Texte intégral
Le ministre a relevé la densité de l'actualité européenne depuis sa dernière audition par la Commission, en janvier dernier, avec notamment l'ouverture du processus d'élargissement et le débat sur l'Union économique et monétaire qui s'est tenu à l'Assemblée le mois dernier, et a donné lieu au vote, à une large majorité, d'une résolution favorable à la mise en place de l'euro.
Où en est l'Europe après le Sommet des 2 et 3 mai ?
La presse a beaucoup glosé sur ce sommet, en négligeant les enjeux véritables et la prospective nécessaire. Qui pourrait croire que le choix entre M. Duisenberg et M. Trichet affecte la politique monétaire européenne ? On a émis l'idée que les oppositions qui se sont manifestées attenteraient à la crédibilité de la BCE. Les marchés financiers ont, dès le lundi, démenti cette crainte et salué la perspective de croissance plus forte offerte par l'euro. Il faut souligner qu'aucune institution monétaire ne bénéficie d'une stabilité comparable à celle de la BCE : on est déjà assuré que Jean-Claude Trichet défendra la stabilité de l'euro de 2002 à 2010.
On ne peut pas faire abstraction des susceptibilités nationales. Mais la France a eu raison de refuser la décision que les banquiers centraux ont cherché à imposer. C'est en ce sens qu'a agi le président de la République à Bruxelles. Si certains y ont vu la défense d'un Français, la France a surtout cherché à oeuvrer pour le contrôle démocratique de l'UEM.
Les vrais acquis, les enjeux de Bruxelles, n'ont guère été perçus. Il est vrai que les débats qui ont précédé le Sommet ont largement gommé l'effet de surprise. La richesse des débats qui se sont déroulés le 21 avril dernier à l'Assemblée ne doit pas faire oublier que la décision d'inclure onze pays dans le premier train de l'euro n'a été prise que le 2 mai. L'opinion exprimée par l'Assemblée a cependant sensiblement renforcé la position du gouvernement, et étayé les thèses qu'il défendait. Elles sont désormais acquises : un euro large, au service de la croissance et de l'emploi, faisant l'objet d'un contrôle démocratique.
La première réunion du Conseil de l'euro aura lieu le 4 juin prochain : il devra élaborer une stratégie vis-à-vis du cycle économique dans la zone euro. Les membres de celle-ci en sont à des stades différents : l'Irlande est en avance et donne des signes de surchauffe, la France et l'Allemagne renouent à peine avec la croissance. La coordination des politiques économiques constitue donc un défi concret qu'il va falloir aborder dès les premières réunions du Conseil de l'euro, notamment pour l'établissement des budgets nationaux pour 1999.
Il faut en outre s'attaquer à la coordination des politiques structurelles, progresser notamment dans la voie de l'harmonisation fiscale, au-delà de l'avancée que constitue déjà l'adoption d'un code de bonne conduite en la matière.
L'élargissement a progressé suivant trois axes.
Tout d'abord, la Conférence européenne, dispositif multilatéral institué à l'initiative de la France, a tenu sa première réunion le 12 mars dernier. Elle a auguré des difficultés que rencontrera l'Union élargie dans son fonctionnement courant : temps de parole, tours de table. Sans doute aura-t-elle eu une vertu pédagogique en illustrant la nécessité des réformes institutionnelles dont ont pu prendre conscience les représentants des Etats candidats à l'Union. Elle a également fourni l'assurance qu'aucun candidat ne sera laissé sur le bord de la route.
Deuxièmement, les partenariats pour l'adhésion aideront tous les candidats, constituant pour eux une feuille de route, un ensemble de priorités assorties d'une assistance financière.
Enfin, le 31 mars dernier a marqué l'ouverture des négociations d'adhésion avec les six premiers pays retenus par le Conseil européen. Ceux-ci devront reprendre l'intégralité de l'acquis, en assurer la transposition mais aussi et surtout l'application effective. Cette exigence, à laquelle la France tient particulièrement, est essentielle dans des domaines tels que la concurrence, ou la justice et les affaires intérieures. Nous ne pourrons pas laisser adhérer un pays qui n'assurerait pas un contrôle efficace de ses frontières.
S'agissant du cas de Chypre, la division de l'île présente une difficulté particulière. L'adhésion de Chypre divisée n'est pas pour nous envisageable, elle reviendrait à introduire dans l'Union une ligne de confrontation militaire. En outre, Chypre contribuerait ainsi à la cristallisation des tensions entre la Grèce et la Turquie.
Nos partenaires, il faut le reconnaître, ne nous ont guère suivis dans cette appréciation. Nous n'avons pas voulu bloquer l'ouverture des négociations, d'autant que planait la possibilité d'un veto d'un autre Etat membre, qui aurait ainsi entravé l'ensemble du processus d'élargissement. Il appartient désormais au Conseil, et la France y veillera, de vérifier si les négociations peuvent être poursuivies et conclues ou non.
La France se doit d'affirmer sa présence auprès des pays candidats, ce qu'elle ne fait pour l'instant pas suffisamment par rapport à certains de ses partenaires. La considérable mise à niveau nécessaire des candidats doit être l'occasion de mettre en valeur le savoir-faire français, par exemple dans les domaines de l'agriculture, de la justice et des affaires intérieures, des finances publiques ou de l'environnement. Elle pourra notamment saisir l'opportunité des partenariats sur l'adhésion pour démultiplier les moyens qu'elle réalise d'ordinaire avec les 280 millions de francs alloués à une coopération bilatérale, là encore modeste en comparaison de nos partenaires.
Sur la PAC, la Commission a remis ses propositions de réforme le 18 mars dernier. Elles sont actuellement à l'étude. Un Conseil Agriculture suivait de près puisque c'est le 30 mars dernier que Louis Le Pensec a présenté dans cette enceinte la position ferme de la France sur le sujet. Celle-ci avait été élaborée quelques jours auparavant en étroite concertation entre le Premier ministre et le président de la République.
On a tout d'abord pu observer que les propositions de la Commission n'avaient que peu varié depuis juillet 1997. Ainsi, il n'existe pas ou peu de différenciation dans le domaine des grandes cultures, et notamment des oléagineux. Sur la viande bovine, la philosophie reste libérale puisque la régulation repose sur les seuls prix. S'agissant du lait, la proposition de baisse de 10 % des prix, déjà contestable, a été portée à 15 %.
Plus grave encore, le projet de la Commission n'aborde pas les véritables enjeux de la réforme de la PAC. Il paraît nécessaire, en effet, de prendre en compte la disparité des conditions de production, le caractère multifonctionnel de notre agriculture.
La réforme de la PAC doit intégrer les préoccupations suivantes : défense de l'emploi ; préservation de l'environnement ; compatibilité avec les règles de l'OMC, notamment dans la perspective des négociations à venir. Nous plaidons clairement en faveur de la modulation et du découplage des aides.
L'architecture du projet de réforme des fonds structurels n'a également que peu évolué. La répartition des masses budgétaires entre les trois nouveaux objectifs reste par exemple inchangée. Cependant, des correctifs ont été introduits depuis juillet : mise en place d'un mécanisme de transition d'une durée de 6 ans pour l'objectif 1, clause de sauvegarde générale limitant la diminution des aides perçues au titre du nouvel objectif 2 par rapport à celles perçues au titre des actuels objectifs 2 et 5b à un tiers.
Une autre échéance est essentielle. A l'automne, la Commission doit présenter son rapport sur le financement de l'Union. Parallèlement, la pression allemande s'accroît. La question pourra difficilement être évitée à Cardiff, elle est l'une des plus délicates qui soient, posant des problèmes de fond, de méthode et de calendrier.
Quelques remarques s'imposent sur les questions institutionnelles.
Le passage à la monnaie unique soulève la question de l'orientation future de l'Union. On ne peut se contenter de reprendre telles quelles les questions posées et non résolues dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. Les résultats seraient identiques. Par ailleurs, les esprits ont évolué depuis Amsterdam: outre les trois pays signataires de la déclaration sur les institutions, l'Allemagne et le Royaume-Uni par exemple, prennent conscience de la nécessité d'une réforme de fond.
Une réflexion lourde se met en place. Il faut prendre du recul avec Amsterdam et en tirer les enseignements. Il nous faut une démarche pragmatique pour faire face aux défis que constituent la monnaie unique et l'élargissement.
Il est d'abord, à court terme, possible d'améliorer le fonctionnement des institutions : cela s'applique aux travaux du Conseil, mais aussi à la Commission dont le fonctionnement n'est pas satisfaisant, comme en témoigne l'initiative du commissaire Brittan, dite NTM, sur la zone de libre-échange transatlantique.
A moyen terme, l'élargissement, dont la date est inconnue, ouvre une autre perspective de révision, plus ambitieuse. C'est la structure même des institutions qui devra être réexaminée en essayant de revenir à l'esprit originel du Traité de Rome. La Commission européenne a déjà trop de commissaires et son fonctionnement n'est pas assez collégial. Faut-il réduire drastiquement le nombre de commissaires comme le proposait la France à Amsterdam ? Ou envisager d'autres solutions comme la création de commissaires adjoints ? Faut-il encourager l'activisme de la Commission ou reprendre le dossier de la subsidiarité comme le président de la République l'a rappelé à Avignon ? La présidence tournante du Conseil et la pondération des voix devront également être revues. Il faudra essayer de faire prévaloir une pondération reflétant mieux le poids respectif des Etats et, surtout, que le vote à la majorité devienne la règle. Confier la préparation de la réforme à un Comité des sages paraît préférable au lancement d'une nouvelle Conférence intergouvernementale.
A plus long terme, ce sont les objectifs et le contenu de l'Union élargie qui devront être redéfinis. Cette réflexion requerra les compétences les plus diverses. La construction de l'Union de demain ne sera pas la transposition à l'identique de l'Union d'aujourd'hui. C'est pourquoi l'initiative prise par l'Assemblée nationale d'organiser, le 4 juin, un colloque sur "l'élargissement et les réformes institutionnelles" est excellente.
Le ministre a rappelé que le Conseil Affaires générales du 27 avril avait tranché la question du traité de libre-échange proposé par Sir Leon Brittan. La France a manifesté son opposition résolue et les autres Européens leurs réserves à l'égard d'une initiative personnelle. Celle-ci, d'ailleurs, n'intéressait pas tellement les Etats-Unis. Le Sommet euro-atlantique du 18 mai a rejeté cette proposition et a adopté deux textes : l'un sur le respect de certaines disciplines en matière d'investissement; l'autre sur des orientations de coopération politique. Par ailleurs, par une déclaration unilatérale, l'Union européenne a rappelé son opposition aux législations extra-territoriales américaines. Cette déclaration subordonne l'application du texte sur les disciplines en matière d'investissement à des engagements sur l'octroi de dérogations à ces lois. L'administration américaine a annoncé son intention d'accorder une dérogation à Total pour ses investissements en Iran et s'est engagée à faire de même pour les investissements futurs. Compte tenu de l'attitude du Congrès, l'octroi de dérogations pour les investissements à Cuba semble plus incertain.
La réunion de l'OCDE des 27 et 28 avril s'est achevée sans que l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) soit signé. Les quatre conditions émises par le gouvernement ont sorti les négociations d'une sorte d'inertie assez dogmatique. Le groupe de négociation s'est accordé une "pause" de six mois pour procéder à une réévaluation de son activité et des bases d'un tel accord.
Le ministre a répondu aux interventions des commissaires. Le ministre a évoqué le Sommet de Bruxelles dont on retiendra surtout que onze pays ont mis en commun leur souveraineté monétaire. Surmédiatisée, la discorde sur la présidence de la future Banque européenne est d'une importance relative. En revanche, la question posée par la France est fondamentale : qui, des gouverneurs de banques centrales ou des responsables politiques, décide de la politique économique et monétaire de l'Europe ?
S'agissant de l'élargissement, il est nécessaire d'éviter une trop forte discrimination entre les pays du premier cercle et ceux du second, dont beaucoup entretiennent des liens privilégiés avec la France, comme la Roumanie, la Bulgarie, la Lituanie. La France souhaite que l'élargissement à ces pays s'effectue rapidement. Le processus mis en place est flexible et permet donc des rattrapages. Il doit tenir compte à la fois de critères économiques et politiques, notamment des progrès démocratiques réalisés dans les pays concernés. L'entrée dans l'Union européenne représente un espoir formidable pour les pays candidats. Sans doute n'en mesurent-ils pas encore tout à fait toutes les implications.
L'ouverture de négociations avec Chypre résulte d'un engagement pris en 1995 par l'Union européenne, que présidait alors la France, et sur lequel elle ne pouvait revenir. Néanmoins l'adhésion d'une île divisée n'est pas envisageable. Aussi la France rappellera au Conseil la nécessité de progresser conjointement vers la réunification de Chypre et vers son adhésion à l'Union européenne.
Le ministre a déclaré comprendre et approuver les demandes des parlementaires s'agissant du calendrier de ratification du Traité d'Amsterdam. La réflexion se précise ; le président de la République et le Premier ministre devraient sans doute s'exprimer prochainement sur ce sujet. Dès le Sommet d'Amsterdam, le président de la République a considéré qu'un référendum sur ce traité très technique ne lui paraissait pas adapté. Par conséquent, la révision constitutionnelle prendra vraisemblablement le chemin du Congrès. A titre personnel, le ministre estime qu'il ne faut plus perdre de temps. Les autres Etats européens auront achevé leur procédure de ratification avant la fin de l'année. Par ailleurs, il est légitime que les parlementaires aient le temps de procéder à un examen approfondi. Dès lors, il serait souhaitable que l'ensemble de la procédure soit achevée au plus tard début 1999.
La négociation sur l'Agenda 2000 est complexe puisqu'elle englobe trois dossiers : la réforme de la PAC, celle des fonds structurels et le cadre financier global. Le plafond des ressources propres, actuellement fixé à 1,27% du PIB, est au coeur des discussions. Certains proposent une diminution importante des dépenses qui conduirait à une renationalisation des politiques. D'autres considèrent que le plafond doit être rehaussé compte tenu des objectifs futurs. Cependant, le plafond de 1,27 % paraît raisonnable, car l'élargissement n'interviendra pas avant 2006. Par ailleurs, il ne faut pas céder à une vision trop budgétaire: la réforme doit préserver les principes des politiques actuelles. La stabilisation des dépenses est donc le bon scénario. L'Union doit respecter les disciplines que les Etats-membres s'imposent collectivement.
Au-delà de 2006, il faudra en revanche procéder à une révision complète, adaptée à une Union élargie et hétérogène. C'est une sorte de "fédéralisme budgétaire" qu'il faudra concevoir, d'autant plus que des politiques d'avenir devront être développées, en matière d'éducation et de recherche notamment. Mais, pour l'heure, il s'agit de préserver et d'améliorer, sans bouleverser.
Le ministre a confirmé que le Canada avait été un partenaire efficace de la France lors des négociations relatives à l'AMI. Ses liens avec les Etats-Unis ont sans doute contribué à l'évolution favorable de la négociation.
C'est bien l'Union européenne qui négociera les futurs Accords OMC. Il est dès lors utile de réformer la PAC avant d'entrer dans ces négociations, afin que les aides à l'agriculture soient compatibles avec les règles de l'OMC.
Les protocoles sont toujours ratifiés en même temps que le traité auquel ils sont annexes. Le protocole sur la subsidiarité ne comporte pas de stipulations véritablement novatrices et n'affecte en aucun cas les compétences du Conseil constitutionnel. Cependant, un conflit de jurisprudence entre cette dernière instance et la Cour de Justice des Communautés européennes a été, est et sera toujours envisageable./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2001)