Conférence de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, sur la reconstruction et la restauration de la souveraineté en Irak sous la responsabilité de l'ONU, le problème de la prolifération d'armes de destruction massive, de droits de l'homme et de terrorisme en Iran, la mise en oeuvre du plan de paix au Proche-Orient et les relations de l'Union européenne avec Cuba, le Mercosur et la Turquie, Bruxelles le 21 juillet 2003.

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Circonstance : Conseil affaires générales à Bruxelles (Belgique), le 21 juillet 2003

Texte intégral

Je voudrais vous exposer les réflexions de la France sur les grands points qui sont actuellement à l'ordre du jour du Conseil en commençant par la question de l'Irak.
Nous faisons face aujourd'hui en Irak à une situation difficile et je tiens tout d'abord à exprimer ma tristesse et ma profonde émotion devant la mort de soldats britanniques et américains. Je tiens également à dire ma préoccupation, car il s'agit de l'avenir de l'Irak, de son unité, de sa stabilité, comme de celle de l'ensemble de la région. Face à ce défi, nous avons une double conviction : en premier lieu, une approche globale est nécessaire. Nous voyons bien que les problèmes politiques, que les problèmes économiques et de sécurité sont étroitement liés. En second lieu, et c'est toujours la conviction de la France, seules les Nations unies disposent de la légitimité nécessaire pour garantir la stabilité et la reconstruction de l'Irak. Nous mesurons l'ampleur et la difficulté de la tâche. Elle exige de toute la communauté internationale courage et détermination.
La France est prête à assumer ses responsabilités. Elle le fera dans des conditions qui garantissent la pleine efficacité de son action et conformément aux principes qu'elle a toujours défendus. En effet, si la résolution 1483 a constitué une première étape dans l'affirmation du rôle des Nations unies, il faut aller plus loin, si nous voulons être efficaces. Nous devons fonder notre action sur de nouvelles bases. Il faut d'abord une perspective politique. C'est le cur du problème, chacun le voit. Il y a urgence à restaurer la pleine souveraineté du pays. Il est temps de fixer un calendrier afin de redonner aux Irakiens la pleine maîtrise de leur destin. Il faut par ailleurs se donner toutes les chances d'un retour à la sécurité. Ce n'est qu'en plaçant la transition politique en Irak sous la responsabilité globale des Nations unies qu'on pourra y parvenir. Toute participation éventuelle de la France ne pourra donc être éventuellement envisagée que dans le cadre d'une force de paix des Nations unies. Elle devrait être fondée sur un mandat précis du Conseil de sécurité et bénéficier du soutien de l'ensemble de la communauté internationale, en coopération avec les autorités locales.
Enfin, il faut aussi accélérer la reconstruction économique sous l'égide des Nations unies. Cela suppose une exécution efficace et transparente de la dernière phase du programme humanitaire. Cela suppose aussi un meilleur fonctionnement du fonds de développement pour l'Irak. Cela suppose enfin la création d'un fonds financier multilatéral géré collectivement, sous l'égide du PNUD et des institutions financières internationales.
Deuxième grand sujet : l'Iran. Cet exercice de responsabilité collective que nous devons mener sur la scène internationale doit être conduit également dans le cadre de l'Iran. Je reste persuadé que l'Iran doit être encouragé dans la voie des réformes et que les partisans d'une plus grande ouverture doivent être soutenus. C'est pourquoi le choix stratégique de mener un dialogue global, constructif et sans concession avec les autorités de Téhéran reste valide. Il n'est pas dans notre intérêt ni celui de la région d'isoler ce pays. Mais il est clair que l'Iran doit maintenant faire des gestes significatifs pour répondre aux préoccupations de la communauté internationale, notamment sur trois questions majeures.
Premièrement, la prolifération nucléaire : les autorités iraniennes doivent prendre les mesures de confiance qui s'imposent. La signature et la mise en uvre immédiate et sans condition d'un accord de garanties renforcées avec l'Agence internationale de l'Energie atomique, le protocole "93+2", constitueront le premier geste en ce sens.
Deuxième grande question : les Droits de l'Homme. J'ai été profondément choqué par l'arrestation et le décès en détention de la journaliste irano-canadienne, Mme Zahra Kazemi. Nous attendons de Téhéran que toutes les responsabilités dans cette affaire soit établies et sanctionnées. La justice est opaque. Des peines cruelles sont appliquées. Les minorités et les femmes sont victimes de discrimination. Il faut des progrès concrets et rapides.
Troisième grande question : le Proche Orient et le terrorisme. Les autorités iraniennes doivent s'engager clairement dans la lutte contre le terrorisme et adopter une attitude constructive à l'égard des efforts de paix. Nous avons pleinement conscience des défis actuels et de l'urgence d'une solution concertée et globale. Nous devons intervenir ensemble avec lucidité et détermination. L'unité de notre action reste le meilleur gage de sa légitimité et de son efficacité.
Un mot sur le Proche-Orient, puisque vous savez que nous avons ce matin rencontré Sylvan Shalom, le ministre israélien des Affaires étrangères et Nabil Chaath, ministre palestinien. La dynamique positive et encourageante du processus de paix est actuellement à l'uvre. Nous devons en profiter pour accélérer le calendrier de la feuille de route et rétablir la confiance de part et d'autre. Du côté israélien, il est important d'appuyer l'action d'Abou Mazen en permettant à la population palestinienne de percevoir rapidement et concrètement les bénéfices du processus actuel. Du côté de l'Autorité palestinienne, il est important de poursuivre les négociations inter-palestiniennes afin de pérenniser la trêve. Il est important aussi d'élargir et d'accélérer le processus. Dans cet esprit, nous devons, et c'est la conviction de la France, réfléchir à l'organisation de la conférence internationale qui est prévue à la fin de la première phase de la feuille de route. Il est important aussi de préparer la possible tenue d'élections dans les Territoires palestiniens et, de la même façon, de réfléchir à une présence internationale sur le terrain qui pourrait accompagner la mise en uvre de cette feuille de route. Nous considérons que les tentatives visant à marginaliser Yasser Arafat sont contre-productives et ne peuvent que perturber l'action d'Abou Mazen. Nous avons donc réaffirmé la ligne que nous nous sommes fixée collectivement à Kastellorizzo et nous avons dit à M. Shalom que les Israéliens doivent renoncer aux exigences posées sur les visites européennes.
En ce qui concerne les autres sujets, je voudrais juste dire un mot de l'opération Artémis puisqu'elle est intervenue à un moment décisif en montrant la capacité de l'Union européenne et, de façon plus générale de la communauté internationale, à consolider le processus de paix dans les Grands Lacs. La nécessité d'une relève crédible au terme prévu, le 1er septembre, de l'opération Artémis, a sans doute accéléré le processus de prise de conscience de la nécessité de renforcer la MONUC. Je suis particulièrement heureux que l'Union européenne ait pu lancer cette première opération militaire autonome qui marque son engagement en Afrique, avec la France en tant que nation-cadre. Voilà, brièvement, les quelques réflexions que nous inspirent les premières heures de la journée.
Q - Monsieur le Ministre, le chef de la diplomatie israélienne a dit que l'Iran représentait une menace grave pour l'ensemble du monde.
R - Nous l'avons clairement dit. Il y a une inquiétude, un risque, en ce qui concerne la prolifération. C'est pour cela qu'il est important d'agir. Et nous nous concertons pour essayer de déterminer quelle est la meilleure façon d'amener l'Iran à respecter l'ensemble des engagements internationaux importants en la matière et je l'ai dit, au premier chef, de respecter le protocole additionnel de l'AIEA, le protocole "93+2".
Q - Encore sur l'Iran, vous ne considérez pas que l'annonce, hier, d'un test d'un missile d'une portée de 1300 kilomètres est un mauvais signe par rapport à cette volonté de dialogue de la part des Européens ?
R - Nous devons, vis-à-vis de l'Iran, avoir une perspective globale et c'est bien dans ce sens que le dialogue est maintenu avec l'Iran. Nous pensons que, dans un esprit de responsabilité, il est important que l'Iran sache clairement ce que nous attendons de lui et nous devons faire en sorte qu'il puisse en retour savoir ce qu'il obtiendra dès lors qu'il acceptera de satisfaire pleinement aux engagements internationaux. C'est donc dans le cadre de ce dialogue global que nous entretenons avec l'Iran, que nous souhaitons avancer dans un esprit de clarté et de responsabilité.
Q - Et que risque l'Iran s'il ne respecte pas ses obligations ? On parle d'une réévaluation de la coopération en septembre.
R - Nous n'en sommes pas là. Nous voulons croire que le dialogue qui est engagé avec l'Iran, que les efforts menés par l'Agence internationale de l'Energie atomique et les visites successives de M. El Baradeï pourront conduire à la prise de conscience par l'Iran de la nécessité de satisfaire pleinement à ses engagements.
Q - Sur Cuba, vous allez évaluer la situation. Quel est le message que vous voulez transmettre au gouvernement cubain ? Sur le MERCOSUR, envisagez-vous la possibilité d'arriver à un accord l'année prochaine ?
R - En ce qui concerne Cuba, vous connaissez la position de l'Union européenne, vous connaissez la position de la France. Ce sont des postions de fermeté. Le choc des mesures qui ont été prises au début de l'année, en particulier au mois de mars, a été très grand. Toutes ces entorses aux Droits de l'Homme sont inacceptables. Nous avons donc voulu, par la réévaluation de notre coopération, adresser un message extrêmement clair à Cuba. Nous souhaitons néanmoins, évidemment, maintenir la possibilité d'un dialogue, faire en sorte que les messages adressés soient entendus - en particulier quand la France le 14 juillet a décidé d'inviter les responsables dissidents à l'Ambassade de France. Nous souhaitons néanmoins que le dialogue puisse être maintenu et qu'il puisse conduire à une évolution positive du gouvernement cubain.
En ce qui concerne le MERCOSUR, vous savez à quel point nous sommes attachés au développement de nos relations avec cette région, comme d'ailleurs avec toutes les organisations régionales qui se constituent en Amérique Latine. Il y a là un pôle de stabilité et un pôle de développement extrêmement important. Vous savez à quel point l'Union européenne, dans le cadre de la préparation de la réunion ministérielle de Cancun, a fait des efforts, en particulier dans le domaine agricole. Nous avons pris toute une série de décisions et les dernières en date, à travers les accords de Luxembourg, ont clairement marqué la volonté des Européens de se mettre en position dynamique dans le cadre de cette négociation.
Q - J'ai une question sur la Turquie. En Turquie, ces jours-ci, on discute du rôle des militaires par rapport aux civils. A votre avis, améliorer les relations entre les militaires et les civils en Turquie pourrait être le premier principal sujet pour ouvrir les négociations avec la Turquie ?
R - Dans nos relations avec la Turquie, il y a eu des étapes importantes qui ont été franchies au cours des derniers mois. Un processus d'ouverture de réforme est engagé. Il ne m'appartient pas, à ce stade, de commenter les décisions prises par le gouvernement turc. Mais il est évident que l'Union européenne, au premier chef, est intéressée par ces ouvertures, par ce processus de réforme, compte tenu du calendrier qui est le nôtre, qui, comme vous le savez conduira à l'examen de la situation de la Turquie dans le courant 2004.
Q - M. Sharon a demandé que l'Europe rééquilibre son approche au Proche-Orient. Quelle est votre réponse ?
R - Je crois que j'ai été relativement clair. L'Union européenne assume pleinement ses responsabilités, veut jouer tout son rôle au Proche-Orient. Nous avons une politique, nous avons des principes et nous y tenons, en particulier, le souci d'encourager à la fois les Israéliens et les Palestiniens à avancer dans la voie d'un véritable processus de paix. Nous pensons qu'il faut tout faire pour éviter de diviser les Palestiniens, d'où la position de principe qui est la nôtre de maintenir le contact avec le président élu de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat. C'est une ligne constante de l'Union européenne à laquelle nous resterons fidèles.
Q - Monsieur le Ministre, sur l'Irak, premièrement, quelles sont les conditions d'après vous pour une aide de l'Union européenne à la reconstruction de l'Irak ? Deuxièmement, quelles seraient pour vous les conditions pour que la France et d'autres pays européens participent à une stabilisation militaire ?
R - J'ai déjà eu l'occasion de préciser l'ensemble de ces points. Je résumerai brièvement en disant que ce qui est important pour nous, c'est que la responsabilité globale des Nations unies puisse être affirmée. Nous l'avons toujours dit. Nous sommes fidèles aux principes qui sont les nôtres. Les Nations unies doivent avoir une responsabilité centrale dans ce processus de reconstruction irakien qui, comme vous le savez est difficile, compliqué, puisqu'il comporte des aspects à la fois politique, économique et de sécurité. Nous voulons mettre l'accent sur la nécessité de relancer rapidement ce processus politique en fixant un calendrier. Cela nous paraît être, sans doute, la première urgence : permettre aux Irakiens d'entrevoir la pleine souveraineté sur leur pays. Mais ils doivent avoir aussi une perspective de reconstruction économique et nous devons faire en sorte de pouvoir nous doter de tous les outils indispensables à cette reconstruction. Et enfin, sur le plan de la sécurité, notre conviction, c'est que seule une force de paix des Nations unies permettra véritablement de garantir à la fois un processus légitime et un processus efficace dans ce pays. Donc la clé, pour nous, c'est bien évidemment cette responsabilité globale des Nations unies et la possibilité de mettre en uvre une telle force qui puisse être acceptée par tous, et y compris par les autorités locales.
Q - Vous demandez donc une autre résolution ou pas ? Est-ce que vous attendez une autre résolution ?
R - Si, véritablement, il s'agissait d'affirmer ce rôle central des Nations unies, notre conviction, c'est que la résolution 1483, qui a permis de réinsérer les Nations unies dans ce processus irakien, ne serait sans doute pas suffisante et qu'il faudrait, évidemment, une résolution plus ambitieuse qui permette de refixer le cadre global où les Nations unies pourraient véritablement se voir confier cette responsabilité.
Q - Est ce qu'on peut attendre une initiative de la France à ce sujet ?
R - Il vous apparaît, en fins observateurs que vous êtes, que les forces de la coalition sur le terrain, les principaux responsables actuellement présents sur le terrain, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne avec lesquels nous entretenons évidemment un dialogue très soutenu, une concertation très étroite, sont aujourd'hui les premiers concernés. Donc, c'est dans le cadre de cette concertation que nous serons amenés à suivre l'évolution des choses. Mais tout passe d'abord par une évolution, si elle apparaît, de ceux qui sont aujourd'hui engagés sur le terrain.
Q - Monsieur le Ministre, quelles sont les conclusions du CAG sur la peine de mort ?
R - Le débat sur la peine de mort a fait l'objet, je crois, d'un très large consensus sur la nécessité, bien évidemment, d'affirmer le principe d'abolition mais d'éviter de prendre des positions qui pourraient affaiblir, en quelque sorte, la conviction qui est la nôtre du respect fondamental des Droits de l'Homme et des droits de toute personne humaine.
Q - Pourquoi pas un rôle de l'OTAN comme acteur principal en Irak plutôt que les Nations unies ?
R - Vous connaissez, de ce point de vue là, la position constante de la France. Pour ce qui nous concerne, la légitimité est incarnée par les Nations unies et nous pensons que le fait d'avoir une communauté internationale unie abordant la situation de l'Irak est un élément essentiel, une garantie de l'efficacité de cette communauté internationale. Donc, pour nous, tout passe par le respect de cet engagement essentiel qu'est celui des Nations unies et une responsabilité globale, qu'il s'agisse du domaine politique, économique ou de la sécurité.
Q - Certains ministres ont dit que le délai prévu par la présidence italienne pour la Conférence intergouvernementale n'était pas suffisant pour finaliser la nouvelle constitution. Est-ce que vous partagez ce point de vue ?
R - Je sais qu'il y a des points de vue qui peuvent être différents sur cette question. Je le redis parce que la France s'est réjouie du consensus qui s'est exprimé sur une position ambitieuse au terme de la Convention sur le projet de Constitution. Nous pensons donc qu'il est important de s'en tenir au plus près de cette contribution, au plus près de ce projet si l'on veut véritablement avoir toutes les chances d'obtenir une Constitution qui soit à la mesure des besoins de l'Europe. Nous pensons donc qu'il conviendrait de pouvoir arriver à un accord entre Européens dans des délais rapides. Et de ce point de vue là, nous soutenons, bien évidemment, la position de la présidence italienne.
Q - Sur l'Iran, est-ce qu'il y a une issue diplomatique ou bien, autrement, si les Iraniens, disons, vont se raidir , ce sera la confrontation militaire "à l'irakienne" ?
R - Non. Il est évident qu'il faut qu'il y ait une issue politique, une issue diplomatique. Ne pensons à aucun moment à une issue militaire dont on voit bien les conséquences qu'elle pourrait avoir et qui sont tout à fait inadaptées avec notre ambition de stabilité dans la région. Il s'agit de venir à bout d'une inquiétude concernant la prolifération dans cette région et il est important que la communauté internationale se dote des moyens pour ce faire. Et, comme vous le savez, l'Union européenne qui négocie actuellement un accord politique et de coopération avec l'Iran, a un rôle tout à fait particulier à jouer. Nous sommes très désireux d'adresser des messages clairs aux Iraniens, marquant à la fois notre disponibilité mais en même temps notre fermeté quant aux exigences de respect de ses engagements internationaux par l'Iran
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juillet 2003)