Texte intégral
Version provisoire - Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie,
Mesdames et Messieurs,
J'ai voulu installer aujourd'hui à Matignon le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.
C'est le moment pour le Gouvernement d'engager une étape nouvelle et décisive de son action pour assurer l'avenir de notre protection sociale.
Votre mission est claire : établir un diagnostic partagé de notre système de santé et d'assurance maladie. De recenser ses points forts. D'exposer la nature et les causes de ses difficultés. C'est de le faire aussi consensuellement que possible car aujourd'hui, malgré de nombreux travaux préalables, en particulier ceux des groupes de travail de la commission des comptes de la sécurité sociale, chacun porte son analyse. L'accord des points de vue garantit le progrès social. Votre première mission, c'est donc de dresser ensemble, d'ici à la fin de l'année, l'état des lieux qui favorisera une démarche collective.
J'en mesure la difficulté. Je remercie chacune et chacun de vous de son engagement pour dresser ce "bilan d'entrée" dont nous mesurons, tous, l'importance.
Mais votre conseil n'est pas créé pour trois mois. En 2004 et au-delà de 2004, vous poursuivrez vos travaux pour éclairer le Gouvernement et l'opinion de notre pays sur les décisions qui seront prises. Ainsi, avec votre concours, nous garantirons à tous, demain comme aujourd'hui, l'accès à des soins de qualité.
L'expérience de la réforme conforte ma conviction que nous sommes collectivement capables de cette grande démarche de vérité, d'analyse, de dialogue, de changement qu'appelle aujourd'hui la situation de notre système de santé et d'assurance maladie.
Dans le même temps, je mesure ce qui rend cette démarche difficile.
D'abord, il y va de notre santé. Notre santé, c'est pour chacun d'entre nous notre force ou notre faiblesse, ce qui nous permet tout ou nous interdit tout, une force dont on ne mesure la fragilité que lorsqu'on l'a perdue, pour chacun de nous, notre premier atout.
En ce domaine, la lucidité fait parfois défaut. Nous redoutons la maladie et la souffrance ; nous occultons la mort ; nous ne sommes pas éduqués à bien gérer notre santé ; la médecine n'est pas une science exacte mais nous tenons désormais la santé pour un droit.
Enfin, même si nous voyons la santé comme un secteur social - ce qu'elle est, c'est aussi un secteur très important de notre économie : la santé, c'est 270 000 médecins et autres professionnels de santé libéraux, 4 000 laboratoires d'analyses, 23 000 pharmacies, 1 000 hôpitaux et 2 000 cliniques où travaillent plus d'un million de personnes, 8 000 établissements pour personnes handicapées, 10 000 maisons de retraite, 300 laboratoires pharmaceutiques et 200 entreprises de matériel médical, plusieurs centaines de caisses d'assurance maladie, 1 700 mutuelles et autres assureurs complémentaires De tous ces acteurs, les emplois, les équilibres, les intérêts ne concordent pas spontanément et doivent être conciliés.
Dans ce contexte, je ne viens pas aujourd'hui vous livrer des solutions prêtes à l'emploi. Je souhaite partager avec vous mes réflexions et vous faire part de la détermination mais aussi de l'écoute de mon Gouvernement à mener à bien la consolidation de notre sécurité sociale.
Aujourd'hui, les Françaises et les Français partagent le sentiment de bénéficier d'un système de santé à la fois proche, facile d'accès, capable de bien les soigner, protecteur.
C'est un bien public. C'est un trésor social. La sécurité sociale exprime nos idéaux de bien-être et de solidarité et, en même temps, elle leur donne un contenu concret et tangible pour tous.
La ligne ouverte par le Président de la République est claire : "Notre système est bon. Nous ne voulons pas le changer mais l'adapter pour le garantir".
Je distingue quatre piliers. Ils soutiennent notre sécurité sociale. Ils sont intangibles.
D'abord, le principe même de la solidarité. C'est un choix fondateur de notre protection sociale que d'inclure la maladie dans ces grands " accidents de la vie " face auquel chacun de nous sait qu'il peut compter sur la solidarité des autres. D'autres pays ont fait d'autres choix. Nous tenons au nôtre. Nous mesurons la valeur d'un système où chacun reçoit à la mesure de ses besoins, pas à celle de ses moyens. Il ne peut ni ne doit y avoir de santé à plusieurs vitesses en fonction des revenus. Parce qu'il n'y a pas d'égalité face à la santé, notre pays a fait le choix de la fraternité. C'est le choix de la cohésion sociale et nationale.
Ensuite, l'assurance maladie pour tous. Depuis la mise en place de la couverture maladie universelle, la garantie solidaire de l'assurance maladie est maintenant effectivement étendue à tous les membres de la collectivité nationale.
Il y a aussi la liberté de choisir son médecin. Plus que tous les autres systèmes au monde, la sécurité sociale française a su concilier ce haut niveau de solidarité avec une très grande liberté pour chacun. Notre assurance sociale respecte notre autonomie. Elle protège l'intimité de notre choix au moment où nous nous adressons à un médecin pour lui confier notre corps, notre mental et notre santé.
Enfin, la qualité pour tous. La médecine française offre à tous des soins de haute qualité. Cela tient à la solidité des formations initiales, à la densité de l'offre de soins, à cette particularité française aussi d'avoir su concilier à l'hôpital la médecine de pointe et l'accueil de tous à toute heure. Maintenir la qualité des soins, la garantir pour tous, voilà la nouvelle frontière du système sanitaire. Nous ne sommes pas égaux face à la maladie. Nous voulons l'être face au système de santé. Nous devons tous avoir les mêmes chances d'accéder à des soins de la plus haute qualité.
Ce n'est donc pas sans raisons que notre système de santé, il y a quelques années, a été classé parmi les tout meilleurs. L'excellence de nombreuses équipes françaises de recherche, les " premières mondiales " dans plusieurs domaines thérapeutiques, le rayonnement si attendu de la médecine française dans beaucoup de pays du monde ne sont pas des hasards.
Notre système de santé et d'assurance maladie est cependant lourdement menacé.
Trois éléments sont particulièrement préoccupants :
La première menace, c'est le déficit. Le réalisme l'impose : nos dépenses de santé peuvent encore progresser. C'est le choix d'une société développée. Mais qui vieillit. La société française doit apprendre à vieillir au sens exprimé par Paul Eluard : "Vieillir, c'est organiser sa jeunesse au cours des ans ". Mais nous ne pouvons pas accepter une progression non maîtrisée des dépenses remboursées, année après année des dépassements des objectifs votés, une accumulation de déficits non financés. Sans s'en rendre compte, notre pays s'est habitué au " trou de la Sécu ". Il se paye sa santé à crédit. Ce n'est pas une solution. Le niveau de nos déficits sociaux n'est ni compatible avec l'équilibre de nos finances publiques ni responsable vis-à-vis des générations futures qui paieront nos dettes.
Nous devons aussi nous préoccuper du profond malaise du " monde de la santé ". Nous consacrons près de 10 % de notre richesse nationale à la santé. Mais que constate-t-on ? Des mécanismes conventionnels grippés qui peinent à trouver les bons points d'équilibre entre les intérêts des professionnels et des caisses. Des établissements en proie à la désorganisation et au doute. Une difficulté à trouver des candidats au moment où l'on recrute des médecins et des infirmières, alors même qu'il existe très peu de plus beaux métiers. Trop de signes de découragement dans le monde médical. Il nous faut redonner aux professionnels de la santé le goût de l'avenir.
La troisième menace, c'est la déresponsabilisation. Depuis des années, les Français dénoncent les " gaspillages " comme l'une des principales raisons des difficultés de la sécurité sociale. Nous sommes tous concernés : assurés, professionnels, gestionnaires des caisses, l'Etat aussi, responsable de l'organisation d'ensemble. Nous ne nous comportons pas avec l'argent de la sécurité sociale comme avec notre propre argent. Pourquoi ? Il y a plusieurs raisons. Les responsabilités de l'Etat et de l'assurance maladie sont trop enchevêtrées. Les nouvelles technologies de l'information ne sont pas suffisamment utilisées pour partager ou exploiter les informations disponibles et nécessaires à la gestion. A l'heure des flux et des réseaux, l'offre de soins reste trop souvent cloisonnée et segmentée. Souvent encore, l'assurance maladie finance des structures, mal évaluées, davantage que les services qu'elles rendent. La liberté dont jouissent les assurés sociaux et les professionnels n'est pas assez régulée par des mécanismes de responsabilité.
Y a-t-il urgence à agir ? Je le crois. La crise financière est à la fois conjoncturelle et structurelle. La crise structurelle n'est pas que financière.
Dans ce contexte, que voulons-nous faire ?
Je le dis à nouveau, notre ambition, c'est d'assurer l'avenir, de consolider notre système de santé et d'assurance maladie. Parce que les Français tiennent à leur sécurité sociale. Parce qu'elle est nécessaire à la libération de leurs énergies, à l'élan d'ouverture et de modernisation que nous voulons promouvoir.
C'est ma conviction : cette consolidation ne requiert pas un bouleversement mais une profonde adaptation. La grande construction de la Libération qu'est la sécurité sociale s'est déjà adaptée à d'importants changements (le " babyboom " ou l'irruption de la médecine technologique par exemple). Le temps est venu pour elle de s'adapter aux évolutions longues qui, aujourd'hui, modifient profondément l'exercice et les possibilités de la médecine mais aussi nos attentes à son égard. De grands défis sont devant nous : une adaptation nous permettra de les relever.
J'en mentionnerai deux qui me paraissent essentiels :
D'abord, le progrès médical. Nos générations assistent en direct à une sorte de révolution permanente des techniques de diagnostic et de soins. Aujourd'hui, nous voyons l'intérieur du corps, nous observons les fonctions des organes, nous opérons sans altérer les tissus par de toutes petites incisions, nous pouvons apaiser la douleur, la perspective de moyens thérapeutiques individualisés est devant nous. Cette extraordinaire mobilisation d'intelligence, d'innovation et d'esprit d'entreprise nourrit l'espoir mais son coût est aussi un choc considérable pour l'assurance maladie. Certains nouveaux médicaments coûtent 100 fois plus cher que ceux qu'ils remplacent. Dans certaines maladies, le coût des traitements dépasse 200 000 euros par an. Ce choc ne doit pas faire éclater notre solidarité. Nous voulons conserver l'excellence à la portée de tous.
Notre ambition porte aussi sur la place faite aux personnes malades. Le plan cancer donne à comprendre ce qui doit devenir un objectif général : au-delà de la prévention et du dépistage, du renforcement des capacités, des garanties organisées de qualité, il faut encore humaniser les soins, répondre à cette attente des malades d'être reconnus - le temps de leur maladie - comme le coeur du système de santé, d'être accompagnés dans l'épreuve plus que traités comme un cas. La santé est la préoccupation n° 1 des Français. Tout le monde est un peu devenu médecin - du moins le croit-il. Nous voulons désormais consentir à nos traitements, participer à la prescription, devenir acteur de notre propre santé. Quelle exigence ! Mais aussi quelle opportunité pour transformer les pratiques et l'organisation, impliquer nos concitoyens, répondre à cette attente d'humanité et aller vers davantage de responsabilité comme le requiert, aujourd'hui, la sécurité sociale !
J'ai conscience de la difficulté de la tache qui est devant nous. Et je l'aborde avec humilité.
L'histoire de la réforme de l'assurance maladie n'est pas une page blanche. La plupart des gouvernements précédents s'y sont essayés. Avec des succès divers. Depuis 1977, j'ai compté que 16 plans de sauvetage de la sécurité sociale ont été mis en oeuvre - en moyenne, un tous les 18 mois ! Certains étaient porteurs d'une ambition réelle et remarquée. La plupart n'ont eu d'efficacité financière que quelques mois, ralentissant un temps la progression des dépenses ou limitant le montant du déficit. Aucun n'est parvenu à créer un mode durable de régulation efficace et acceptée.
La première difficulté me paraît être de faire prendre conscience à nos concitoyens de la nécessité d'agir en profondeur. Il nous faut vouloir cette démarche. Il nous faut une forte ambition commune au-delà des clivages partisans et des corporatismes.
Nous ne souhaitons pas préparer un plan qui se contenterait de limiter les prestations ou d'augmenter les cotisations pour rééquilibrer provisoirement les comptes en attendant le retour de la croissance. Même si la conjoncture explique la dégradation rapide du déficit en 2002 et 2003, nous ne pouvons et ne voulons pas compter que sur le retour de la croissance pour consolider la sécurité sociale.
La perte de recettes que nous constatons actuellement pose un problème financier de première ampleur. Il faudra le régler. Mais il nous faut une ambition plus forte. Il faut nous engager sans a priori, sans choix faits à l'avance, dans l'analyse et la correction des défauts structurels qui fragilisent notre système de santé et d'assurance maladie.
Nous voulons poursuivre et accélérer dans la voie choisie voilà dix-huit mois : celle des réformes structurelles.
Depuis 2002, la perspective structurelle et pluriannuelle détermine notre action. La loi de santé publique qui fera demain l'objet d'un vote solennel en première lecture à l'Assemblée Nationale organise une action de long terme, un rééquilibrage de notre système de santé en faveur de la prévention, comblant ainsi cette carence des politiques de santé dans notre pays. La politique hospitalière du Gouvernement dont le plan Hôpital 2007 est le drapeau s'attaque en profondeur, en s'en donnant le temps, à l'ensemble des difficultés des établissements sanitaires. En signant au printemps 2003 un " accord-cadre " avec l'industrie pharmaceutique, nous avons voulu améliorer la lisibilité de la politique du médicament.
Pour la médecine de ville, c'est encore notre volonté de restaurer un système conventionnel capable de promouvoir efficacement les changements structurels nécessaires qui justifie notre politique de confiance. J'ai noté les signes positifs récents : l'accord des médecins et des caisses sur le fondement duquel nous avons pu modifier les textes applicables aux spécialistes ou l'adhésion d'un nouveau syndicat à la convention médicale. Cette confiance doit porter ses fruits. Ce sont la responsabilité partagée et la maîtrise médicalisée des dépenses. Il faut maintenant que se mette en place l'organisation qui garantira le juste usage des soins et l'utilisation efficace de chaque euro consacré à la santé. Il faut que les professionnels dont je mesure les mérites s'engagent dans une responsabilité effective qui, au-delà du soin, porte sur la qualité des soins, l'organisation des soins, la maîtrise des dépenses.
Le PLFSS 2004 aussi s'inscrit dans cette perspective structurelle. Il s'attaque aux principales causes identifiées de l'augmentation des dépenses (la surconsommation de médicaments, le recours abusif aux arrêts de travail, l'absence de coordination des soins qui permet la multiplication d'actes redondants). Il conforte les réformes structurelles engagées (la réforme du financement de l'hôpital) sans préjuger les conclusions du processus que nous ouvrons aujourd'hui.
En raison de cette ambition réformatrice, nous ne privilégions pas l'augmentation des prélèvements obligatoires. J'entends bien les messages adressés au Gouvernement pour qu'il augmente la CSG et rétablisse ainsi les comptes sociaux. Mais comme dans l'ensemble de notre économie, nous ne pouvons compter d'abord sur les prélèvements obligatoires pour consolider notre système de santé. Il faut d'abord remettre de l'ordre.
Je mesure que les pistes déjà ouvertes ne suffisent pas. Alors allons plus loin ! Ouvrons de nouvelles pistes ! Je veux, cet après-midi, en citer six :
Il faut d'abord faire de l'amélioration de la gestion une absolue priorité. Nous devons déclarer la guerre aux gaspillages. Dans cet objectif, il faut mobiliser l'Etat, les acteurs du système de soins et d'assurance maladie et les Français. Les outils de gestion doivent être renforcés : un corps de contrôle puissant pour lutter contre les abus, le dossier médical électronique partagé pour coordonner les soins, une organisation renouvelée pour dépasser les cloisonnements et gérer l'offre de soins dans les territoires.
Nous trancherons la question de la gouvernance. Sans étatiser ni privatiser la sécurité sociale, nous clarifierons les responsabilités respectives de l'Etat et des partenaires sociaux. Et je souhaite que la gestion paritaire retrouve toute sa vigueur et son efficacité dans l'assurance maladie. Elle dépend de l'engagement de l'ensemble des partenaires sociaux. Avec eux, nous redéfinirons un cadre de responsabilité réelle, fondée, légitime, efficace.
Nous généraliserons la couverture complémentaire santé. Tous les Français qui le veulent doivent pouvoir accéder à un régime d'assurance maladie complémentaire pour renforcer leur protection et améliorer leur accès à des soins de qualité. A cette fin, une aide spécifique sera créée. Une juste place sera faite à ces acteurs engagés dans la gestion du risque maladie et dans l'amélioration de la prise en charge des dépenses de santé.
Nous développerons les informations de pilotage. Les statistiques des dépenses d'assurance maladie ne peuvent suffire. Il nous faut en temps réel des indicateurs d'activité, de qualité, de coût. Nous devons savoir ce que recouvre l'ONDAM, quels soins l'assurance maladie achète, si les rapports qualité/prix sont justes. Ces informations doivent être mobilisées. Et utilisées.
Nous devons mieux organiser l'offre de soins. Les difficultés de recrutement dans les hôpitaux et les cliniques, le manque de médecins et d'infirmières dans certaines zones de campagne ou de banlieue masquent une forte densité médicale et une mauvaise répartition des professionnels de santé dans notre pays. Est-il normal dans un pays moderne qu'il faille attendre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous chez certains spécialistes ? Nous devons nous pencher ensemble sur l'offre de soins et l'adapter progressivement aux nécessités que sont l'adéquation aux vrais besoins, l'égalité d'accès aux soins, le juste équilibre entre les exigences de proximité d'une part, de qualité et de sécurité d'autre part. Dans cette perspective, la démographie médicale et la carte hospitalière me paraissent constituer des chantiers majeurs. Je me pose des questions. Je vous les pose et j'attendrai vos réponses : les mesures d'incitation à l'installation des professionnels de santé dans les zones où ils manquent sont-elles suffisantes ? Le moment est-il venu d'orienter la liberté d'installation des professionnels sur notre territoire ? Nous avons près de 3 000 établissements de soins, 30 en moyenne dans chaque département : se sont-ils bien répartis le travail ?
Je livre une dernière piste à votre réflexion. Depuis 1945, l'assurance maladie repose sur l'idée que le remboursement social garantit l'accès aux soins. Sur cette idée, nous avons fondé la construction progressive d'une assurance maladie non seulement ouverte à tous mais aussi couvrant le maximum de prestations. Aujourd'hui, cette protection étendue couvre une grande part de notre demande de santé, faite de besoins essentiels et d'autres plus subjectifs. Le sentiment de gratuité de notre système de santé au moment où nous avons recours à lui nous fait méconnaître son coût réel. Nous devons faire oeuvre de responsabilisation. Ce mouvement doit concerner tous les acteurs. Dérembourser 82 médicaments anciens dont certains n'ont plus leur place dans nos armoires à pharmacie cause un grand émoi mais sait-on que, depuis le début de l'année, 402 nouveaux médicaments ont été admis au remboursement et 533 l'année dernière ? Il y a des débats à ouvrir : quel est le juste équilibre entre solidarité collective et responsabilité individuelle ? Faut-il couvrir dans les mêmes conditions une fracture du bras causée par une chute dans la rue ou par un accident de ski ? Dans "assurance maladie", quel sens donnons-nous aux mots ? Des mécanismes personnalisés doivent-ils venir renforcer l'assurance maladie dans sa gestion des mécanismes de solidarité ? Sur cette piste aussi, je serai particulièrement attentif à vos réflexions.
Au coeur de notre protection sociale, notre système de santé et d'assurance maladie est pour nous un héritage commun. Il a été bâti par des générations, sur des principes largement partagés, en associant toutes les tendances politiques, toutes les forces économiques et sociales du pays dans une de ces grandes institutions qui donnent à notre pays son caractère propre et à ceux qui l'habitent un très haut niveau de solidarité nationale. La sécurité sociale n'est pas loin du coeur de la République.
Tous, nous nous sentons dépositaires d'une partie de la légitimité pour adapter la sécurité sociale. Tous, nous le sommes. Cette démarche d'ensemble, il nous faut la conduire ensemble. C'est une démarche de cohésion. Consolider notre système de santé et d'assurance maladie n'est pas seulement un objectif du Gouvernement ; c'est notre objectif commun.
Le Président de la République l'a fait savoir très clairement au mois de juin dernier : "Un haut niveau de protection sociale ne peut être le fruit que d'un engagement collectif (). La priorité, c'est donc de mobiliser l'ensemble des acteurs du système de santé pour le moderniser en faisant confiance à l'esprit de responsabilité des Français ".
Mesdames et Messieurs, nous croyons au dialogue social et à la construction commune.
C'est pourquoi je vous invite tous, vous qui représentez et constituez ce système de santé, à participer activement et positivement à cet exercice d'intérêt général. Et je souhaite élargir notre cercle. Les difficultés rencontrées successivement par tous les Gouvernements, de quelque bord politique qu'ils soient, doivent nous inspirer. Les expériences des autres pays d'Europe aussi. Et en particulier la démarche politique qui vient d'être menée en Allemagne. Au moment où nous nous tournons vers l'avenir de notre assurance maladie, c'est notre devoir de travailler ensemble en dépassant nos clivages, sans esprit de polémique, pour l'intérêt général du pays et de nos concitoyens, à un mouvement qui sera d'autant plus efficace qu'il sera porté par les principales forces sociales, économiques mais aussi politiques du pays.
Le calendrier et la méthode que je vous propose sont les suivants.
Nous consacrerons d'abord la fin de cette année à l'élaboration partagée du diagnostic. Je l'ai dit : c'est votre mission première. Identifier et analyser les causes des difficultés de notre assurance maladie. Souligner, près de 60 ans après sa création, ce qui va et qui ne va pas, et en quoi cela ne va pas. Pointer les mécanismes qui causent les gaspillages, la complexité, la déresponsabilisation, l'incompréhension aussi. Le Gouvernement rend public, aujourd'hui, des "éléments de diagnostic" qu'il a préparés et qu'ainsi, il verse à votre dossier. Votre premier rapport sera remis avant Noël. Il sera publié. Il fera l'objet de nombreux commentaires. Nous devons aider les Français à se forger une opinion mieux éclairée sur notre système de santé et d'assurance maladie et ses difficultés. Je vous invite, dans vos travaux, à vous tourner vers l'étranger, à éclairer vos réflexions des leçons de la comparaison.
Sur le fondement de cet état des lieux, le ministre de la santé, Jean-François MATTEI, engagera au début de l'année 2004 une période de concertation approfondie puis de négociation. Des groupes de travail seront mis en place, en petit nombre, entre l'Etat et ses partenaires. Ils seront pilotés par le ministre et ses collaborateurs. Ils porteront sur les principales pistes que j'ai mentionnées : les relations de l'Etat et de l'assurance maladie, l'amélioration de la gestion et la responsabilisation des acteurs la maîtrise médicalisée et la politique conventionnelle, les rôles des assurances de base et des assurances complémentaires Cette période essentielle, nourrie de vos travaux, s'étendra sur les premiers mois de l'année prochaine.
Viendra alors le temps de la décision politique. Les grandes lignes de nos propositions seront arrêtées avant l'été pour pouvoir être transcrites dans les textes législatifs nécessaires.
Mesdames et Messieurs, le Gouvernement tiendra son calendrier. La situation de l'assurance maladie le requiert. Il le tiendra aussi parce qu'il veut assurer l'avenir de notre système de santé et d'assurance maladie.
Une fois encore, je tiens à vous remercier, vous, Monsieur FRAGONARD, qui avez accepté la lourde responsabilité de présider ce Haut conseil. Vous, Mesdames et Messieurs, qui y siégez et sur qui notre pays compte.
A travers vous tous, je veux redire notre ambition aux Français : nous voulons préserver notre système fondé sur la solidarité, surmonter sa crise financière, assurer la meilleure qualité possible pour les soins, permettre la diffusion à tous des bienfaits du progrès médical et porter une attention nouvelle au malade.
Nous voulons libérer la France de ses insécurités - physiques, économiques et sociales, élaborer des solutions d'avenir pour notre protection sociale, consolider cette institution de fraternité qu'est la sécurité sociale et contribuer ainsi à cette France d'ouverture dont la vision inspire toute notre action.
Consciente de son vieillissement, note société se doit de promouvoir le "goût de l'avenir". Victor Hugo disait "on voit de la flamme dans les yeux des jeunes gens mais dans l'oeil du vieillard, on voit de la lumière". Equilibrons la flamme de l'avenir et la lumière de la sagesse.
Je vous remercie.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 14 octobre 2003)
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie,
Mesdames et Messieurs,
J'ai voulu installer aujourd'hui à Matignon le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.
C'est le moment pour le Gouvernement d'engager une étape nouvelle et décisive de son action pour assurer l'avenir de notre protection sociale.
Votre mission est claire : établir un diagnostic partagé de notre système de santé et d'assurance maladie. De recenser ses points forts. D'exposer la nature et les causes de ses difficultés. C'est de le faire aussi consensuellement que possible car aujourd'hui, malgré de nombreux travaux préalables, en particulier ceux des groupes de travail de la commission des comptes de la sécurité sociale, chacun porte son analyse. L'accord des points de vue garantit le progrès social. Votre première mission, c'est donc de dresser ensemble, d'ici à la fin de l'année, l'état des lieux qui favorisera une démarche collective.
J'en mesure la difficulté. Je remercie chacune et chacun de vous de son engagement pour dresser ce "bilan d'entrée" dont nous mesurons, tous, l'importance.
Mais votre conseil n'est pas créé pour trois mois. En 2004 et au-delà de 2004, vous poursuivrez vos travaux pour éclairer le Gouvernement et l'opinion de notre pays sur les décisions qui seront prises. Ainsi, avec votre concours, nous garantirons à tous, demain comme aujourd'hui, l'accès à des soins de qualité.
L'expérience de la réforme conforte ma conviction que nous sommes collectivement capables de cette grande démarche de vérité, d'analyse, de dialogue, de changement qu'appelle aujourd'hui la situation de notre système de santé et d'assurance maladie.
Dans le même temps, je mesure ce qui rend cette démarche difficile.
D'abord, il y va de notre santé. Notre santé, c'est pour chacun d'entre nous notre force ou notre faiblesse, ce qui nous permet tout ou nous interdit tout, une force dont on ne mesure la fragilité que lorsqu'on l'a perdue, pour chacun de nous, notre premier atout.
En ce domaine, la lucidité fait parfois défaut. Nous redoutons la maladie et la souffrance ; nous occultons la mort ; nous ne sommes pas éduqués à bien gérer notre santé ; la médecine n'est pas une science exacte mais nous tenons désormais la santé pour un droit.
Enfin, même si nous voyons la santé comme un secteur social - ce qu'elle est, c'est aussi un secteur très important de notre économie : la santé, c'est 270 000 médecins et autres professionnels de santé libéraux, 4 000 laboratoires d'analyses, 23 000 pharmacies, 1 000 hôpitaux et 2 000 cliniques où travaillent plus d'un million de personnes, 8 000 établissements pour personnes handicapées, 10 000 maisons de retraite, 300 laboratoires pharmaceutiques et 200 entreprises de matériel médical, plusieurs centaines de caisses d'assurance maladie, 1 700 mutuelles et autres assureurs complémentaires De tous ces acteurs, les emplois, les équilibres, les intérêts ne concordent pas spontanément et doivent être conciliés.
Dans ce contexte, je ne viens pas aujourd'hui vous livrer des solutions prêtes à l'emploi. Je souhaite partager avec vous mes réflexions et vous faire part de la détermination mais aussi de l'écoute de mon Gouvernement à mener à bien la consolidation de notre sécurité sociale.
Aujourd'hui, les Françaises et les Français partagent le sentiment de bénéficier d'un système de santé à la fois proche, facile d'accès, capable de bien les soigner, protecteur.
C'est un bien public. C'est un trésor social. La sécurité sociale exprime nos idéaux de bien-être et de solidarité et, en même temps, elle leur donne un contenu concret et tangible pour tous.
La ligne ouverte par le Président de la République est claire : "Notre système est bon. Nous ne voulons pas le changer mais l'adapter pour le garantir".
Je distingue quatre piliers. Ils soutiennent notre sécurité sociale. Ils sont intangibles.
D'abord, le principe même de la solidarité. C'est un choix fondateur de notre protection sociale que d'inclure la maladie dans ces grands " accidents de la vie " face auquel chacun de nous sait qu'il peut compter sur la solidarité des autres. D'autres pays ont fait d'autres choix. Nous tenons au nôtre. Nous mesurons la valeur d'un système où chacun reçoit à la mesure de ses besoins, pas à celle de ses moyens. Il ne peut ni ne doit y avoir de santé à plusieurs vitesses en fonction des revenus. Parce qu'il n'y a pas d'égalité face à la santé, notre pays a fait le choix de la fraternité. C'est le choix de la cohésion sociale et nationale.
Ensuite, l'assurance maladie pour tous. Depuis la mise en place de la couverture maladie universelle, la garantie solidaire de l'assurance maladie est maintenant effectivement étendue à tous les membres de la collectivité nationale.
Il y a aussi la liberté de choisir son médecin. Plus que tous les autres systèmes au monde, la sécurité sociale française a su concilier ce haut niveau de solidarité avec une très grande liberté pour chacun. Notre assurance sociale respecte notre autonomie. Elle protège l'intimité de notre choix au moment où nous nous adressons à un médecin pour lui confier notre corps, notre mental et notre santé.
Enfin, la qualité pour tous. La médecine française offre à tous des soins de haute qualité. Cela tient à la solidité des formations initiales, à la densité de l'offre de soins, à cette particularité française aussi d'avoir su concilier à l'hôpital la médecine de pointe et l'accueil de tous à toute heure. Maintenir la qualité des soins, la garantir pour tous, voilà la nouvelle frontière du système sanitaire. Nous ne sommes pas égaux face à la maladie. Nous voulons l'être face au système de santé. Nous devons tous avoir les mêmes chances d'accéder à des soins de la plus haute qualité.
Ce n'est donc pas sans raisons que notre système de santé, il y a quelques années, a été classé parmi les tout meilleurs. L'excellence de nombreuses équipes françaises de recherche, les " premières mondiales " dans plusieurs domaines thérapeutiques, le rayonnement si attendu de la médecine française dans beaucoup de pays du monde ne sont pas des hasards.
Notre système de santé et d'assurance maladie est cependant lourdement menacé.
Trois éléments sont particulièrement préoccupants :
La première menace, c'est le déficit. Le réalisme l'impose : nos dépenses de santé peuvent encore progresser. C'est le choix d'une société développée. Mais qui vieillit. La société française doit apprendre à vieillir au sens exprimé par Paul Eluard : "Vieillir, c'est organiser sa jeunesse au cours des ans ". Mais nous ne pouvons pas accepter une progression non maîtrisée des dépenses remboursées, année après année des dépassements des objectifs votés, une accumulation de déficits non financés. Sans s'en rendre compte, notre pays s'est habitué au " trou de la Sécu ". Il se paye sa santé à crédit. Ce n'est pas une solution. Le niveau de nos déficits sociaux n'est ni compatible avec l'équilibre de nos finances publiques ni responsable vis-à-vis des générations futures qui paieront nos dettes.
Nous devons aussi nous préoccuper du profond malaise du " monde de la santé ". Nous consacrons près de 10 % de notre richesse nationale à la santé. Mais que constate-t-on ? Des mécanismes conventionnels grippés qui peinent à trouver les bons points d'équilibre entre les intérêts des professionnels et des caisses. Des établissements en proie à la désorganisation et au doute. Une difficulté à trouver des candidats au moment où l'on recrute des médecins et des infirmières, alors même qu'il existe très peu de plus beaux métiers. Trop de signes de découragement dans le monde médical. Il nous faut redonner aux professionnels de la santé le goût de l'avenir.
La troisième menace, c'est la déresponsabilisation. Depuis des années, les Français dénoncent les " gaspillages " comme l'une des principales raisons des difficultés de la sécurité sociale. Nous sommes tous concernés : assurés, professionnels, gestionnaires des caisses, l'Etat aussi, responsable de l'organisation d'ensemble. Nous ne nous comportons pas avec l'argent de la sécurité sociale comme avec notre propre argent. Pourquoi ? Il y a plusieurs raisons. Les responsabilités de l'Etat et de l'assurance maladie sont trop enchevêtrées. Les nouvelles technologies de l'information ne sont pas suffisamment utilisées pour partager ou exploiter les informations disponibles et nécessaires à la gestion. A l'heure des flux et des réseaux, l'offre de soins reste trop souvent cloisonnée et segmentée. Souvent encore, l'assurance maladie finance des structures, mal évaluées, davantage que les services qu'elles rendent. La liberté dont jouissent les assurés sociaux et les professionnels n'est pas assez régulée par des mécanismes de responsabilité.
Y a-t-il urgence à agir ? Je le crois. La crise financière est à la fois conjoncturelle et structurelle. La crise structurelle n'est pas que financière.
Dans ce contexte, que voulons-nous faire ?
Je le dis à nouveau, notre ambition, c'est d'assurer l'avenir, de consolider notre système de santé et d'assurance maladie. Parce que les Français tiennent à leur sécurité sociale. Parce qu'elle est nécessaire à la libération de leurs énergies, à l'élan d'ouverture et de modernisation que nous voulons promouvoir.
C'est ma conviction : cette consolidation ne requiert pas un bouleversement mais une profonde adaptation. La grande construction de la Libération qu'est la sécurité sociale s'est déjà adaptée à d'importants changements (le " babyboom " ou l'irruption de la médecine technologique par exemple). Le temps est venu pour elle de s'adapter aux évolutions longues qui, aujourd'hui, modifient profondément l'exercice et les possibilités de la médecine mais aussi nos attentes à son égard. De grands défis sont devant nous : une adaptation nous permettra de les relever.
J'en mentionnerai deux qui me paraissent essentiels :
D'abord, le progrès médical. Nos générations assistent en direct à une sorte de révolution permanente des techniques de diagnostic et de soins. Aujourd'hui, nous voyons l'intérieur du corps, nous observons les fonctions des organes, nous opérons sans altérer les tissus par de toutes petites incisions, nous pouvons apaiser la douleur, la perspective de moyens thérapeutiques individualisés est devant nous. Cette extraordinaire mobilisation d'intelligence, d'innovation et d'esprit d'entreprise nourrit l'espoir mais son coût est aussi un choc considérable pour l'assurance maladie. Certains nouveaux médicaments coûtent 100 fois plus cher que ceux qu'ils remplacent. Dans certaines maladies, le coût des traitements dépasse 200 000 euros par an. Ce choc ne doit pas faire éclater notre solidarité. Nous voulons conserver l'excellence à la portée de tous.
Notre ambition porte aussi sur la place faite aux personnes malades. Le plan cancer donne à comprendre ce qui doit devenir un objectif général : au-delà de la prévention et du dépistage, du renforcement des capacités, des garanties organisées de qualité, il faut encore humaniser les soins, répondre à cette attente des malades d'être reconnus - le temps de leur maladie - comme le coeur du système de santé, d'être accompagnés dans l'épreuve plus que traités comme un cas. La santé est la préoccupation n° 1 des Français. Tout le monde est un peu devenu médecin - du moins le croit-il. Nous voulons désormais consentir à nos traitements, participer à la prescription, devenir acteur de notre propre santé. Quelle exigence ! Mais aussi quelle opportunité pour transformer les pratiques et l'organisation, impliquer nos concitoyens, répondre à cette attente d'humanité et aller vers davantage de responsabilité comme le requiert, aujourd'hui, la sécurité sociale !
J'ai conscience de la difficulté de la tache qui est devant nous. Et je l'aborde avec humilité.
L'histoire de la réforme de l'assurance maladie n'est pas une page blanche. La plupart des gouvernements précédents s'y sont essayés. Avec des succès divers. Depuis 1977, j'ai compté que 16 plans de sauvetage de la sécurité sociale ont été mis en oeuvre - en moyenne, un tous les 18 mois ! Certains étaient porteurs d'une ambition réelle et remarquée. La plupart n'ont eu d'efficacité financière que quelques mois, ralentissant un temps la progression des dépenses ou limitant le montant du déficit. Aucun n'est parvenu à créer un mode durable de régulation efficace et acceptée.
La première difficulté me paraît être de faire prendre conscience à nos concitoyens de la nécessité d'agir en profondeur. Il nous faut vouloir cette démarche. Il nous faut une forte ambition commune au-delà des clivages partisans et des corporatismes.
Nous ne souhaitons pas préparer un plan qui se contenterait de limiter les prestations ou d'augmenter les cotisations pour rééquilibrer provisoirement les comptes en attendant le retour de la croissance. Même si la conjoncture explique la dégradation rapide du déficit en 2002 et 2003, nous ne pouvons et ne voulons pas compter que sur le retour de la croissance pour consolider la sécurité sociale.
La perte de recettes que nous constatons actuellement pose un problème financier de première ampleur. Il faudra le régler. Mais il nous faut une ambition plus forte. Il faut nous engager sans a priori, sans choix faits à l'avance, dans l'analyse et la correction des défauts structurels qui fragilisent notre système de santé et d'assurance maladie.
Nous voulons poursuivre et accélérer dans la voie choisie voilà dix-huit mois : celle des réformes structurelles.
Depuis 2002, la perspective structurelle et pluriannuelle détermine notre action. La loi de santé publique qui fera demain l'objet d'un vote solennel en première lecture à l'Assemblée Nationale organise une action de long terme, un rééquilibrage de notre système de santé en faveur de la prévention, comblant ainsi cette carence des politiques de santé dans notre pays. La politique hospitalière du Gouvernement dont le plan Hôpital 2007 est le drapeau s'attaque en profondeur, en s'en donnant le temps, à l'ensemble des difficultés des établissements sanitaires. En signant au printemps 2003 un " accord-cadre " avec l'industrie pharmaceutique, nous avons voulu améliorer la lisibilité de la politique du médicament.
Pour la médecine de ville, c'est encore notre volonté de restaurer un système conventionnel capable de promouvoir efficacement les changements structurels nécessaires qui justifie notre politique de confiance. J'ai noté les signes positifs récents : l'accord des médecins et des caisses sur le fondement duquel nous avons pu modifier les textes applicables aux spécialistes ou l'adhésion d'un nouveau syndicat à la convention médicale. Cette confiance doit porter ses fruits. Ce sont la responsabilité partagée et la maîtrise médicalisée des dépenses. Il faut maintenant que se mette en place l'organisation qui garantira le juste usage des soins et l'utilisation efficace de chaque euro consacré à la santé. Il faut que les professionnels dont je mesure les mérites s'engagent dans une responsabilité effective qui, au-delà du soin, porte sur la qualité des soins, l'organisation des soins, la maîtrise des dépenses.
Le PLFSS 2004 aussi s'inscrit dans cette perspective structurelle. Il s'attaque aux principales causes identifiées de l'augmentation des dépenses (la surconsommation de médicaments, le recours abusif aux arrêts de travail, l'absence de coordination des soins qui permet la multiplication d'actes redondants). Il conforte les réformes structurelles engagées (la réforme du financement de l'hôpital) sans préjuger les conclusions du processus que nous ouvrons aujourd'hui.
En raison de cette ambition réformatrice, nous ne privilégions pas l'augmentation des prélèvements obligatoires. J'entends bien les messages adressés au Gouvernement pour qu'il augmente la CSG et rétablisse ainsi les comptes sociaux. Mais comme dans l'ensemble de notre économie, nous ne pouvons compter d'abord sur les prélèvements obligatoires pour consolider notre système de santé. Il faut d'abord remettre de l'ordre.
Je mesure que les pistes déjà ouvertes ne suffisent pas. Alors allons plus loin ! Ouvrons de nouvelles pistes ! Je veux, cet après-midi, en citer six :
Il faut d'abord faire de l'amélioration de la gestion une absolue priorité. Nous devons déclarer la guerre aux gaspillages. Dans cet objectif, il faut mobiliser l'Etat, les acteurs du système de soins et d'assurance maladie et les Français. Les outils de gestion doivent être renforcés : un corps de contrôle puissant pour lutter contre les abus, le dossier médical électronique partagé pour coordonner les soins, une organisation renouvelée pour dépasser les cloisonnements et gérer l'offre de soins dans les territoires.
Nous trancherons la question de la gouvernance. Sans étatiser ni privatiser la sécurité sociale, nous clarifierons les responsabilités respectives de l'Etat et des partenaires sociaux. Et je souhaite que la gestion paritaire retrouve toute sa vigueur et son efficacité dans l'assurance maladie. Elle dépend de l'engagement de l'ensemble des partenaires sociaux. Avec eux, nous redéfinirons un cadre de responsabilité réelle, fondée, légitime, efficace.
Nous généraliserons la couverture complémentaire santé. Tous les Français qui le veulent doivent pouvoir accéder à un régime d'assurance maladie complémentaire pour renforcer leur protection et améliorer leur accès à des soins de qualité. A cette fin, une aide spécifique sera créée. Une juste place sera faite à ces acteurs engagés dans la gestion du risque maladie et dans l'amélioration de la prise en charge des dépenses de santé.
Nous développerons les informations de pilotage. Les statistiques des dépenses d'assurance maladie ne peuvent suffire. Il nous faut en temps réel des indicateurs d'activité, de qualité, de coût. Nous devons savoir ce que recouvre l'ONDAM, quels soins l'assurance maladie achète, si les rapports qualité/prix sont justes. Ces informations doivent être mobilisées. Et utilisées.
Nous devons mieux organiser l'offre de soins. Les difficultés de recrutement dans les hôpitaux et les cliniques, le manque de médecins et d'infirmières dans certaines zones de campagne ou de banlieue masquent une forte densité médicale et une mauvaise répartition des professionnels de santé dans notre pays. Est-il normal dans un pays moderne qu'il faille attendre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous chez certains spécialistes ? Nous devons nous pencher ensemble sur l'offre de soins et l'adapter progressivement aux nécessités que sont l'adéquation aux vrais besoins, l'égalité d'accès aux soins, le juste équilibre entre les exigences de proximité d'une part, de qualité et de sécurité d'autre part. Dans cette perspective, la démographie médicale et la carte hospitalière me paraissent constituer des chantiers majeurs. Je me pose des questions. Je vous les pose et j'attendrai vos réponses : les mesures d'incitation à l'installation des professionnels de santé dans les zones où ils manquent sont-elles suffisantes ? Le moment est-il venu d'orienter la liberté d'installation des professionnels sur notre territoire ? Nous avons près de 3 000 établissements de soins, 30 en moyenne dans chaque département : se sont-ils bien répartis le travail ?
Je livre une dernière piste à votre réflexion. Depuis 1945, l'assurance maladie repose sur l'idée que le remboursement social garantit l'accès aux soins. Sur cette idée, nous avons fondé la construction progressive d'une assurance maladie non seulement ouverte à tous mais aussi couvrant le maximum de prestations. Aujourd'hui, cette protection étendue couvre une grande part de notre demande de santé, faite de besoins essentiels et d'autres plus subjectifs. Le sentiment de gratuité de notre système de santé au moment où nous avons recours à lui nous fait méconnaître son coût réel. Nous devons faire oeuvre de responsabilisation. Ce mouvement doit concerner tous les acteurs. Dérembourser 82 médicaments anciens dont certains n'ont plus leur place dans nos armoires à pharmacie cause un grand émoi mais sait-on que, depuis le début de l'année, 402 nouveaux médicaments ont été admis au remboursement et 533 l'année dernière ? Il y a des débats à ouvrir : quel est le juste équilibre entre solidarité collective et responsabilité individuelle ? Faut-il couvrir dans les mêmes conditions une fracture du bras causée par une chute dans la rue ou par un accident de ski ? Dans "assurance maladie", quel sens donnons-nous aux mots ? Des mécanismes personnalisés doivent-ils venir renforcer l'assurance maladie dans sa gestion des mécanismes de solidarité ? Sur cette piste aussi, je serai particulièrement attentif à vos réflexions.
Au coeur de notre protection sociale, notre système de santé et d'assurance maladie est pour nous un héritage commun. Il a été bâti par des générations, sur des principes largement partagés, en associant toutes les tendances politiques, toutes les forces économiques et sociales du pays dans une de ces grandes institutions qui donnent à notre pays son caractère propre et à ceux qui l'habitent un très haut niveau de solidarité nationale. La sécurité sociale n'est pas loin du coeur de la République.
Tous, nous nous sentons dépositaires d'une partie de la légitimité pour adapter la sécurité sociale. Tous, nous le sommes. Cette démarche d'ensemble, il nous faut la conduire ensemble. C'est une démarche de cohésion. Consolider notre système de santé et d'assurance maladie n'est pas seulement un objectif du Gouvernement ; c'est notre objectif commun.
Le Président de la République l'a fait savoir très clairement au mois de juin dernier : "Un haut niveau de protection sociale ne peut être le fruit que d'un engagement collectif (). La priorité, c'est donc de mobiliser l'ensemble des acteurs du système de santé pour le moderniser en faisant confiance à l'esprit de responsabilité des Français ".
Mesdames et Messieurs, nous croyons au dialogue social et à la construction commune.
C'est pourquoi je vous invite tous, vous qui représentez et constituez ce système de santé, à participer activement et positivement à cet exercice d'intérêt général. Et je souhaite élargir notre cercle. Les difficultés rencontrées successivement par tous les Gouvernements, de quelque bord politique qu'ils soient, doivent nous inspirer. Les expériences des autres pays d'Europe aussi. Et en particulier la démarche politique qui vient d'être menée en Allemagne. Au moment où nous nous tournons vers l'avenir de notre assurance maladie, c'est notre devoir de travailler ensemble en dépassant nos clivages, sans esprit de polémique, pour l'intérêt général du pays et de nos concitoyens, à un mouvement qui sera d'autant plus efficace qu'il sera porté par les principales forces sociales, économiques mais aussi politiques du pays.
Le calendrier et la méthode que je vous propose sont les suivants.
Nous consacrerons d'abord la fin de cette année à l'élaboration partagée du diagnostic. Je l'ai dit : c'est votre mission première. Identifier et analyser les causes des difficultés de notre assurance maladie. Souligner, près de 60 ans après sa création, ce qui va et qui ne va pas, et en quoi cela ne va pas. Pointer les mécanismes qui causent les gaspillages, la complexité, la déresponsabilisation, l'incompréhension aussi. Le Gouvernement rend public, aujourd'hui, des "éléments de diagnostic" qu'il a préparés et qu'ainsi, il verse à votre dossier. Votre premier rapport sera remis avant Noël. Il sera publié. Il fera l'objet de nombreux commentaires. Nous devons aider les Français à se forger une opinion mieux éclairée sur notre système de santé et d'assurance maladie et ses difficultés. Je vous invite, dans vos travaux, à vous tourner vers l'étranger, à éclairer vos réflexions des leçons de la comparaison.
Sur le fondement de cet état des lieux, le ministre de la santé, Jean-François MATTEI, engagera au début de l'année 2004 une période de concertation approfondie puis de négociation. Des groupes de travail seront mis en place, en petit nombre, entre l'Etat et ses partenaires. Ils seront pilotés par le ministre et ses collaborateurs. Ils porteront sur les principales pistes que j'ai mentionnées : les relations de l'Etat et de l'assurance maladie, l'amélioration de la gestion et la responsabilisation des acteurs la maîtrise médicalisée et la politique conventionnelle, les rôles des assurances de base et des assurances complémentaires Cette période essentielle, nourrie de vos travaux, s'étendra sur les premiers mois de l'année prochaine.
Viendra alors le temps de la décision politique. Les grandes lignes de nos propositions seront arrêtées avant l'été pour pouvoir être transcrites dans les textes législatifs nécessaires.
Mesdames et Messieurs, le Gouvernement tiendra son calendrier. La situation de l'assurance maladie le requiert. Il le tiendra aussi parce qu'il veut assurer l'avenir de notre système de santé et d'assurance maladie.
Une fois encore, je tiens à vous remercier, vous, Monsieur FRAGONARD, qui avez accepté la lourde responsabilité de présider ce Haut conseil. Vous, Mesdames et Messieurs, qui y siégez et sur qui notre pays compte.
A travers vous tous, je veux redire notre ambition aux Français : nous voulons préserver notre système fondé sur la solidarité, surmonter sa crise financière, assurer la meilleure qualité possible pour les soins, permettre la diffusion à tous des bienfaits du progrès médical et porter une attention nouvelle au malade.
Nous voulons libérer la France de ses insécurités - physiques, économiques et sociales, élaborer des solutions d'avenir pour notre protection sociale, consolider cette institution de fraternité qu'est la sécurité sociale et contribuer ainsi à cette France d'ouverture dont la vision inspire toute notre action.
Consciente de son vieillissement, note société se doit de promouvoir le "goût de l'avenir". Victor Hugo disait "on voit de la flamme dans les yeux des jeunes gens mais dans l'oeil du vieillard, on voit de la lumière". Equilibrons la flamme de l'avenir et la lumière de la sagesse.
Je vous remercie.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 14 octobre 2003)