Texte intégral
Je veux d'abord vous dire mon plaisir d'être parmi vous pour débattre de la relation ou plutôt des relations qui lient mondialisation et environnement.
Mais avant de rentrer dans le domaine de l'écologie, je veux vous dire que pour moi cette année est importante.
Dans quelques semaines, c'est le 6 juin. Le débarquement a eu lieu il y a 60 ans. Lorsque j'ai été élu député, en 1993, j'ai souhaité, lors de mon premier week-end, revoir les plages du débarquement. C'était pour moi un besoin comme député de la France.
Et lorsque l'on voit des cimetières avec des croix blanches s'alignant à perte de vue, l'on sait que notre lien dépassera toujours les quelques différends que nous pouvons avoir.
Dans mon parcours d'homme, je n'oublierai jamais que des hommes du Tenessee, de l'Arizona, de New-York et d'ailleurs sont venus libérer mon pays au nom de notre idéal commun ; la liberté.
Je voulais leur rendre hommage.
Je suis ministre de l'écologie et du développement durable depuis quelques semaines. Mais mon intérêt, je devrais dire ma passion, pour le domaine de l'écologie est bien plus ancien. Avec mon activité professionnelle, mon engagement politique, mes responsabilités électives, j'ai depuis très longtemps, réfléchi et répondu à de très nombreux problèmes écologiques. Je suis maire de Bourges située au centre de la France, et que je vous invite à découvrir. C'est une ville de patrimoine et de culture. Dans cette ville, j'ai eu à traiter de thématiques liées au bruit, à la qualité de l'air, à l'accès à l'eau, à l'assainissement, au traitement des ordures ménagères mais aussi à celle des eaux usées, bref à ce qui touche notre environnement direct, notre environnement de proximité.
Mais dans le domaine de l'écologie l'approche locale n'est pas toute l'approche. L'échelon local n'est que le premier horizon d'un paysage qui s'étend au régional, au national, au global. C'est pourquoi je me suis très rapidement interrogé sur les liens entre mondialisation et environnement. Dans ce contexte et alors que se déroulent depuis quelques jours, aux Nations Unies, les travaux de la 12e session de la Commission du Développement Durable, j'ai souhaité vous faire partager mes analyses, mes interrogations mais aussi mes convictions sur ces problématiques. Mais si je suis ici aujourd'hui, c'est aussi, bien entendu, pour écouter vos remarques et suggestions, vous qui avez choisi de consacrer vos études aux questions d'environnement.
Je vous propose en conséquence d'articuler mon propos autours de trois grandes questions.
D'abord la mondialisation signifie-t-elle inéluctablement dégradation de l'environnement ?
Ensuite l'environnement est-il assimilable à un bien public et relève-t-il par conséquent d'un traitement particulier ?
Pourquoi, enfin, la France adopte-t-elle sur certains grands sujets environnementaux les positions qui sont aujourd'hui les siennes ?
1) Mondialisation et dégradation de l'environnement d'abord.
En tant que Sénateur, j'ai rédigé il y a quelques mois un rapport parlementaire sur le thème "mondialisation et environnement". J'ai eu pour cela de nombreux échanges avec des responsables administratifs, de la société civile, du monde des affaires. Mon rapport met en avant trois idées fortes.
La première idée, c'est que les délocalisations qui accompagnent bien souvent la mondialisation des échanges ne se font pas pour des raisons environnementales. En clair, les entreprises ne décident pas de délocaliser leurs activités parce que les contraintes environnementales que font peser sur elles les législations ou les opinions publiques des pays industrialisés sont trop fortes ou, au contraire, parce que les facilités à polluer sont plus grandes dans les pays d'accueil. Elles délocalisent d'abord et essentiellement pour des raisons fiscales, de coût de main d'uvre, pour rapprocher les marché des lieux de production. Et lorsqu'elles délocalisent, les entreprises ne cherchent pas fondamentalement à adapter leur processus de production, leur démarche qualité à d'éventuelles moindres exigences environnementales. Car c'est trop compliqué en terme de management global, c'est économiquement contestable et risqué en terme d'image. Au total, les délocalisations peuvent, contrairement à ce que l'on affirme souvent, contribuer à la diffusion de normes environnementales plus strictes.
La seconde idée, c'est que les industries les plus polluantes restent bien souvent localisées dans les pays industrialisés. Pourquoi ? D'abord parce qu'elles appellent de très forts investissements. Les secteurs de la Chimie, de la métallurgie, le raffinage du pétrole sont très capitalistiques, appellent une main d'uvre souvent qualifiée et un environnement réglementaire stable et sécurisé. Dans ces secteurs, les pays industrialisés disposent à l'évidence de réels avantages comparatifs. Et cette spécialisation des pays industrialisés s'accompagne d'un surcroît d'exigences environnementales. Parce que les opinions publiques sont de plus en plus sensibilisées aux risques industriels, parce que la société dans son ensemble est attentive à la qualité de l'air, à celle des eaux, aux risques sanitaires. Bref, parce que la société considère, de plus en plus, l'environnement comme un bien collectif. Et cette tendance ne s'infléchira pas : elle va, au contraire, ne faire que s'amplifier.
La troisième idée, c'est que les gains de croissance tirés de la globalisation des échanges ont sur le long terme un effet positif sur l'environnement. La croissance a d'abord un effet négatif. Puis avec le progrès technologique et les pressions de l'opinion publique, des mesures sont prises pour protéger l'environnement. Mais ceci ne concerne que l'environnement de proximité (qualité de l'air, gestion des déchets...). Le plus souvent rien n'est fait pour l'environnement global (réchauffement climatique, biodiversité) qui lui continue à se détériorer. C'est pourquoi cet environnement global, constitue aujourd'hui l'enjeu majeur.
De ces idées, je veux tirer trois enseignements principaux.
Le premier est que l'on peut réconcilier croissance économique, mondialisation, et préservation de l'environnement.
Le second est que les pays industrialisés ont un rôle déterminant à jouer tant en matière de détermination de normes environnementales exigeantes qu'en matière de diffusion de ces normes.
Le troisième est que les Etats-Unis première puissance mondiale ont une responsabilité politique majeure dans ce domaine.
2) Ces considérations m'amènent à poser une deuxième question ; l'environnement ou plus exactement les biens environnementaux peuvent-ils être assimilés à des " biens publics " et renvoient-ils, par conséquent, à des modes de gouvernance particuliers ?
Si l'on se réfère à la théorie économique, les biens publics sont caractérisés par le principe de " non-rivalité " ce qui signifie que leur consommation par un agent économique n'empêche pas un autre agent de le consommer également. Au regard de cette définition, l'air est assurément un bien public. Ce bien public est de surcroît global puisque accessible à tous. Il en est de même de la biodiversité. Ma conviction est que la production ou la conservation de tels biens publics environnementaux appellent des modes de gouvernance à l'échelle de la planète tout entière.
D'abord parce que pris individuellement chaque Etat n'a pas nécessairement intérêt à financer la production ou la protection de tels biens. Je suis par exemple convaincu que sans l'adhésion massive des Etats à la convention de Montréal, l'action de la communauté internationale pour lutter contre la destruction de la couche d'ozone n'aurait pas produit les effets attendus.
Ensuite parce que sans approche collective, les mesures individuelles manquent d'efficacité. La lutte contre le changement climatique est à cet égard exemplaire. Sans objectifs concertés, sans approches coordonnées comment pourra-t-on infléchir les tendances actuellement observées ?
Si je prends l'exemple des forêts tropicales, je constate deux choses :
2000 arbres de forets tropicales sont abattus chaque minute ;
Si l'exploitation continue à son rythme actuel, comme en Amazonie, il n'y aura plus de forêts tropicales primaires dans 25/30 ans. Or c'est à partir de ces forêts que se découvre et se développe toute la pharmacopée du monde.
Il faut donc gérer les forêts tropicales comme des biens publics.
3) J'en viens maintenant à la troisième question : Pourquoi la France adopte-t-elle sur certains sujets environnementaux des décisions différentes de celles des Etats-Unis d'Amérique ?
Pour illustrer mon propos, j'ai choisi, à dessein, trois sujets sur lesquels la France et les Etats-Unis ont des positions différentes. Le protocole de Kyoto, la convention biodiversité, l'Organisation des Nations Unies pour l'Environnement.
Le protocole de Kyoto d'abord. Vous le savez, la concentration de CO2 dans l'atmosphère a un effet déterminant sur le système climatique. Stabiliser la concentration de CO2 au-dessous de 450 ppm, seuil au-delà duquel ce système pourrait être dangereusement perturbé est un objectif. Certes un objectif encore débattu, mais qui rallie beaucoup de suffrages dans la communauté scientifique. Le protocole de Kyoto est une première étape pour l'atteindre. La France, comme les pays européens, a ratifié le protocole de Kyoto. Elle s'emploie à convaincre les Etats qui l'ont signé mais non ratifié à faire de même dans les meilleurs délais afin d'accélérer sa mise en uvre.
La France a fait ce choix tout en sachant que le protocole de Kyoto, à lui seul, ne permettra pas de résoudre les problèmes de changement climatique. Elle l'a fait en sachant, aussi, que les pays non concernés par les engagements de réduction, accroîtront, parfois de façon sensible, leurs émissions. La France a fait ce choix parce qu'elle considère qu'il est de sa responsabilité de contribuer à la résolution d'un problème global. Elle l'a fait parce que "Kyoto" constitue pour elle le témoignage d'un engagement collectif des pays industrialisés à prêcher par l'exemple. Elle l'a fait aussi parce que les dispositions du protocole de Kyoto réconcilient raison et intérêt économique. Elle l'a fait, enfin, parce que " Kyoto " illustre un mode innovant de gestion d'un bien public global.
Les Etats-Unis ont fait un autre choix. Votre pays, je le sais, entend aussi lutter contre les effets du changement climatique et de nombreuses entreprises ont déjà réduit de façon sensible leur émissions de gaz à effet de serre. Mais ces efforts se font hors d'un cadre collectif, organisé, alors qu'il est indispensable que chaque Etat se sente porteur d'une part de la responsabilité globale.
Un constat partagé, une volonté commune à lutter contre le changement climatique mais deux approches pour atteindre les résultats souhaités. J'espère que bientôt nous nous retrouverons.
Dans le domaine de la biodiversité, la France a, vous le savez, signé et ratifié la convention des Nations-Unies sur la diversité biologique. Elle a également ratifié le protocole bio sécurité qui y est annexé. Et pourtant les résultats sont là. Les forêts continuent de disparaître, de nombreuses espèces animales et végétales se meurent ou sont en danger. Ces résultats décevants pourraient faire douter de l'intérêt d'un cadre conventionnel global retenant des objectifs, proposant des programmes d'action, s'attachant à favoriser la mobilisation des énergies et des moyens. C'est la position de votre pays qui n'a pas ratifié la convention, ce n'est pas la mienne.
D'abord parce qu'en dépit de résultats en deçà des attentes, des progrès ont été enregistrés dans la prise en compte de l'importance de la biodiversité. Et cette prise en compte n'aurait vraisemblablement pas eu la même ampleur sans la convention, sans les travaux nombreux qu'elle a suscités.
Ensuite parce que la convention a inspiré et promu l'élaboration de stratégies nationales de biodiversité qui déclinent au plan local les objectifs généraux que nous nous sommes fixés. La France finalise ainsi actuellement sa stratégie nationale biodiversité. Elle le fait en associant tous les acteurs concernés ; élus, communauté scientifique, acteurs de la société civile, monde de l'entreprise... Elle s'attache à mettre en place un cadre clair d'action et les moyens de mesurer les résultats obtenus.
Enfin parce qu'elle a conduit à mieux mobiliser la communauté scientifique et par conséquent conduit à parfaire notre connaissance sur des sujets difficiles et souvent mal appréhendés.
Au total, c'est bien grâce à la convention sur la diversité biologique, que des progrès ont été obtenus, au cours des dernières années, en matière d'aires protégées, d'accès et de partage des avantages, de valorisation des savoirs locaux.
Je voudrais pour terminer, évoquer avec vous une initiative lancée par le Président de la République française lors de la dernière assemblée générale des Nations Unies, de créer une Organisation des Nations Unies pour l'Environnement.
Cette initiative entend répondre à plusieurs préoccupations :
La première est que si l'arsenal " juridique " constitué depuis de nombreuses années pour traiter des problèmes environnementaux est riche et diversifié. Il apparaît également pléthorique, redondant bref peu efficace. Il y a donc vraisemblablement, maintenant, matière à organiser mieux notre action collective dans ce domaine.
La seconde est qu'il n'existe pas véritablement à l'heure actuelle d'institution porteuse de la " conscience " environnementale du monde et apte à faire entendre sa voix.
La troisième est qu'une enceinte apte à aider les pays du sud à mieux intégrer l'environnement dans les stratégies sectorielles reste à inventer.
Une agence spécialisée des Nations Unies, pourrait combler ces manques.
Arrivé au terme de cette introduction, volontairement brève, pour laisser le temps à vos questions, je veux souligner trois idées forces :
-La première c'est qu'il n'y a pas aujourd'hui de dumping écologique qui attire les entreprises là où il est possible de polluer plus. Il n'y a donc pas de véritables avantages des pays du sud dans ce domaine pour attirer nos entreprises ;
-La deuxième c'est que c'est dans les pays occidentaux que doivent d'abord se faire les efforts puisque par leur situation dans le monde, les entreprises multinationales diffuseront leur rigueur écologique. En clair, nous ne pouvons nous dédouaner en prétextant le refus des pays du sud de s'associer à nos politiques ;
-La troisième, c'est le rôle éminent des Etats-Unis dans ce domaine. Vous êtes la première puissance économique du monde. La division du monde en deux pôles a disparu. Votre mission est, c'est vrai, d'entraîner le monde vers le progrès économique. Mais, j'en suis sur, c'est aujourd'hui aussi et peut être surtout, d'entraîner le monde vers un monde plus propre, plus respectueux de l'environnement.
Je l'ai dit aux responsables politiques de votre pays et je vous le dis à vous qui êtes l'avenir de ce pays : les peuples ont leur responsabilité. Saisissez-vous de cette question en tant qu'étudiants américains.
Pourquoi pas une nouvelle frontière " écologique " ?
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 5 mai 2004)
Mais avant de rentrer dans le domaine de l'écologie, je veux vous dire que pour moi cette année est importante.
Dans quelques semaines, c'est le 6 juin. Le débarquement a eu lieu il y a 60 ans. Lorsque j'ai été élu député, en 1993, j'ai souhaité, lors de mon premier week-end, revoir les plages du débarquement. C'était pour moi un besoin comme député de la France.
Et lorsque l'on voit des cimetières avec des croix blanches s'alignant à perte de vue, l'on sait que notre lien dépassera toujours les quelques différends que nous pouvons avoir.
Dans mon parcours d'homme, je n'oublierai jamais que des hommes du Tenessee, de l'Arizona, de New-York et d'ailleurs sont venus libérer mon pays au nom de notre idéal commun ; la liberté.
Je voulais leur rendre hommage.
Je suis ministre de l'écologie et du développement durable depuis quelques semaines. Mais mon intérêt, je devrais dire ma passion, pour le domaine de l'écologie est bien plus ancien. Avec mon activité professionnelle, mon engagement politique, mes responsabilités électives, j'ai depuis très longtemps, réfléchi et répondu à de très nombreux problèmes écologiques. Je suis maire de Bourges située au centre de la France, et que je vous invite à découvrir. C'est une ville de patrimoine et de culture. Dans cette ville, j'ai eu à traiter de thématiques liées au bruit, à la qualité de l'air, à l'accès à l'eau, à l'assainissement, au traitement des ordures ménagères mais aussi à celle des eaux usées, bref à ce qui touche notre environnement direct, notre environnement de proximité.
Mais dans le domaine de l'écologie l'approche locale n'est pas toute l'approche. L'échelon local n'est que le premier horizon d'un paysage qui s'étend au régional, au national, au global. C'est pourquoi je me suis très rapidement interrogé sur les liens entre mondialisation et environnement. Dans ce contexte et alors que se déroulent depuis quelques jours, aux Nations Unies, les travaux de la 12e session de la Commission du Développement Durable, j'ai souhaité vous faire partager mes analyses, mes interrogations mais aussi mes convictions sur ces problématiques. Mais si je suis ici aujourd'hui, c'est aussi, bien entendu, pour écouter vos remarques et suggestions, vous qui avez choisi de consacrer vos études aux questions d'environnement.
Je vous propose en conséquence d'articuler mon propos autours de trois grandes questions.
D'abord la mondialisation signifie-t-elle inéluctablement dégradation de l'environnement ?
Ensuite l'environnement est-il assimilable à un bien public et relève-t-il par conséquent d'un traitement particulier ?
Pourquoi, enfin, la France adopte-t-elle sur certains grands sujets environnementaux les positions qui sont aujourd'hui les siennes ?
1) Mondialisation et dégradation de l'environnement d'abord.
En tant que Sénateur, j'ai rédigé il y a quelques mois un rapport parlementaire sur le thème "mondialisation et environnement". J'ai eu pour cela de nombreux échanges avec des responsables administratifs, de la société civile, du monde des affaires. Mon rapport met en avant trois idées fortes.
La première idée, c'est que les délocalisations qui accompagnent bien souvent la mondialisation des échanges ne se font pas pour des raisons environnementales. En clair, les entreprises ne décident pas de délocaliser leurs activités parce que les contraintes environnementales que font peser sur elles les législations ou les opinions publiques des pays industrialisés sont trop fortes ou, au contraire, parce que les facilités à polluer sont plus grandes dans les pays d'accueil. Elles délocalisent d'abord et essentiellement pour des raisons fiscales, de coût de main d'uvre, pour rapprocher les marché des lieux de production. Et lorsqu'elles délocalisent, les entreprises ne cherchent pas fondamentalement à adapter leur processus de production, leur démarche qualité à d'éventuelles moindres exigences environnementales. Car c'est trop compliqué en terme de management global, c'est économiquement contestable et risqué en terme d'image. Au total, les délocalisations peuvent, contrairement à ce que l'on affirme souvent, contribuer à la diffusion de normes environnementales plus strictes.
La seconde idée, c'est que les industries les plus polluantes restent bien souvent localisées dans les pays industrialisés. Pourquoi ? D'abord parce qu'elles appellent de très forts investissements. Les secteurs de la Chimie, de la métallurgie, le raffinage du pétrole sont très capitalistiques, appellent une main d'uvre souvent qualifiée et un environnement réglementaire stable et sécurisé. Dans ces secteurs, les pays industrialisés disposent à l'évidence de réels avantages comparatifs. Et cette spécialisation des pays industrialisés s'accompagne d'un surcroît d'exigences environnementales. Parce que les opinions publiques sont de plus en plus sensibilisées aux risques industriels, parce que la société dans son ensemble est attentive à la qualité de l'air, à celle des eaux, aux risques sanitaires. Bref, parce que la société considère, de plus en plus, l'environnement comme un bien collectif. Et cette tendance ne s'infléchira pas : elle va, au contraire, ne faire que s'amplifier.
La troisième idée, c'est que les gains de croissance tirés de la globalisation des échanges ont sur le long terme un effet positif sur l'environnement. La croissance a d'abord un effet négatif. Puis avec le progrès technologique et les pressions de l'opinion publique, des mesures sont prises pour protéger l'environnement. Mais ceci ne concerne que l'environnement de proximité (qualité de l'air, gestion des déchets...). Le plus souvent rien n'est fait pour l'environnement global (réchauffement climatique, biodiversité) qui lui continue à se détériorer. C'est pourquoi cet environnement global, constitue aujourd'hui l'enjeu majeur.
De ces idées, je veux tirer trois enseignements principaux.
Le premier est que l'on peut réconcilier croissance économique, mondialisation, et préservation de l'environnement.
Le second est que les pays industrialisés ont un rôle déterminant à jouer tant en matière de détermination de normes environnementales exigeantes qu'en matière de diffusion de ces normes.
Le troisième est que les Etats-Unis première puissance mondiale ont une responsabilité politique majeure dans ce domaine.
2) Ces considérations m'amènent à poser une deuxième question ; l'environnement ou plus exactement les biens environnementaux peuvent-ils être assimilés à des " biens publics " et renvoient-ils, par conséquent, à des modes de gouvernance particuliers ?
Si l'on se réfère à la théorie économique, les biens publics sont caractérisés par le principe de " non-rivalité " ce qui signifie que leur consommation par un agent économique n'empêche pas un autre agent de le consommer également. Au regard de cette définition, l'air est assurément un bien public. Ce bien public est de surcroît global puisque accessible à tous. Il en est de même de la biodiversité. Ma conviction est que la production ou la conservation de tels biens publics environnementaux appellent des modes de gouvernance à l'échelle de la planète tout entière.
D'abord parce que pris individuellement chaque Etat n'a pas nécessairement intérêt à financer la production ou la protection de tels biens. Je suis par exemple convaincu que sans l'adhésion massive des Etats à la convention de Montréal, l'action de la communauté internationale pour lutter contre la destruction de la couche d'ozone n'aurait pas produit les effets attendus.
Ensuite parce que sans approche collective, les mesures individuelles manquent d'efficacité. La lutte contre le changement climatique est à cet égard exemplaire. Sans objectifs concertés, sans approches coordonnées comment pourra-t-on infléchir les tendances actuellement observées ?
Si je prends l'exemple des forêts tropicales, je constate deux choses :
2000 arbres de forets tropicales sont abattus chaque minute ;
Si l'exploitation continue à son rythme actuel, comme en Amazonie, il n'y aura plus de forêts tropicales primaires dans 25/30 ans. Or c'est à partir de ces forêts que se découvre et se développe toute la pharmacopée du monde.
Il faut donc gérer les forêts tropicales comme des biens publics.
3) J'en viens maintenant à la troisième question : Pourquoi la France adopte-t-elle sur certains sujets environnementaux des décisions différentes de celles des Etats-Unis d'Amérique ?
Pour illustrer mon propos, j'ai choisi, à dessein, trois sujets sur lesquels la France et les Etats-Unis ont des positions différentes. Le protocole de Kyoto, la convention biodiversité, l'Organisation des Nations Unies pour l'Environnement.
Le protocole de Kyoto d'abord. Vous le savez, la concentration de CO2 dans l'atmosphère a un effet déterminant sur le système climatique. Stabiliser la concentration de CO2 au-dessous de 450 ppm, seuil au-delà duquel ce système pourrait être dangereusement perturbé est un objectif. Certes un objectif encore débattu, mais qui rallie beaucoup de suffrages dans la communauté scientifique. Le protocole de Kyoto est une première étape pour l'atteindre. La France, comme les pays européens, a ratifié le protocole de Kyoto. Elle s'emploie à convaincre les Etats qui l'ont signé mais non ratifié à faire de même dans les meilleurs délais afin d'accélérer sa mise en uvre.
La France a fait ce choix tout en sachant que le protocole de Kyoto, à lui seul, ne permettra pas de résoudre les problèmes de changement climatique. Elle l'a fait en sachant, aussi, que les pays non concernés par les engagements de réduction, accroîtront, parfois de façon sensible, leurs émissions. La France a fait ce choix parce qu'elle considère qu'il est de sa responsabilité de contribuer à la résolution d'un problème global. Elle l'a fait parce que "Kyoto" constitue pour elle le témoignage d'un engagement collectif des pays industrialisés à prêcher par l'exemple. Elle l'a fait aussi parce que les dispositions du protocole de Kyoto réconcilient raison et intérêt économique. Elle l'a fait, enfin, parce que " Kyoto " illustre un mode innovant de gestion d'un bien public global.
Les Etats-Unis ont fait un autre choix. Votre pays, je le sais, entend aussi lutter contre les effets du changement climatique et de nombreuses entreprises ont déjà réduit de façon sensible leur émissions de gaz à effet de serre. Mais ces efforts se font hors d'un cadre collectif, organisé, alors qu'il est indispensable que chaque Etat se sente porteur d'une part de la responsabilité globale.
Un constat partagé, une volonté commune à lutter contre le changement climatique mais deux approches pour atteindre les résultats souhaités. J'espère que bientôt nous nous retrouverons.
Dans le domaine de la biodiversité, la France a, vous le savez, signé et ratifié la convention des Nations-Unies sur la diversité biologique. Elle a également ratifié le protocole bio sécurité qui y est annexé. Et pourtant les résultats sont là. Les forêts continuent de disparaître, de nombreuses espèces animales et végétales se meurent ou sont en danger. Ces résultats décevants pourraient faire douter de l'intérêt d'un cadre conventionnel global retenant des objectifs, proposant des programmes d'action, s'attachant à favoriser la mobilisation des énergies et des moyens. C'est la position de votre pays qui n'a pas ratifié la convention, ce n'est pas la mienne.
D'abord parce qu'en dépit de résultats en deçà des attentes, des progrès ont été enregistrés dans la prise en compte de l'importance de la biodiversité. Et cette prise en compte n'aurait vraisemblablement pas eu la même ampleur sans la convention, sans les travaux nombreux qu'elle a suscités.
Ensuite parce que la convention a inspiré et promu l'élaboration de stratégies nationales de biodiversité qui déclinent au plan local les objectifs généraux que nous nous sommes fixés. La France finalise ainsi actuellement sa stratégie nationale biodiversité. Elle le fait en associant tous les acteurs concernés ; élus, communauté scientifique, acteurs de la société civile, monde de l'entreprise... Elle s'attache à mettre en place un cadre clair d'action et les moyens de mesurer les résultats obtenus.
Enfin parce qu'elle a conduit à mieux mobiliser la communauté scientifique et par conséquent conduit à parfaire notre connaissance sur des sujets difficiles et souvent mal appréhendés.
Au total, c'est bien grâce à la convention sur la diversité biologique, que des progrès ont été obtenus, au cours des dernières années, en matière d'aires protégées, d'accès et de partage des avantages, de valorisation des savoirs locaux.
Je voudrais pour terminer, évoquer avec vous une initiative lancée par le Président de la République française lors de la dernière assemblée générale des Nations Unies, de créer une Organisation des Nations Unies pour l'Environnement.
Cette initiative entend répondre à plusieurs préoccupations :
La première est que si l'arsenal " juridique " constitué depuis de nombreuses années pour traiter des problèmes environnementaux est riche et diversifié. Il apparaît également pléthorique, redondant bref peu efficace. Il y a donc vraisemblablement, maintenant, matière à organiser mieux notre action collective dans ce domaine.
La seconde est qu'il n'existe pas véritablement à l'heure actuelle d'institution porteuse de la " conscience " environnementale du monde et apte à faire entendre sa voix.
La troisième est qu'une enceinte apte à aider les pays du sud à mieux intégrer l'environnement dans les stratégies sectorielles reste à inventer.
Une agence spécialisée des Nations Unies, pourrait combler ces manques.
Arrivé au terme de cette introduction, volontairement brève, pour laisser le temps à vos questions, je veux souligner trois idées forces :
-La première c'est qu'il n'y a pas aujourd'hui de dumping écologique qui attire les entreprises là où il est possible de polluer plus. Il n'y a donc pas de véritables avantages des pays du sud dans ce domaine pour attirer nos entreprises ;
-La deuxième c'est que c'est dans les pays occidentaux que doivent d'abord se faire les efforts puisque par leur situation dans le monde, les entreprises multinationales diffuseront leur rigueur écologique. En clair, nous ne pouvons nous dédouaner en prétextant le refus des pays du sud de s'associer à nos politiques ;
-La troisième, c'est le rôle éminent des Etats-Unis dans ce domaine. Vous êtes la première puissance économique du monde. La division du monde en deux pôles a disparu. Votre mission est, c'est vrai, d'entraîner le monde vers le progrès économique. Mais, j'en suis sur, c'est aujourd'hui aussi et peut être surtout, d'entraîner le monde vers un monde plus propre, plus respectueux de l'environnement.
Je l'ai dit aux responsables politiques de votre pays et je vous le dis à vous qui êtes l'avenir de ce pays : les peuples ont leur responsabilité. Saisissez-vous de cette question en tant qu'étudiants américains.
Pourquoi pas une nouvelle frontière " écologique " ?
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 5 mai 2004)