Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à France Inter le 2 juillet 2003, sur la position de la CFDT concernant la réfome du régime d'assurance-chômage des intermittents du spectacle et la prochaine réforme de l'assurance-maladie.

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Média : France Info

Texte intégral

Fabrice Drouelle .- Votre syndicat a signé avec le Medef l'accord sur les retraites, tout comme il l'a fait pour les intermittents du spectacle. Le gouvernement et le Medef auraient-ils trouvé en la CFDT un partenaire fidèle ?
François Chérèque .- " Vous savez la CFDT juge les documents, les négociations et les résultats, en fonction du contenu et non pas en fonction de l'interlocuteur qui est face à elle. Peu importe le gouvernement, à partir du moment où il est choisi démocratiquement par les Français, quand il nous fait de bonnes propositions, on le soutient . Pour ce qui est des intermittents du spectacle, nous sommes, c'est une tradition dans notre pays, gestionnaires d'un système, d'un système qui pour une profession était en déficit. Le Medef nous proposait tout simplement de supprimer ce régime spécifique. Nous n'étions pas d'accord avec cette démarche là, et nous avons signé un accord qui maintient le système, qui modifie certains de ses paramètres, qui en améliore d'autres. C'est un bon accord parce qu'il garde un système unique dans notre pays pour une profession, par rapport à sa spécificité. Elle va pouvoir continuer à vivre à l'inverse de ce qu'on dit actuellement, donc pour nous c'est un bon accord ".
Alors Jean-Jacques Aillagon dit qu'on ne sait pas le lire cet accord, vous vous estimez que le régime des intermittents est sauvé, alors peut-être que les intermittents ne savent pas lire, je ne sais pas, mais si l'accord était aussi bon que ça il n'y aurait pas une telle mobilisation comme celle qu'on connaît actuellement, il suffit d'aller voir sur les festivals. D'ailleurs les intermittents vous l'ont dit, je crois, à coups de fruits et légumes.
" Oui, je pense que les fruits et légumes auraient pu être utilisés à autre chose, mais enfin peu importe. Une quarantaine de personnes sont venues hier à la CFDT, dont une grande partie n'était pas des intermittents, ils nous l'ont dit après. Ces mouvements spontanés qui se déplacent dans Paris avec journalistes de l'AFP, plusieurs caméras, je crois qu'ils bénéficient d'une sollicitude parfois d'une partie de la presse qui est un peu surprenante. Ils posent le problème quand même de la violence de l'action syndicale. Il y a une quinzaine de locaux de la CFDT dans les départements qui avant même que l'accord soit négocié, parce que l'accord était déjà jugé mauvais avant même d'être négocié, ont été déménagés. On a tenté de mettre le feu à notre Union locale de Nantes, une partie de notre personnel a été bousculée. Je crois que là on a un vrai problème, dans l'action syndicale en France, la violence de l'action syndicale, et ça je ne peux pas l'accepter ".
Effectivement, mais au-delà de, enfin à côté de cette violence, il y a les actions légitimes des intermittents... Sur les festivals on sent bien qu'il y a une véritable angoisse, alors pourquoi avoir signé quand même cet accord ?
" Nous avons signé cet accord parce que ce régime en déficit (850 millions d'euros par an), est financé par les autres salariés, c'est la solidarité entre les salariés du privé qui finance ce système, donc il était de notre responsabilité puisqu'on en a la gestion, de trouver des solutions. L'accord modifie certains paramètres et améliore une partie du niveau de ces prestations. J'ai entendu lundi le responsable à la CGT qui disait qu'on avait baissé le niveau le plus bas, c'est faux, le niveau le plus bas a augmenté de 15 %, c'est-à-dire pratiquement 150 euros par mois. Tous les niveaux d'indemnisations vont augmenter jusqu'à, ceux qui gagnent jusqu'à 4000 euros. Par contre il y a une incompréhension sur la durée d'indemnisation, cette durée d'indemnisation ça sert à forcer les employeurs des intermittents du spectacle, qui utilisent d'une façon abusive le travail au noir, à déclarer tout le travail pour que ces personnes là aient un meilleur niveau d'indemnisation et pour sauver financièrement ce régime. Sinon ce sont les autres salariés du privé qui le financent, et ça je trouve que ce n'est pas totalement normal ".
Cela dit, un accord qui est signé quand même par des syndicats qui à eux seuls, même à tous les trois, représentent 10 %, est-il légitime ?
" Non, mais je ne partage pas cette vision des faits. Si on avait eu une négociation uniquement dans le secteur des intermittents, à ce moment là c'est la branche des intermittents qui aurait négocié et ils se seraient, je dirais, occupés eux-mêmes de leur système, et ils l'auraient financé eux-mêmes. À partir du moment où on est dans un système financé par tous les salariés, il est normal que ce soit les confédérations qui le négocient, et les confédérations qui ont signé cet accord, la CFDT, la CGC, la CFTC, font presque 45 % aux dernières élections prud'homales, ce n'est pas ultra minoritaire comme vous le dites. Je rappelle que ce sont tous les salariés qui payent pour une partie qui ne représente à peine 5 % et bénéficie d'un système beaucoup plus intéressant ".
Je reviens aux retraites avec le vote du projet qui va intervenir à l'Assemblée, monsieur Seillière se réjouit, dit-il, " du vent de réformes qui souffle sur la France. " Vous aussi ?
" Moi je me réjouis quand il y a une réforme qui se fait mais il ne faut pas que le vent devienne une tempête et qu'il empêche d'avancer. Donc prenons les choses une par une, je prends l'exemple des intermittents du spectacle, le Medef voulait faire souffler le vent tellement fort qu'il voulait le supprimer, le balayer, nous on l'a maintenu parce qu'on a fait notre rapport de force devant et on a dit au Medef, " on acceptera un accord que si on le maintient d'un bon niveau. " Donc on voit bien qu'on ne veut pas faire souffler le vent dans le même sens que le Medef "
Alors on verra avec l'autre grand chantier social qui se profile, la réforme de l'Assurance Maladie, du système de santé, je crois que les discussions vont commencer à l'automne et peut-être qu'on légiférera pendant l'hiver. On sait que le gouvernement veut faire des économies, il va dire qu'il veut sauver le régime d'Assurance maladie, on sait que la potion sera certainement amère, quelle sera votre attitude, quel est votre postula ? Est-ce que vous serez aussi conciliant que pour les retraites par exemple ?
" Vous savez, il y a deux problèmes l'Assurance maladie, il y a d'une part le problème du déficit qui est énorme, qui n'a jamais été aussi important, et qui est provoqué, pour plus de la moitié, par le chômage. Donc déjà il va falloir qu'on travaille sur l'emploi, parce que l'emploi ça donne des moyens aussi aux retraites et à l'Assurance maladie. Le gouvernement va avoir des décisions à prendre d'abord sur ce déficit là. Je crains qu'il s'oriente vers de nouveaux déremboursements, ou vers l'augmentation de la charge du financement des usagers. Nous nous sommes contre les déremboursements, il faut trouver une nouvelle recette, donc là on a déjà, je crois, une approche qui est différente. Ensuite il va falloir réorganiser un nouveau système ou améliorer le système pour le déficit soit jugulé. Pour ça, nous proposons d'associer l'Assurance maladie et les mutuelles dans une gestion commune de la couverture de soins, pour qu'elle soit le plus haut possible et le plus positif possible pour tout le monde. Et là il va y avoir une discussion sur le partage des rôles entre l'Etat et les partenaires sociaux. Mais d'abord c'est le déficit qui est en débat, et pour nous le déficit ne doit pas être comblé par des déremboursements. La CFDT sera en opposition au gouvernement s'il va dans ce sens là ".
Il y a un problème qui me semble-t-il a été un peu occulté par celui des retraites, c'est celui de l'emploi. Pas question de compter sur la reprise, sur la croissance, reste le gouvernement. Est-ce qu'à votre avis il a une politique d'emploi, claire, définie ?
" Je ne cesse de dire que le gouvernement n'a pas de politique de l'emploi. Il attend tout du marché, et de la reprise économique pour régler les problèmes. Au niveau français, la baisse des impôts ne suffit pas comme politique de l'emploi car elle est surtout synonyme de hausse de l'épargne. Au niveau européen, il n'y a pas d'attitude commune des pays, on ne parle que de déficit en plus ou en moins. Il doit y avoir une politique de relance au niveau européen, au niveau sectoriel, dans l'industrie pharmaceutique, dans l'industrie métallurgique et autres, donc une mise en commun des moyens au niveau européen, un débat sur la recherche. Si on n'investit pas sur la recherche inévitablement on va être dépendant par exemple des États-Unis sur les médicaments, et puis je vois que Jacques Delors récemment a reproposé une politique d'investissements au niveau européen. Donc c'est le budget européen qui doit être sollicité et pourtant le gouvernement est totalement muet sur ce sujet là et je le regrette. "
(Source http://www.cfdt.fr, le 03 juillet 2003)