Conférence de presse de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur les relations franco-portugaises et la coopération européenne, Belem le 31 octobre 2003.

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Circonstance : Voyage officiel au Portugal le 31 octobre 2003

Texte intégral

Chers amis, nous sommes très heureux, les quatre ministres qui m'accompagnent, madame Lenoir, J.-F. Copé, C. Jacob et F. Loos de participer à cette rencontre bilatérale de haut niveau, d'un genre nouveau. Nous avons souvent pensé que les relations bilatérales avaient quelquefois des apparences très formelles et nous avons voulu donner à cette rencontre, une rencontre plus branchée sur la société civile, je suis très reconnaissant aux entrepreneurs, portugais, aux entrepreneurs français, et puis ceux que nous appelons les luso-descendants qui sont culturellement, économiquement bilingues et qui participent comme "des passeurs à l'amitié" entre le Portugal et la France. Je suis très heureux de voir que, finalement, cette approche nous permet à la fois de parler des relations bilatérales, des relations européennes, des relations internationales mais aussi de nous fixer des objectifs et de comparer, au fond, les défis qui sont les nôtres en matière de développement économique et pour ce qui est de nos différentes sociétés, la satisfaction du citoyen, notamment en ce qui concerne l'emploi, qui est une priorité de chacun de nos pays. Je voudrais dire que nous avons ensemble une vision commune, à la fois du monde - sur les grands sujets que nous avons évoqués, nous avons une vraie proximité, entre la France et le Portugal. Sur les sujets européens, nous avons la même volonté de faire en sorte qu'on puisse aboutir à la fin de cette année, véritablement, à un accord sur la Conférence intergouvernementale dans le prolongement de la Convention.
Alors, il y a un certain nombre de sujets sur lesquels nous discutons. Nous n'avons pas les mêmes positions les uns et les autres sur l'ensemble des sujets, mais nous voulons ensemble arriver à une position commune rapidement. Le monde a besoin d'une Europe forte, organisée rapidement, qui soit à la fois élargie dans son périmètre, renforcée dans ses institutions. C'est cela, notre perspective et de ce point de vue, nous discutons ensemble pour aboutir, non pas avec égoïsme ou avec esprit de fermeture, mais avec esprit de consensus, esprit de négociations, je dirais même esprit de compromis de manière même à ce que les uns et les autres puissent participer de manière positive à la construction européenne. C'est le premier point. Cela me paraît très important et finalement, je ne vois aucun sujet insurmontable entre le Portugal et la France en ce qui concerne l'avenir de l'Union européenne et la perspective des échéances qui sont devant nous.
Deuxième grand sujet : le développement économique. Je voudrais remercier les entrepreneurs Portugais et Français qui sont ici présents. Il est très important que dans nos rencontres, nous puissions intégrer la problématique des entrepreneurs aujourd'hui, créateurs d'emplois, créateurs de richesses, créateurs de commerce, créateurs d'échanges, créateurs d'investissements et aussi porteurs de projets communs, non seulement au Portugal et en France, mais aussi dans l'Europe élargie, les nouveaux pays qui vont nous rejoindre, les dix pays qui viennent rejoindre l'Union européenne et puis aussi dans nos pays d'influence, évidemment, en Afrique ou en Amérique Latine. Il me paraît très important de profiter de cette expérience. Chacun a à apprendre de l'autre et j'ai entendu des remarques sur les progrès que devait faire la France pour être au niveau du Portugal sur un certain nombre de sujets et donc je les ai bien notés. Je sais que votre fiche de paie fait moins d'une page et que la nôtre doit faire deux pages. Ce message a été reçu. Ce sont des sujets qui sont concrets, parce qu'ils parlent de la simplification, que la simplification des procédures est un objectif commun que nous avons et finalement, nous cherchons ensemble la contagion des bonnes pratiques. Ce qui marche bien dans un pays, autant en faire profiter l'autre pays, et donc cette dynamique entrepeneuriale est très importante. Finalement, nous avons ainsi trouvé, avec le Portugal, une façon de nous rencontrer régulièrement de manière structurée, afin de parler à la fois de nos problèmes européens, bilatéraux et aussi internationaux, mais en même temps de faire avancer la coopération entre nos pays sur des sujets précis, comme le développement de l'économie et de l'emploi, le retour de la croissance. La prochaine rencontre se fera sur le contenu, un peu aussi de la croissance, l'information, la formation, le développement de la matière grise, tout ce qui peut nourrir aujourd'hui la valeur ajoutée, ce qui nous paraît très important pour la France.
Nous souhaitons, l'un et l'autre, dans nos pays, mener des réformes structurelles d'envergure et je vois que le Portugal s'est engagé dans un certain nombre de réformes importantes qui sont significatives pour l'ensemble de l'Europe. Nous avons besoin de ces réformes. Il y a une dynamique de la réforme qui est engagée aujourd'hui en Europe. Elle est engagée au Portugal, elle est engagée en Allemagne, elle est engagée aux Pays Bas, elle est engagée en Autriche, elle est engagée en Italie, elle est engagée dans bien des pays, en Espagne évidemment, dans bien des pays, c'est très important pour moderniser l'Europe. La France participe à cette mobilisation de la réforme structurelle. Nous avons traité le dossier des retraites ; nous sommes actuellement engagés dans le sujet de l'Assurance maladie. Nous avons un certain nombre de sujets très importants, la décentralisation et quelques autres, qui sont des réformes structurelles qui vont changer le paysage de nos pays au sein du XXIe siècle. Ce qui est très important et je termine par-là, dans notre dynamique, c'est que nous sommes chefs de deux gouvernements de pays qui ont une influence mondiale ancienne, - le Portugal a ouvert les voies de la découverte du monde - et que finalement, malgré notre histoire, malgré ce que nous savons, ce que peut nous apporter notre histoire dans notre culture, dans notre identité, nous gardons le goût de l'avenir et nous voulons investir dans l'avenir pour que le XXIe siècle ne soit pas vécu pour l'Europe comme un espace d'inquiétudes, un espace de peurs. Ce qui nous caractérise, c'est que nous n'avons pas peur de l'avenir. Ce qui menace l'Europe c'est la peur de l'avenir, la peur de l'ouverture, la peur des changements, la peur des réformes ; les peurs sont porteuses de repli, sont porteuses des idées sombres, sont des reculs. Ensemble, nous voulons regarder devant avec confiance, voilà ce qui fait la force de l'amitié entre le Portugal et la France.
R. Arzt, RTL : Ma question s'adresse aux deux Premiers ministres. Le Portugal et la France n'arrivent pas, ou en tous cas ont du mal, à maintenir leurs déficits budgétaires dans les limites fixées sur le plan européen. Est-ce que vous avez harmonisé vos positions et vos arguments face aux risques que des sanctions soient prises par les autorités de Bruxelles ?
J. P. Raffarin : Je vais répondre en premier, si vous le permettez, puisque la question vient de RTL. Nous avons des positions harmonisées. Nous n'aimons pas beaucoup le mot "sanction", parce que nous sommes dans un univers que nous avons construit nous-mêmes. L'idée de sanctions voudrait dire qu'il y ait d'un côté l'Europe de l'autre côté les Etats. Les Etats sont l'Europe. Et nous sommes ensemble dans cette dynamique européenne. En revanche, il est clair que le pacte de stabilité et de croissance définit un certain nombre de règles, qui conduisent à un certain nombre de réformes et je salue ce qui a été fait au Portugal avec courage, avec détermination pour faire face à ces exigences et je comprends tout à fait que dans un certain nombre de pays qui ont fait les efforts, on s'interroge sur la situation d'autres pays qui donneraient le sentiment de ne pas faire les mêmes efforts. Il se trouve que la France fait des efforts. Donc je suis très à l'aise avec mon ami portugais. Et je vais vous dire très franchement que notre position est très claire. Je pense que la discipline budgétaire qui est liée au contrat de stabilité et de croissance est une discipline budgétaire de bon sens et qu'il nous faut la respecter les uns et les autres. En ce qui concerne la France, il est évident que quand nous avons une situation économique difficile, une croissance négative au premier semestre 2003 - je rappelle la rupture de croissance qu'a connue la France. 4 % de croissance en 2000. 2% de croissance en 2001, un peu plus de 1 % en 2002 et croissance négative au premier semestre 2003 - il est évident que tout cela a un certain nombre de conséquences. Nous n'avons pas renoncé, ni au Portugal, ni en France à faire des réformes structurelles. Moi, je demande simplement au nom de la France, que l'on tienne compte de la situation dans laquelle nous sommes, à la fois une rupture de croissance qui, depuis l'an 2000, se divise par deux tous les ans et qui d'autre part, fait depuis le printemps 2002, fait place en France à des réformes structurelles d'envergure. Nous avons mené la réforme des retraites et des pensions qui, jusqu'à 2020, est aujourd'hui en situation parfaitement maîtrisée. Nous avons engagé la réforme de la décentralisation. Actuellement est en discussion au Parlement, le quatrième texte sur la décentralisation ; le cinquième et dernier texte a été adopté par le Conseil des ministres la semaine dernière. Nous avons également l'Assurance maladie qui est un sujet important qui est engagé et pour lequel nous aurons les résultats de la réforme pour le printemps prochain. Donc nous sommes engagés dans la réforme structurelle. Je dois dire qu'il faut que l'on tienne compte de la situation de la France, qui notamment au printemps 2002 a dû faire face à un certain nombre de déficits. Dois-je rappeler que par exemple, le ferroviaire a une dette de 23 milliards d'euros ? Dois-je rappeler que les télécommunications ont une dette de 70 milliards d'euros ? Donc, nous avons un certain nombre de difficultés qui ont été posées à l'économie française. Je dis simplement qu'il faut ensemble respecter les règles qui sont celles de l'Union européenne. Je demande simplement à ce que l'on tienne compte des situations des pays des uns et des autres en fonction de leur propre mobilisation nationale. Nous sommes engagés dans une situation de détermination pour la discipline budgétaire. Nous serons au rendez-vous des critères de Maastricht en 2005. Je crois que la Commission l'a compris et c'est pour cela que nous sommes dans un dialogue coopératif avec la Commission. Voilà la position qui est la nôtre, nous sommes tout à fait conscients qu'il faut un code de copropriété pour l'euro ; nous avons l'euro ensemble ; il est très important ; il est un peu fort par rapport au dollar actuellement, mais nous avons quand même un code de l'euro que nous voulons respecter. Ce code de l'euro implique des disciplines, il faut tenir compte à la fois des difficultés que nous avons qui viennent du passé et d'autre part de tenir compte de la volonté de réformes et de la capacité de réformes. Sur ce point-là, je crois qu'il y a un accord assez large dans l'Union européenne et avec mon collègue portugais, je n'ai pas senti de difficulté particulière.
[...]
J.-P. Raffarin : Je regrette de ne pas parler portugais pour vous parler madame. Mais Je suis tellement d'accord avec ce que vient de dire le Premier ministre du Portugal que ma réponse sera brève. Nous voulons un esprit positif. Nous avons un souci, c'est que l'Europe, qui a déjà défini ses nouvelles frontières avec, le 1er mai, l'entrée de dix pays dans la Communauté européenne, puisse définir avant la fin de l'année son organisation institutionnelle. Il y a un certain nombre de sujets sur lesquels nous avons des nuances, mais nous voulons aboutir, c'est-à-dire que nous mettons l'esprit positif avant l'esprit de blocage. Nous ne sommes pas dans l'idée de dire "non", nous ne voulons pas avancer (sic). Nous discutons. Il y a un certain nombre de sujets sur lesquels le Portugal aura satisfaction, d'autres sur lesquels la France aura satisfaction. Mais cela veut dire que nous aurons forcément une discussion ouverte. Nous voulons aboutir. Cela veut dire que nous ne disons pas non systématiquement aux propositions de l'autre. Et donc, il y a, dans des propositions portugaises, un certain nombre de solutions qui ne sont pas forcément souhaitées par la France, mais sur lesquelles on peut éventuellement, dans un dispositif global, pouvoir dire "oui". C'est cela, l'esprit positif. Ce qui nous paraît aujourd'hui très important, c'est de se dire que globalement la convention a fait un bon travail. La Convention a passé beaucoup de temps avec l'ensemble des représentants pour déboucher sur ce qui peut être une sorte de consensus global avec un certain nombre de difficultés. Nous, la France, nous pensons que nous pouvons ouvrir des débats là où vient une issue ; nous ne voulons pas ouvrir des débats là où il n'y a pas d'issue. Là où il n'y a pas d'issue on reste au texte de la Convention. Là où il y a une issue de progrès, pour tenir compte des uns et des autres, nous sommes prêts à ouvrir le débat. Ce que nous voulons, c'est améliorer le texte de la Convention, mais nous ne voulons pas le remettre en cause. Donc, [dans] les discussions qui sont aujourd'hui les nôtres avec le Premier ministre portugais, on a fait la liste des points ; rien ne me paraît aujourd'hui insurmontable. Nous avons entre le Portugal et la France des possibilités de discussion sur les statuts de la présidence, sur les statuts de la Commission, sur l'ensemble de l'organisation institutionnelle, sur l'ensemble de l'organisation des pouvoirs, sur l'ensemble des problèmes de gouvernance, sur la zone euro, sur un certain nombre de sujets, la défense, la politique étrangère. Nous avons un certain nombre de sujets qui nous paraissent pouvoir être entre nous, un objet d'accord. Notre problème est de faire en sorte qu'il n'y ait pas blocage. Nous ne voulons pas que le traité constitutionnel se perde dans les dédales d'un marchandage sans issue. Ce que nous voulons, c'est que la constitution, telle que la Convention l'a préparée, puisse aboutir. Auquel cas, nous sommes prêts à tenir compte des améliorations des uns et des autres quand il y a une issue possible. J'ai noté avec mon collègue quelques progrès possibles et donc, nous sommes dans une situation aujourd'hui d'ouverture. La France ne veut pas bloquer le processus institutionnel : l'Europe à Vingt-Cinq ne peut pas être gouvernée comme l'Europe des 6 ou comme l'Europe des Quinze. Il faut changer notre gouvernance européenne. Mais il faut aussi évidemment que l'on ait un certain nombre d'accords entre l'ensemble des pays. Il y a une idée à propos du pacte de stabilité comme à propos d'autres sujets que nous ne pouvons pas accepter, ce qu'il y aurait d'un côté l'Europe et de l'autre côté les Etats. L'Europe, c'est nous ; nous sommes l'Europe. Donc, nous voulons une Europe qui fonctionne avec des principes auxquels nous adhérons. Ce qui passe par évidemment des consensus et des compromis. C'est pour ça qu'on a besoin de se voir de temps en temps et d'ajuster nos propositions.
F. Pommier, France Inter : Monsieur Durao Barroso, monsieur Raffarin, vous évoquiez tout à l'heure les créateurs d'emplois que vous avez rencontrés. Dans le même temps, et au Portugal et en France, les taux de chômage ne cessent de grimper, tout particulièrement en France. On s'approche aujourd'hui des 10 %. Quel commentaire cela inspire-t-il chez vous ? Et comment expliquez-vous que vous ne parveniez, ni au Portugal, ni en France à inverser la tendance ?
J. P. Raffarin : Sur ce sujet, je voudrais vous dire que nous sortons d'une période de croissance négative. L'emploi, c'est la croissance ; la croissance, c'est l'emploi. Le premier semestre 2003 a été un semestre de croissance négative. Je vous l'ai dit : depuis 2000, la croissance s'effondre. En 2000, nous avions 4 % de croissance et pas de réforme. En 2001, nous avions divisé la croissance par deux. Et puis, pas de réforme non plus. Et puis, globalement, nous nous trouvons, en 2002, avec une situation de croissance faible et en 2003, au premier semestre, une croissance négative. Et donc il est évident aujourd'hui que nous subissons les conséquences en matière d'emploi de la croissance négative du premier semestre 2003 qui n'est que la suite d'un processus, qui a commencé en 2000, mais qui, selon tous les experts, s'est infléchi au deuxième semestre de l'année 2003. Et aujourd'hui, on annonce pour le troisième trimestre de 2003, une croissance de 0,2, pour le quatrième trimestre 2003, une croissance de 0,4 voire de 0,5. Ce que nous pouvons dire, pour le Portugal comme pour la France c'est que nous sortons d'une zone de croissance négative pour entrer dans une zone de croissance positive. L'Union européenne annonce une croissance positive. La France est aujourd'hui sur une hypothèse de croissance en 2004 de 1,7.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 5 novembre 2003)