Texte intégral
(Déclaration devant la Communauté française, à Libreville le 28 avril 2004) :
Mesdames, Messieurs, merci beaucoup d'avoir répondu à cette invitation, merci à vous, Monsieur l'Ambassadeur, d'avoir pu organiser en un temps assez bref cette rencontre.
C'est ma première visite officielle comme ministre des Affaires étrangères en Afrique et c'était une belle occasion qui m'a conduit hier à Pretoria pour participer, au nom du gouvernement français, comme le souhaitait Jacques Chirac, au dixième anniversaire de la fin de l'apartheid.
Cette semaine a du sens pour la démocratie dans le monde, pour les Droits de l'Homme, puisque aussi bien à Pretoria - c'était le 10ème anniversaire de la fin de l'apartheid et de la libération des Africains du Sud par les Africains du Sud - que chez nous, en Europe, c'est le 1er mai, l'accueil, l'adhésion de dix nouveaux pays qui entrent dans la communauté européenne et, en quelque sorte, une sorte de réunification pour le continent européen ; 10 pays qui, il y a une quinzaine d'années, étaient de l'autre côté du Rideau de fer et, pour certains d'entre eux, je le rappelle, les trois Etats baltes, étaient tout simplement des provinces russes. Donc c'est un événement également majeur que nous célébrons en Europe cette semaine.
Je voudrais, Monsieur l'Ambassadeur, vous remercier de m'accueillir, saluer les ambassadeurs de l'Union européenne qui sont ici - je serai heureux de les saluer personnellement tout à l'heure - et également saluer les délégués du Conseil supérieur des Français de l'étranger et chacune et chacun d'entre vous.
J'ai préparé quelques mots sans trop abuser de votre attention. Mais d'abord, je voudrais vous dire que le ministre des Affaires étrangères, c'est naturellement et c'est totalement le ministre des Français qui vivent à l'étranger. Et j'ai bien l'intention de l'être. En vous rappelant que, moi aussi, pendant cinq ans, j'ai été un Français de l'étranger, puisque j'ai vécu comme résident à Bruxelles où il y a également des Français de l'étranger, mes enfants étaient scolarisés à Bruxelles. Mais je reconnais que, par rapport à notre patrie, la distance était moins lointaine. Je vous dis cela comme un clin d'oeil !
A l'occasion de ce premier déplacement en Afrique, je suis très heureux de vous rencontrer collectivement et, j'espère, autour d'un verre, plus personnellement.
On m'a dit le dynamisme de cette communauté française qui vit et qui travaille au Gabon et participe de si près au développement de ce pays. On m'a dit la diversité de vos engagements, vos responsabilités à Libreville, à Port-Gentil, à Franceville, sur les sites miniers ou forestiers, l'industrie, le commerce, les services, l'éducation, et différents secteurs de coopération naturellement. Je n'oublie pas le rôle de nos soldats, des troupes françaises au Gabon engagées dans beaucoup d'opérations de maintien de la paix dans cette sous-région. On m'a dit aussi - j'ai quelques amis qui ont vécu ici il y a quelques années - qu'on aime ce pays quand on y vit, mais aussi les difficultés qu'on y rencontre quelquefois dans la vie quotidienne quand on est français vivant ici. Je serai heureux de parler aussi franchement que vous le voudrez de ces difficultés tout à l'heure.
Sans doute, Mesdames et Messieurs, vous savez mieux que d'autres, peut-être plus vite que d'autres, combien l'économie doit s'adapter, se diversifier aussi, notamment en tenant compte des ressources dont on dispose. C'est le sens, s'agissant de l'économie de ce pays, de ces Journées économiques franco-gabonaises qui ont eu lieu à Paris en décembre dernier et dont je me suis fait communiquer le compte-rendu. C'était le sens de la visite, il y a quelques semaines, de mon collègue Renaud Dutreil, et voilà pourquoi aussi, s'agissant des grands enjeux économiques de ce pays, je veux vous dire que nous espérons - et nous travaillons à cela - l'adoption d'un programme avec le FMI qui ouvrira la voie à l'aménagement de la dette extérieure au Club de Paris et donc, dans une confiance consolidée, à une relance de l'économie.
Voilà pourquoi, aussi, j'ai été intéressé par l'initiative qui a été prise par le patronat gabonais en liaison avec plusieurs d'entre vous pour travailler au sein d'un Club de Libreville, à la question de la dette intérieure de l'Etat. Il me semble que c'est une initiative à la fois originale et réellement encourageante.
J'ai évoqué un certain nombre de difficultés que certains d'entre vous rencontrent et qui touchent notre communauté à travers certaines préoccupations particulières. Je pense aux doubles nationaux, de plus en plus nombreux. Ils sont français à part entière et la France ne les oublie pas. Je pense aux plus défavorisés parmi cette communauté que vous représentez. Nous avons un devoir de solidarité à l'égard des plus fragiles et des plus faibles à travers les bourses scolaires ou les allocations de solidarité, mais aussi à l'égard des retraités qui ont quelquefois des difficultés à percevoir leur pension.
Eh bien, Mesdames et Messieurs, je prends cette responsabilité passionnante, exigeante que m'a confiée le président de la République et le Premier ministre. Il y a dans l'action extérieure de la France naturellement de l'histoire, naturellement de la politique, naturellement des stratégies. Il y a aussi beaucoup d'économie et parfois de la technique. Mais il y a aussi, et pour moi c'est peut-être le message principal que je voulais vous adresser, une dimension humaine, une dimension humaniste qui sera au coeur de mon action à la tête du Quai d'Orsay.
Voilà pourquoi vous me permettrez de saluer l'action et la conviction de nos compatriotes coopérants, qu'ils soient techniciens ou enseignants, je sais que leur nombre a diminué depuis quelques années, mais je pense que leur rôle est tout à fait essentiel pour le développement de ce pays.
Voilà pourquoi aussi je veux dire un mot particulier de gratitude aux religieux et religieuses qui se dévouent inlassablement dans ce pays.
Mesdames, Messieurs, l'Afrique tient une place particulière dans l'action et le coeur du président de la République, vous le savez. J'ai eu l'occasion d'ailleurs de vous le dire. Sous son impulsion, je vais veiller, avec l'aide du ministre délégué Xavier Darcos, que vous rencontrerez, à ce que nos initiatives, nos moyens, nos engagements restent à la hauteur et à la bonne mesure.
L'Afrique et l'Europe ont des destins liés. J'ai d'ailleurs rencontré le président Konaré qui était venu à la Commission européenne avec les membres de la Commission africaine, il y a quelques semaines et qui nous avait fait une forte impression. Il nous a donné des chiffres en nous interpellant de cette manière : il nous a dit que dans quinze ans, il y aura un milliard et demi d'Africains, huit cent millions d'entre eux auront moins de quinze ans, et un milliard d'entre eux vivront avec moins d'un dollar par jour. Il a ajouté en nous regardant et en nous montrant du doigt - nous étions les vingt commissaires européens - : "Si vous pensez, Mesdames et Messieurs, que cela ne vous concerne pas, vous vous trompez."
Eh bien, pour cette raison là aussi, et quand on mesure le nombre de défis que doit relever ce continent, celui de la démographie que je viens d'évoquer, celui de son développement, celui de son écologie, celui de ses transports, celui de la santé publique, clairement, il y a des raisons au partenariat entre l'Union européenne et ce continent.
Voilà pourquoi aussi je suis heureux que les ambassadeurs de l'Union européenne aient pu ce soir, pour la plupart d'entre eux, nous rejoindre.
Je viens de passer cinq ans dans une commission indépendante. J'avais prêté le serment comme commissaire européen - prêter serment est assez rare pour un homme politique français - d'être indépendant et pourtant je n'ai pas une seconde oublié ma fierté d'être français et mon patriotisme. J'ai participé pendant cinq ans à la construction de ce projet européen à un moment névralgique, celui de son élargissement, à 10, bientôt 12 pays supplémentaires. J'ai eu la chance de travailler au Présidium de la Convention pour rédiger la Constitution européenne. J'ai été en charge, à l'intérieur de l'Union européenne, de l'une des plus belles politiques, celle de la solidarité des régions les plus faibles, qui mobilise le deuxième budget de l'Union européenne et j'arrive au Quai d'Orsay avec cette expérience, naturellement d'autres que je n'oublie pas non plus, celles notamment acquise comme ministre de l'Environnement ou ministre des Affaires européennes, comme élu territorial aussi, ce qui me permettra de porter un oeil assez attentif à toutes les formes de coopération décentralisée et au travail des ONG.
En tout cas, je suis sûr d'une chose, c'est que les politiques africaines de nos différents pays de l'Union, notamment la nôtre - qui est l'une des plus anciennes, des plus diversifiées et des plus fortes, qui mérite d'être consolidée et parfois rénovée -, ces politiques en Afrique, de la France, du Royaume-Uni, du Portugal, de l'Espagne - chacun de nos pays a une politique africaine -, sans abandonner chacune de ces politiques - son identité, sa singularité, et nous y tenons en ce qui nous concerne - , peut-être gagneraient-elles une force supplémentaire si on parvenait à mutualiser un certain nombre d'éléments, d'initiatives et de moyens. J'ai le temps d'y travailler.
Encore une fois sans rien céder de la force spécifique et de l'identité de cette politique française en Afrique, je vais travailler à une politique européenne en Afrique qui sera une politique plus forte, plus mutualisée et davantage partenariale avec ce continent qui s'organise. Aussi. Difficilement, patiemment, des progrès sont accomplis à travers des organisations régionales.
Je voulais vous dire ces quelques mots à l'occasion de cette réception que vous organisez, Monsieur l'Ambassadeur, afin que vous appreniez à connaître d'un peu plus près et un peu mieux le nouveau ministre des Affaires étrangères. Je voulais vous remercier de m'avoir permis de dire ces quelques mots.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mai 2004)
(Point de presse à l'issue de l'audience accordée par le président de la République gabonaise, El Hadj Omar Bongo Ondimba, à Libreville le 28 avril 2004) :
(...)
C'est l'anniversaire de la fin de l'apartheid, c'est à dire un moment important pour toute l'Afrique, mais c'est également un moment important pour moi, un moment très émouvant. Je veux d'ailleurs dire que c'est une semaine importante dans le monde pour la démocratie et pour les Droits de l'Homme.
Hier, à Pretoria, était célébré le 10ème anniversaire de la fin de l'apartheid et de la libération de l'Afrique du Sud par les Sud-Africains. Et puis cette semaine, en Europe, se déroule la réunification du continent européen avec l'accueil dans l'Union de dix pays qui, il y a une dizaine d'années, étaient de l'autre côté du Rideau de fer. C'est donc une semaine importante, une semaine qui a du sens dans le monde pour la démocratie et les Droits de l'Homme.
Revenant de Pretoria, cette étape à Libreville était naturelle pour moi. Je pense que le nouveau ministre des Affaires étrangères français a besoin d'écouter le président du Gabon, le doyen des chefs d'Etat, c'est un homme qui a un regard, une expérience, une expertise tout à fait irremplaçable. Voilà pourquoi je tenais à faire cette étape ici, encore une fois une étape naturelle.
De quoi avons-nous parlé ? Des relations entre la France et le Gabon qui sont des relations très anciennes, qui sont solides et qui vont rester solides ; nous avons parlé aussi des crises et des conflits sur ce continent où les médiations africaines sont pour moi, pour nous, les plus importantes, les plus nécessaires ; naturellement aussi des Nations unies.
Et puis, je lui ai aussi parlé de ce qui se passe en Europe, de cette construction européenne qui continue, et peut-être aussi de cette idée que l'Europe doit avoir une grande politique africaine. Chaque pays, la France, le Royaume Uni, l'Espagne, a une politique en Afrique, une histoire, des amitiés et donc, en tant que Français ici, au Gabon, et dans cette région en Afrique, des relations qui sont très importantes et très durables. Je pense qu'en plus, pour nous renforcer et pour créer ce partenariat avec le continent qui s'organise, qui lui aussi veut avoir une organisation régionale comme l'Union européenne, je pense que l'Europe doit avoir une grande politique africaine.
Q - A propos de ce qui se crée sur le continent, Monsieur le Ministre, quelle est la lecture que vous faites des derniers événements en Côte d'Ivoire avec les déclarations de M. Guillaume Soro qui préconise une sécession ?
R - Ecoutez, notre ligne, notre détermination sont les mêmes. Il n'y a pas d'autre issue pour stabiliser la Côte d'Ivoire qu'un règlement politique. Et ce règlement, nous en avons trouvé le chemin avec l'accord de Marcoussis. Et donc ce que je peux simplement dire, en appelant chacun à sa responsabilité, en appelant chacun à tenir ses engagements, c'est que l'on respecte et que l'on mette en oeuvre l'accord de Marcoussis. Voilà ce que je peux dire.
Q - Monsieur le Ministre, lorsqu'il y a quelques jours, à Paris sur France Inter, vous avez situé la construction européenne au coeur des priorités de votre action, on a eu un peu le sentiment que l'Afrique était oubliée ?
R - Eh bien vous n'avez pas eu le bon compte-rendu de ce que j'ai dit. Et je ne manque pas de saisir cette occasion pour le dire, j'ai parlé au moment même du passage de relais avec Dominique de Villepin, devant l'ensemble du personnel du Quai d'Orsay que nous recevions et j'ai dit :
La France gardera, sous l'impulsion et donc sous l'autorité du président de la République, cette diplomatie de l'action et de l'initiative, notamment pour apporter, chaque fois que nous le pourrons, notre part, notre contribution, pour régler les conflits, pour stabiliser, avec d'autres et notamment dans le cadre des Nations unies. Cela a été mon premier point.
Mon deuxième point a été de dire, naturellement, que la France, qui a voulu le projet européen depuis cinquante ans comme un projet de paix et de stabilité sur le continent européen, un projet ouvert devait continuer à être en quête de ce projet, notamment dans une période où l'Europe ne doit pas seulement être un grand supermarché, mais également une communauté solidaire à l'intérieur et vers l'extérieur et une puissance politique, un acteur global. Une politique africaine de l'Europe fait partie de ce projet ouvert.
Et puis, enfin, une troisième priorité avec le formidable outil qu'est le ministère des Affaires étrangères et tous ceux qui en font partie de près ou de loin, le réseau diplomatique, le réseau consulaire, les Français de l'étranger. J'ai aussi tout à l'heure salué et remercié les dix mille Français qui vivent ici au Gabon, les instituts culturels. J'ai dit que l'action culturelle de la France, l'influence française, notre langue seraient ma troisième priorité.
Q - Vous avez parlé du partenariat, vous défendez l'idée d'un partenariat Europe/Afrique. Quel rôle pensez-vous que notre pays et son président puissent jouer dans ce partenariat Europe / Afrique ?
R - Ce partenariat est en marche. Nous avons reçu l'autre jour le président de la Commission de l'Union africaine avec qui j'ai eu un très long entretien hier à Pretoria. Je verrai le président de l'Union africaine dans quelques jours à Paris, qui sera reçu par le président Jacques Chirac. Donc ce partenariat est en marche et nous sommes très attentifs, sans donner de leçon, tout simplement en offrant notre expérience. Depuis cinquante ans, le projet européen est en route. Sans donner de leçons nous sommes très attentifs à toutes les formes d'organisation régionale dans le cadre de l'Union africaine et des organisations sous-régionales qui se construisent ici. Mais je trouve que cette ambition d'organiser l'action commune, l'action solidaire des pays africains est extrêmement positive. Et une fois que ces constructions se consolident et que, du côté européen, il y a ce projet européen qui se consolide, on voit bien qu'il y a des raisons à ce partenariat. Et tous les défis, qui sont ceux du continent africain, le défi du développement, de la démographie, le défi de l'écologie, de la santé, de la lutte contre les grandes maladies, les transports, tous ces défis ne peuvent pas laisser indifférents le continent européen.
Alors vous m'interrogez sur le rôle que le président Bongo peut jouer. Mais il est majeur. Voilà un homme qui est en charge depuis de très nombreuses années des affaires d'un des pays importants, puissants du continent africain, il a une expérience irremplaçable. Ce rôle-là est tout à fait majeur pour entraîner, pour encourager, pour consolider cette construction d'une Afrique qui s'unit et qui est solidaire.
Q - Le président ivoirien plaide pour un ...
R - J'ai entendu cette proposition et nous allons l'étudier. Je ne veux pas faire d'autre commentaire aujourd'hui sauf pour dire que la situation de la Côte d'Ivoire est une situation qui est très difficile et qui va rester difficile. Nous avons une sorte de feuille de route avec l'accord de Marcoussis et je souhaite vraiment que chacun mesure sa responsabilité comme nous mesurons la nôtre dans le cadre des Nations unies pour que les engagements pris soient respectés et que cette feuille de route soit mise en oeuvre.
Q - Il reste une question, Monsieur le Ministre. Les relations entre la France et le Gabon sont solides et demeureront solides. Nous avons un contrat dans un an, les présidentielles. Est-ce que le délai est à l'ordre du jour entre le Gabon et la France ?
R - Ecoutez, oui, je pense que nous avons à consolider encore, si c'est possible, nos relations, à un moment où l'économie gabonaise, en fonction des ressources naturelles, doit s'appuyer sur ses atouts, diversifier son économie et nous allons être attentifs et accompagner cette diversification. Mais permettez-moi de ne pas intervenir dans un débat politique actuel. Ce n'est pas comme ministre français des Affaires étrangères que je vais dire ici comment il faut voter. Donc chacun doit tenir son rôle.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mai 2004)