Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi sur la communication audiovisuelle, notamment la TNT et les radios numériques, Paris le 13 avril 2004.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur les communications électroniques et les services de communication audiovisuelle au Sénat le 13 avril 2004

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
C'est un grand plaisir et un grand honneur pour moi de parler devant le Sénat, pour la première fois, et de lui présenter ce projet de loi. En effet, s'il a certes pour objet la transposition de directives européennes, il s'accompagne aussi d'autres ambitions, qui ont été portées à l'Assemblée Nationale par mon prédécesseur : il traduit la volonté du Gouvernement d'accompagner, et d'anticiper les bouleversements technologiques et économiques du secteur audiovisuel.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je veux tout d'abord saluer le texte que vous avez adopté, la semaine dernière, la loi sur la confiance dans l'économie numérique. Il s'agit là d'un texte majeur, fondateur, puisqu'il établit les frontières claires entre la communication audiovisuelle et les autres services de communication au public. Ce faisant, il donne au CSA une compétence pleine et entière sur les services de radio et de télévision quels que soient les vecteurs de diffusion. Il s'agit là d'un point tout à fait essentiel à l'heure où télévision et radio ne sont plus attachés à un mode de diffusion particulier. La télévision et la radio utilisent désormais les lignes téléphoniques et l'Internet pour se diffuser. Les réseaux câblés et le satellite dédiés essentiellement à la diffusion des radios et des télévisions proposent également de plus en plus des services téléphoniques et l'accès à haut débit. Les frontières traditionnelles du droit des médias et des télécommunications ont explosé. En bâtissant une nouvelle architecture, en définissant les notions de radio et de télévision, vous avez donné une traduction juridique à la convergence que nos citoyens vivent quotidiennement. La loi n'est plus en décalage avec les faits.
En effet, le secteur audiovisuel est confronté depuis quelques années à de nouveaux défis liés à la multiplication de l'offre de programmes et de chaînes. Si l'ouverture, la découverte et la connaissance de l'autre, que cette offre très riche permet, sont une chance, il n'en reste pas moins que nous devons rester très attentifs aux risques d'uniformisation et de perte des identités. Il nous appartient d'exercer une vigilance accrue dans la défense des principes fondamentaux de la liberté d'expression et de la régulation.
Les enjeux du texte qui vous est soumis aujourd'hui sont donc fondamentaux. Il vise en effet à permettre le développement des contenus sur tous les supports de diffusion et donc de notre industrie des programmes, à contribuer au développement des nouvelles technologies, qu'elles concernent la télévision ou la radio ainsi qu'à favoriser la communication de proximité dont notre pays a plus que jamais besoin en donnant aux télévisions locales les moyens de devenir de vrais opérateurs de notre paysage audiovisuel.
Je voudrais souligner combien le téléspectateur est au centre de ce texte. C'est à lui que doit bénéficier l'ensemble de ces dispositions qui lui donnent accès à une offre accrue de programmes. La technologie n'est pas une finalité en soi. Elle n'a de sens que si elle est au service du pluralisme et permet une offre renouvelée et diversifiée.
C'est la raison pour laquelle je souhaite insister en premier lieu sur la plus grande liberté de créer et d'entreprendre qu'apporte ce texte sur fond de neutralité technologique mais aussi sur la consolidation de la régulation des contenus et des supports qui en est le corollaire.
L'adaptation de la loi sur la liberté de communication au cadre juridique communautaire implique un régime juridique unifié des réseaux et services de communications électroniques. Désormais, l'établissement et l'exploitation des réseaux câblés, satellitaires ou téléphoniques sont soumis à un simple régime déclaratif. Il s'agit pour les réseaux câblés distribuant télévisions et radios d'un véritable allègement des contraintes. Cette disposition s'ajoute à la levée du plafond limitant à huit millions d'habitants le bassin maximal susceptible d'être desservi par un même opérateur.
A ce stade, je souhaiterais évoquer la disposition introduite à l'Assemblée Nationale sur l'obligation de reprise des chaînes hertziennes terrestres, sur les réseaux de communications électroniques. Ce nouveau dispositif vise à donner davantage de liberté aux éditeurs de chaînes pour choisir leur mode de distribution sur les différents réseaux de communication électronique. Le régime de la loi de 1986 est en effet marqué par les conditions du démarrage du câble en France. Son adaptation aux réalités d'aujourd'hui est indispensable. Il est légitime que les éditeurs de télévisions puissent seuls décider de confier leur diffusion aux opérateurs de leur choix, qu'il s'agisse d'une diffusion par câble, ADSL ou satellite. Il s'agit là du respect d'une liberté fondamentale pour tout entrepreneur que seul le droit de la concurrence peut venir encadrer, dans l'intérêt du téléspectateur.
Cette liberté accrue et légitime pour les éditeurs ne va pas sans la prise en compte des intérêts des téléspectateurs. C'est le sens qu'il faut donner à la préservation du " service antenne " dans les immeubles câblés. C'est également la raison pour laquelle le nouveau dispositif concilie la protection du consommateur et le libre choix de l'entreprise dans le respect de la neutralité technologique. Ainsi, l'obligation de reprise concerne toutes les chaînes publiques dans toutes les offres de télévision que ce soit sur le câble, le satellite ou les autres réseaux nouveaux de distribution de la télévision, notamment l'ADSL. La reprise des canaux locaux du câble est maintenue dans l'intérêt croissant des téléspectateurs pour l'offre de programmes de proximité. Par ailleurs, le projet garantit le maintien de la réception des chaînes hertziennes en clair pour les foyers résidant dans des immeubles collectifs. C'est un point essentiel dans la mesure où les personnes concernées ont perdu la possibilité de recevoir ces chaînes via une antenne " râteau ". Les éditeurs concernés ne pourront donc s'opposer à la reprise de leurs services par les réseaux internes aux immeubles lorsque ces réseaux sont raccordés au câble.
S'agissant des autres réseaux, le choix est de privilégier la négociation entre distributeurs et éditeurs de services. C'est un facteur sain de liberté et de concurrence d'autant plus que les chaînes disposeront du droit d'accéder dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires aux décodeurs et aux guides de programmes utilisés par les offres de bouquets de télévision. La question pourra se poser au cours de nos débats sur l'opportunité d'une disposition transitoire afin de prendre en compte la situation spécifique des abonnés individuels du câble. Toutefois, ces derniers ne courent guère de risques dans la mesure où aucune chaîne en clair par voie hertzienne terrestre financée entièrement par la publicité ne saurait se priver d'une couverture maximale de la population.
Cette liberté accrue implique une consolidation des pouvoirs du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Le projet de loi dote le CSA d'un pouvoir de règlement des litiges entre les chaînes de télévision et les entreprises qui commercialisent ces chaînes. Il s'agit d'une étape importante dans l'exercice de la régulation. En effet, il ne me paraît pas possible que des libertés accrues ne s'accompagnent pas d'une régulation renforcée. Ce pouvoir de règlement des litiges s'exercera dans le respect des prérogatives et des compétences des autres autorités de régulation, notamment le Conseil de la concurrence. Il n'y aura pas de chevauchement entre les pouvoirs des deux instances. Ainsi, le texte qui vous est proposé clarifie le champ d'examen des litiges soumis au CSA qui portera sur le respect des principes fondamentaux, notamment le caractère pluraliste des courants de pensée et d'opinion, la sauvegarde de l'ordre public, la protection du jeune public, la dignité de la personne humaine et la lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme. Je salue ici le travail de votre Commission des affaires économiques qui a beaucoup contribué à l'amélioration du texte.
Le développement d'une offre locale diversifiée est un autre enjeu de ce texte. A la différence de nos voisins européens notre paysage télévisuel local reste encore pauvre. Pourtant, le téléspectateur ressent le besoin de programmes de proximité comme le montrent les scores d'audience des programmes régionaux de France 3. Le Gouvernement a donc choisi de lever les contraintes qui pesaient sur le développement des télévisions locales en assouplissant notamment le dispositif anticoncentration qui les bridait. Tous les acteurs locaux doivent en effet pouvoir participer, aux côtés du service public, à cette offre télévisuelle élargie.
L'ouverture à la publicité télévisée des secteurs interdits entrée en vigueur le 1er janvier dernier permettra ainsi aux chaînes locales de disposer de nouvelles recettes publicitaires, notamment en provenance de la distribution. Le Gouvernement a cependant veillé à ce que cette ouverture soit progressive et ciblée, notamment sur les chaînes hertziennes nationales, de façon à limiter l'impact sur les ressources des radios et de la presse écrite régionale et locale. De mon point de vue, le développement des télévisions locales ne saurait évidemment se faire au détriment de la viabilité économique de la presse régionale et départementale. Je veillerai particulièrement au maintien de cet équilibre.
Des allègements fiscaux ont également été décidés. La dernière loi de finances a permis d'exonérer les télévisions locales de la taxe alimentant le fonds de soutien à l'expression radiophonique, et cela sans préjudice pour les radios. Les appels à candidature lancés par le CSA pour l'attribution d'une douzaine de fréquences analogiques locales, combinés avec les mesures incitatives prises par le Gouvernement et les facultés nouvelles apportées par ce projet de loi, devraient permettre l'émergence d'une nouvelle génération de télévisons locales.
Le développement d'une offre audiovisuelle diversifiée passe également par la radio. Avec plus de 6000 fréquences, notre paysage radiophonique en bande FM, héritage des pionniers de la libéralisation des ondes est riche, beaucoup plus riche que celui de nos voisins européens. Toutefois, la bande FM est aujourd'hui saturée, preuve de la vigueur de ce mode de communication. Il convient donc d'optimiser le spectre des fréquences analogiques et d'anticiper tous les développements possibles de radio numérique dans toutes ses composantes techniques en lui offrant un cadre juridique pour se développer. En effet l'opportunité que représente le renouvellement d'ici à deux ans de plusieurs centaines d'autorisations doit être mise à profit pour explorer les voies permettant d'améliorer l'utilisation de la bande FM. Le CSA devra dans les trois mois de la publication de la loi organiser une consultation contradictoire relative à l'utilisation de la ressource hertzienne dévolue aux différents services de radio en mode analogique. Afin de laisser à l'instance de régulation le temps d'étudier les conditions actuelles et futures de la bande FM, l'autorité de régulation se voit autorisée à proroger hors appel aux candidatures et pour une durée ne pouvant excéder deux ans, les autorisations des services de radio en mode analogique.
Parallèlement, il ne fallait pas laisser le possible développement de la radio numérique sans cadre juridique. La numérisation de la radio est inéluctable, même si celle de la bande FM est encore lointaine. De nombreux projets apparaissent : relance de la radio numérique selon la norme D.A.B, numérisation des ondes moyennes, numérisation des ondes courtes, radiodiffusion directe par satellite. Le projet propose un cadre souple qui permet d'accompagner toutes les technologies et qui bénéficie, dans ses grands équilibres, d'un soutien de l'ensemble des acteurs radiophoniques.
Je veux maintenant en venir à la télévision numérique hertzienne terrestre (TNT) dont le cadre juridique est né ici, au Sénat, lors de la discussion de la loi du 1 août 2000 et à l'occasion des nombreux colloques que vous avez organisés sur ce sujet. Je salue le volontarisme de votre Commission des Affaires culturelles en faveur de la TNT. Je partage pleinement votre analyse sur l'apport que représente cette nouvelle technologie pour les nombreux foyers qui ne sont pas raccordés au câble ou équipés d'une antenne parabolique. Ils ne doivent pas être les laissés pour compte d'une offre télévisuelle élargie. Je pense comme vous que la TNT peut être, en outre, une véritable opportunité pour les télévisions locales. Permettez-moi également d'évoquer le travail considérable accompli ces dernières par le CSA, sous l'impulsion de Dominique BAUDIS. Il nous importe à tous que, comme toute nouvelle technologie, son démarrage s'opère dans des conditions optimales aussi bien sur le plan technique et financier qu'en termes d'offres de chaînes. C'est la raison pour laquelle tout en partageant vos objectifs, je pense qu'il est prématuré de fixer une date d'arrêt de l'analogique. Avant de fixer cette date, nous devons être bien conscients qu'elle n'aura de portée réelle que si les investissements des industriels correspondent à la demande du public et des opérateurs. De même, il convient de lever certaines questions cruciales pour les téléspectateurs et ne pas les inciter, dans un sens ou dans l'autre, vers des choix technologiques non confirmés. Il en est ainsi par exemple de la couverture des zones d'ombre, guère possible en TNT et qui implique pour éviter des écrans noirs pour des milliers de foyers de prévoir des solutions techniques de substitution. Il s'agit là tout simplement du respect le plus élémentaire du droit à l'information du public. Pour ma part, je préfère plutôt que de fixer par voie législative une date de démarrage, dont aujourd'hui il n'est pas certain qu'elle puisse être tenue, vous proposer de confier au CSA un étude des différentes questions techniques, en particulier en matière de normes, qui se posent pour préparer ce basculement inéluctable de l'analogique vers le numérique. Il est tout à fait essentiel à mes yeux que la technologie choisie réponde à l'impératif de disponibilité opérationnelle pour tous.
J'en viens maintenant à des points qui me tiennent plus particulièrement à coeur.
Le projet du Gouvernement permet de renforcer le service public audiovisuel, en proposant d'intégrer Réseau France Outremer (RFO) au sein de France Télévisions. L'objectif de cette intégration est de donner de nouvelles perspectives de développement à RFO en l'adossant à un groupe puissant. Elle favorisera également la diffusion des images d'outre-mer en métropole sur les antennes de France Télévisions. A ce effet un amendement au texte adopté par l'Assemblée Nationale vous sera présenté afin d'optimiser cette filialisation d'un point de vue fiscal. Cette intégration renforcera la position de RFO comme média audiovisuel de référence dans l'outre-mer à travers le développement de la production et de la diffusion de programmes de proximité. Elle sera également un facteur de promotion de la mosaïque des outre mers, expression de la diversité, de la force et de l'unité de notre République à laquelle ces populations sont si fortement attachées.
Dans le contexte de violences internationales qui caractérise notre monde, je voudrais souligner le nouveau pouvoir du CSA pour contrôler et sanctionner, le cas échéant, les chaînes extra-européennes diffusées sur des satellites relevant des compétences françaises. Le CSA pourra ainsi disposer des moyens d'obliger l'opérateur satellitaire français à arrêter de diffuser une chaîne dont les programmes heurteraient les principes fondamentaux fixés par la loi française, notamment le respect de la dignité humaine ou la répression des propos racistes, xénophobes ou antisémites.
A travers votre approche, votre implication, votre travail, vous l'aurez bien compris, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, ce projet de loi va bien au-delà de la simple transposition de directives européennes. Il constitue un véritable tournant pour le cadre juridique de l'audiovisuel en libérant les initiatives tout en préservant les principes fondamentaux de la liberté de communication et de la régulation, pour le plus grand bénéfice de nos concitoyens.
Enfin, je souhaiterais souligner la qualité du travail mené par vos rapporteurs sur l'ensemble des questions soulevées par ce projet de loi, et remercier les deux commissions concernées pour leur travail considérable. Je ne doute pas que la combinaison de nos énergies permettra de concrétiser nos ambitions.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 15 avril 2004)