Texte intégral
Monsieur le Président, cher Henri BRICHART, Mesdames, Messieurs,
C'est avec grand plaisir que je viens clôturer aujourd'hui les travaux de votre assemblée générale, une assemblée générale dont les événements des derniers mois nous ont rappelé, s'il en était besoin, l'importance et les enjeux.
Je suis heureux de vous y retrouver, restant, comme je l'ai souhaité, à la tête de ce grand Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales, des domaines, qui, peut-être encore plus que d'autres, exigent de la durée pour obtenir les meilleurs résultats.
Cette année, vous avez choisi de tenir votre assemblée générale dans le Tarn-et-Garonne, au coeur des provinces de France. Plus qu'ailleurs, les éleveurs, et notamment les éleveurs laitiers, ont contribué depuis des siècles à façonner les paysages et les sites de cette région, à conforter la vigueur de votre filière et à en valoriser les productions. Le choix du Tarn-et-Garonne illustre parfaitement la diversité de la production laitière et son importance pour l'activité économique et l'aménagement du territoire. En Savoie, j'ai la chance d'en connaître personnellement une autre facette, l'élevage en zone de montagne, à laquelle - vous le savez - je suis également très attaché.
Lorsque nous nous sommes retrouvés l'an dernier à Cherbourg, nul n'aurait imaginé que notre pays allait connaître quelques mois plus tard une sécheresse, qui allait ruiner certaines productions et durement frapper notre élevage. Dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, l'Etat a " répondu présent " au rendez-vous de la solidarité nationale. En quelques mois, plus d'1 milliard 300 millions d'euros d'indemnisations et d'exonérations fiscales a été mobilisé au profit des agriculteurs. 50 millions d'euros ont ainsi été inscrits pour indemniser le transport de fourrages nécessaires aux éleveurs. Comme vous le savez, cette somme a été abondée de 8 millions d'euros supplémentaires, afin d'aider les départements les plus en difficulté. Cet effort de l'Etat a également été prolongé sur le terrain par une importante mobilisation du monde agricole, auquel je veux rendre hommage.
I - Un contexte laitier difficile qui doit se traduire par une forte mobilisation
Je sais que votre filière est confrontée à de graves difficultés. Des difficultés conjoncturelles, liées à la situation des marchés. Des difficultés structurelles, tenant à l'organisation de votre filière. Des difficultés renforcées par l'évolution des modes de vie et des attentes de la société. Plus que toute autre activité, l'élevage laitier est fait de servitudes : des conditions de travail rudes, des journées longues et des possibilités de congés rares... Ces conditions paraissent d'autant plus difficiles à supporter à ceux qui ont choisi ce métier que nous vivons dans une société globalement dominée par la valeur du non-travail. Insidieusement, un fossé culturel s'est creusé entre les éleveurs et le reste de la société.
C'est dans ce contexte que l'entrée en vigueur cette année des décisions prises à Berlin en 1999 et de l'accord conclu à Luxembourg le 26 juin dernier va profondément modifier l'équilibre de la filière et l'organisation commune des marchés (OCM) " lait et produits laitiers ". Alors même que ces décisions ne sont pas encore effectives -je pense notamment à la baisse des prix d'intervention sur le beurre et la poudre qui doit intervenir au 1er juillet 2004-, certaines ont déjà été anticipées par les marchés.
Pour adapter la filière à ces évolutions, nous devons agir vite et avec détermination, à la fois au niveau de l'interprofession laitière, au niveau européen et au niveau national.
II - Agir au niveau interprofessionnel
La dénonciation par les transformateurs de l'accord de 1997, qui avait assuré une relative stabilité du prix du lait, a ouvert une période de forte incertitude et de profonde inquiétude.
Compte tenu des difficultés rencontrées par l'interprofession pour élaborer un nouvel accord et selon votre souhait, j'ai demandé à Georges DUTRUC-ROSSET de vous aider à identifier les termes d'un accord permettant de satisfaire toutes les parties.
Les négociations interprofessionnelles ont abouti, le 2 mars, à un accord provisoire, dit " clause de paix ", applicable jusqu'à la fin juin 2004. Je tiens à saluer ici le travail courageux accompli par l'interprofession, et également, Monsieur le Président, votre action personnelle, à bien des égards décisive.
Il est à présent impératif que cette période transitoire, que j'avais appelée de mes voeux, soit mise à profit par l'interprofession laitière pour élaborer un nouvel accord mieux adapté aux enjeux de la filière. Cet accord devra tenir compte de la disparité de rémunération entre les produits industriels et les produits de grande consommation (PGC).
Comme vous le savez, le Ministère de l'Agriculture ne peut, pour des questions de sécurité juridique, être partie prenante à l'élaboration de cet accord. En revanche, il pourra vous apporter toute l'expertise dont vous aurez besoin.
III- Agir au niveau européen
A Luxembourg, je me suis battu avec beaucoup d'énergie pour que nous préservions le régime des quotas. Ceux-ci sont désormais maintenus jusqu'en 2015, ce qui était loin d'être acquis. Nous devons compléter ce dispositif d'une meilleure maîtrise de la production, notamment lorsqu'elle excède les besoins du marché.
En France, tel était le sens de la réduction du taux d'allocation provisoire que j'ai décidée, sur votre demande, pour la campagne 2003-2004. Je suis heureux que ces décisions, qui n'ont pas été aisées à prendre, aient contribué au raffermissement actuel des cours des principaux produits industriels.
Au niveau européen, j'ai proposé une initiative en ce sens au Conseil des ministres de l'Agriculture de l'Union européenne, le 24 février dernier. Celle-ci a reçu un accueil attentif de certains de nos partenaires. Les concertations se poursuivent, notamment avec ma collègue allemande, pour étudier la possibilité de sa mise en place rapide au niveau de certains pays. Par ailleurs nous devons poursuivre notre effort de pédagogie, pour convaincre nos autres partenaires européens du bien fondé de cette démarche.
IV- Agir au niveau national : la méthode
La filière laitière est une filière d'excellence. Faut-il rappeler qu'elle emploie 400 000 personnes, dont 300 000 au niveau de la production, qu'elle dégage un excédent commercial de 2 milliards d'euros, soit le quart de l'ensemble du secteur agro-alimentaire, et qu'elle joue un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire ?
Pour éclairer son avenir, j'ai demandé en novembre 2003 aux corps d'inspection de mon Ministère de réaliser une étude prospective sur l'évolution de l'élevage laitier et des industries de transformation et de valorisation du lait.
Après m'avoir remis son rapport, Yves TRÉDÉ, Ingénieur Général du Génie Rural des Eaux et Forêts, en a présenté l'économie générale lors d'une table ronde réunissant l'ensemble des acteurs de la filière, le 10 février dernier. Celui-ci pose un diagnostic qui a été, me semble-t-il, bien accueilli.
Sur la base de ce constat, je souhaite que nous puissions élaborer avant le 30 juin prochain un programme stratégique pour adapter la filière aux enjeux de la réforme de la PAC. Je sais la difficulté soulevée par ce calendrier. Mais je crois que la filière a tout à craindre de l'inaction et qu'il serait déraisonnable d'attendre davantage pour agir.
C'est dans cet esprit que j'ai déjà demandé à Yves TRÉDÉ de coordonner l'animation des groupes de travail chargés de son élaboration.
Depuis la mi-mars, sept groupes de travail sont à l'oeuvre. Ils s'attachent à des sujets aussi variés que l'emploi, la maîtrise de l'offre au niveau français et communautaire, les mesures en faveur des exploitations, la restructuration industrielle, les relations avec la distribution, la promotion des produits laitiers, et la recherche-innovation.
En accord avec vos organisations professionnelles, j'ai souhaité que ces travaux conduits à l'échelon national soient complétés par des tables rondes dans chacune de nos régions. Ces rencontres, placées sous la responsabilité des Préfets de région, devront permettre d'intégrer à la réflexion les spécificités territoriales de notre production laitière.
Compte tenu de leurs compétences, il me paraît souhaitable que les collectivités territoriales soient associées à ces travaux.
Enfin, comme vous le savez, j'ai annoncé une aide immédiate de 20 millions d'euros pour engager les premières réformes structurelles urgentes, tant pour les exploitations que pour les transformateurs. J'y reviendrai.
Nous avons déterminé ensemble la méthode d'élaboration du plan stratégique. Il est aujourd'hui délicat pour moi, et je suis sûr que vous le comprendrez, d'anticiper les conclusions de ces travaux.
V- Agir au niveau national : quelques pistes de réflexion
Sous cette réserve, plusieurs pistes de réflexion semblent pouvoir être ébauchées :
·* les mesures en faveur des exploitations agricoles
Je partage votre conviction que la course à la taille n'est pas un objectif en soi, mais que la juste rémunération du producteur constitue la meilleure garantie du maintien des exploitations.
Les groupes de travail devront aborder la question des besoins de financement des exploitations. Ils devront également traiter de la réglementation applicable aux exploitations laitières (GAEC partiels lait ...) ou aux quotas laitiers (transfert foncier ...). Ces réflexions pourront utilement nourrir la préparation de la loi de modernisation de l'agriculture.
Vous avez également évoqué, Monsieur le Président, l'importance de l'installation. Si cette dynamique marque aujourd'hui le pas, cela me semble tenir à la pénibilité du travail et aux contraintes lourdes que l'activité laitière impose au regard du revenu dégagé. C'est pourquoi cette question me semble devoir figurer au coeur du futur programme stratégique.
·* la transformation laitière
S'agissant de la transformation laitière, je soulignerai plusieurs pistes que je souhaite voir étudiées :
- Nous devrons, tout d'abord, maintenir et développer nos exportations vers les autres Etats membres de l'Union européenne mais aussi vers les pays tiers. Il nous faudra pour cela améliorer encore notre compétitivité, ce qui suppose de rationaliser et d'améliorer la productivité de notre outil industriel.
- Nous devrons également réorienter les outils de transformation des produits industriels excédentaires vers des produits de grande consommation dont les marchés sont en expansion, tels que le gouda ou la mozzarella.
- Nous devrons, par ailleurs, poursuivre l'effort d'innovation, auquel le Ministère contribue notamment au travers de la Prime d'orientation agricole et du FEOGA, mais également de recherche.
- Enfin, compte tenu de l'ampleur des besoins, la mise en place d'un fonds interprofessionnel de restructuration industrielle devra être appréciée à la lumière de l'expertise juridique en cours. La création d'un fonds de péréquation se heurte, en revanche, à d'importants obstacles juridiques.
Ces travaux devront s'inscrire dans le cadre du plan pour l'agroalimentaire annoncé par le Premier ministre, que j'ai demandé à Nicolas FORRISSIER, nouveau Secrétaire d'État à l'Agriculture, d'élaborer.
·* les relations avec la grande distribution
Je n'oublie pas non plus la question des relations avec la grande distribution qui constitue, nous le savons, un enjeu majeur. J'ai souhaité que ce point puisse être débattu dans le cadre d'un groupe spécifique auquel sera notamment associé le Secrétariat d'État chargé du Commerce et de la Consommation.
·* l'emploi
Le Président de la République a fait de l'année 2004 une année de mobilisation pour l'emploi. Votre filière, qui est à la source de 400 000 emplois, doit y prendre toute sa part. Il s'agira de traiter des emplois dans l'industrie, mais également au sein des exploitations agricoles (groupements d'employeurs, services de remplacement ...).
La tâche qui est devant nous, pour ces trois prochains mois, est donc ambitieuse. Je sais que je peux compter sur votre mobilisation. Ce programme stratégique est avant tout le vôtre. Sans votre implication et celle de l'ensemble des membres de la filière, nous ne pourrons véritablement relever le défi qui nous est posé.
VI- Des réponses à vos questions spécifiques
Vous avez évoqué, Monsieur le Président, un certain nombre de questions, et je ne voudrais pas conclure sans y répondre.
* le paiement anticipé de l'aide laitière
J'ai entendu, Monsieur le Président, votre demande d'un paiement anticipé de l'aide laitière. Je peux vous indiquer que j'ai d'ores et déjà déposé, auprès de la Commission européenne, une demande de versement d'une avance de 50 % de cette aide. Si, comme je l'espère, Bruxelles reconnaît les difficultés exceptionnelles que rencontre la filière laitière, et malgré la charge de trésorerie qu'elle représente pour l'État, nous devrions être en mesure de verser cette avance à compter du 16 octobre 2004 et le solde dans les tous premiers jours de 2005.
* la modernisation des bâtiments d'élevage
Il y a quelques jours, j'ai annoncé la création d'un fonds unique, accessible aux éleveurs laitiers, regroupant dès 2005 les différentes sources de financement de l'Etat et permettant d'optimiser le co-financement européen. Des orientations nationales seront élaborées, en relation étroite avec l'ensemble de la profession, et une réelle latitude laissée au niveau régional, pour déterminer plus précisément ses priorités d'intervention.
Sur le plan budgétaire, je souhaite qu'une part de l'enveloppe destinée au soutien de la filière laitière puisse être utilisée à cette fin. Je vous propose, par conséquent, que nous réservions, dès à présent, la moitié de l'enveloppe des 20 millions d'euros annoncée en février -soit 10 millions d'euros- pour la modernisation des bâtiments d'élevage laitiers.
En 2003, l'enveloppe consacrée aux bâtiments d'élevage était de 45 millions d'euros. Elle sera de 55 millions d'euros en 2004, puis de 60 millions d'euros en 2005. En faisant jouer l'effet de levier des financements communautaires, nous porterons ce fonds à 85 millions d'euros en 2006. A partir de 2007, celui-ci sera doté d'une enveloppe de 120 millions d'euros par an. Cette dernière somme permettra, sur la base d'un montant moyen de subvention de 20 000 euros par exploitation, d'aider 6 000 exploitations par an, contre 3 000 actuellement.
Afin de simplifier les procédures, je vous confirme la mise en place d'un guichet unique par les Directions départementales de l'agriculture et de la forêt. J'entends également favoriser la mobilisation des financements des collectivités locales, en encourageant un large dialogue au niveau régional.
Les règles d'attribution de ces aides nouvelles seront finalisées rapidement, et en tout état de cause avant l'automne 2004. Leur mise en oeuvre fera l'objet d'une concertation étroite avec vous-mêmes et les professionnels de la filière viande.
* le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole
Enfin, comme vous le souhaitez, j'ai fait procéder à des aménagements importants du programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), afin d'en simplifier la mise en uvre. Ces modalités ont été annoncées au mois de mars. Il s'agit, en particulier, de la mise en place d'une pré-étude, d'un traitement spécifique pour les jeunes agriculteurs et de la simplification du calcul de l'aide pour une meilleure prise en compte des travaux. Je rappelle que le PMPOA 2 permet de financer de 60 à 65 % des investissements éligibles. Les montants financiers prévus tous financeurs publics confondus se montent à plus de 1,3 milliard d'euros d'ici à 2006.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Alors que la filière se trouve confrontée à d'importants défis, nous devons conserver foi en l'avenir et privilégier les solutions les plus adaptées aux réalités du terrain. Les solutions pour la Bretagne ne seront pas les mêmes que pour la Normandie ou la Franche-Comté, sans même évoquer la Thiérache chère au Président BRICHART ! Dans chacune d'entre elles, vous me trouverez à vos côtés pour relever ces défis, avec vous.
Je vous remercie.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 9 avril 2004)