Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "Le Parisien" du 11 novembre 2003, notamment sur les conseils des ministres franco allemands, la perspective d'ambassades communes et l'eurodistrict Strasbourg-Kehl.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - Avec le remplacement de Gerhard Schröder par Jacques Chirac au Sommet européen de Bruxelles le 17 octobre, le rapprochement franco-allemand est apparu très spectaculaire
R - Depuis 2003, notre coopération avec l'Allemagne revêt, c'est vrai, une dimension plus institutionnelle : elle accompagne et sert d'aiguillon à nos relations de travail. Il y a des conseils des ministres communs, ainsi que deux secrétaires généraux pour la coopération franco-allemande : mon homologue allemand Hans-Martin Bury et moi-même. Et, lors du dernier Sommet, le chancelier Schröder, retenu par un impératif extrêmement important, a pu demander au président de la République de s'exprimer pour lui lors de l'examen du projet de conclusion du Conseil européen. Mais comme le chef de l'Etat l'a précisé lui-même, il n'était pas question d'un quelconque mandat ou de pleins pouvoirs qui auraient été conférés, avec force juridique, par M. Schröder à M. Chirac.
Q - Schröder pourrait-il, à son tour, remplacer Chirac ?
R - Si cela lui était demandé, sans doute, à condition que les mêmes circonstances soient réunies. A Bruxelles, le chef de l'Etat s'est exprimé en ce sens en répondant à cette question.
Q - Certains envisagent des ambassades communes
R - Il y a déjà des consulats communs. Pour les ambassades, il y a eu des expériences, par exemple à Oulan-Bator (Mongolie). L'idée d'implantations communes ou partagées est toujours d'actualité, mais il faut d'abord bien examiner si les conditions juridiques et constitutionnelles le permettent. Par ailleurs, s'agissant toujours de rapprochements sur le terrain, j'ai été chargée de mettre sur pied le premier "eurodistrict" franco-allemand, à la frontière Strasbourg-Kehl sur le Rhin.
Q - De quoi s'agit-il ?
R - Nous voulons créer une région transfrontalière : avec un périmètre géographique, un statut spécifique, des compétences propres, ainsi qu'une assemblée délibérante d'élus français et allemands. Cette région pourrait même, à terme, prendre des décisions autonomes. Par exemple sur ses ressources.
Q - Paris et Berlin ne jouent-ils pas "l'union dans l'Union" parce que la vie à vingt-cinq s'annonce compliquée ?
R - Il ne s'agit pas d'instaurer un directoire, mais d'avoir un moteur efficace face aux défis de l'élargissement. Ceux qui veulent aller un peu plus vite que les autres doivent pouvoir le faire, comme pour l'euro, sans être freinés. Cela dit, notre lien avec l'Allemagne n'est en rien exclusif. Notre relation est entièrement ouverte aux autres, en particulier à ceux qui vont bientôt nous rejoindre. Nous voulons au premier chef être une force de proposition, et non un duo qui imposerait ses vues.
Q - N'est-il pas paradoxal de voir Chirac s'entendre aussi bien avec un social-démocrate comme Schröder ?
R - Ce n'est pas la première fois. Hormis Adenauer et de Gaulle, les "grands couples" qui ont "tiré" l'Europe associaient déjà des personnalités de sensibilité opposée : Schmidt et Giscard, Kohl et Mitterrand.
Q - Sur le plan économique, la France et l'Allemagne sont deux "mauvais élèves"
R - Les uns et les autres, nous savons que des réformes structurelles sont nécessaires. Nous insistons sur la modernisation de l'Etat. Les Allemands mettent l'accent, eux, sur la réforme de l'assurance chômage. Pour autant, la France et l'Allemagne ne sont pas les grands malades de l'Europe
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 novembre 2003)