Texte intégral
Sur ce point particulier - et j'en profite pour féliciter Philippe LAURENT et Mme DESCAMPS-CROSNIER parce que le travail qui a été effectué par l'AMF, et (j'en profite aussi pour saluer le Président du Sénat) le rapport HYEST-VASSELLE sont tout à fait remarquables, j'y reviendrai tout à l'heure - mais sur le point particulier que vous évoquez, Monsieur le maire, deux observations :
Sur les emplois jeunes, réjouissons-nous que les talents soient récompensés et qu'ils puissent envisager de rebondir et de pouvoir trouver une expression de leur carrière selon leur choix : les emplois-jeunes, dans l'esprit, ne nous appartiennent pas.
Par contre, le problème que vous posez, qui devient insupportable, c'est que vous payez la formation d'un fonctionnaire qui, trois, quatre ou cinq mois après, part dans une autre collectivité locale. On a affaire à une situation totalement injuste de collectivités locales qui passent leur temps à payer des formations pour des fonctionnaires qui ne restent pas et de collectivités locales qui ne payent pas la formation et qui les récupèrent.
Nous avons l'intention de proposer dans la loi, en janvier 2004, la chose suivante : d'abord, sur la formation, nous souhaitons, et c'est je crois aussi une proposition du groupe de travail de l'AMF, raccourcir la formation initiale, de façon à ce que lorsqu'on recrute quelqu'un, on ne le voie pas disparaître pendant un an. Donc raccourcissons la formation initiale pour que l'agent soit opérationnel immédiatement, quitte à ce qu'ensuite, on puisse avoir une formation continue telle que vous l'évoquez. On peut peut-être même imaginer qu'il y ait une formation quasi-obligatoire pour tous, même d'une journée ; même pour un recrutement sur un emploi de catégorie C, ce n'est pas inintéressant que l'agent connaisse la différence entre ordonnateur et comptable, le fonctionnement de la commune, l'institution, etc. Donc , moi je suis assez favorable à ce que lorsque quelqu'un entre dans une collectivité locale, il ait une sensibilisation par une formation initiale, même d'une journée - sur l'entreprise quand on est dans le secteur privé, ou sur l'institution quand on est dans le secteur public.
Concernant l'aspect particulier que vous évoquez, je suis favorable à ce qu'on introduise dans la loi le fait que quand une collectivité locale paye une formation, c'est un investissement, qui permet un déroulement de carrière favorable pour un agent. La moindre des choses, c'est qu'il y ait une réciprocité, et que l'agent soit tenu de rester au moins trois ans dans la collectivité locale qui a payé sa formation. Par contre, on ne peut pas aller contre la liberté de quelqu'un qui a vraiment envie de partir ; eh bien, dans ce cas, la collectivité locale qui recrute cet employé déjà formé rembourse au prorata temporis la formation à la collectivité locale qui en a été à l'origine. Il faudra peut-être qu'il y ait des durées variables, parce qu'il y a des formations pour des cadres qui sont extrêmement onéreuses et longues, et qui mériteraient peut-être un engagement de cinq ans, et d'autres qui sont moins coûteuses, etc.
Voilà le principe que nous entendons inscrire dans la loi, qui, je crois, est une proposition de l'AMF, une proposition du groupe de travail du Sénat, et qui en tout cas nous convient parfaitement.
Monsieur Jean-Paul DELEVOYE répond ensuite à une question concernant les évolutions envisageables en matière de rémunération, et en particulier le salaire " au mérite ".
Je voudrais vous indiquer les directions que nous entendons prendre dans le projet de loi que nous avons l'intention de déposer début 2004 en parfaite harmonie avec Patrick DEVEDJIAN, et je remercie Monsieur Dominique BUR d'être présent. Vous avez évoqué un aspect particulier qui est la problématique de la rémunération.
Madame DESCAMPS- CROSNIER l'a indiqué, j'ai souhaité mettre en place un collège des employeurs publics, de façon à ce que l'Etat, les hôpitaux et les collectivités territoriales puissent être associés à la préparation des négociations salariales qui doivent avoir lieu avec les organisations syndicales pour l'ensemble des fonctionnaires. Nous avons mis en place quelques nouveautés.
La première, c'est que, contrairement à ce qui se passe dans le secteur privé, la périodicité, la date, la nature des rencontres avec les partenaires sociaux est à la discrétion totale du gouvernement, et donc elles ont lieu tous les ans, tous les deux ans, tous les trois ans,
Nous avons décidé de proposer aux organisations syndicales, à partir du 1er janvier 2005, qu'il y ait une négociation obligatoire annuelle, ce qui fait qu'à partir de ce moment là, on sera d'accord ou pas d'accord sur un an. Et l'Association des maires de France y est totalement associée.
La deuxième chose est que nous avons mis en place un observatoire des salaires publics. Pourquoi ? Parce que nous sommes en France dans un pays extrêmement intelligent, où l'on vous fournit les statistiques en fonction des conclus ions que l'on veut vous faire adopter, et non en fonction de la réalité du problème posé. Découvrant pendant les vacances les dossiers sur les salaires, je me suis étonné de constater que, selon les sources, j'avais des conclusions différentes.
Nous avons par contre un effort à faire sur les analyses statistiques, notamment des collectivités territoriales - ce n'est pas un reproche que l'on vous fait, c'est un reproche que je fais au niveau de l'Etat - où nous avons des statistiques quelquefois à N-2 ; il est donc difficile de prendre des bonnes décisions avec des références qui ont deux ans. Donc nous allons stabiliser nos réflexions sur un observatoire des salaires publics.
Troisième élément : nous allons, avec les organisations syndicales, dès le 27 novembre, demander à réfléchir à de nouveaux paramètres, car dans l'état actuel des choses, les négociations aboutissent systématiquement à l'impasse, quels que soient les gouvernements. Pourquoi ? Je le voyais dans le baromètre que vous indiquiez tout à l'heure sur le plan financier, concernant vos préoccupation de l'évolution de la masse salariale des dépenses de personnel par rapport à vos ressources. Nous entendons une position syndicale que l'on peut comprendre, qui consiste à comparer l'indice de la fonction publique, qui est à 52 euros et quelque, qui est la base de toute la construction statutaire, et l'indice de l'inflation, avec un argument logique qui consiste à dire : " lorsque l'indice n'augmente pas comme l'inflation, perte de pouvoir d'achat ". Or ce raisonnement n'est pas juste, puisque même avec un indice à zéro, avec les promotions, les primes, les GVT, etc., la masse salariale augmente de 2, 3, voire, avec le RMBB, 4 %. Par conséquent on ne peut pas ne pas tenir compte de cet impact sur la masse salariale. De même, les mesures sectorielles viennent aussi gonfler cette masse salariale au profit de certains fonctionnaires et pas d'autres. C'est donc un sujet sur lequel nous allons réfléchir.
Quatrième élément, c'est la question que vous posez, Madame : c'est que nous, nous souhaitons - et je remercie vraiment le groupe de travail de l'AMF et celui du Sénat - mettre un terme à toutes les situations formalistes et totalement hypocrites. Je m'explique : Premièrement, quand on ouvre un poste, 9 fois sur 10, on sait à qui on va l'affecter, mais on laisse croire que le poste est ouvert à tout le monde. Il faut qu'on arrête cette espèce d'hypocrisie.
Deuxièmement, quand on ouvre un concours de niveau bac, tous les bac+3 enlèvent les places et on a une double frustration des sur-diplômés sous-payés et des gens qui ont le niveau évincés.
Troisièmement, on a les " reçus -déclassés " : ceux qui sont sur une liste d'aptitude et qui n'ont jamais de poste. Et là on a une frustration incroyable. D'où le besoin qu'évoquait Mme DESCAMPS-CROSNIER d'une meilleure organisation des concours et de l'adéquation entre les postes offerts et les candidatures.
Quatrièmement, aujourd'hui, il faut que nous réfléchissions sur les notations : on démarre à 13, on finit à 20, parce qu'on est toujours d'accord pour augmenter les notes, jamais pour les baisser, et qu'on est dans un système d'une totale hypocrisie, où on passe des heures à discuter de 0,10 points sur 20, au lieu de parler de la stratégie du développement, de l'objectif de la collectivité territoriale et de la motivation. Moi, je suis de ceux qui pensent, même si la solution proposée mérite d'être améliorée, qu'au lieu d'avoir une note absolue - 17, 18, 19, 20- je préfèrerais une notation relative - +1, +2, +3, -1, -2, -3 - et que l'on dise les raisons pour lesquelles la note augmente - parce que le travail était meilleur - ou diminue - parce que le travail est moins bon.
Mais ceci signifie deux choses : cela signifie une formation importante des chefs de service et de l'encadrement intermédiaire ; et que celui-ci ne se sente pas lâché par l'encadrement supérieur, voire même par les politiques. Parce que nous avons une obligation : plus notre fonction publique sera performante, avec des compétences et des talents de plus en plus élevés, et plus, si nous n'avons pas en face des élus formés, préparés à la gestion des ressources humaines, nous aurons un déséquilibre de compétences, un affaiblissement du pouvoir politique, et une absence de politique de management.
Le management des ressources humaines, c'est la lisibilité des objectifs, la mobilisation du responsable politique, l'investissement de l'encadrement supérieur et intermédiaire, l'évaluation, le contrat d'objectif, la responsabilisation. Et il faut qu'on abandonne ce mode de fonctionnement où pour avoir la paix, on met 20 à tout le monde, et on donne des primes à tout le monde. Je crois que sur ce sujet, le bon sens, c'est que le fonctionnaire motivé doit avoir sa carrière accélérée par rapport au fonctionnaire moins motivé. Chacun est libre de faire ce qu'il veut, mais aujourd'hui nous avons un devoir de rendre compte vis-à-vis du contribuable, vis-à-vis de l'usager, et la justice ne consiste pas à défendre l'indéfendable, elle consiste à défendre celui qui fait des efforts par rapport à celui qui n'en fait pas.
Et sur ce point, là aussi, arrêtons les hypocrisies, si l'on veut jouer les promotions et l'accélération de carrière pour les gens motivés, il faut aussi que l'on ait le courage de poser le problème des sanctions. Car lorsque quelqu'un à l'évidence est déficient dans son service, et que la complicité politico-syndicale consiste à dire " on n'en parle pas pour ne pas créer de vagues ", le résultat, ce sont les copains dans le service qui occupent la place, et c'est le service public qui est affaibli.
Il y a plusieurs situations possibles :
Soit la personne n'est pas adaptée pour le poste, et on doit lui permettre une seconde carrière, ce que nous avons proposé notamment dans l'éducation nationale, où à l'évidence, au bout de 25 ans quelqu'un peut se sentir fatigué, démobilisé psychologiquement, moralement affecté par des problèmes familiaux, par des problèmes de santé, ou de lassitude. Et donc, dans ce cas, comment lui permettre de rebondir dans un nouvel espace : c'est toute la problématique de la mobilité, qu'évoquait aussi Mme DESCAMPS-CROSNIER. Et sur ces problèmes de mobilité, il faut que nous puissions comparer la politique de l'Etat, la politique hospitalière et celle de la fonction publique territoriale, qu'il n'y ait pas de fonction publique noble et de fonction publique moins noble, et nous devons veiller aux passerelles. D'où la proposition, notamment dans le rapport DREYFUS, de voir un peu l'harmonisation entre les parcours de carrière.
Parce que, là aussi, cassons l'hypocrisie, je le dis avec beaucoup de fermeté, quand j'ai pris mes fonctions de ministre, venant de l'Association des maires de France, j'arrivais avec une formidable conception de l'unité de la fonction publique. Et j'ai découvert que depuis 40 ans, là aussi avec la complicité politico-syndicale, il y avait tout ce qu'il fallait pour cloisonner la fonction publique, et en fin de compte avoir 10 ou 15 fonctions publiques. Il y a la fonction publique noble, celle de l'Etat, et une fonction publique moins noble, celle des collectivités territoriales ; il y a des carrières nobles, celles des finances, et des carrières moins nobles, celles des affaires sociales ; et on a mis toute une série de primes, d'indices, de trucs, etc., même des heures supplémentaires qui ne sont pas faites, mais qui permettent d'augmenter la rémunération, parce que l'on pouvait, ainsi, satisfaire les gens alors que le travail n'était pas fait. Eh bien il faut qu'on arrête ce genre de choses. On ne peut pas demander la transparence en politique, et l'opacité dans la gestion administrative. Il faut savoir qui fait quoi, qui est payé pour quoi faire, et si le paiement et le salaire sont justifiés. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons faire en sorte que le fonctionnaire soient un acteur de la réforme ; qu'il soit mobilisé. Ce ne sont pas les fonctionnaires qu'il faut critiquer, c'est le système. Aujourd'hui notre système est ainsi fait que celui qui dépense est mieux récompensé que celui qui économise, parce que s'il est en déficit, on lui remet des sous ; celui qui économise, on les lui pique ; il faut donc qu'on arrête ce genre de chose.
Le deuxième élément, c'est que celui qui ne prend pas de risque a une carrière plus tranquille que celui qui prend des risques. Là aussi, il faut qu'on donne le droit à l'erreur, et qu'on fasse confiance ; c'est la raison pour laquelle nous avons dit très clairement, à ce sujet, que nous devions mettre en place la notion de performance et de contrat d'objectif avec le salaire au mérite pour le cadre supérieur, avec lettre d'objectifs, évaluation, résultats, et mobilisation de 15 à 20 % dans l'enveloppe constante pour les hauts fonctionnaires de l'Etat. D'autre part, il nous faut réfléchir, administration par administration, commune par commune, sur les notions de performance et d'évaluation. J'ai en tête un service de la DDE qui m'expliquait par A+B que la dématérialisation du service public qu'ils avaient entreprise concernant les appels d'offres faisait économiser je ne sais plus combien de kilos de papier, je ne sais plus combien d'heures, et il me disait fièrement, 360 000 d'euros d'économie pour l'administration. je lui ai dit " ça c'est parfait, et vous en récupérez combien ? " ; il a répondu : " zéro ".
On devrait avoir un contrat permettant d'améliorer les conditions de travail, pas forcément la rémunération individuelle : ce que souhaitent les fonctionnaires, quelquefois, ce n'est pas plus de salaire, mais plus de considération, plus de reconnaissance, plus de soutien, plus d'évaluation, et quelquefois aussi plus d'autorité. Et là, la formation des élus gestionnaires de la fonction publique est quelque chose d'important.
Donc, sur le mérite, nous avons mis en place cette notion de " salaire au mérite ", " salaire à la performance ", et nous avons aussi, dans le schéma de modernisation des ministères, parlé de productivité. Nous sommes dans un pays où il y a des mots tabou : le mérite, on n'en parle pas ; cela veut-il dire qu'on ne peut pas parler du mérite dans la fonction publique ? Il faut que nous prenions l'habitude de dire qu'aujourd'hui, la légitimité du service public, c'est la qualité du service rendu, et que nous devons réintroduire les valeurs de la République dans les services publics. Nos concitoyens ne parlent plus d'" école de la République ", ils disent " c'est une bonne école ", ou " c'est une mauvaise école ". Ils ne parlent plus de l'hôpital de la santé pour tous, ils parlent de bon ou de mauvais hôpital. Et quand ils vous jugent, ils jugent sur la qualité des résultats, et non sur la nature statutaire du service. Donc nous voyons bien que la capacité que nous aurons à recruter les bonnes compétences au bon moment, au bon endroit, sera déterminante pour développer l'efficacité du service de nos communes.
Je voudrais pour terminer, parce que je vois que le temps passe rapidement, vous faire passer quelques messages :
Je vais reprendre, d'ailleurs, le découpage de Mme DESCAMPS-CROSNIER sur le recrutement, sur la formation, sur le déroulement de carrière et sur les institutions.
1. sur le recrutement : je suis tout à fait favorable à ce qu'on développe la validation des acquis de l'expérience ; Je ne vois pas pourquoi quelqu'un qui a un diplôme, qui est compétent, doit repasser un examen pour pouvoir travailler dans les collectivités territoriales. J'ai toujours en tête cet officier de police de l'Etat qui est obligé de repasser un concours pour gérer une police municipale. Il faut qu'on arrête ce genre de chose. La personne a des diplômes pour être compétente, suit une formation ou bénéficie d'une reconnaissance sur titre. Il faut clarifier l'organisation des concours.
2. J'en profite d'ailleurs pour dire un mot extrêmement aimable sur la Gazette des Communes qui a traduit un propos que j'avais tenu au Sénat en disant " il n'y aura pas de grande loi de la fonction publique ". C'est très curieux, dans notre pays, on considère que le bon médecin, c'est celui qui met le plus de médicaments sur l'ordonnance, et le bon ministre, c'est celui qui fait la plus grande loi, même si beaucoup de choses appartiennent au domaine réglementaire. Ce que nous avons dit, c'est qu'avec Patrick DEVEDJIAN, nous allons faire bouger les lignes, en nous appuyant sur les rapports de l'AMF, du Sénat, etc. Mais tout ce qui peut être réglementaire, nous allons le mettre dans des dispositions réglementaires, et éviter de charger une loi de dispositifs qui n'ont rien à y faire.
Et comme il y a beaucoup de choses du domaine réglementaire, c'est très clairement dit qu'il n'y aura pas de grande loi de la fonction publique ; mais les objectifs, eux, sont ambitieux. Je voulais apporter cette clarification de façon à ce qu'on ne fasse pas la liaison en disant " il n'y aura pas de grande loi, cela veut dire qu'on fera des petits pas " : la réponse est non. Il y aura un grand pas de fait, tout en faisant en sorte de ne pas charger une loi inutilement. Il faut qu'on prenne aussi l'habitude de faire en sorte que les dispositifs réglementaires soient le plus utilisés possibles, et pas les dispositifs législatifs quand ça n'est pas la peine.
Sur les institutions, même chose : on a dit " ah, Delevoye ne parle pas des institutions ". Cela veut dire que ceux qui ne me connaissent pas ne me connaissent pas. Parce que quand j'ai décidé de faire bouger les choses, je vais jusqu'au bout, à moins qu'on ne me prouve que j'ai tort. J'ai toujours dit, à l'AMF, et je garde le même discours : dans ce pays, notre combat n'est pas de défendre les institutions, mais de demander aux institutions de s'adapter. Et j'ai très clairement dit au Président ROSSINOT que si nous n'arrivions pas à faire en sorte que les services fournis par le CNFPT soient à la hauteur des contributions payées par les collectivités locales, il sera contesté ; que concernant les centres de gestion, je n'ai aucune envie de défendre les structures départementales ou les présidents en tant que tels. c'est la qualité des services qu'ils rendent qui importe, et si les centres de gestion sont trop petits parce que les départements le sont aussi, ils doivent s'interdépartementaliser. Aujourd'hui, c'est la qualité du service qui doit guider l'adaptation des institutions, et non pas la sympathie que l'on porte à tel ou tel président, pour préserver sa place, son poste ou sa dimension.
Aujourd'hui, nous n'avons plus les moyens de nous le permettre, et donc tout peut être remis en cause, y compris le discours et les solutions d'un ministre : je ne suis pas sûr d'avoir raison. Aujourd'hui, nous n'avons plus les moyens de gaspiller de l'argent public inutilement. Si nous voulons garder notre société humaniste, nous avons besoin d'outils de régulation publique à la hauteur des filets de sécurité sociale auxquels nous sommes attachés, de la relance keynésienne quand les cycles économiques sont faibles, et du pouvoir d'achat que l'on doit préserver aux salariés en évitant d'augmenter les impôts.
Cela veut dire que la maîtrise des dépenses publiques est aujourd'hui au coeur de notre réflexion ; et que vouloir asseoir son pouvoir politique par le nombre de ses fonctionnaires , de superposer les structures de fonctionnement quand on fait une intercommunalité , c'est aller contre l'intérêt du pays, car ce qui est important, ce n'est pas l'impôt utilisé pour le fonctionnement, c'est l'impôt utilisé pour l'investissement. Aujourd'hui, nous devons faire en sorte que nos fonctionnaires soient responsabilisés, reconnus, soutenus et récompensés par rapport aux résultats, et nous ne devons pas avoir peur de mettre sur la table, avec les organisations syndicales, les sanctions : lorsque quelqu'un n'est plus compatible avec l'éthique du service public, nous devons le sanctionner ; c'est la responsabilité du politique. Nous n'avons pas vocation à baisser notre pantalon, nous avons vocation à assumer nos responsabilités.
J'ai donc clairement demandé à ce que sur le Centre de gestion et sur le CNFPT, avec le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, nous réfléchissions à qui fait quoi : l'organisation des concours pour l'un, l'organisation des carrières pour l'autre ; et la dimension interdépartementale ou régionale du CNFPT ou des Centres de gestion doit se faire en fonction des services à rendre aux collectivités territoriales. L'ingénierie de la gestion des carrières méritera probablement, effectivement, qu'il y ait d'un côté l'obligation d'organisation de concours, sauf peut-être pour les catégories A+, mais sur des bassins de caractère régional, avec des calendriers connus pour tous, l'information dans l'éducation nationale pour tous , la mobilité assurée pour tous, et de l'autre côté, la gestion des carrières, avec une lisibilité des parcours, et une répartition très claire entre les Centres de gestion et le CNFPT.
Donc, nous ferons bouger les institutions ; nous sommes dans un pays incroyable où on demande aux problèmes de s'adapter aux structures et jamais aux structures de s'adapter aux problèmes. Je n'ai pas changé de philosophie et, faites-moi confiance, on ira jusqu'au bout.
Sur les problèmes de quota : je suis assez d'accord avec ce que disait Françoise DESCAMPS- CROSNIER, il faut que nous réfléchissions à l'assouplissement des seuils-quota. Maintenant, faisons en sorte d'éviter que trop de liberté ne tue la liberté ; contrairement à ce que me demandait une association d'élus, je suis favorable à ce qu'on l'on ait des encadrements précis de gestion de carrière. Pourquoi ? Parce que sinon les collectivités locales les plus riches prendront les agents les plus compétents, et vous aurez une rupture d'égalité territoriale du fait de l'incapacité dans laquelle vous vous trouverez de recruter des fonctionnaires au bon endroit, au bon moment, quand vous en aurez besoin. Et l'on sera dans le cas de notre maire du Loiret de tout à l'heure, qui disait " mais moi je forme sans arrêt, ils s'en vont tout le temps ". Donc nous avons besoin d'avoir des règles très strictes ; mais à l'intérieur de ces règles, nous avons intérêt à avoir une égalité territoriale et des capacité de mobilité que nous devons faciliter, ce qui pose le problème de la politique sociale que vous évoquiez.
Je voudrais aussi que nous réfléchissions à l'équivalence entre les emplois fonctionnels et les emplois statutaires ; cela me paraît aussi un élément tout à fait important. J'ai peur d'avoir dépassé un peu mon temps de parole. Je voudrais simplement dire que nous avons quelques sujets sur lesquels j'aimerais bien que nous réfléchissions :
Moi je suis assez favorable à une mutualisation des activités syndicales, car souvent je vois des communes qui disent " moi, j'ai un bon employé, mais malheureusement, il est délégué syndical, donc je paye pour les autres la défense des organisations syndicales ". Je pense qu'à l'échelon d'un département, on pourrait peut-être mutualiser les activités syndicales. Je n'en sais rien, il faut y réfléchir.Ca me paraît être une chose sur laquelle on peut travailler.
Il faut peut-être aussi que l'on réfléchisse au fait qu'on ne doit pouvoir accéder aujourd'hui à un poste de responsabilité que si c'est la reconnaissance d'une compétence, et non pas par amitié, complaisance ou ancienneté. Et nous sommes souvent victimes nous-même du fait qu'au bout d'un certain temps, on fait bénéficier quelqu'un d'une promotion, et puis après on se dit " mince, si j'avais su, il n'a pas le niveau, il n'a pas etc. ". Il faut donc que nous réfléchissions à ce que l'accès à des responsabilités soit précédé pour certains postes par une formation qui sanctionne les compétences.
La question, c'est comment faciliter l'accès à la formation pour les fonctionnaires ? Il est nécessaire de développer les compétences des fonctionnaires dont on aura besoin.
Je termine en vous disant simplement que depuis un an il y a eu beaucoup de travail, et que ceci a abouti.
Il y a eu le rapport COURTIAL, dont on a beaucoup tenu compte , notamment sur les quotas, les concours, etc. Il y a eu le rapport sur l'action sociale, dont on va aussi tenir compte. Il y a eu le rapport DREYFUS, que j'ai reçu hier après-midi, et que j'invite à parcourir car, conformément à son tempérament, il est provocateur, il va loin, mais il pose de vraies questions. Il y a le rapport sur la réforme de l'ENA ; vous avez vu qu'on a changé, on a bousculé l'ENA - mais réformer l'ENA, cela ne veut pas dire changer le comportement des énarques ; donc il faut aussi que l'on ait une réflexion sur ce sujet.
On a le rapport Guy BERGER qui fait que l'on va modifier les règles de déontologie pour respirer entre le secteur privé et le secteur public. On a le rapport LEMOYNE DE FORGES pour dire que l'on va mettre le droit communautaire en application dans la fonction publique, concernant notamment les contrats à durée indéterminée que vous évoquiez tout à l'heure. Et il y a évidemment la logique paritaire homme-femme que nous avons abordée.
Toutes les connaissances issues de ces rapports doivent nous amener non pas à la sérénité, mais à la fertilité et donc nous permettre d'accoucher d'ici quelques mois d'un projet de loi qui, j'espère, vous conviendra.
(source http://www.amf.asso.fr, le 3 décembre 2003)
Sur les emplois jeunes, réjouissons-nous que les talents soient récompensés et qu'ils puissent envisager de rebondir et de pouvoir trouver une expression de leur carrière selon leur choix : les emplois-jeunes, dans l'esprit, ne nous appartiennent pas.
Par contre, le problème que vous posez, qui devient insupportable, c'est que vous payez la formation d'un fonctionnaire qui, trois, quatre ou cinq mois après, part dans une autre collectivité locale. On a affaire à une situation totalement injuste de collectivités locales qui passent leur temps à payer des formations pour des fonctionnaires qui ne restent pas et de collectivités locales qui ne payent pas la formation et qui les récupèrent.
Nous avons l'intention de proposer dans la loi, en janvier 2004, la chose suivante : d'abord, sur la formation, nous souhaitons, et c'est je crois aussi une proposition du groupe de travail de l'AMF, raccourcir la formation initiale, de façon à ce que lorsqu'on recrute quelqu'un, on ne le voie pas disparaître pendant un an. Donc raccourcissons la formation initiale pour que l'agent soit opérationnel immédiatement, quitte à ce qu'ensuite, on puisse avoir une formation continue telle que vous l'évoquez. On peut peut-être même imaginer qu'il y ait une formation quasi-obligatoire pour tous, même d'une journée ; même pour un recrutement sur un emploi de catégorie C, ce n'est pas inintéressant que l'agent connaisse la différence entre ordonnateur et comptable, le fonctionnement de la commune, l'institution, etc. Donc , moi je suis assez favorable à ce que lorsque quelqu'un entre dans une collectivité locale, il ait une sensibilisation par une formation initiale, même d'une journée - sur l'entreprise quand on est dans le secteur privé, ou sur l'institution quand on est dans le secteur public.
Concernant l'aspect particulier que vous évoquez, je suis favorable à ce qu'on introduise dans la loi le fait que quand une collectivité locale paye une formation, c'est un investissement, qui permet un déroulement de carrière favorable pour un agent. La moindre des choses, c'est qu'il y ait une réciprocité, et que l'agent soit tenu de rester au moins trois ans dans la collectivité locale qui a payé sa formation. Par contre, on ne peut pas aller contre la liberté de quelqu'un qui a vraiment envie de partir ; eh bien, dans ce cas, la collectivité locale qui recrute cet employé déjà formé rembourse au prorata temporis la formation à la collectivité locale qui en a été à l'origine. Il faudra peut-être qu'il y ait des durées variables, parce qu'il y a des formations pour des cadres qui sont extrêmement onéreuses et longues, et qui mériteraient peut-être un engagement de cinq ans, et d'autres qui sont moins coûteuses, etc.
Voilà le principe que nous entendons inscrire dans la loi, qui, je crois, est une proposition de l'AMF, une proposition du groupe de travail du Sénat, et qui en tout cas nous convient parfaitement.
Monsieur Jean-Paul DELEVOYE répond ensuite à une question concernant les évolutions envisageables en matière de rémunération, et en particulier le salaire " au mérite ".
Je voudrais vous indiquer les directions que nous entendons prendre dans le projet de loi que nous avons l'intention de déposer début 2004 en parfaite harmonie avec Patrick DEVEDJIAN, et je remercie Monsieur Dominique BUR d'être présent. Vous avez évoqué un aspect particulier qui est la problématique de la rémunération.
Madame DESCAMPS- CROSNIER l'a indiqué, j'ai souhaité mettre en place un collège des employeurs publics, de façon à ce que l'Etat, les hôpitaux et les collectivités territoriales puissent être associés à la préparation des négociations salariales qui doivent avoir lieu avec les organisations syndicales pour l'ensemble des fonctionnaires. Nous avons mis en place quelques nouveautés.
La première, c'est que, contrairement à ce qui se passe dans le secteur privé, la périodicité, la date, la nature des rencontres avec les partenaires sociaux est à la discrétion totale du gouvernement, et donc elles ont lieu tous les ans, tous les deux ans, tous les trois ans,
Nous avons décidé de proposer aux organisations syndicales, à partir du 1er janvier 2005, qu'il y ait une négociation obligatoire annuelle, ce qui fait qu'à partir de ce moment là, on sera d'accord ou pas d'accord sur un an. Et l'Association des maires de France y est totalement associée.
La deuxième chose est que nous avons mis en place un observatoire des salaires publics. Pourquoi ? Parce que nous sommes en France dans un pays extrêmement intelligent, où l'on vous fournit les statistiques en fonction des conclus ions que l'on veut vous faire adopter, et non en fonction de la réalité du problème posé. Découvrant pendant les vacances les dossiers sur les salaires, je me suis étonné de constater que, selon les sources, j'avais des conclusions différentes.
Nous avons par contre un effort à faire sur les analyses statistiques, notamment des collectivités territoriales - ce n'est pas un reproche que l'on vous fait, c'est un reproche que je fais au niveau de l'Etat - où nous avons des statistiques quelquefois à N-2 ; il est donc difficile de prendre des bonnes décisions avec des références qui ont deux ans. Donc nous allons stabiliser nos réflexions sur un observatoire des salaires publics.
Troisième élément : nous allons, avec les organisations syndicales, dès le 27 novembre, demander à réfléchir à de nouveaux paramètres, car dans l'état actuel des choses, les négociations aboutissent systématiquement à l'impasse, quels que soient les gouvernements. Pourquoi ? Je le voyais dans le baromètre que vous indiquiez tout à l'heure sur le plan financier, concernant vos préoccupation de l'évolution de la masse salariale des dépenses de personnel par rapport à vos ressources. Nous entendons une position syndicale que l'on peut comprendre, qui consiste à comparer l'indice de la fonction publique, qui est à 52 euros et quelque, qui est la base de toute la construction statutaire, et l'indice de l'inflation, avec un argument logique qui consiste à dire : " lorsque l'indice n'augmente pas comme l'inflation, perte de pouvoir d'achat ". Or ce raisonnement n'est pas juste, puisque même avec un indice à zéro, avec les promotions, les primes, les GVT, etc., la masse salariale augmente de 2, 3, voire, avec le RMBB, 4 %. Par conséquent on ne peut pas ne pas tenir compte de cet impact sur la masse salariale. De même, les mesures sectorielles viennent aussi gonfler cette masse salariale au profit de certains fonctionnaires et pas d'autres. C'est donc un sujet sur lequel nous allons réfléchir.
Quatrième élément, c'est la question que vous posez, Madame : c'est que nous, nous souhaitons - et je remercie vraiment le groupe de travail de l'AMF et celui du Sénat - mettre un terme à toutes les situations formalistes et totalement hypocrites. Je m'explique : Premièrement, quand on ouvre un poste, 9 fois sur 10, on sait à qui on va l'affecter, mais on laisse croire que le poste est ouvert à tout le monde. Il faut qu'on arrête cette espèce d'hypocrisie.
Deuxièmement, quand on ouvre un concours de niveau bac, tous les bac+3 enlèvent les places et on a une double frustration des sur-diplômés sous-payés et des gens qui ont le niveau évincés.
Troisièmement, on a les " reçus -déclassés " : ceux qui sont sur une liste d'aptitude et qui n'ont jamais de poste. Et là on a une frustration incroyable. D'où le besoin qu'évoquait Mme DESCAMPS-CROSNIER d'une meilleure organisation des concours et de l'adéquation entre les postes offerts et les candidatures.
Quatrièmement, aujourd'hui, il faut que nous réfléchissions sur les notations : on démarre à 13, on finit à 20, parce qu'on est toujours d'accord pour augmenter les notes, jamais pour les baisser, et qu'on est dans un système d'une totale hypocrisie, où on passe des heures à discuter de 0,10 points sur 20, au lieu de parler de la stratégie du développement, de l'objectif de la collectivité territoriale et de la motivation. Moi, je suis de ceux qui pensent, même si la solution proposée mérite d'être améliorée, qu'au lieu d'avoir une note absolue - 17, 18, 19, 20- je préfèrerais une notation relative - +1, +2, +3, -1, -2, -3 - et que l'on dise les raisons pour lesquelles la note augmente - parce que le travail était meilleur - ou diminue - parce que le travail est moins bon.
Mais ceci signifie deux choses : cela signifie une formation importante des chefs de service et de l'encadrement intermédiaire ; et que celui-ci ne se sente pas lâché par l'encadrement supérieur, voire même par les politiques. Parce que nous avons une obligation : plus notre fonction publique sera performante, avec des compétences et des talents de plus en plus élevés, et plus, si nous n'avons pas en face des élus formés, préparés à la gestion des ressources humaines, nous aurons un déséquilibre de compétences, un affaiblissement du pouvoir politique, et une absence de politique de management.
Le management des ressources humaines, c'est la lisibilité des objectifs, la mobilisation du responsable politique, l'investissement de l'encadrement supérieur et intermédiaire, l'évaluation, le contrat d'objectif, la responsabilisation. Et il faut qu'on abandonne ce mode de fonctionnement où pour avoir la paix, on met 20 à tout le monde, et on donne des primes à tout le monde. Je crois que sur ce sujet, le bon sens, c'est que le fonctionnaire motivé doit avoir sa carrière accélérée par rapport au fonctionnaire moins motivé. Chacun est libre de faire ce qu'il veut, mais aujourd'hui nous avons un devoir de rendre compte vis-à-vis du contribuable, vis-à-vis de l'usager, et la justice ne consiste pas à défendre l'indéfendable, elle consiste à défendre celui qui fait des efforts par rapport à celui qui n'en fait pas.
Et sur ce point, là aussi, arrêtons les hypocrisies, si l'on veut jouer les promotions et l'accélération de carrière pour les gens motivés, il faut aussi que l'on ait le courage de poser le problème des sanctions. Car lorsque quelqu'un à l'évidence est déficient dans son service, et que la complicité politico-syndicale consiste à dire " on n'en parle pas pour ne pas créer de vagues ", le résultat, ce sont les copains dans le service qui occupent la place, et c'est le service public qui est affaibli.
Il y a plusieurs situations possibles :
Soit la personne n'est pas adaptée pour le poste, et on doit lui permettre une seconde carrière, ce que nous avons proposé notamment dans l'éducation nationale, où à l'évidence, au bout de 25 ans quelqu'un peut se sentir fatigué, démobilisé psychologiquement, moralement affecté par des problèmes familiaux, par des problèmes de santé, ou de lassitude. Et donc, dans ce cas, comment lui permettre de rebondir dans un nouvel espace : c'est toute la problématique de la mobilité, qu'évoquait aussi Mme DESCAMPS-CROSNIER. Et sur ces problèmes de mobilité, il faut que nous puissions comparer la politique de l'Etat, la politique hospitalière et celle de la fonction publique territoriale, qu'il n'y ait pas de fonction publique noble et de fonction publique moins noble, et nous devons veiller aux passerelles. D'où la proposition, notamment dans le rapport DREYFUS, de voir un peu l'harmonisation entre les parcours de carrière.
Parce que, là aussi, cassons l'hypocrisie, je le dis avec beaucoup de fermeté, quand j'ai pris mes fonctions de ministre, venant de l'Association des maires de France, j'arrivais avec une formidable conception de l'unité de la fonction publique. Et j'ai découvert que depuis 40 ans, là aussi avec la complicité politico-syndicale, il y avait tout ce qu'il fallait pour cloisonner la fonction publique, et en fin de compte avoir 10 ou 15 fonctions publiques. Il y a la fonction publique noble, celle de l'Etat, et une fonction publique moins noble, celle des collectivités territoriales ; il y a des carrières nobles, celles des finances, et des carrières moins nobles, celles des affaires sociales ; et on a mis toute une série de primes, d'indices, de trucs, etc., même des heures supplémentaires qui ne sont pas faites, mais qui permettent d'augmenter la rémunération, parce que l'on pouvait, ainsi, satisfaire les gens alors que le travail n'était pas fait. Eh bien il faut qu'on arrête ce genre de choses. On ne peut pas demander la transparence en politique, et l'opacité dans la gestion administrative. Il faut savoir qui fait quoi, qui est payé pour quoi faire, et si le paiement et le salaire sont justifiés. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons faire en sorte que le fonctionnaire soient un acteur de la réforme ; qu'il soit mobilisé. Ce ne sont pas les fonctionnaires qu'il faut critiquer, c'est le système. Aujourd'hui notre système est ainsi fait que celui qui dépense est mieux récompensé que celui qui économise, parce que s'il est en déficit, on lui remet des sous ; celui qui économise, on les lui pique ; il faut donc qu'on arrête ce genre de chose.
Le deuxième élément, c'est que celui qui ne prend pas de risque a une carrière plus tranquille que celui qui prend des risques. Là aussi, il faut qu'on donne le droit à l'erreur, et qu'on fasse confiance ; c'est la raison pour laquelle nous avons dit très clairement, à ce sujet, que nous devions mettre en place la notion de performance et de contrat d'objectif avec le salaire au mérite pour le cadre supérieur, avec lettre d'objectifs, évaluation, résultats, et mobilisation de 15 à 20 % dans l'enveloppe constante pour les hauts fonctionnaires de l'Etat. D'autre part, il nous faut réfléchir, administration par administration, commune par commune, sur les notions de performance et d'évaluation. J'ai en tête un service de la DDE qui m'expliquait par A+B que la dématérialisation du service public qu'ils avaient entreprise concernant les appels d'offres faisait économiser je ne sais plus combien de kilos de papier, je ne sais plus combien d'heures, et il me disait fièrement, 360 000 d'euros d'économie pour l'administration. je lui ai dit " ça c'est parfait, et vous en récupérez combien ? " ; il a répondu : " zéro ".
On devrait avoir un contrat permettant d'améliorer les conditions de travail, pas forcément la rémunération individuelle : ce que souhaitent les fonctionnaires, quelquefois, ce n'est pas plus de salaire, mais plus de considération, plus de reconnaissance, plus de soutien, plus d'évaluation, et quelquefois aussi plus d'autorité. Et là, la formation des élus gestionnaires de la fonction publique est quelque chose d'important.
Donc, sur le mérite, nous avons mis en place cette notion de " salaire au mérite ", " salaire à la performance ", et nous avons aussi, dans le schéma de modernisation des ministères, parlé de productivité. Nous sommes dans un pays où il y a des mots tabou : le mérite, on n'en parle pas ; cela veut-il dire qu'on ne peut pas parler du mérite dans la fonction publique ? Il faut que nous prenions l'habitude de dire qu'aujourd'hui, la légitimité du service public, c'est la qualité du service rendu, et que nous devons réintroduire les valeurs de la République dans les services publics. Nos concitoyens ne parlent plus d'" école de la République ", ils disent " c'est une bonne école ", ou " c'est une mauvaise école ". Ils ne parlent plus de l'hôpital de la santé pour tous, ils parlent de bon ou de mauvais hôpital. Et quand ils vous jugent, ils jugent sur la qualité des résultats, et non sur la nature statutaire du service. Donc nous voyons bien que la capacité que nous aurons à recruter les bonnes compétences au bon moment, au bon endroit, sera déterminante pour développer l'efficacité du service de nos communes.
Je voudrais pour terminer, parce que je vois que le temps passe rapidement, vous faire passer quelques messages :
Je vais reprendre, d'ailleurs, le découpage de Mme DESCAMPS-CROSNIER sur le recrutement, sur la formation, sur le déroulement de carrière et sur les institutions.
1. sur le recrutement : je suis tout à fait favorable à ce qu'on développe la validation des acquis de l'expérience ; Je ne vois pas pourquoi quelqu'un qui a un diplôme, qui est compétent, doit repasser un examen pour pouvoir travailler dans les collectivités territoriales. J'ai toujours en tête cet officier de police de l'Etat qui est obligé de repasser un concours pour gérer une police municipale. Il faut qu'on arrête ce genre de chose. La personne a des diplômes pour être compétente, suit une formation ou bénéficie d'une reconnaissance sur titre. Il faut clarifier l'organisation des concours.
2. J'en profite d'ailleurs pour dire un mot extrêmement aimable sur la Gazette des Communes qui a traduit un propos que j'avais tenu au Sénat en disant " il n'y aura pas de grande loi de la fonction publique ". C'est très curieux, dans notre pays, on considère que le bon médecin, c'est celui qui met le plus de médicaments sur l'ordonnance, et le bon ministre, c'est celui qui fait la plus grande loi, même si beaucoup de choses appartiennent au domaine réglementaire. Ce que nous avons dit, c'est qu'avec Patrick DEVEDJIAN, nous allons faire bouger les lignes, en nous appuyant sur les rapports de l'AMF, du Sénat, etc. Mais tout ce qui peut être réglementaire, nous allons le mettre dans des dispositions réglementaires, et éviter de charger une loi de dispositifs qui n'ont rien à y faire.
Et comme il y a beaucoup de choses du domaine réglementaire, c'est très clairement dit qu'il n'y aura pas de grande loi de la fonction publique ; mais les objectifs, eux, sont ambitieux. Je voulais apporter cette clarification de façon à ce qu'on ne fasse pas la liaison en disant " il n'y aura pas de grande loi, cela veut dire qu'on fera des petits pas " : la réponse est non. Il y aura un grand pas de fait, tout en faisant en sorte de ne pas charger une loi inutilement. Il faut qu'on prenne aussi l'habitude de faire en sorte que les dispositifs réglementaires soient le plus utilisés possibles, et pas les dispositifs législatifs quand ça n'est pas la peine.
Sur les institutions, même chose : on a dit " ah, Delevoye ne parle pas des institutions ". Cela veut dire que ceux qui ne me connaissent pas ne me connaissent pas. Parce que quand j'ai décidé de faire bouger les choses, je vais jusqu'au bout, à moins qu'on ne me prouve que j'ai tort. J'ai toujours dit, à l'AMF, et je garde le même discours : dans ce pays, notre combat n'est pas de défendre les institutions, mais de demander aux institutions de s'adapter. Et j'ai très clairement dit au Président ROSSINOT que si nous n'arrivions pas à faire en sorte que les services fournis par le CNFPT soient à la hauteur des contributions payées par les collectivités locales, il sera contesté ; que concernant les centres de gestion, je n'ai aucune envie de défendre les structures départementales ou les présidents en tant que tels. c'est la qualité des services qu'ils rendent qui importe, et si les centres de gestion sont trop petits parce que les départements le sont aussi, ils doivent s'interdépartementaliser. Aujourd'hui, c'est la qualité du service qui doit guider l'adaptation des institutions, et non pas la sympathie que l'on porte à tel ou tel président, pour préserver sa place, son poste ou sa dimension.
Aujourd'hui, nous n'avons plus les moyens de nous le permettre, et donc tout peut être remis en cause, y compris le discours et les solutions d'un ministre : je ne suis pas sûr d'avoir raison. Aujourd'hui, nous n'avons plus les moyens de gaspiller de l'argent public inutilement. Si nous voulons garder notre société humaniste, nous avons besoin d'outils de régulation publique à la hauteur des filets de sécurité sociale auxquels nous sommes attachés, de la relance keynésienne quand les cycles économiques sont faibles, et du pouvoir d'achat que l'on doit préserver aux salariés en évitant d'augmenter les impôts.
Cela veut dire que la maîtrise des dépenses publiques est aujourd'hui au coeur de notre réflexion ; et que vouloir asseoir son pouvoir politique par le nombre de ses fonctionnaires , de superposer les structures de fonctionnement quand on fait une intercommunalité , c'est aller contre l'intérêt du pays, car ce qui est important, ce n'est pas l'impôt utilisé pour le fonctionnement, c'est l'impôt utilisé pour l'investissement. Aujourd'hui, nous devons faire en sorte que nos fonctionnaires soient responsabilisés, reconnus, soutenus et récompensés par rapport aux résultats, et nous ne devons pas avoir peur de mettre sur la table, avec les organisations syndicales, les sanctions : lorsque quelqu'un n'est plus compatible avec l'éthique du service public, nous devons le sanctionner ; c'est la responsabilité du politique. Nous n'avons pas vocation à baisser notre pantalon, nous avons vocation à assumer nos responsabilités.
J'ai donc clairement demandé à ce que sur le Centre de gestion et sur le CNFPT, avec le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, nous réfléchissions à qui fait quoi : l'organisation des concours pour l'un, l'organisation des carrières pour l'autre ; et la dimension interdépartementale ou régionale du CNFPT ou des Centres de gestion doit se faire en fonction des services à rendre aux collectivités territoriales. L'ingénierie de la gestion des carrières méritera probablement, effectivement, qu'il y ait d'un côté l'obligation d'organisation de concours, sauf peut-être pour les catégories A+, mais sur des bassins de caractère régional, avec des calendriers connus pour tous, l'information dans l'éducation nationale pour tous , la mobilité assurée pour tous, et de l'autre côté, la gestion des carrières, avec une lisibilité des parcours, et une répartition très claire entre les Centres de gestion et le CNFPT.
Donc, nous ferons bouger les institutions ; nous sommes dans un pays incroyable où on demande aux problèmes de s'adapter aux structures et jamais aux structures de s'adapter aux problèmes. Je n'ai pas changé de philosophie et, faites-moi confiance, on ira jusqu'au bout.
Sur les problèmes de quota : je suis assez d'accord avec ce que disait Françoise DESCAMPS- CROSNIER, il faut que nous réfléchissions à l'assouplissement des seuils-quota. Maintenant, faisons en sorte d'éviter que trop de liberté ne tue la liberté ; contrairement à ce que me demandait une association d'élus, je suis favorable à ce qu'on l'on ait des encadrements précis de gestion de carrière. Pourquoi ? Parce que sinon les collectivités locales les plus riches prendront les agents les plus compétents, et vous aurez une rupture d'égalité territoriale du fait de l'incapacité dans laquelle vous vous trouverez de recruter des fonctionnaires au bon endroit, au bon moment, quand vous en aurez besoin. Et l'on sera dans le cas de notre maire du Loiret de tout à l'heure, qui disait " mais moi je forme sans arrêt, ils s'en vont tout le temps ". Donc nous avons besoin d'avoir des règles très strictes ; mais à l'intérieur de ces règles, nous avons intérêt à avoir une égalité territoriale et des capacité de mobilité que nous devons faciliter, ce qui pose le problème de la politique sociale que vous évoquiez.
Je voudrais aussi que nous réfléchissions à l'équivalence entre les emplois fonctionnels et les emplois statutaires ; cela me paraît aussi un élément tout à fait important. J'ai peur d'avoir dépassé un peu mon temps de parole. Je voudrais simplement dire que nous avons quelques sujets sur lesquels j'aimerais bien que nous réfléchissions :
Moi je suis assez favorable à une mutualisation des activités syndicales, car souvent je vois des communes qui disent " moi, j'ai un bon employé, mais malheureusement, il est délégué syndical, donc je paye pour les autres la défense des organisations syndicales ". Je pense qu'à l'échelon d'un département, on pourrait peut-être mutualiser les activités syndicales. Je n'en sais rien, il faut y réfléchir.Ca me paraît être une chose sur laquelle on peut travailler.
Il faut peut-être aussi que l'on réfléchisse au fait qu'on ne doit pouvoir accéder aujourd'hui à un poste de responsabilité que si c'est la reconnaissance d'une compétence, et non pas par amitié, complaisance ou ancienneté. Et nous sommes souvent victimes nous-même du fait qu'au bout d'un certain temps, on fait bénéficier quelqu'un d'une promotion, et puis après on se dit " mince, si j'avais su, il n'a pas le niveau, il n'a pas etc. ". Il faut donc que nous réfléchissions à ce que l'accès à des responsabilités soit précédé pour certains postes par une formation qui sanctionne les compétences.
La question, c'est comment faciliter l'accès à la formation pour les fonctionnaires ? Il est nécessaire de développer les compétences des fonctionnaires dont on aura besoin.
Je termine en vous disant simplement que depuis un an il y a eu beaucoup de travail, et que ceci a abouti.
Il y a eu le rapport COURTIAL, dont on a beaucoup tenu compte , notamment sur les quotas, les concours, etc. Il y a eu le rapport sur l'action sociale, dont on va aussi tenir compte. Il y a eu le rapport DREYFUS, que j'ai reçu hier après-midi, et que j'invite à parcourir car, conformément à son tempérament, il est provocateur, il va loin, mais il pose de vraies questions. Il y a le rapport sur la réforme de l'ENA ; vous avez vu qu'on a changé, on a bousculé l'ENA - mais réformer l'ENA, cela ne veut pas dire changer le comportement des énarques ; donc il faut aussi que l'on ait une réflexion sur ce sujet.
On a le rapport Guy BERGER qui fait que l'on va modifier les règles de déontologie pour respirer entre le secteur privé et le secteur public. On a le rapport LEMOYNE DE FORGES pour dire que l'on va mettre le droit communautaire en application dans la fonction publique, concernant notamment les contrats à durée indéterminée que vous évoquiez tout à l'heure. Et il y a évidemment la logique paritaire homme-femme que nous avons abordée.
Toutes les connaissances issues de ces rapports doivent nous amener non pas à la sérénité, mais à la fertilité et donc nous permettre d'accoucher d'ici quelques mois d'un projet de loi qui, j'espère, vous conviendra.
(source http://www.amf.asso.fr, le 3 décembre 2003)