Texte intégral
Les coulisses de la Loi
" Connaissance de l'Assemblée ", cette collection, dont le présent volume est le douzième numéro, se veut tout un programme en un seul intitulé. Programme de publications certes, programme aussi pour rétablir la perception parfois altérée et lointaine qu'ont les Français de la représentation nationale. Pour nombre de nos concitoyens, il faut bien l'admettre, la connaissance du Palais Bourbon se résume à une colonnade, quelques images télévisées pas toujours flatteuses aperçues un mardi ou un mercredi, bref un ensemble de clichés disparates et, somme toute, assez réducteurs de la vie parlementaire. Joutes verbales, affrontements politiciens, débats trop techniques, faiblesse des assemblées, manoeuvres d'obstruction, procédures peu compréhensibles, gestes et cris voilà à quoi se réduit souvent dans l'opinion publique le quotidien de notre institution. Soyons honnêtes, nous ne sommes pas pour rien dans le succès de cette légende peu dorée. Je le regrette évidemment. Mais, cette vision sévère, quand bien même aurait-elle certains fondements, masque la réalité de la vie de l'Assemblée, celle d'un espace institutionnel où l'on travaille, où l'on débat, où l'on améliore, amende et contrôle la Loi généralement rédigée par le Gouvernement.
Les commissions, leur fonctionnement et leurs travaux, sont plus particulièrement au cour de cette méconnaissance qui handicape l'Assemblée et participe de la dévalorisation qui entoure "la" et "le" politique. Sans forcer le trait, on peut même affirmer qu'elles sont le coeur du paradoxe parlementaire, car ces instances de réflexion, ces ateliers de rédaction sont le lieu où le travail législatif est souvent le plus efficace, le plus approfondi. Plus grave leur rôle, pourtant fondamental dans la procédure d'élaboration de la Loi comme dans le contrôle parlementaire, n'est discerné que par de trop rares spécialistes. Tradition historique et constitutionnelle, marque de l'exception française, le vote de la loi est en effet assimilé au seul et noble hémicycle. Tout le reste ne vaudrait rien. Entre gradins patriciens et toilettages ancillaires, le choix serait évident. Seul indice d'une vie antérieure à son adoption pour un texte de loi, le banc réservé aux commissions, au premier rang, à côté de celui du Gouvernement. Maigre consolation qui ne s'accompagne pas même du confort d'un fauteuil particulier venant compenser les heures et les journées passées par les "commissaires" à débroussailler un florilège d'articles pas toujours bien fagotés. Pourtant s'il fallait retenir un critère pour estimer le poids réel du Parlement vis à vis de l'exécutif, quel que soit le caractère du régime, ce serait justement celui de la place donnée aux commissions.
Dans ce domaine comme dans d'autres, la Vème République a marqué une rupture. Tout en restant théoriquement attaché au régime parlementaire, Michel Debré, dans son inébranlable volonté de le rationaliser, de l'ultra rationaliser, n'a pas manqué d'en tirer les plus dures conséquences quant à la place des commissions. La IVe République et ses tourments étaient dans tous les esprits. Le texte constitutionnel de 1958 fait foi. S'écartant des pratiques des républiques antérieures, le nombre de commissions serait limité à six. Leurs travaux ne serviraient plus de base à la discussion parlementaire qui, preuve éloquente, devait redémarrer à zéro dans l'hémicycle. Les commissions permanentes se verraient également concurrencées par des " commissions spéciales ". On ne pouvait être plus clair.
Dans cette perspective, le renforcement du rôle des commissions, auquel se sont efforcés plusieurs présidents successifs de l'Assemblée nationale, vise précisément à changer un état de choses qui finissait par être nuisible. Pour rééquilibrer l'activité parlementaire, revaloriser les travaux des commissions est une étape indispensable, un signal et un message fort adressé à l'exécutif. Cette renaissance attendue a toujours été l'une de mes priorités. Oui, l'activité des commissions parlementaires est gage d'efficacité. Oui, les discussions qui s'y déroulent permettent d'approfondir les analyses, de rapprocher les points de vue. Oui, plus la préparation de l'examen d'un texte est minutieuse en commission, mieux ses conséquences sont évaluées, plus la loi est claire et bien rédigée, plus elle a de chances de durer et de s'appliquer d'une manière satisfaisante. Si, parfois, existe le sentiment que " tout est joué " lorsque s'ouvre la discussion d'un texte dans l'hémicycle, une telle impression n'existe pas lors de l'examen du texte en commission. On peut alors souvent bouger les lignes. C'est dire l'importance de leur vitalité retrouvée.
Les commissions sont bien le territoire des libertés parlementaires, le coup de projecteur donné par des spécialistes d'un secteur sur la loi. Pour accroître la place et le rôle de ces instances, diverses expériences d'importance inégale ont été menées à bien depuis quelques années : ouverture des réunions de commissions aux députés qui n'en sont pas membres, pouvoirs d'enquête confiés aux commissions permanentes à leur demande, nouveaux moyens mis à disposition des commissions permanentes, contrôle, au stade de son élaboration, du droit communautaire dérivé en application de l'article 88-4 de la Constitution, discussion de certains budgets en commissions élargies à l'ensemble des députés, renforcement des pouvoirs de commissions d'enquête. J'y ajoute, depuis quelques années, les procédures très utiles d'examen simplifiées qui pour plusieurs dizaines de textes chaque année, en raison de leur technicité ou de leur grande simplicité, ne prévoient qu'un examen rapide en séance publique renvoyant le gros du travail vers des commissions faites pour cela.
Aujourd'hui, c'est surtout dans leur fonction de contrôle que les commissions doivent être renforcées. La mise en place, en 1999, d'une mission permanente d'évaluation et de contrôle (MEC), émanation de la commission des finances, co-présidée à l'origine par la majorité et l'opposition et qui doit s'imposer comme un instrument efficace d'évaluation et de correction de la politique budgétaire, en est un exemple. Autre chantier, la publicité donnée aux travaux des commissions. En effet, si beaucoup de parlementaires préfèrent le travail dans l'hémicycle c'est peut être parce qu'il fait l'objet de plusieurs compte rendus intégraux, notamment au Journal officiel, qui leur permettent de valoriser davantage leurs interventions. La relative confidentialité des débats en commission était un obstacle à leur développement. Sans faire disparaître le secret là où il est nécessaire, un remède a commencé d'être apporté à cette situation. Les comptes rendus des réunions de commission désormais largement diffusés et les nombreux rapports qu'elles publient y compris sous forme de CD-ROM attestent de l'importance et de la variété de leurs activités. Demain ce sera par le biais de l'audio visuel, sur La Chaîne Parlementaire (LCP), que le plus grand nombre possible de nos concitoyens pourront être les témoins de ce qu'est la réalité du travail parlementaire.
D'autres améliorations, également souhaitables, se heurtent à certaines contraintes juridiques souvent d'ordre constitutionnel qu'il nous faudra bien un jour prochain surmonter. J'en citerai trois. Parmi d'autres.
Le nombre des commissions permanentes est trop faible. J'ai, depuis longtemps, plaidé pour son augmentation raisonnable. Le chiffre de six, fixé par la Constitution, ne me paraît pas le mieux adapté à l'organisation du travail législatif. Le diagnostic est connu. La commission des lois plie sous la tâche. La commission des affaires sociales, culturelles et familiales se démultiplie en autant de spécialités. La commission de la production traite un jour d'énergie et de développement durable, le lendemain de transport et d'équipement, le jour suivant de sécurité alimentaire ou de taille des exploitations agricoles. Défense et affaires étrangères ne sont pas si éloignées qu'on doive nécessairement les séparer. Leur fusion pour certaines, leur dédoublement pour d'autres conduiraient au chiffre d'une dizaine de commissions. Il serait préférable d'éviter des compétences éclatées ou des encombrements souvent constatés. Cela favoriserait en outre le bon exercice des tâches de contrôle incombant au Parlement. L'Europe, pour ne prendre qu'elle, serait mieux suivie dans ses évolutions juridiques, sociales ou économiques. La bioéthique, les nouvelles technologies seraient mieux traitées. La présidence de certaines de ces commissions, devenues plus nombreuses, pourrait plus facilement être confiée à l'opposition.
Autre piste de réformes, l'activité des commissions d'enquête doit être renforcée. L'avenir d'un Parlement moderne réside précisément dans le développement de ses activités de contrôle. La commission d'enquête sur la sécurité en Corse, même si elle a provoqué des réactions chez certains, ou celle sur " Superphénix ", elle aussi non sans controverse - mais n'est-ce pas la base de la démocratie - font partie de ces nouvelles générations d'instruments de contrôle qui apportent à nos citoyens l'information à laquelle ils peuvent prétendre dans une société qui doit pouvoir, comme l'écrit le texte de 1789, demander à ses élus des comptes de leur administration. En 1988, j'avais souhaité que soit créé un " droit de tirage " permettant à chaque groupe politique, parlons clair, c'est-à-dire aussi l'opposition, de faire inscrire à l'ordre du jour une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. J'ai relancé cette idée au début de l'actuelle législature. Ce droit reste fragile. Il faut le conforter. Enfin il faut aux commissions des moyens. Or ceux qui leur sont alloués dans un pays où il est de bon ton de dire que le parlementarisme coûte cher, sont très limités et confinent parfois au dérisoire lorsque nous regardons les autres grandes démocraties occidentales de l'autre côté du Rhin, de la Manche ou de l'Atlantique.
J'emprunterai un dernier exemple de la restriction actuelle des pouvoirs des commissions, sans doute le plus éclairant, au droit pur. Le débat sur un projet de loi ne s'engage pas sur la base du texte qu'elles ont élaboré, par leurs amendements, mais sur celui du Gouvernement qui, comme si de rien était, ne corrige en rien sa copie et la redistribue telle quelle dans l'hémicycle, aux députés, deux semaines après l'avoir déjà donnée pour examen et critiques éventuelles aux commissions. La " charge de la preuve " du bien fondé d'une modification du texte débattu appartient donc, dans notre système constitutionnel, à la commission et non au Gouvernement, alors que l'examen législatif en commission devrait être un préalable indispensable à la séance publique qu'il prépare. Cette logique trouve son prolongement dans le fait que les commissions n'ont pas le pouvoir, au contraire de ce qui se passe dans certains pays, de faire seules la Loi sans le secours de l'hémicycle quand bien même s'agirait-il de régler les problèmes les plus modestes.
En amont du processus législatif, au cours des activités de contrôle, les commissions parlementaires occupent donc une place spécifique dans la vie parlementaire. Si leur rôle est plus discret que celui de la séance publique et constitutionnellement limité, il n'est pas pour autant secondaire. Le sérieux de leur travail, l'approfondissement des formes de contrôle qu'il permet, la souplesse de leur fonctionnement incitent à penser que les commissions peuvent être l'une des voies de la réforme de l'institution parlementaire et de sa revalorisation. En contribuant à une meilleure connaissance d'un mécanisme essentiel de notre vie publique, ce volume devrait permettre à chacun de mieux comprendre le fonctionnement de l'Assemblée nationale, coeur battant de la démocratie.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 14 février 2000)
" Connaissance de l'Assemblée ", cette collection, dont le présent volume est le douzième numéro, se veut tout un programme en un seul intitulé. Programme de publications certes, programme aussi pour rétablir la perception parfois altérée et lointaine qu'ont les Français de la représentation nationale. Pour nombre de nos concitoyens, il faut bien l'admettre, la connaissance du Palais Bourbon se résume à une colonnade, quelques images télévisées pas toujours flatteuses aperçues un mardi ou un mercredi, bref un ensemble de clichés disparates et, somme toute, assez réducteurs de la vie parlementaire. Joutes verbales, affrontements politiciens, débats trop techniques, faiblesse des assemblées, manoeuvres d'obstruction, procédures peu compréhensibles, gestes et cris voilà à quoi se réduit souvent dans l'opinion publique le quotidien de notre institution. Soyons honnêtes, nous ne sommes pas pour rien dans le succès de cette légende peu dorée. Je le regrette évidemment. Mais, cette vision sévère, quand bien même aurait-elle certains fondements, masque la réalité de la vie de l'Assemblée, celle d'un espace institutionnel où l'on travaille, où l'on débat, où l'on améliore, amende et contrôle la Loi généralement rédigée par le Gouvernement.
Les commissions, leur fonctionnement et leurs travaux, sont plus particulièrement au cour de cette méconnaissance qui handicape l'Assemblée et participe de la dévalorisation qui entoure "la" et "le" politique. Sans forcer le trait, on peut même affirmer qu'elles sont le coeur du paradoxe parlementaire, car ces instances de réflexion, ces ateliers de rédaction sont le lieu où le travail législatif est souvent le plus efficace, le plus approfondi. Plus grave leur rôle, pourtant fondamental dans la procédure d'élaboration de la Loi comme dans le contrôle parlementaire, n'est discerné que par de trop rares spécialistes. Tradition historique et constitutionnelle, marque de l'exception française, le vote de la loi est en effet assimilé au seul et noble hémicycle. Tout le reste ne vaudrait rien. Entre gradins patriciens et toilettages ancillaires, le choix serait évident. Seul indice d'une vie antérieure à son adoption pour un texte de loi, le banc réservé aux commissions, au premier rang, à côté de celui du Gouvernement. Maigre consolation qui ne s'accompagne pas même du confort d'un fauteuil particulier venant compenser les heures et les journées passées par les "commissaires" à débroussailler un florilège d'articles pas toujours bien fagotés. Pourtant s'il fallait retenir un critère pour estimer le poids réel du Parlement vis à vis de l'exécutif, quel que soit le caractère du régime, ce serait justement celui de la place donnée aux commissions.
Dans ce domaine comme dans d'autres, la Vème République a marqué une rupture. Tout en restant théoriquement attaché au régime parlementaire, Michel Debré, dans son inébranlable volonté de le rationaliser, de l'ultra rationaliser, n'a pas manqué d'en tirer les plus dures conséquences quant à la place des commissions. La IVe République et ses tourments étaient dans tous les esprits. Le texte constitutionnel de 1958 fait foi. S'écartant des pratiques des républiques antérieures, le nombre de commissions serait limité à six. Leurs travaux ne serviraient plus de base à la discussion parlementaire qui, preuve éloquente, devait redémarrer à zéro dans l'hémicycle. Les commissions permanentes se verraient également concurrencées par des " commissions spéciales ". On ne pouvait être plus clair.
Dans cette perspective, le renforcement du rôle des commissions, auquel se sont efforcés plusieurs présidents successifs de l'Assemblée nationale, vise précisément à changer un état de choses qui finissait par être nuisible. Pour rééquilibrer l'activité parlementaire, revaloriser les travaux des commissions est une étape indispensable, un signal et un message fort adressé à l'exécutif. Cette renaissance attendue a toujours été l'une de mes priorités. Oui, l'activité des commissions parlementaires est gage d'efficacité. Oui, les discussions qui s'y déroulent permettent d'approfondir les analyses, de rapprocher les points de vue. Oui, plus la préparation de l'examen d'un texte est minutieuse en commission, mieux ses conséquences sont évaluées, plus la loi est claire et bien rédigée, plus elle a de chances de durer et de s'appliquer d'une manière satisfaisante. Si, parfois, existe le sentiment que " tout est joué " lorsque s'ouvre la discussion d'un texte dans l'hémicycle, une telle impression n'existe pas lors de l'examen du texte en commission. On peut alors souvent bouger les lignes. C'est dire l'importance de leur vitalité retrouvée.
Les commissions sont bien le territoire des libertés parlementaires, le coup de projecteur donné par des spécialistes d'un secteur sur la loi. Pour accroître la place et le rôle de ces instances, diverses expériences d'importance inégale ont été menées à bien depuis quelques années : ouverture des réunions de commissions aux députés qui n'en sont pas membres, pouvoirs d'enquête confiés aux commissions permanentes à leur demande, nouveaux moyens mis à disposition des commissions permanentes, contrôle, au stade de son élaboration, du droit communautaire dérivé en application de l'article 88-4 de la Constitution, discussion de certains budgets en commissions élargies à l'ensemble des députés, renforcement des pouvoirs de commissions d'enquête. J'y ajoute, depuis quelques années, les procédures très utiles d'examen simplifiées qui pour plusieurs dizaines de textes chaque année, en raison de leur technicité ou de leur grande simplicité, ne prévoient qu'un examen rapide en séance publique renvoyant le gros du travail vers des commissions faites pour cela.
Aujourd'hui, c'est surtout dans leur fonction de contrôle que les commissions doivent être renforcées. La mise en place, en 1999, d'une mission permanente d'évaluation et de contrôle (MEC), émanation de la commission des finances, co-présidée à l'origine par la majorité et l'opposition et qui doit s'imposer comme un instrument efficace d'évaluation et de correction de la politique budgétaire, en est un exemple. Autre chantier, la publicité donnée aux travaux des commissions. En effet, si beaucoup de parlementaires préfèrent le travail dans l'hémicycle c'est peut être parce qu'il fait l'objet de plusieurs compte rendus intégraux, notamment au Journal officiel, qui leur permettent de valoriser davantage leurs interventions. La relative confidentialité des débats en commission était un obstacle à leur développement. Sans faire disparaître le secret là où il est nécessaire, un remède a commencé d'être apporté à cette situation. Les comptes rendus des réunions de commission désormais largement diffusés et les nombreux rapports qu'elles publient y compris sous forme de CD-ROM attestent de l'importance et de la variété de leurs activités. Demain ce sera par le biais de l'audio visuel, sur La Chaîne Parlementaire (LCP), que le plus grand nombre possible de nos concitoyens pourront être les témoins de ce qu'est la réalité du travail parlementaire.
D'autres améliorations, également souhaitables, se heurtent à certaines contraintes juridiques souvent d'ordre constitutionnel qu'il nous faudra bien un jour prochain surmonter. J'en citerai trois. Parmi d'autres.
Le nombre des commissions permanentes est trop faible. J'ai, depuis longtemps, plaidé pour son augmentation raisonnable. Le chiffre de six, fixé par la Constitution, ne me paraît pas le mieux adapté à l'organisation du travail législatif. Le diagnostic est connu. La commission des lois plie sous la tâche. La commission des affaires sociales, culturelles et familiales se démultiplie en autant de spécialités. La commission de la production traite un jour d'énergie et de développement durable, le lendemain de transport et d'équipement, le jour suivant de sécurité alimentaire ou de taille des exploitations agricoles. Défense et affaires étrangères ne sont pas si éloignées qu'on doive nécessairement les séparer. Leur fusion pour certaines, leur dédoublement pour d'autres conduiraient au chiffre d'une dizaine de commissions. Il serait préférable d'éviter des compétences éclatées ou des encombrements souvent constatés. Cela favoriserait en outre le bon exercice des tâches de contrôle incombant au Parlement. L'Europe, pour ne prendre qu'elle, serait mieux suivie dans ses évolutions juridiques, sociales ou économiques. La bioéthique, les nouvelles technologies seraient mieux traitées. La présidence de certaines de ces commissions, devenues plus nombreuses, pourrait plus facilement être confiée à l'opposition.
Autre piste de réformes, l'activité des commissions d'enquête doit être renforcée. L'avenir d'un Parlement moderne réside précisément dans le développement de ses activités de contrôle. La commission d'enquête sur la sécurité en Corse, même si elle a provoqué des réactions chez certains, ou celle sur " Superphénix ", elle aussi non sans controverse - mais n'est-ce pas la base de la démocratie - font partie de ces nouvelles générations d'instruments de contrôle qui apportent à nos citoyens l'information à laquelle ils peuvent prétendre dans une société qui doit pouvoir, comme l'écrit le texte de 1789, demander à ses élus des comptes de leur administration. En 1988, j'avais souhaité que soit créé un " droit de tirage " permettant à chaque groupe politique, parlons clair, c'est-à-dire aussi l'opposition, de faire inscrire à l'ordre du jour une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. J'ai relancé cette idée au début de l'actuelle législature. Ce droit reste fragile. Il faut le conforter. Enfin il faut aux commissions des moyens. Or ceux qui leur sont alloués dans un pays où il est de bon ton de dire que le parlementarisme coûte cher, sont très limités et confinent parfois au dérisoire lorsque nous regardons les autres grandes démocraties occidentales de l'autre côté du Rhin, de la Manche ou de l'Atlantique.
J'emprunterai un dernier exemple de la restriction actuelle des pouvoirs des commissions, sans doute le plus éclairant, au droit pur. Le débat sur un projet de loi ne s'engage pas sur la base du texte qu'elles ont élaboré, par leurs amendements, mais sur celui du Gouvernement qui, comme si de rien était, ne corrige en rien sa copie et la redistribue telle quelle dans l'hémicycle, aux députés, deux semaines après l'avoir déjà donnée pour examen et critiques éventuelles aux commissions. La " charge de la preuve " du bien fondé d'une modification du texte débattu appartient donc, dans notre système constitutionnel, à la commission et non au Gouvernement, alors que l'examen législatif en commission devrait être un préalable indispensable à la séance publique qu'il prépare. Cette logique trouve son prolongement dans le fait que les commissions n'ont pas le pouvoir, au contraire de ce qui se passe dans certains pays, de faire seules la Loi sans le secours de l'hémicycle quand bien même s'agirait-il de régler les problèmes les plus modestes.
En amont du processus législatif, au cours des activités de contrôle, les commissions parlementaires occupent donc une place spécifique dans la vie parlementaire. Si leur rôle est plus discret que celui de la séance publique et constitutionnellement limité, il n'est pas pour autant secondaire. Le sérieux de leur travail, l'approfondissement des formes de contrôle qu'il permet, la souplesse de leur fonctionnement incitent à penser que les commissions peuvent être l'une des voies de la réforme de l'institution parlementaire et de sa revalorisation. En contribuant à une meilleure connaissance d'un mécanisme essentiel de notre vie publique, ce volume devrait permettre à chacun de mieux comprendre le fonctionnement de l'Assemblée nationale, coeur battant de la démocratie.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 14 février 2000)