Point de presse de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec son homologue égyptien et entretien à "Nile News", sur les relations entre la France et l'Egypte, l'Irak et la situation au Proche-Orient, Le Caire le 21 juin 2004.

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Circonstance : Voyage de Michel Barnier en Egypte et en Jordanie, du 20 au 22 juin 2004

Média : Nile News - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

(Point de presse de Michel Barnier, lors de sa rencontre avec le ministre égyptien des affaires étrangères, M. Ahmed Maher, au Caire le 21 juin 2004) :
Mesdames, Messieurs,
Ces entretiens, comme l'a dit M. Ahmed Maher, ont été marqués par beaucoup d'amitié et de cordialité et cela était le cas, je dois le dire, dès le premier de nos entretiens puisque c'est la troisième fois que nous nous rencontrons après Paris, Dublin et Le Caire. Je suis très touché de l'amitié et de la qualité de cette relation qui est exactement proportionnelle et à la mesure des relations amicales qui existent entre le président Chirac et le président Moubarak.
Naturellement j'aurai une autre occasion de rencontrer le président Moubarak à qui le président de la République française a souhaité dire ses voeux de très prompt rétablissement à la suite du problème de santé qu'il a et je sais que nous aurons soit en octobre à Paris soit auparavant d'autres occasions de nous rencontrer.
Personnellement, Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de retrouver ce pays cette fois-ci comme ministre des Affaires étrangères et pour ma première visite officielle, un pays dont, je dois le dire, j'ai beaucoup entendu parlé personnellement et familialement puisque mon grand-père a été médecin ici pendant plusieurs dizaines d'années et ma mère elle-même a vécu 18 ans en Égypte, soit au Caire, soit en Haute Égypte.
Depuis très longtemps, nous considérons que ce grand pays qui est le vôtre est un pays qui a une place particulière dans notre coeur et par son partenariat avec la France et c'est un pays aussi qui a une place stratégique dans cette région, stratégique encore une fois pour nos relations politiques, économiques et culturelles mais stratégique aussi pour la paix et la stabilité. C'est donc précisément pour cette raison que j'ai voulu commencer ma première visite au Proche-Orient ici au Caire.
Nous avons beaucoup à faire, entre nous et avec les autres pays de cette région et avec les pays européens pour retrouver le chemin de la stabilité et de la paix, qu'il s'agisse de l'Irak ou du conflit israélo-palestinien.
J'ai, naturellement, à propos de l'Irak, indiqué à M. Ahmed Maher dans quel esprit nous avons travaillé avec les autres pays européens, avec la Russie dans un dialogue qui a été un vrai dialogue avec les Américains à cette résolution 1546 pour engager dans les meilleures conditions possibles un processus politique de sortie de cette tragédie irakienne.
La condition de cette sortie politique par le haut de cette tragédie irakienne, c'était naturellement que le nouveau gouvernement à Bagdad soit un gouvernement souverain et qu'il ait la capacité de gérer lui-même le destin des affaires de l'Irak.
C'est maintenant à partir du premier juillet, à travers nos négociations avec le gouvernement irakien, que nous allons trouver les voies et les moyens de participer en tant qu'Européens et en tant que Français à la reconstruction politique et économique de ce pays.
Naturellement dans cette région, dans votre région Mesdames et Messieurs, le conflit qui est au centre de toutes les frustrations, de toutes les instabilités, de toutes les humiliations, c'est le conflit entre Israël et les Palestiniens. Nous avons sur cette question majeure pour vous, pour nous, pour le monde entier, partagé les mêmes préoccupations, les mêmes analyses et le même volontarisme parce qu'il n'y a pas pour nous de fatalité. Nous pensons qu'il faut arrêter cette spirale de violence, de sang et d'instabilité.
Le moment est venu de donner un nouvel élan au processus de paix, et c'est pour ce nouvel élan que les Européens ensemble, ils l'ont redit il y a quelques jours à Bruxelles au moment même où nous avons approuvé la nouvelle Constitution européenne, sont prêts à s'engager et c'est aussi le sens de ma venue aujourd'hui.
Les principes sont les nôtres et ce sont ceux du droit international. Les résolutions du Conseil de sécurité, le principe de la terre contre la paix qui a été posé par la Conférence de Madrid en 1991, ce sont des principes qui ont été enrichis par l'initiative arabe de paix, endossée par le sommet arabe de Beyrouth et réaffirmée récemment à Tunis. Voilà les principes.
L'objectif aussi est clair. C'est celui toujours et encore, jusqu'à ce qu'on réussisse, celui de deux États, Israël et la Palestine, qui vivent côte à côte dans la paix et dans la sécurité. La méthode aussi est entre nos mains et nous y sommes attachés parce qu'il n'y a pas d'alternative à celle de ce chemin tracé par la Feuille de route et à ce parrainage si je puis dire avec les pays de la région dont le vôtre à l'intérieur du Quartet dont l'Union européenne fait partie.
Et voilà pourquoi je veux dire ici publiquement que nous soutenons et nous allons soutenir et nous voulons saluer l'implication, l'engagement de l'Égypte dans cette phase qui doit venir au retrait israélien de Gaza, et de permettre aux Palestiniens de reprendre dans de bonnes conditions le contrôle du territoire de Gaza, qui est naturellement pour vous et pour nous une étape de la Feuille de route.
L'initiative du retrait de Gaza est une opportunité pour ce que j'ai appelé de nos vux qui est la relance du processus de paix et donc il faut saisir cette opportunité et la réussir et je pense que l'engagement de l'Égypte est une des clés pour réussir les premières étapes, si je puis dire, de cette étape-là qui est le retrait de Gaza.
J'ai parlé du Quartet auquel nous attachons beaucoup d'importance, nous l'avons redit à nos partenaires américains et avec les Russes et au sein des Nations unies. C'est dans ce cadre qu'il nous faut préparer, dès que possible, les représentants d'Israël et les autorités palestiniennes à la reprise du dialogue sans lequel il n'y aura pas de relance.
C'est aussi dans le cadre du Quartet qu'on pourrait préparer l'organisation d'une conférence élargie qui réunirait tous ceux qui sont disposés à apporter leur contribution à la paix.
Ma visite aussi aujourd'hui c'était l'occasion de dire devant le ministre égyptien des Affaires étrangères et aux citoyens de ce pays qui sont si proches et qui ont une telle inquiétude qui est la nôtre, que l'Union européenne veut faire preuve de ce volontarisme pour la relance du processus de paix. C'est ce message-là que je porterai la semaine prochaine à Ramallah où j'irai rencontrer le président Arafat et que je porterai un peu plus tard dans ma visite bilatérale en Israël.
L'Égypte a au Sud une relation géographique, historique, affective avec le Soudan. Donc nous avons naturellement évoqué la crise dans ce pays, aussi bien au Sud dont on est en train de sortir que dans le Darfour.
Le secrétaire d'État aux Affaires étrangères est actuellement même dans cette région au Soudan et il va visiter le Darfour participant au côté de l'Union africaine au processus de stabilisation. Nous avons même dans la mission d'observation un officier français qui participera à la commission du cessez le feu. Nous sommes heureux, le ministre me disait, de la décision de désarmer les milices, de réouvrir les voix de réapprovisionnement humanitaire et donc nous allons travailler dans le Darfour et au Sud, comme le ministre, l'a proposé ensemble, Européens et Égyptiens, Français et Égyptiens.
Je suis très heureux enfin que la cohérence, la concordance de nos analyses politiques, économiques, de notre vision de cette région et du monde soient confirmées également par l'excellence de nos relations bilatérales. Sur le plan économique, avec l'engagement et le partenariat de grands groupes français qui participent à la modernisation et au développement de l'Égypte et puis sur le plan culturel avec un très grand dynamisme ancien, relancé par l'ouverture de l'Université française d'Égypte. Et puis, s'agissant d'histoire, de partenariat culturel, je pense notamment à la place que tiendra l'Égypte en France à l'occasion d'une très grande exposition à l'Institut du Monde arabe sur les pharaons et ce sera l'occasion pour nous d'accueillir avec beaucoup de joie et de plaisir le président Moubarak en octobre prochain à Paris.
Je vous remercie.
Q - Monsieur Barnier, quel est le rôle que doit jouer l'Union européenne après un retrait israélien de Gaza ?
R - Je crois qu'il faut prendre les choses dans l'ordre. Il faut réussir cette étape et nous pensons, je le redis franchement, que l'engagement égyptien dans ce dialogue fragile mais nécessaire entre Israéliens et Palestiniens pour réussir le retrait de Gaza, l'engagement égyptien est absolument stratégique. Voilà pourquoi je voulais dire notre soutien à cet engagement. Réussir le retrait de Gaza, il me semble que c'est ce qui a été promis par le gouvernement israélien. Cela passe concrètement par des conditions dans beaucoup de domaines, qu'il s'agisse des étapes de ce retrait, de la sécurité, - c'est un sujet sur lequel travaille le gouvernement égyptien -, les accès à Gaza pour que Gaza soit viable, la circulation des hommes et des femmes qui y travaillent, les services publics sur deux sujets que je viens de citer, la sécurité le moment voulu, la formation des hommes et des femmes et les services publics dont Gaza, pour être viable, a besoin. Nous savons, nous, Européens, de quoi nous parlons puisque nous avons financé dans le passé, largement, des équipements publics qu'il faut reconstruire maintenant. Donc, sur tous ces sujets, l'Union européenne a marqué sa disponibilité mais encore une fois, il faut prendre les choses une par une et les prendre dans le bon ordre. Mais nous avons marqué notre disponibilité pour participer y compris, le moment venu et le cas échéant, à travers une présence internationale dont il faudra déterminer la configuration pour réussir cette première étape. Dès l'instant où nous allons parler d'un nouvel élan au processus de paix, où le retrait de Gaza est un des éléments et de cette Feuille de route et de ce processus de paix, nous devons réussir avec les Palestiniens, avec les Israéliens et aux côtés des pays de la région, ce retrait comme une première étape.
Q - Monsieur Barnier, que fera l'Europe si le retrait israélien de Gaza s'arrête à Gaza, ce que beaucoup dans le monde arabe pense, que M. Sharon n'ira pas plus loin que Gaza ?
R - On ne réussit pas à relancer ce processus de paix si on commence par des procès d'intention. Ce que j'observe simplement en tant que ministre français, en tant que ministre européen aussi, c'est qu'à Washington et dans les récentes réunions, on a réaffirmé le cadre partenarial du Quartet où Russes, Européens, Américains, Nations unies se retrouvent. Et, j'ai moi-même dit en quoi le Quartet était important, y compris pour réussir le retrait de Gaza. J'observe qu'à l'intérieur du Quartet, nous avons réaffirmé notre attachement à la Feuille de route qui trace le chemin et les étapes pour aboutir à ces deux États vivant côte à côte dans la sécurité, dans la paix et dans la viabilité. Cette Feuille de route a été approuvée par les Palestiniens et par les Israéliens. Elle est soutenue par les pays de la région et il n'y a pas d'alternative. Cette Feuille de route forme un tout, même si nous savons qu'elle sera progressivement mise en oeuvre et donc c'est vraiment une première étape dont nous parlons et qu'il faut réussir mais une première étape dans un plan d'ensemble auquel nous sommes attachés.
Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec la chaîne égyptienne "Nile News", au Caire le 21 juin 2004) :
Q - Monsieur Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères, bienvenu en Égypte, au Caire et sur notre chaîne. L'itinéraire de votre tournée au Proche-orient, montre que le processus de paix israélo-palestinien est une priorité pour la politique étrangère française. Aujourd'hui, qu'est ce que la France apporte de nouveau pour ce dossier ?
R - Bonjour et merci de m'accueillir sur votre chaîne. Permettez-moi de saluer les Égyptiens et Égyptiennes qui nous regardent et qui veulent mieux connaître et comprendre, non seulement le ministre des Affaires étrangères de la France, mais aussi la politique que nous voulons conduire aux côtés de l'Égypte et avec elle, puisque sur ce conflit comme sur d'autres points, nous avons des positions très, très proches les uns des autres. Ce conflit entre Israël et les Palestiniens est pour nous et pour vous au coeur de tous les risques. Il est la source de beaucoup de frustrations, d'humiliations et d'instabilités. Pour cette région, dont vous êtes partie prenante, mais également pour le monde entier, nous voulons encourager le dialogue entre Israéliens et Palestiniens et relancer le processus de paix. La France souhaite que l'on reprenne la voie qui a été fixée par cette fameuse "Feuille de route". Le retrait israélien de la bande de Gaza n'est qu'une étape sur le chemin du processus de paix qui doit aboutir à l'objectif sur lequel nous sommes d'accord : celui de deux États, celui d'un État israélien et d'un État palestinien qui marchent côte à côte dans la paix et la sécurité.
Q - Mais est-ce que la Feuille de route a encore une valeur actuellement ?
R - Si on abandonne cette Feuille de route, si on renonce au travail que nous avons fait, nous Européens avec les Américains, avec les Nations unies et les Russes dans le Quartet, qu'est ce qu'il reste ? Le chaos. Cette spirale de violence, de sang et de terreur. Il ne reste alors plus aucune perspective de futur pour les jeunes Israéliens et Palestiniens. Nous n'avons pas le choix, il faut reprendre cette route, toutes les initiatives qui peuvent remettre en marche ce processus doivent être prises. J'ai eu une conversation très utile avec M. Maher, le ministre des Affaires étrangères égyptien et avec d'autres dirigeants de ce pays pour soutenir et reprendre ces initiatives et notamment l'engagement à reprendre le dialogue et réussir cette première étape qui est le retrait de Gaza.
Q - Comment voyez-vous le rôle des Égyptiens dans la perspective du retrait israélien de Gaza ?
R - Comme je vous l'ai dit, pour ma première visite au Proche-Orient, j'ai voulu commencer aujourd'hui par Le Caire, demain la Jordanie et j'irai la semaine prochaine rencontrer le président Arafat à Ramallah. Je ferai, par ailleurs, une visite dans quelques semaines à Tel Aviv. Votre pays, qui a fait la paix avec Israël, est un point névralgique. Il est un des pays qui possède ce dialogue avec les deux parties et a pris des initiatives notamment pour réussir cette première étape qu'est le retrait de Gaza et aider l'Autorité palestinienne à assurer sa sécurité. Donc nous sommes solidaires, nous Européens, - je ne parle pas ici seulement comme Français- à accompagner cette initiative et par différents moyens à assurer la réussite du processus de retrait de Gaza.
Q - Ce mois-ci, vous allez rencontrer le président Arafat dans les Territoires palestiniens, nous avons entendu parler de pressions israéliennes pour empêcher cette rencontre?
R - Non, il n'y a pas eu de pressions. J'irai la semaine prochaine à Ramallah pour y rencontrer le président Arafat, qui est le chef de l'Autorité palestinienne, qui a une vraie autorité et qui doit être respecté et écouté. Il n'y a pas de fin à ce conflit contre ou sans Arafat avec lequel il faut travailler. Je vais donc lui parler franchement.
Q - Sur un autre point, il vient d'y avoir une campagne en France, pour relancer l'émigration juive vers Israël, peut-on dire que la politique étrangère française va changer ?
R - Le choix de venir vivre en Israël pour un juif français est un choix strictement personnel et qui est par ailleurs un choix tout à fait respectable. Le gouvernement français et le président de la République française sont intransigeants pour tout ce qui touche au respect des hommes et des femmes quelle que soit leur religion. Nous sommes intransigeants sur toutes les formes d'antisémitisme, de racisme et de xénophobie. Le gouvernement français a une politique extrêmement rigoureuse contre toutes ces tentatives, toutes ces menaces et je pense qu'en Israël, comme dans les autres pays on sait cela.
Q - Sur le dossier irakien, le 30 juin doit être, espérons-le, une date charnière dans ce dossier, comment voyez-vous le rôle des Français dans la période à venir ?
R - D'abord il faut regarder devant nous, et ne pas donner de leçons sur le passé. Chacun connaît l'analyse que nous avons faite de cette crise et nous sommes maintenant au début d'un nouveau processus dans le cadre des Nations unies, comme nous l'avons demandé depuis longtemps. Voilà pourquoi nous avons travaillé d'une manière constructive à cette résolution des Nations Unies qui a été adoptée à l'unanimité. Cette résolution encadre le processus politique, avec un nouveau gouvernement dirigé par M. Allaoui, et la préparation au mois de janvier 2005 d'élections. Nous sommes attachés à dire que le destin de l'Irak est l'affaire des Irakiens, que le gouvernement irakien doit être responsable, souverain, maître de son destin. Il doit avoir toutes les compétences qui sont celles d'un gouvernement souverain et être accepté par les forces politiques et les différentes communautés. Il me semble que cela est à peu près garanti aujourd'hui. Désormais une chance existe, même s'il faut être vigilant, même si elle est fragile, que s'enclenche un processus de sortie de la crise, non pas par les armes, ni par la violence, mais par le processus politique et finalement démocratique. Si les choses se déroulent comme nous l'espérons, nous sommes prêts, à la demande du gouvernement irakien, à participer non pas seulement en tant que Français mais en tant qu'Européens à la reconstruction économique et politique de l'Irak.
Q - Qui doit donc assurer la sécurité en Irak pendant la période de la reconstruction ?
R - Cela dépend de la durée de la reconstruction, qui va être longue dans les premiers mois, entre juin et janvier et probablement jusqu'à la fin de l'année 2005. C'est le gouvernement irakien qui dira ce qu'il souhaite et il y aura une force multinationale issue de la coalition actuelle. Ce ne sera plus l'occupation. Ce sera une force de stabilisation mais pour laquelle, nous avons tenu à cela, le gouvernement irakien aura son mot à dire. Il dirigera lui-même les forces militaires irakiennes, sera consulté sur les opérations de sécurité et pourra dire, au plus tard en décembre 2005, s'il souhaite ou pas que cette force multinationale reste en Irak. Il me semble que le pouvoir, la responsabilité du gouvernement irakien, est très important et nous sommes très heureux de cela.
Q - Monsieur le Ministre, ne croyez-vous pas que la décision américaine de déclencher la guerre en Irak a affaibli le rôle de l'Union européenne sur la scène internationale ?
R - Encore une fois, regarder en arrière ne nous aidera pas à sortir de ce problème, ce n'est pas le moment de faire cela, chacun sait dans quelles conditions cette guerre a été déclenchée, ce que pensaient les uns ou les autres. Les Européens n'étaient pas unis sur cette question, il y avait des divisions.
Q - Pour ne pas regarder en arrière, mais regarder en avant, qu'est ce que vous pouvez faire pour équilibrer l'Europe ?
R - Votre question est large. L'Union européenne a été unanime pour travailler avec la Russie, les autres membres du Conseil de sécurité, les États-Unis, à cette nouvelle résolution. C'est pour cela qu'elle a été adoptée à l'unanimité. C'est très important que les Européens aient été unis sur cette question, de même que nous sommes unis sur l'analyse que nous faisons du conflit israélo-palestinien, de la manière, la seule manière d'en sortir, par la négociation politique, la concertation et le dialogue entre les parties. Vous voyez donc que l'Union européenne est en train de retrouver une certaine unité politique. D'ailleurs, il y a quelques jours à Bruxelles, les vingt-cinq chefs d'État et de gouvernement, ont approuvé le projet de Constitution européenne qui apporte les premiers outils d'une vraie capacité politique européenne. Nous allons avoir bientôt un ministre des Affaires étrangères européen, non pas pour remplacer les ministres nationaux, mais pour conforter, augmenter leur capacité d'action; nous allons avoir une politique de défense européenne. Donc, s'agissant de ce monde très instable avec une insécurité globale, et notamment dans cette région, mais qui nous concerne tout autant que le reste du monde, l'Europe veut jouer un rôle. Nous voulons construire un monde plus équilibré où il n'y aurait pas seulement une seule super puissance. Les pays arabes vont se développer et nous les y aiderons en les respectant. L'Europe s'est organisée, elle s'élargit avec l'adhésion des pays d'Europe centrale. L'Asie va s'organiser, l'Amérique du Sud, l'Afrique Nous voulons ce monde entre plusieurs pôles qui dialoguent entre eux et qui s'organisent. L'Europe va jouer ce rôle et se donner la capacité politique d'être dans ces discussions pour réaliser un monde plus solidaire, plus pacifique et plus stable.
Q - Quels sont les points communs entre la politique de la France et des États-Unis en ce qui concerne les questions du Moyen-Orient ?
R - Mais je ne conçois pas notre dialogue avec les États-Unis sous une forme d'agressivité ou de différence. Nous avons l'idée, quand nous regardons le monde arabe, en écoutant les gouvernements et en les respectant et la société civile qui existe et qui s'organise, elle aussi, de d'abord chercher à faire confiance et avoir un vrai partenariat. Voilà ce que nous avons dit au sujet de l'initiative américaine sur le grand Moyen-Orient. Nous avons ce processus européen de dialogue avec l'autre rive de la Méditerranée dans le cadre de Barcelone, donc nous ne cherchons pas à exprimer des oppositions, encore moins de l'agressivité. Nous avons cette idée que le monde ne peut pas être organisé avec une seule super puissance, il faut davantage d'équilibre, de pôles. Nous voulons être un de ces pôles et encourager les pays arabes à être un jour un autre pôle économique et politique solide.
Q - Si nous parlions de l'Égypte et de la France. Quels sont les autres domaines de coopération bilatérale entre la France et l'Égypte mis à part la coopération dans le domaine politique ?
R - Évidemment sur les grands conflits, les sujets qui touchent cette région, l'Irak, le conflit israélo-palestinien, nous avons des points de vue qui sont les mêmes et nous travaillons ensemble. Mais nous avons aussi une relation d'amitié de plusieurs siècles à laquelle il faut rester fidèle et qu'il faut aussi faire vivre avec son temps, avec les problèmes d'aujourd'hui. Cela justifie par exemple que l'Égypte soit un des tous premiers pays auxquels nous apportions une aide pour son propre développement. Nous travaillons ainsi d'une manière bilatérale avec les entreprises, les moyens de l'État français sur le plan de l'économie, la culture, l'archéologie et l'éducation Dans tous ces réseaux, tous ces domaines de coopération entre l'Égypte et la France nous essayons d'encourager votre pays.
Q - Monsieur Barnier, c'est votre première visite en Égypte et je crois savoir que votre mère à vécu ici jusqu'à ses 18 ans, quelle était votre idée de l'Égypte avant de venir ici?
R - C'est ma première visite officielle mais comme vous l'avez dit j'ai un attachement personnel puisque mon grand-père était médecin pendant très longtemps, ici au Caire et en Haute Égypte. Ma mère a vécu ici ses 18 premières années. Ils m'ont parlé l'un et l'autre de ce pays qu'ils ont connu et aimé, à une autre époque, entre les deux guerres mondiales. L'Égypte a changé, se modernise, s'est ouverte. J'avais l'image d'un pays avec une des cultures les plus anciennes, prestigieuses et importantes du monde, d'un très grand pays à la population très jeune et l'impression que j'en retire aujourd'hui est celle d'un pays qui a une ambition légitime, qui se trouve au coeur, par sa situation géographique, de beaucoup de problèmes et qui peut aider à les résoudre. Bien sûr, le conflit israélo-palestinien, bien sûr, avec les autres pays de la région, la reconstruction de l'Irak, mais aussi éviter des crises comme le gouvernement égyptien s'y efforce au Sud, et je veux parler du Soudan. Sur tous ces sujets, l'Égypte, par son propre gré, a un très grand rôle à jouer. Je voulais le dire à tous les Égyptiens et Égyptiennes qui nous écoutent comme je l'ai dit aux dirigeants que j'ai rencontrés : la France reste aux côtés de l'Égypte pour relever ces défis.
Q - Monsieur Michel Barnier, merci pour cette interview sur notre chaîne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2004)