Texte intégral
Je vais terminer dans quelques minutes ma première visite hors du continent européen et j'ai été très heureux pour beaucoup de raisons que cette première visite soit ici.
J'ai eu aussi l'occasion de remettre au président Thabo Mbeki un message personnel du président de la République Jacques Chirac, à l'occasion de cette formidable journée d'hier, très émouvante pour le 10ème anniversaire de la fin de l'apartheid.
Je viens d'avoir un long entretien avec la ministre des Affaires étrangères d'Afrique du Sud, Mme Zuma.
Avant de répondre aux questions, je voudrais vous dire pourquoi je suis venu, et pourquoi je suis heureux que ma première visite sur le continent africain en tant que ministre français des Affaires étrangères ait lieu ici en Afrique du Sud.
C'est une semaine très importante que nous vivons dans le monde pour la démocratie, c'est une semaine chargée de sens, ici, le dixième anniversaire de la fin de l'apartheid, et, en Europe, samedi, l'accueil de dix nouveaux pays dans l'Union européenne.
Ici, comme dans l'Europe centrale et baltique, ce sont les progrès de la démocratie et des Droits de l'Homme. Et puisque je suis un homme politique, je veux dire que ces deux mouvements de libération ont beaucoup compté pour moi, notamment pendant les premières années de mon engagement politique.
Je dois vous dire que je me souviens avec la même émotion, des images que nous avons reçues et qui nous ont interpellés du soulèvement de Soweto en 1976 - j'avais 25 ans à cette époque -, et de la photo du jeune de Soweto, portant le corps d'Hector Petersen et fuyant les tirs de la police avec la soeur d'Hector. Je me souviens de cette photo comme je me souviens avec la même émotion de la photo du visage du Père polonais Jerzy Popieluszko qui avait été massacré et du regard de sa mère sur son cercueil. Et pour moi, ce sont deux événements qui ont compté dans mon engagement politique.
C'est la première raison et le chemin parcouru par l'Afrique du Sud, la place de ce pays, la force de sa démocratie, comme l'ont prouvé les dernières élections, montrent qu'il y a toujours un espoir quand il y a des hommes et des femmes pour le porter et ce fut le cas en Afrique du Sud.
Et donc c'est aussi un hommage, une reconnaissance à l'égard de ces hommes et ces femmes pour l'exemple qu'ils ont donné. Je parle par exemple de Walter Sisulu dont j'ai été très touché de rencontrer l'épouse hier. J'ai eu l'occasion aussi d'avoir un bref entretien avec le président Mandela et bien sur avec le président Mbeki, en pensant à son père aussi.
Il y a un chemin pour l'espoir lorsqu'il y a des hommes et des femmes pour porter cet espoir.
Et le troisième point dont je veux vous parler, c'est que la France a tenu, comme le président de la République l'a souhaité, à être présente à cet événement, en tant que partenaire, aux côtés de l'Afrique du Sud, au moment où l'Afrique doit relever un très grand nombre de défis.
Et quand on regarde sur le continent, on voit bien la place politique, économique et stratégique tenue par l'Afrique du Sud. Naturellement tous ces défis, qu'il s'agisse du développement, de la lutte contre les grandes maladies, de l'écologie, de la stabilité, de la stabilisation de telle ou telle partie de l'Afrique, nous concernent en tant qu'Européens. C'est cela qui donne tout son sens à ce que le président Mbeki appelle la "renaissance africaine".
Pour cette "renaissance africainer, la France considère que l'Afrique du Sud est un partenaire et un interlocuteur de premier rang. Et grâce à cette belle journée d'hier, le nouveau ministre des Affaires étrangères que je suis, a eu beaucoup de chance et j'ai remercié Mme Zuma, parce que j'ai eu l'occasion de rencontrer en une journée la quasi-totalité des chefs d'Etat d'Afrique et cela a été une grande occasion pour moi.
J'ai parlé de l'Europe et j'en parle avec l'expérience acquise pendant les cinq années où j'ai été commissaire européen, je pense que dans l'esprit de ce que nous avons fait depuis cinquante ans, et sans donner de leçon parce que les situations ne sont pas les mêmes, nous devons être attentifs et solidaires de toutes les formes d'organisations régionales en Afrique. J'ai eu hier soir un long entretien avec le président Konaré, président de la Commission de l'Union africaine. Parce que, au-dessus et en collaboration avec toutes les formes d'organisations régionales, je pense que ce qui s'est construit avec l'Union africaine, est vraiment important.
Q - Quel est l'état des lieux de la coopération franco-sud africaine, y aura-t-il une nouvelle ligne avec votre nomination, y a-t-il un nouveau projet franco sud-africain dans le sens de la résolution des conflits en Afrique, notamment en Côte d'Ivoire ?
R - Oui, je pense qu'il y a une marge importante pour renforcer encore nos relations, non pas diplomatiques puisqu'elles sont déjà très bonnes - la récente visite du président Mbeki à Paris en a été la preuve -, mais les relations culturelles et économiques entre l'Afrique du Sud et la France et je vais m'occuper personnellement de cette marge de progrès.
Quand je regarde la liste des conflits et des problèmes sur ce Continent, et au-delà de ce continent, je vois que nous travaillons ensemble et que nous avons besoin les uns des autres. L'Afrique du Sud peut être en tête de certaines négociations, je pense à la médiation actuellement sur le Zimbabwe. Elle est présente aux Comores, dans la région des Grands Lacs, et naturellement vous évoquiez la crise actuelle difficile que traverse la Côte d'Ivoire. C'est dans le cadre des Nations unies que la crise doit se résoudre. Et dans ce cadre des Nations unies, l'Afrique du Sud a une influence très importe. La question de la Côte d'Ivoire est un point extrêmement difficile, qui restera difficile, et qui a été évoqué par pratiquement tous les chefs d'Etat que j'ai rencontrés hier.
Ce que je peux ajouter, c'est qu'il y a désormais un consensus de la communauté internationale pour stabiliser la Côte d'Ivoire au travers d'un règlement politique. Cette stabilisation et ce processus politique doivent aboutir fin 2005 à des élections. Le cadre de stabilisation, c'est celui des Nations unies. C'est le Conseil de sécurité qui va suivre et évaluer ce processus dans les mois qui viennent. C'est dans ce cadre là que vont intervenir 11.000 hommes - 4.500 pour le dispositif français de Licorne, 6.500 pour l'ONUCI - dans les semaines et des mois qui viennent. Le chemin de cette stabilisation, c'est l'accord de Marcoussis. Il faut que les différents partenaires de cet accord, j'utilise ce mot "partenaire", le respectent et tiennent leurs engagements.
Q - (Sur la future ministre sud-africaine des Affaires étrangères et la médiation au sujet du Zimbabwe).
R - Naturellement, ne comptez pas sur moi pour intervenir dans la discussion sur la formation du gouvernement. J'ai été très heureux, comme nouveau ministre français des Affaires étrangères, de cette première rencontre avec Mme Zuma. Je vais dire deux choses, la première, c'est que j'ai trouvé une femme extrêmement compétente, informée, active sur tous les enjeux africains et mondiaux. Je suis sûr que je vais m'entendre avec elle, y compris sur les enjeux sportifs, qui m'intéressent aussi. S'agissant de la question que vous posez, j'ai trouvé une femme très sereine.
Sur le Zimbabwe et la situation très difficile dans laquelle se trouve ce pays, il y a naturellement un processus politique avec des sanctions qui sont d'ailleurs des sanctions ciblées sur certaines personnes, et qui naturellement ne visent pas le peuple zimbabwéen. Il y a cette médiation qui a commencé, mais qui est difficile aussi. Ce que j'ai compris, c'est qu'il fallait donner une chance supplémentaire à cette médiation pour un pays africain et par des Africains. Voilà pourquoi nous continuons de soutenir cet effort de médiation des différents chefs d'Etat de la région, en particulier du président Mbeki.
Q - (Sur les scandales en Afrique (Elf Aquitaine, ...) et le paiement de commissions dans les transactions commerciales).
R - Moi, j'ai une règle que je respecte depuis longtemps, et je la respecte encore plus depuis que je suis revenu au gouvernement, c'est de ne pas faire de commentaires sur des dossiers qui font l'objet d'une instruction judiciaire dans nos pays. Donc, ne m'en veuillez pas de vous dire ces choses mais c'est une règle que je me suis imposée et je pense qu'elle est à la fois rigoureuse et nécessaire pour un membre du gouvernement. La justice est indépendante dans mon pays.
Q - (Sur le fait que le NEPAD intéresse si peu les entreprises françaises et européennes en générale).
R - Le président de la République française a eu l'occasion de dire bien longtemps avant moi à quel point le NEPAD est essentiel en tant qu'outil du développement de l'Afrique par les Africains. Quand vous regardez la carte africaine, c'est significatif de voir les cinq pays qui ont lancé ce projet, l'Algérie, l'Egypte, le Sénégal, le Nigeria, l'Afrique du Sud, et la place qu'ils occupent pour emmener l'Afrique dans cette stratégie est considérable.
La France soutient cette initiative, pas seulement par des mots. Ce n'est pas par hasard que le NEPAD a été l'un des sujets prioritaires principaux du G8 à Evian. C'était le choix personnel du président de la République de mettre le NEPAD au coeur de la discussion du G8. Ici par exemple, l'Agence française de Développement (AFD) finance un certain nombre d'études préliminaires. Nous sommes très engagés pour aider au succès du NEPAD. On peut avoir le sentiment que le secteur privé n'est pas encore suffisamment mobilisé. Au stade où je suis et trois semaines après ma prise de fonction, je n'ai pas de bonne réponse à votre question. Mais je suis convaincu que son rôle est essentiel. Naturellement, le NEPAD n'est pas une stratégie qui a démarré il y a vingt ans, il faut lui donner le temps de s'initier. Je pense que c'est une stratégie extrêmement importante.
Q - (Sur la Côte d'Ivoire)
R - Je ne vais pas rentrer aujourd'hui en détail dans le dossier de la Côte d'Ivoire car encore une fois, c'est pour nous probablement et durablement, l'un des plus difficiles. J'ai dit que la seule voie possible, ici comme ailleurs, était celle du règlement politique. Je peux dire la même chose pour l'Irak ou le Proche-Orient dans des circonstances différentes.
Mais pour aller un peu plus loin, et c'est pour cette raison que les entretiens que j'ai eus avant-hier à Paris avec le président du Niger au moment où débutait la réunion des pays du bassin du Niger, et puis hier avec beaucoup de chefs d'Etat de cette région ont été importants. Je suis convaincu que le rôle des chefs d'Etat de la région, qui sont concernés par le risque de déstabilisation de la Côte d'Ivoire, est extrêmement important, que leur parole, leur engagement, sont essentiels. Voilà une première réponse.
Deuxièmement, les Nations unies et le Conseil de sécurité. Dans ce cadre-là, nous devons trouver les moyens de mettre les différents acteurs devant leurs responsabilités, y compris par un certain nombre de pressions. Il faut qu'ils assument leurs responsabilités et qu'ils tiennent leurs engagements.
Q - Qu'en fut-il des négociations sportives avec la ministre sud-africaine des Affaires étrangères ? Est-ce que la France va soutenir la candidature de l'Afrique du Sud pour le Mondial ? Avez-vous parlé des extrémistes islamistes avec les chefs d'Etat que vous avez rencontrés ou avec Mme Zuma ?
R - Nous n'avons pas évoqué spécifiquement la question de la lutte contre toutes les formes de terrorisme avec les chefs d'Etat que j'ai rencontrés.
Nous savons bien que ces formes de terrorisme sont dans les différents conflits qui existent dans le monde actuellement, souvent en arrière-fonds de la gestion des crises et de la stabilisation. Ce que je peux dire, c'est que la question de la lutte contre le terrorisme est la priorité actuelle de l'Union européenne. Et nous avons pu mesurer à quel point personne n'était à l'abri, notamment à travers la tragédie qui a frappé au coeur d'une démocratie européenne, la démocratie espagnole, la ville de Madrid, il y a quelques semaines.
Donc, nous sommes décidés à combattre, avec les pays africains et nos alliés américains, et avec tous ceux qui sont concernés - peu de gens ne sont pas concernés - le terrorisme par tous les moyens : par la répression, et cela exige de la coopération, la lutte contre la criminalité financière, mais aussi par la prévention. Voilà aussi pourquoi il faut résoudre les conflits, parce que les idéologies terroristes les plus extrêmes se nourrissent de la guerre et de la pauvreté.
En changeant complètement de sujet, sur les discussions que nous avons eues au sujet du sport, je dois vous dire que ce n'est pas par hasard que je m'intéresse au sport, parce que j'ai une expérience assez originale pour un ministre des Affaires étrangères : celle d'avoir organisé les Jeux Olympiques d'hiver, en 1992 en Savoie à Albertville. J'ai passé dix ans de ma vie pour organiser un événement qui a duré 16 jours !
Et ce que j'ai appris à cette occasion, c'est que ce ne sont pas les gouvernements qui choisissent les pays organisant des championnats internationaux, des coupes du monde de football ou de rugby, des Jeux Olympiques. Ce sont les fédérations sportives.
Naturellement, il y a plusieurs candidatures pour cette future coupe du monde de football qui est un événement considérable. Le Roi du Maroc, les dirigeants marocains ont eu l'occasion de parler à la France de leur candidature, mais je sais que le président Mbeki en a parlé avec beaucoup de détermination aussi, quand il est venu à Paris il y a quelques semaines.
Encore une fois, il faut que cette compétition soit loyale et qu'elle soit tranchée par ceux qui doivent la trancher : c'est à dire les dirigeants sportifs.
Ce que je sais, c'est que la candidature de l'Afrique du Sud est sérieuse, qu'elle est portée par une vraie motivation, par une expérience confirmée - je pense au succès de la Coupe du Monde de rugby en 1995. Voilà ce que je peux dire.
Q - Vous avez fait l'apologie de l'Afrique du Sud. Avez-vous quelque chose à dire sur les côtés sombres de la lutte pour la démocratie en Afrique du Sud, le colonialisme et la Renaissance africaine ?
R - Attention, vous avez dit que j'ai fait l'apologie, faites attention à ce mot en français. Franchement, j'ai indiqué - comme il y a beaucoup de désespoir dans le monde, parfois beaucoup de gens qui doutent de la politique - qu'il y avait quand même, en contrepoint, des signaux prouvant qu'on doit avoir de l'espoir lorsqu'il y a des hommes pour porter cet espoir. Voilà ce que j'ai dit tout à l'heure ! Je pourrais m'appuyer sur l'exemple de l'Afrique du Sud qui s'est libérée par la volonté des Sud-Africains, de la même manière que pour les Européens de l'Est, qui ont été pendant cinquante ans de l'autre côté du Rideau de fer, et pour beaucoup de pays d'Amérique du Sud aussi. Il y a eu un progrès des démocraties, voilà ce que j'ai dit tout à l'heure et c'est ce que je suis venu partager ici.
Ce que je peux ajouter, sans intervenir dans des débats de politique intérieure dans ce pays - ce n'est pas mon rôle - c'est que partout dans le monde, la démocratie n'est jamais acquise éternellement, il faut toujours être vigilant, même en France, comme partout, je ne cherche pas à donner des leçons.
Q - L'élargissement de l'Europe aura-t-il des incidences sur les échanges commerciaux avec l'Afrique australe, l'Afrique du Sud, et l'Afrique en général ? Y a-t-il une révision des accords prévus dans la nouvelle Europe ?
R - C'est la même Europe qui s'agrandit. Je n'aime pas beaucoup cette image de la vieille et de la nouvelle Europe. Permettez-moi de dire que celui qui a utilisé ces mots s'est trompé. C'est une Europe réunifiée, plus exactement. Ce mot est beaucoup plus juste que celui d'élargissement. Moi, je pense que le fait que l'Europe se réunifie, que le marché européen soit un marché en progrès de 450 millions de citoyens est une chance non seulement pour les Européens mais pour les Africains dans leurs échanges.
Je pense deuxièmement que nous devons faire un effort, nous Français mais aussi les Anglais qui ont une politique en Afrique, d'autres pays - Portugal, Allemagne, Espagne - pour que l'enjeu du partenariat euro-africain soit pleinement mesuré. Il y a actuellement des craintes en Afrique, et plus près encore dans le Maghreb. Il y a cette crainte que j'ai rencontrée, que, le centre de gravité européen se déplaçant à l'est, on oublie le sud.
Troisièmement, quand le président Konaré est venu à la Commission européenne avec les membres de la Commission africaine, il y a un mois, j'étais encore commissaire européen, il a fait une très forte impression. Il a donné des chiffres et dit quelque chose qui m'a beaucoup frappé, ainsi que mes anciens collègues, il a dit : "dans quinze ans, il y aura un milliard et demi d'Africains, huit cents millions de moins de quinze ans, un milliard d'entre eux, deux tiers, vivront avec moins d'un dollar" et, il nous a dit en nous regardant : "si vous pensez que cela ne vous concerne pas, vous vous trompez !''
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mai 2004)