Interview de M. Alain Juppé, président de l'UMP, dans "Le Figaro" du 28 novembre 2003, sur la défense du principe de la laïcité dans les écoles publiques, la lutte contre les discriminations (refus de la "discrimination positive"), l'instauration d'une "culture de débat" au sein de l'UMP et la préparation des élections régionales de 2004.

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Circonstance : Conseil national de l'UMP à Paris le 28 novembre 2003

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

QUESTION.- L'UMP, qui se réunit aujourd'hui en conseil national, va consacrer l'une de ses trois tables rondes à la laïcité. Êtes-vous partisan d'une loi contre le voile islamique ?
A. JUPPE.- Aujourd'hui, un militantisme politico-religieux intégriste s'exerce de manière plus ou moins forte dans notre société, à l'école, à l'hôpital, dans des enceintes sportives... Le principe de laïcité est dans notre Constitution, il garantit la liberté de chacun de croire et de pratiquer sa religion. Il suppose que la liberté religieuse s'exerce pleinement tant que personne ne cherche à imposer ses convictions à autrui et que l'Etat fasse respecter cette neutralité : c'est le principe de laïcité. La question du voile pose aussi le problème de l'égalité des sexes et de la dignité de la femme dans notre société. Enfin, je veux rappeler le principe de citoyenneté : dans notre République, la France n'est pas l'addition d'un certain nombre de communautés juxtaposées : religieuses, ethniques... Ces principes réaffirmés, vient la question des textes et des règles : dans la fonction publique, il n'y a pas besoin de texte nouveau. Il suffit d'appliquer ceux qui existent. Sans doute ces principes sont-ils parfois mal connus : l'idée de les rassembler, au besoin en les clarifiant, dans un code de la laïcité ne me paraît pas mauvaise.
QUESTION.- Et à l'école ?
A. JUPPE.- A l'école, il y a une incertitude : la jurisprudence du Conseil d'Etat est fluctuante. Les proviseurs se retrouvent trop souvent désarmés face à des mouvements politico-religieux qui remettent en cause les valeurs fondamentales de la République que je viens de rappeler. C'est pourquoi je crois qu'il sera nécessaire de légiférer. Il faudrait inscrire dans la loi : "Est interdit dans les écoles, collèges et lycées de l'enseignement public le port ostentatoire de tout signe politique ou religieux." Cette disposition pourrait être un article de la future loi d'orientation sur l'école.
QUESTION.- Vous parlez de signes "ostentatoires" et non pas "visibles"...
A. JUPPE.- Oui. Ostentatoire a un sens bien précis. Le mot indique qu'il s'agit d'une exagération, d'une provocation qui relève en l'espèce du militantisme ou du prosélytisme. Le terme "visible" peut concerner la petite croix, la kippa ou la main de fatma, des signes qui, à mes yeux, ne troublent pas autrui...
QUESTION.- Selon vous, la loi doit viser les "établissements publics". Les écoles privées sous contrat ne seraient donc pas concernées...
A. JUPPE.- Bien sûr que non ! Les écoles privées sous contrat ont un caractère propre qui doit être pris en compte. Après tout, si on est choqué par la présence d'un crucifix ou d'un autre signe religieux dans une école privée, on peut toujours mettre ses enfants à l'école publique.
QUESTION.- En légiférant, ne risque-t-on pas de stigmatiser la population musulmane, ou de favoriser le développement d'écoles coraniques hors contrat ?
A. JUPPE.- Je crois au contraire qu'une majorité de la population musulmane, souvent silencieuse, nous appelle à l'aide. Savoir si le port du voile est une prescription religieuse reçoit des réponses diverses. Je ne crois pas non plus à une poussée des écoles coraniques. De toute façon, même dans les écoles hors contrat, les règles républicaines s'appliquent, concernant la dignité de la femme par exemple. Ne nous trompons pas d'enjeu, le débat sur le voile islamique n'est pas un combat contre la religion musulmane. L'islam est une grande religion de France qui, comme toutes les autres, mérite le respect.
QUESTION.- Que pensez-vous de l'idée, suggérée par Nicolas Sarkozy, d'une discrimination positive envers la population immigrée ?
A. JUPPE.- Cette notion, étrangère à notre tradition républicaine, me met mal à l'aise. Je préfère parler d'égalité de traitement plutôt que de discrimination positive. Il faut mettre le turbo dans la garantie effective de l'égalité des droits pour tous les Français quelles que soient leur origine, leur religion, leur orientation sexuelle ou leur condition sociale. Le corollaire de la neutralité de l'Etat, c'est la non-discrimination. Je pense qu'il est temps de proposer la création d'un haut conseil pour l'intégration, idée que j'avais lancée en 1998, afin de renforcer la lutte contre les discriminations de toute nature, qu'il s'agisse de l'emploi, du logement, des loisirs... Ce n'est pas parce qu'un haut fonctionnaire est musulman qu'il doit être nommé préfet. Mais il ne faut pas que le fait d'être musulman empêche sa nomination s'il la mérite.
QUESTION.- Autre table ronde de l'UMP : le service garanti dans les services publics. Allez-vous demander une loi ?
A. JUPPE.- Il faut pouvoir concilier droit de grève et continuité du service public. Nous demanderons au gouvernement de régler, dans un délai de six à neuf mois, le problème du service garanti en laissant tout l'espace nécessaire à la concertation. Si les partenaires sociaux n'aboutissent pas, il faudra que le législateur intervienne.
QUESTION.- Ces votes thématiques, lors des conseils nationaux, ont-ils vocation à se substituer aux courants dont l'UMP devait se doter ?
A. JUPPE.- Pour comprendre ce que représentaient les sensibilités organisées dans nos statuts, il faut se rappeler le contexte dans lequel nous les avons rédigés. Beaucoup de responsables de droite ne croyaient pas trop à l'UMP. Ils pensaient que ça allait durer six mois et ils voulaient pouvoir récupérer leurs billes, pour parler familièrement. D'où ce système très rigide prévu par nos statuts, qui consiste en réalité à faire des sous-partis dans le parti. De l'avis général - Nicolas Dupont-Aignan excepté -, cette organisation n'est pas adaptée à ce qu'est devenue l'UMP en un an d'existence. Elle a besoin d'une culture de débat. Elle doit permettre à des groupes de parlementaires ou de militants, par exemple, de s'exprimer par les canaux de notre presse, sur Internet ou en organisant des colloques. Mais il n'est pas nécessaire de figer les choses en faisant voter des motions qui généreraient des structures dotées de financement et de règles propres. Les militants doivent pouvoir voter sur des idées, mais pas sur des motions qui auraient vocation à se transformer en chartes constitutives d'écuries concurrentes.
QUESTION.- Espérez-vous encore trouver un accord avec François Bayrou pour les régionales ?
A. JUPPE.- Je suis toujours disponible, mais notre campagne est lancée. On verra comment évoluera l'attitude de François Bayrou au cours des quatre mois qui nous séparent des élections. Mais prenons garde, s'il devait y avoir des primaires au premier tour, les fusions seront extrêmement difficiles au second tour. Juridiquement, rien ne s'y oppose, mais imaginez la réaction des candidats de la liste arrivée en tête si on leur demande de céder leur place aux représentants d'une liste qu'ils auront affrontée en primaire ! Certaines têtes de liste UMP ont déjà fait savoir leur inquiétude ou leur réticence.
QUESTION.- L'UDF peut-elle attirer les électeurs de droite tentés de voter FN ou de s'abstenir ?
A. JUPPE.- L'idée de ratisser large me semble une stratégie partisane qui appartient au passé, et qui nous a fait perdre pendant des années. Prenez l'Ile-de-France : s'il y a une liste Santini face à la liste Copé, ça ne fera pas plus de voix pour la majorité, s'ils se battent entre eux plutôt que de combattre Jean-Paul Huchon. Demandez à Lionel Jospin si la candidature de Jean-Pierre Chevènement en 2002 lui a permis de ratisser large...
QUESTION.- A propos de la présidentielle, Nicolas Sarkozy a reconnu qu'il pensait à 2007, et "pas seu lement" en se rasant le matin. A quoi pensez-vous quand vous vous rasez ?
A. JUPPE.- C'est si bon de ne penser à rien sauf à ne pas se couper !
(Source http://www.u-m-p.org, le 28 novembre 2003)