actualité est lourde de menaces et d'inquiétudes.
Pollutions, morts violentes, risques climatiques, sida, asthme, cancer, dépressions, légionellose, méningites : c'est la vie quotidienne de la population qui est atteinte.
Déficit de l'assurance maladie, urgences hospitalières saturées, qualité des soins menacée, diminution du nombre de médecins, difficultés de recrutement des infirmières : nos compatriotes s'interrogent. Pourront-ils continuer d'être soignés, soulagés, accompagnés alors que le vieillissement de la population crée de nouveaux besoins et que le progrès médical est de plus en plus coûteux ?
Il nous faut répondre à ces préoccupations de façon volontariste, claire, organisée. Notre pays fait un effort considérable pour la médecine et la santé. C'est plus de 150 milliards d'euros, 10 % de la richesse produite, qui est consacrée à soulager la souffrance, la maladie, les conséquences des accidents.
Depuis 1946, la République reconnaît à la santé une valeur constitutionnelle. Ainsi l'a voulu le mouvement issu de la Résistance incarné par le général de Gaulle. " La Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et au vieux travailleur la protection de la santé ". Ce principe est plus que jamais d'actualité. Il repose sur des valeurs qui font partie du patrimoine social de notre pays, du socle de notre vie commune, de notre identité nationale. Ces valeurs sont celles de la devise de la République mais ce sont aussi la solidarité sociale, l'accessibilité des soins, le refus des discriminations. Ces valeurs, nous les partageons tous ici. Et pourtant, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, en dépit de ces valeurs, en dépit de l'effort que la Nation consent pour la protection de la santé, nous ne pouvons pas être satisfaits de la situation sanitaire de notre pays.
Bien sûr, nous devons garder raison. On est en meilleure santé en France et on y est mieux soigné que dans bien des pays sur cette planète. Mais regardons de plus près.
- Est-il normal que la surmortalité des hommes jeunes nous enlève 7 années d'espérance de vie par rapport à la Suède ?
- Est-il acceptable qu'entre les ouvriers et les cadres, le différentiel d'espérance de vie soit de 6 années et demi ?
- Pouvons-nous nous satisfaire qu'il y ait 6 ans de différence d'espérance de vie entre le département le plus favorisé et le moins favorisé ? Et que penser des écarts importants entre la métropole et l'outre mer ?
- Comment accepter que le taux de prématurité soit plus élevé d'un quart chez agriculteurs, commerçants et artisans par rapport à la moyenne nationale ?
- Allons nous nous satisfaire de rester parmi les plus hauts consommateurs d'alcool du monde ?
- Allons-nous tolérer qu'une proportion importante de notre jeunesse devienne obèse, que sa consommation de cannabis continue de croître, et qu'elle continue de mourir prématurément de cancer, de maladie cardiovasculaire, de suicide et d'accident de la circulation ?
Comme médecin, ces constats me bouleversent. Comme ministre chargé de la santé, ils fondent ma motivation à agir avec une détermination absolue.
Comment faire vivre concrètement ces principes auxquels nous tenons tant ? Une partie de la réponse tient dans la modernisation de nos hôpitaux, de notre médecine de ville et de notre assurance maladie. Mais une autre partie de la réponse réside dans notre capacité à organiser la prévention et à maîtriser les risques au niveau de la population. Tel est l'objet du projet de loi relatif à la politique de santé publique.
Alors que l'on est bien soigné en France, la prévention organisée - dont les programmes de dépistage des cancers fournissent une illustration - reste faible. C'est bien cela qui explique les constats désolants dont je viens de parler.
Depuis la grande loi hygiéniste de 1902, notre système de santé a été organisé par strates successives : lois sur l'Assurance maladie, lois hospitalières, lois de sécurité sanitaire, loi sur les droits des malades, etc. La loi relative à la politique de santé publique ne vise pas à bouleverser cette architecture mais à lui donner plus de force et de cohérence.
Cette loi va permettre de doter notre pays d'un cadre permettant d'organiser les programmes de dépistage, l'éducation à la santé de nos concitoyens, la santé environnementale, la lutte contre les épidémies, la prévention des conséquences de la violence sur la santé des personnes, l'amélioration de la qualité de vie des malades, la réponse aux situations de crises sanitaires.
Il s'agit avant tout de s'organiser pour que l'ensemble de la population, y compris les plus fragiles au plan social, bénéficie des progrès de la science et de la médecine. Il faut aussi améliorer nos capacités d'anticipation en matière de risques sanitaires. Pour cela, ce projet de loi pose un principe et définit une méthode.
Le principe est d'instituer l'État comme le garant de la santé publique, ce qui signifie qu'il sera le pilote dans ce secteur. Cela passe par une clarification du rôle des acteurs car, actuellement, entre l'État, les agences, les ORS, l'Assurance maladie et les URCAM, les collectivités, les établissements de santé, les ARH, les professionnels libéraux et leurs URML, les entreprises, les associations..., il est bien difficile d'expliquer simplement qui doit faire quoi.
Le drame sanitaire et humain provoqué par la canicule de l'été dernier illustre jusqu'à la caricature les cloisonnements dans notre système de santé : entre les soins et la santé publique, entre le terrain et le niveau national, entre le médical et le social, entre les soins de ville et l'hôpital, etc. Pour prévenir les hyperthermies et les déshydratations, il faut être en mesure d'intervenir à domicile, dans les établissements de santé et médico-sociaux, dans les lieux hébergeant les personnes en perte d'autonomie. Cela est faisable à condition d'avoir soigneusement préparé les rôles des intervenants : pompiers, SAMU, médecins, urgentistes, infirmières, pharmaciens, travailleurs sociaux, associations, sécurité civile, médias, etc. Et cela à différents niveaux : national, régional, départemental, municipal.
Pour coordonner un ensemble aussi complexe, il faut un chef d'orchestre et cela ne peut être que l'État dont la mission fondatrice est la sécurité des personnes. Mais que l'on ne s'y trompe pas : un État garant n'est pas un État gérant qui aurait le monopole des actions de santé publique.
C'est à l'État d'impulser, de coordonner, d'animer et d'évaluer la politique de santé publique. Celle-ci n'a de réelles chances de succès que si la mobilisation de tous les acteurs est totale et organisée. Ainsi, ce qui manque le plus, actuellement, c'est une organisation cohérente, permettant une meilleure utilisation des ressources disponibles. Pour préparer notre pays à faire face à une pandémie grippale, ce que nous incite fermement à faire l'Organisation mondiale de la santé, pour que nous soyons prêts à prévenir la surmortalité des canicules, personne d'autre que l'État ne peut donner l'impulsion.
La méthode, elle, repose sur la définition d'objectifs de santé et la réalisation de programmes pour les atteindre. Pour que chaque acteur puisse situer son rôle et comprendre le sens de son action, il doit pouvoir inscrire celle-ci dans un cadre de référence explicite, être en mesure de se référer à une série d'objectifs pour juger si l'action va dans le bon sens. La mise sous objectifs du système de santé publique sur un horizon de cinq ans est la grande innovation de ce projet.
Il faut sortir d'une logique de moyens pour aller vers une logique de résultats. Car la vraie question est de savoir si les ressources consacrées au système de santé ont le meilleur impact possible sur l'état de santé. C'est cette correspondance entre les moyens et les résultats que ce projet de loi veut organiser.
Je vous rappelle les quatre grandes caractéristiques du projet de loi que je vous présente au nom du Gouvernement.
1. Clarifier les responsabilités en confiant un rôle premier à l'État en matière de santé publique.
2. Se donner des priorités claires. Ce projet vous en propose cinq : lutter contre le cancer, améliorer la santé environnementale incluant la santé au travail, prévenir les conséquences sanitaires de la violence et des comportements à risque, mieux prendre en charge les maladies rares et, enfin, améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques.
Pour pouvoir périodiquement évaluer nos progrès, des objectifs et des indicateurs sont annexés au texte de loi. Je sais qu'en première lecture, des voix ont, sur les bancs de cette Assemblée, déploré qu'il y ait trop d'objectifs dans ce rapport annexé. Mais il faut comprendre que ces objectifs ne forment pas un programme d'actions. Il s'agit d'un tableau de bord, d'un ensemble de traceurs dont le Gouvernement vous rendra compte dans cinq ans et qui permettront à tous de juger des progrès accomplis et des améliorations nécessaires. Les soixante dix problèmes de santé retenus dans ce tableau de bord visent à représenter la diversité des facteurs de risque et des pathologies présents au sein de notre population. Ces objectifs ne sont pas des priorités, j'insiste sur ce point.
3. La troisième caractéristique est d'organiser l'action de santé publique au niveau régional sous l'autorité du préfet qui aura la responsabilité du plan régional de santé publique. C'est en effet au niveau régional qu'il est pertinent d'organiser l'intervention des différents acteurs et de définir précisément les politiques à mener.
4. Enfin, il s'agit d'organiser les indispensables partenariats pour que les acteurs de terrain trouvent une vraie place pour mettre en oeuvre des programmes de santé efficaces. A côté de l'État, des agences et de l'assurance maladie, il existe une multitude structures plus ou moins bien financées : observatoires régionaux de la santé, comités départementaux d'éducation pour la santé, multiples associations spécialisées, espaces santé jeunes, centres d'éducation à la santé et à la citoyenneté en milieu scolaire, observatoires de la santé au travail. Il faut créer une synergie impliquant si elles le souhaitent les collectivités territoriales, faute de quoi nous continuerons de gaspiller nos ressources et nos compétences et notre retard en santé publique ne sera pas rattrapé.
Sans revenir sur l'architecture générale de ce projet qui n'a pas été modifiée par la discussion sénatoriale, je voudrais insister sur les outils concrets que ce texte va permettre de mobiliser.
- la création d'une grande école de santé publique nous permettra de former les professionnels dont les secteurs publics et privés ont besoin.
- La consultation périodique de prévention permettra d'offrir des services préventifs personnalisés à tous les âges de la vie.
- De nouvelles mesures pour garantir la qualité des eaux d'alimentation, éradiquer le saturnisme et maîtriser le risque de légionellose alors que nous avons subi une des plus grandes épidémies jamais observée qui a emporté 13 habitants du Nord.
- Des dispositions améliorant la protection des droits des personnes participant à des recherches biomédicales.
- L'extension de la formation continue à tous les professionnels de santé.
Ce projet de loi comporte cinq titres et je vais brièvement souligner les évolutions adoptées par le Sénat. Mais je voudrais auparavant rendre hommage au travail de mon prédécesseur et aussi saluer le travail parlementaire qui a permis de faire progresser ce projet. Je tiens à souligner votre contribution et notamment celle de votre commission des affaires sociales qui a bénéficié de l'investissement personnel du président Dubernard qui est aussi le rapporteur de ce projet de loi.
Le titre I est relatif à la politique de santé publique. Il définit le périmètre de celle-ci, clarifie les responsabilités et simplifie les instances impliquées dans la politique de santé publique. Le Sénat a souhaité que figure ici explicitement la protection des populations fragilisées comme objectif prioritaire. C'est une bonne chose. De même, il prévoit que la conférence régionale de santé élira son président et que les organismes d'assurance complémentaire y seront représentés. Il précise désormais que le conseil régional peut définir des objectifs et des programmes de santé particuliers en lien avec ceux de l'État. Enfin, le mécanisme de représentation des associations d'usagers et de malades est précisé au travers d'une procédure d'agrément par une commission nationale pluraliste. Cette disposition a été définie après une consultation avec ces associations. Je veux dire ici solennellement l'importance que j'attache à la participation du monde associatif à la politique de santé publique. Ce sont des partenaires incontournables et elles trouveront en moi un interlocuteur attentif.
Le titre II est relatif aux outils d'intervention de l'État. Il précise les missions de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Le Sénat a souhaité retirer de ses missions l'éducation thérapeutique. Nous en rediscuterons, de même que nous voulons voir l'INPES s'impliquer à la demande du ministre dans les situations d'urgences sanitaires. Sur proposition du Sénateur Plassais, un amendement donne enfin droit de cité à la politique de réduction des risques de transmission des maladies infectieuses chez les usagers de drogues. C'est un grand progrès. S'agissant des situations d'urgences sanitaires, le Sénat a apporté des précisions utiles, notamment en matière d'indemnisation. Le chapitre IV de ce titre introduit des précisions sur les modalités d'investissement et d'intervention des établissements de santé et médico-sociaux ou des groupements de coopération sanitaire.
Le titre III traite des plans de santé publique nationaux, autour desquels s'organiseront les cinq priorités que le gouvernement assigne à son action.
C'est dans ce titre qu'est fait référence aux indicateurs figurant dans le rapport annexé. Le Sénat a souhaité en ajouter quatre. Nous en débattrons. Il a aussi souhaité restreindre la publicité pour des aliments pouvant nuire à la santé des jeunes. L'intention est louable mais il faut reprendre les modalités d'application. Cela vaut aussi pour les dispositions relatives à la publicité pour le tabac. S'agissant des bouilleurs de cru, le Sénat a renoncé à la prolongation pour cinq ans du régime fiscal dérogatoire. Il me semble Mesdames et Messieurs les Députés que la protection de la santé doit primer dans ce domaine. Ne diabolisons pas l'alcool mais ne le banalisons pas non plus.
[J'en viens aux dispositions concernant les psychothérapeutes. J'ai entendu le besoin de transparence pour que les patients puissent bénéficier des interventions de professionnels reconnus. Cela existe dans d'autres pays et c'est normal. S'agissant des conditions d'exercice d'un groupe de professionnels de santé, j'entends que leur réglementation soit élaborée en concertation avec leurs représentants. La loi doit poser des principes. La rédaction des décrets devra être concertée de sorte que la loi soit applicable et utile. J'en fais une illustration des principes que j'entends respecter pour réformer].
Le chapitre relatif à la santé environnementale a bénéficié de précisions techniques utiles. En particulier, le renforcement des mesures relatives aux rayonnements non ionisants et à la lutte contre la légionellose sont les bienvenues.
Les dispositions du titre IV ont trait à la recherche et à la formation en santé.
La nécessité d'une École des hautes études en santé publique est comprise de tous et je m'en félicite. Ses missions ont été précisées.
En deuxième lieu, le projet de loi actualise le dispositif d'encadrement des recherches biomédicales en lien avec la transposition de la directive de 2001 relative aux essais cliniques de médicaments. Cela est particulièrement attendu par les chercheurs et les industriels. Il nous faut garantir les droits des personnes participant à ces recherches en favorisant les innovations dont profiteront tant de personnes qui aujourd'hui souffrent en silence.
Je vous rappelle que le projet de loi remplace l'actuel régime déclaratif par un régime d'autorisation. Il supprime la distinction entre recherche sans bénéfice individuel direct et recherche avec bénéfice individuel direct. C'est bien en termes de bilan bénéfice-risque qu'il faut raisonner dans tous les cas. Il organise enfin la participation à la recherche des personnes en difficulté pour exprimer leur consentement. Le Sénat a précisé les modalités d'accès des associations aux protocoles. Il nous faudra procéder ici à quelques ajustements.
En dernier lieu, ce titre simplifie le dispositif de formation médicale continue. La formation continue des médecins - comme celle de tous les autres professionnels de santé - est une des conditions du succès de la politique de qualité des soins et de l'évolution des pratiques médicales que je souhaite enraciner au coeur de notre système de santé.
Enfin, le titre V comporte des dispositions diverses mais importantes pour l'exercice de la profession de sage-femme ainsi que les modalités de leur formation. Le Sénat a introduit des dispositions concernant les conseillers en génétique qui seront amenés à rendre des services de plus en plus importants à mesure que les découvertes scientifiques progressent. Il a aussi adopté de nouvelles mesures relatives à l'indemnisation des affections iatrogènes et des contaminations par le VIH, à l'hémovigilance, le transport des personnes hospitalisées d'office, à l'exercice des pharmaciens d'officine et des techniciens de laboratoire. Il a enfin proposé de conduire des expérimentations dans le domaine des compétences des professionnels de santé. C'est aussi une voie importante pour faire face à la pénurie attendue des professionnels de santé, notamment dans en zone rurale.
Mesdames et Messieurs les députés, notre pays a besoin de cette loi pour résoudre des problèmes concrets. Elle doit nous permettre de franchir une étape importante dans l'histoire un peu chaotique de la santé publique dans notre pays. Tous les cinq ans, vous aurez la possibilité de juger de la performance des programmes de santé au regard de l'état de santé de notre pays.
Ce texte nous permet de garantir au pays que la protection, l'amélioration et la promotion de la santé est au coeur des préoccupations du Gouvernement et que cela constituera le fil directeur de la réforme de l'assurance maladie.
Je vous remercie.


(source http://www.sante.gouv.fr, le 24 mai 2004)