Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, à LCI le 27 novembre 2003, sur les perspectives de négociation salariale dans la fonction publique pour 2004, le salaire au mérite et le respect des principes de l'égal accès à la fonction publique et de la laïcité.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Bonjour M. Delevoye.
- "Bonjour madame."
On parle salaires aujourd'hui au ministère de la Fonction publique, vous recevez l'ensemble des syndicats, mais si on en croit, et les syndicats et vous-même, il n'y a pas d'argent à distribuer. Alors, pas d'argent du tout ?
- "On ne va pas parler uniquement que de salaires, on va parler de salaires et aussi de politique de rémunérations, car j'entends tout mettre à plat. Quand la croissance est faible, je dis que les possibilités de dépenses sont faibles et je crois qu'aujourd'hui, nous devons regarder la situation de la France en face, sans nous cacher la vérité. Nous avons pris des engagements très clairs sur le redressement de la politique française. Si nous voulons garantir l'avenir du pays, il faut plutôt investir que dépenser en fonctionnements. Si nous voulons consacrer.."
Il faut consommer aussi.
- "Si nous voulons consacrer l'impôt à l'avenir, c'est-à-dire à l'investissement, il ne faut pas consacrer l'impôt à la dette, et à l'évidence, nous souhaitons faire en sorte qu'avec les organisations syndicales, nous puissions en année 2004 mettre une nouvelle politique de rémunérations - il n'est pas question de remettre en cause l'indice, mais il n'est pas question de ne tenir compte que de l'indice."
Vous leur demandez un sacrifice en quelque sorte.
- "Je leur demande simplement, vous savez c'est comme dans les salariés du privé : quand l'entreprise va bien, tout va bien pour les salariés, quand l'entreprise va mal, ça va moins bien pour les salariés. Mais en même temps il y a une mobilisation pour faire en sorte que l'entreprise aille mieux. Eh bien, c'est ce que nous allons faire. Nous allons mettre en place les moyens, c'est toute la politique de la gestion des ressources humaines, de faire en sorte que les fonctionnaires soient les acteurs du redressement du pays auquel nous sommes aujourd'hui confrontés."
Ça, c'est de la philosophie, après il y a la feuille de paye.
- "Bien sûr, mais on ne peut pas déconnecter les dépenses des recettes. S'il n'y a pas de recettes, il ne peut pas y avoir de dépenses, il faut que les choses soient claires. Et donc ça veut dire qu'il faut que nous remettions à plat la totalité de nos méthodes de fonctionnement de l'Etat : est-ce que toutes nos missions sont pertinentes ? Est-ce qu'il faut développer certaines et supprimer d'autres ? Je crois qu'aujourd'hui nous sommes à l'heure de vérité, et je n'entends pas fuir mes responsabilités, et nous aborderons tous ces sujets avec gravité, avec transparence, avec honnêteté."
Mais en attendant de faire ces réformes encore une fois, il y a l'année 2004 et la Fonction publique, 5,2 millions de fonctionnaires, c'est bien cela, qui se demandent à quelle sauce budgétaire ils vont être mangés.
- "Ce n'est pas la sauce budgétaire qui va être mangée. En réalité, depuis 10 ans, il n'y a pas de réussites de négociations collectives, et en réalité tout le monde triche avec tout le monde, puisqu'on sait très bien que les paramètres de la négociation aboutissent systématiquement à l'échec. C'est la raison pour laquelle j'ai refusé la négociation en disant : arrêtons de faire en sorte, ou de faire semblant, mettons-nous autour d'une table et discutons très clairement des problèmes posés. Les syndicats, on a trois sujets en réalité : on a le sujet du rattrapage, que les syndicats nous disent depuis le 1er janvier 2000"
4% disent-ils.
- "Qui d'ailleurs concerne tant le gouvernement précédent que le gouvernement actuel, il y a l'année 2003 et il y a les perspectives d'avenir. Eh bien, tout cela sera abordé de la façon la plus franche, cet après-midi avec les organisations syndicales."
La façon la plus franche c'est quoi ? C'est combien ? C'est une enveloppe, même si vous ne voulez pas me donner des chiffres exacts, vous pouvez quand même donner quelques indications.
- "J'ai un contrat de confiance avec les syndicats, qui consiste à les respecter, à les informer de façon équitable et donc je leur réserve la priorité de ces informations."
D'accord, mais est-ce que vous pouvez d'ores et déjà les rassurer ou indiquer quelques pistes ?
- "Je peux, et ils le savent d'ailleurs d'ores et déjà, leur indiquer toute la volonté et la détermination qui est la mienne, de trouver de nouvelles règles pour faire en sorte que les fonctionnaires puissent bénéficier de la santé du pays, et faire en sorte qu'ils puissent eux aussi être considérés comme acteurs de la réforme de l'Etat. Nous aurons ces chantiers cet après-midi, et j'entends proposer toute une série de calendriers de rencontres nous permettant de pouvoir bâtir de nouvelles règles de négociations avec l'obligation pour le gouvernement de négocier tous les ans, alors qu'aujourd'hui, il appartient au Gouvernement de décider d'une rencontre ou de ne pas la décider. Moi j'entends faire en sorte que tous les ans nous ayons un rendez-vous salarial avec les fonctionnaires."
D'accord, mais être acteur de la réforme de l'Etat, ça veut dire être payé au mérite par exemple ?
- "Ça veut dire être responsabilisé, être considéré sur son lieu de travail.."
C'est la même chose.
- "Non pas du tout. Je veux dire qu'aujourd'hui ce n'est pas les fonctionnaires qu'il faut critiquer, c'est le système. Celui qui économise est sanctionné par rapport à celui qui dépense. Celui qui prend des responsabilités ne se voit pas récompensé par le fruit de ses efforts. Nous souhaitons faire en sorte d'introduire la notion de performance dans les services de façon à ce que quand les fonctionnaires ont des idées, quand ils améliorent les résultats, ils puissent améliorer leurs conditions de travail et en même temps pour les hauts fonctionnaires, avec des contrats d'objectifs très précis, tirer effectivement une partie de leur rémunération des résultats obtenus."
Mais l'amélioration des performances, ça veut dire il faut fixer des critères de performances. Alors quand est-ce que l'Etat sera prêt, quand est-ce qu'il les aura fixés ? Est-ce qu'il va les négocier ?
- "Nous avons déjà proposé un certain nombre de pistes sur les indicateurs de performances, les procédures d'évaluation en évitant deux termes du débat : un, la crainte qu'émettent les syndicats du petit chef qui donne des performances à la tête du client et de l'autre, on répartit toutes les primes, quand il y en a, d'une façon totalement égalitariste, que la personne soit motivée ou ne soit pas motivée. Donc il faut éviter ces deux excès et trouver un juste milieu. Et je crois qu'aujourd'hui, nous allons proposer une formation de l'encadrement intermédiaire et l'encadrement supérieur pour faire en sorte de pouvoir développer ce qui est un peu faible dans la Fonction publique, la gestion des ressources humaines et le dialogue avec les fonctionnaires et la considération qu'on leur doit."
Il y a un problème qui va se poser pour vous, c'est la question de la discrimination positive. Est-ce que vous y êtes favorable ?
- "Elle ne se pose pas dans la mesure où nous sommes très attachés à la notion du concours qui permet l'égal accès de tous à ma Fonction publique..."
C'est le contraire, justement la discrimination...
- "Et donc, il est évident que de vouloir, parce que l'on a tel ou tel type de race ou tel type de religion, pouvoir accéder à la réussite d'un concours d'une façon plus favorable ne paraît pas la bonne solution par rapport à l'égal accès de tous que nous souhaitons mettre en place. A contrario, sur cet égal accès, nous avons aujourd'hui un vrai souci que j'ai posé avec les organisations syndicales : c'est que lorsqu'on affiche un niveau de concours de niveau Bac et que l'on voit tous les Bac+3 évidemment réussir tous les concours, il y a une double frustration : les surdiplômés sous-utilisés, et les gens qui ont niveau Bac écartés. J'entends faire en sorte que nous puissions vraiment assurer la totale égalité des chances à celles et ceux qui veulent rentrer dans la Fonction publique."
Cela m'amène à vous parler de la laïcité. Le Figaro dit ce matin qu'un compromis aurait été trouvé entre partisans et adversaires d'une loi, c'est-à-dire qu'il y aurait un amendement qui serait ajouté à la future loi d'orientation sur l'école à propos des signes religieux ostentatoires et le reste serait consigné dans un code de la laïcité. Est-ce que c'est suffisant ?
- "Sur ce sujet, ne parlons pas de compromis, parlons de fermeté sur les principes. Et dans l'administration, en ce qui nous concerne, les choses sont claires. La République est laïque et considère celles et ceux qui font appel à elle de façon égale, quelle que soit sa religion, quelle que soit sa pratique, quelle que soit sa philosophie, quelle que soit son attitude et quelle que soit son ethnie ou sa race. Et donc l'ensemble de celles et ceux qui servent l'Etat, qui servent le service public, doivent afficher une totale indépendance, physique, d'apparence, permettant l'égal accès de tous aux règles de fonctionnement du service public. Et donc sur ce sujet là nos règles sont claires. Je crois simplement qu'aujourd'hui, il appartient d'apporter une précision plus forte sur les règles qui doivent régir le comportement de tout fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions et faire en sorte que celles et ceux qui sont responsables puissent s'appuyer sur un texte très clair pour justifier les décisions."
Justement, les partisans de la loi disent la circulaire, ou le code, ça ne serait pas assez précis et pas assez contraignant.
- "Je dois vous confesser qu'à titre personnel, je suis extrêmement prudent par rapport à cet exercice législatif que j'estime comme l'ultime étape en cas d'incapacité de pouvoir apporter toutes les réponses aux questions que vous posez, par des circulaires, par un code, par une précision. Ce qui est important, aujourd'hui, c'est de pouvoir soutenir nos principaux de collèges, c'est de pouvoir soutenir nos proviseurs sur l'application d'un texte et d'un règlement, c'est ça qui est important. Et je crois qu'aujourd'hui, plus on sera précis sur les conditions d'exercice de la pratique de la laïcité dans l'espace public, plus nous apporterons un certain nombre de réponses et de capacité d'être ferme sur ces principes."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 novembre 2003)