Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la politique de lutte contre la faim de la FAO et notamment ses directives sur le droit à l'alimentation, Montpellier le 5 mai 2004.

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Circonstance : Conférence régionale européenne de la FAO à Montpellier le 5 mai 2004

Texte intégral

Monsieur le Directeur général,
Madame et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président Indépendant du Conseil,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Représentants Permanents,
Monsieur le Président de la Région Languedoc-Roussillon,
Mesdames, Messieurs,
Je souhaiterais tout d'abord vous dire tout le plaisir avec lequel la France accueille, pour la première fois, la Conférence régionale Europe de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO). Il s'agit pour nous d'un honneur, et ce n'est pas par hasard que nous avons choisi l'Ecole Nationale Supérieure d'Agronomie de Montpellier pour vous réunir, tant l'enseignement et la recherche sont appelés à jouer un rôle clé dans les décennies à venir pour faire reculer la faim dans le monde.
L'Europe compte maintenant 25 pays, dont mon collègue Noël TREACY, ministre d'Etat irlandais de l'agriculture et de l'alimentation, a rappelé ce matin l'engagement à faire plus et à faire mieux en ce domaine.
Le monde compte à ce jour 800 millions de mal nourris, dont la plupart vit en milieu rural. La population de la planète devrait s'accroître de 4 milliards de personnes d'ici à 2050, à 95% dans les pays en développement.
Depuis le Sommet mondial de l'alimentation, et en portant notre regard sur les huit années qui se sont écoulées, force est de constater que l'état de l'insécurité alimentaire dans le monde a peu évolué. Dans une étude récente portant sur l'agriculture mondiale à l'horizon 2015 - 2030, la FAO indique que la population mondiale sera globalement mieux nourrie d'ici 2030, mais qu'il restera cependant à cette date encore plus de 400 millions de personnes souffrant de la faim.
L'objectif de réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim à l'horizon 2015 fixé lors du Sommet mondial de l'alimentation de 1996 et repris dans la déclaration du Millénaire représente un défi considérable.
Répondre à un tel défi exige une mobilisation de toutes les énergies, au Nord comme au Sud, qu'il s'agisse des Etats, des organisations internationales compétentes ou des organisations non gouvernementales (ONG), autour d'une vision d'ensemble, coordonnant les politiques de développement (éducation, recherche, santé, infrastructures), les politiques agricoles et les politiques commerciales.
Les directives volontaires portant sur le droit à l'alimentation, élaborées sous l'égide de la FAO, avec une forte implication de l'Allemagne et de la France, et sur lesquelles vous vous êtes penchés durant cette Conférence, montrent bien que la lutte contre la faim commence par l'engagement des Etats concernés pour le bénéfice de leurs populations.
1. Faire reconnaître au plan international la spécificité de l'agriculture.
L'agriculture, nous le savons tous, n'est pas une activité comme les autres.
Nous en connaissons encore aujourd'hui la précarité, en particulier du fait des aléas climatiques qui s'imposent à nous. Nous connaissons l'importance, pour chaque pays ou chaque région du monde, de disposer d'une souveraineté alimentaire, c'est à dire d'une sécurité de ses approvisionnements, afin de prévenir une dépendance excessive vis-à-vis des marchés internationaux.
Nous mesurons les liens étroits de l'agriculture avec le patrimoine historique et culturel de chaque nation, avec un art de vivre caractérisé par des produits sains et de qualité, le respect de l'environnement et la diversité des terroirs.
Pourtant, faire reconnaître au plan international la spécificité de l'agriculture et sa nécessaire diversité constitue un combat de longue haleine, pour les pays développés comme pour les pays en développement, à l'instar de celui qui a été et continue d'être mené sur la diversité culturelle.
En effet, le " tout compétitivité " comme le " tout export ", la libéralisation des politiques agricoles et le libre échange mondial des produits agricoles ne constituent pas, surtout pour les pays les plus pauvres, un modèle efficace et durable pour le développement.
Provoquer un exode rural massif dans des pays où la population rurale représente encore l'essentiel de la population active, faire croître des mégalopoles urbaines où vivent déjà près de la moitié des habitants des pays en développement, avec tous les problèmes sociaux et de stabilité que cela comporte, est-ce vraiment un modèle de développement durable pour les pays pauvres ?
A ce propos, les travaux de qualité conduits par la FAO sur les politiques agricoles, le renforcement de la sécurité alimentaire et les rôles de l'agriculture apportent de plus en plus de références et d'outils pouvant aider les gouvernements et les autres acteurs du développement dans leurs politiques agricoles.
2. Le renforcement de la qualité et de la sécurité sanitaire des aliments au Nord comme au Sud, le développement de la recherche au Sud, constituent 2 axes importants évoqués pendant la Conférence.
De ce point de vue, les 2 thèmes abordés au cours de cette journée, à savoir la qualité et de la sécurité sanitaire des aliments ainsi que la recherche, constituent des axes forts pour le développement agricole des pays du Sud.
La qualité et la sécurité sanitaire des aliments concerne l'ensemble de la communauté internationale, et pas uniquement les pays développés. Au Nord comme au Sud, les consommateurs ont droit à une alimentation saine. Avec le développement des flux de personnes et de marchandises, il est primordial de disposer de systèmes internationaux garantissant la qualité des produits échangés et permettant la surveillance et le contrôle des maladies animales et végétales, pour protéger la santé humaine, pour garantir les productions alimentaires nationales et pour préserver les capacités exportatrices lorsqu'elles existent.
Dans ce domaine, la FAO, mais aussi l'Organisation mondiale de la santé, l'Office international des épizooties et l'Organisation européenne et méditerranéenne de protection des plantes jouent un rôle essentiel, en établissant les normes et les dispositifs adéquats. Et je saisis cette occasion pour saluer le travail qu'elles accomplissent dans ce domaine.
Mais la qualité constitue aussi un véritable outil de développement, alliant compétitivité et développement rural. Inscrits dans une politique agricole plus globale, les signes de qualité et d'origine sont des instruments de développement efficaces pour valoriser les spécificités et la diversité des agricultures et des productions existant sur notre planète.
Dans le domaine de la recherche, les solutions ne pourront être le seul fait des instituts de recherche du Nord. Pour accompagner la structuration de la recherche au Sud, nous devons à la fois développer les formations de chercheurs dans les pays du Sud et mieux coordonner les travaux entre organismes de recherche du Nord et du Sud.
3. Mieux ordonner l'action de la société internationale en faveur de la lutte contre la faim et du développement.
Je souhaiterais conclure mon propos en insistant sur la nécessité, pour la société internationale, de mieux ordonner son action en faveur de la lutte contre la faim et du développement.
Je pense en premier lieu au continent Africain, pour lequel le Président de la République Jacques Chirac a présenté l'an dernier une initiative, reprise à son compte par l'Union européenne dans son ensemble. Chacun reconnaît aujourd'hui l'urgence à agir en faveur de ce continent, compte tenu de l'ampleur des défis qu'il doit relever dans les années qui viennent.
Quelles sont aujourd'hui les réponses coordonnées et cohérentes proposées par les organisations internationales afin d'appuyer et d'amplifier l'action de la FAO ?
L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) propose-t-elle d'autoriser les pays les plus pauvres à établir ou à maintenir des protections douanières, le temps de développer une agriculture plus prospère ? Demande-t-elle aux pays développés et aux grands pays émergents de leur offrir des concessions commerciales spécifiques, plus favorables pour leurs productions d'exportation, comme l'a fait l'Union européenne à partir de 1975 avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), dans le cadre des accords de Lomé ?
Comment les institutions de Bretton Woods envisagent-elles de pallier les insuffisances constatées dans les pays les plus pauvres en termes de politiques agricoles, d'éducation, de santé, de grandes infrastructures, afin de leur permettre d'assurer, dans un cadre national ou régional, leur souveraineté alimentaire ?
Je crains pour ma part les conséquences pour les pays les plus pauvres, en particulier en Afrique, d'un accord à l'OMC qui serait élaboré à la hâte, sans eux, par des négociateurs qui, au nom du développement, établiraient des points d'équilibre entre les intérêts des grandes puissances commerciales, dans la tradition de l'ancien GATT.
Les principales organisations internationales en charge de la lutte contre la faim sont volontaires pour accroître la coordination de leurs actions. Dans ce domaine, les bailleurs de fonds ont un rôle incitateur à jouer pour accompagner ce mouvement.
La FAO doit conforter sa place dans la société internationale comme centre de référence en matière d'information et d'expertise agricoles et accroître son rôle dans la définition des stratégies agricoles nationales et sous-régionales, en liaison avec les Etats et les institutions concernés. Nous devons collectivement veiller à ce que la dimension agricole et rurale de l'aide publique au développement ne soit pas oubliée, dans les financements bilatéraux et multilatéraux.
C'est en ayant à l'esprit ces missions essentielles de la FAO que la France s'apprête à conclure prochainement un accord cadre avec cette Organisation. Notre objectif est double : donner une meilleure lisibilité à notre partenariat et consolider les actions entreprises auprès des autres organisations internationales, telles que le Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA), l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) et la Banque mondiale, à l'exemple de notre participation à la plate forme multibailleurs créée récemment en Afrique de l'Ouest.
Dans la lutte contre la faim, comme l'a rappelé le Président de la République à l'occasion de sa rencontre en mars dernier avec les Directeurs Généraux et Président de la FAO, du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et du FIDA, la France entend pleinement participer aux efforts de la communauté internationale pour déployer toujours plus de moyens et identifier les voies innovantes et durables du progrès humain.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 6 mai 2004)