Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "Le Parisien" le 26 octobre 2004, sur le projet de budget, les conséquences d'un non de son parti au traité constitutionnel sur l'Europe, l'instabilité en Polynésie française, les prochaines élections américaines.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - Quel jugement portez-vous sur le budget examiné actuellement par le Parlement ?
François Hollande. Ce budget illustre de manière caricaturale la politique du gouvernement : les petits revenus paient pour les grosses fortunes. Ainsi, alors que la majorité de nos concitoyens vont subir des prélèvements importants (CSG, impôts locaux, fiscalité sur les carburants...), dans le même temps le gouvernement accorde des cadeaux aux Français les plus favorisés (déductions fiscales sur les emplois à domicile, baisse de l'impôt sur les successions et allègement de l'impôt sur la fortune). C'est non seulement choquant moralement mais dangereux économiquement : l'affaiblissement du pouvoir d'achat des ménages se répercutera sur la croissance, déjà affectée par la hausse du prix du pétrole.
Q - Vous êtes sévère pour le premier et dernier budget de Nicolas Sarkozy...
R - Nicolas Sarkozy préfère préparer son propre avenir que celui des Français. Sa méthode c'est... courage, fuyons. Il présente un budget dont il sait parfaitement qu'il ne sera pas exécuté conformément aux hypothèses de croissance et d'inflation qu'il a retenues. Il prétend qu'il a des réformes audacieuses à présenter au pays mais diffère leur mise en oeuvre pour cause de présidence de l'UMP. Pas courageux non plus quand il laisse passer des amendements de sa majorité (sur la baisse de l'impôt sur la fortune) sans vouloir les endosser. Enfin, il est singulier que trois ministres de l'Economie se succèdent à Bercy en moins d'un an : une telle instabilité ne renforce pas la crédibilité et la cohérence de l'action gouvernementale.
Q - La popularité de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin est en baisse...
R - Ces sondages confirment, après les élections du printemps dernier, l'impopularité record de l'exécutif et l'ampleur du désaveu des Français à l'égard de la manière avec laquelle ils sont gouvernés : absence à l'Elysée, vacance à Matignon. A force d'ignorer le mécontentement, de persévérer dans les mêmes choix et les mêmes personnes, Jacques Chirac prend une lourde responsabilité : celle de dégrader la confiance des Français à l'égard de la politique. Face à ce risque civique, les socialistes doivent montrer, par une opposition ferme et des propositions fortes, qu'ils incarnent déjà la relève.
Q - John Monks, patron de la Confédération européenne des syndicats, participe après-demain à Rome à votre côté à un meeting pour le oui...
R - Lorsque la plupart des syndicats en Europe considèrent le traité constitutionnel comme un progrès, je me dis que les socialistes auraient tort de faire la fine bouche au prétexte que l'assiette n'est pas assez garnie.
Q - Si le non l'emportait au PS, votre parti éclaterait-il ?
R - Mon rôle de premier secrétaire est de veiller à l'unité du parti et au respect de la décision qui sera prise. Mais je considère qu'il n'est pas juste de dédramatiser la réponse : ce ne sera ni un oui banal ni un non gentil. La victoire du oui sera pour le PS non seulement la confirmation de ses choix depuis vingt ans, mais aussi l'annonce de combats nouveaux en matière sociale et politique. Le succès du non provoquera une crise. C'est d'ailleurs l'argument de ceux qui militent en sa faveur. Mais ils ne nous ont toujours pas précisé les conséquences de leur choix. Avec qui négocier un meilleur traité, d'un point de vue socialiste, quand actuellement en Europe il y a dix-huit gouvernements de droite (sur vingt-cinq), que la majorité du Parlement est à droite, comme le président de la Commission européenne ? Et sur qui s'appuyer, pour peser, quand toute la gauche européenne est favorable au traité constitutionnel ?
Q - Le retour au pouvoir de Gaston Flosse met-il fin à l'instabilité en Polynésie ?
R - Non, la crise est toujours là. Elle est avant tout politique. Le retour de Gaston Flosse est source de tous les dangers. La seule issue possible pour surmonter le blocage actuel, c'est la dissolution de l'Assemblée polynésienne. Le chef de l'Etat doit renvoyer les Polynésiens aux urnes.
Q - Vous avez demandé une audience à Jacques Chirac. Avez-vous une réponse ?
R - Non. J'y vois le signe d'une désinvolture coupable à l'égard de l'opposition. Mais c'est aussi la preuve de la complicité à l'égard d'un système et d'un homme sur lequel pèsent des soupçons très graves. Tout a été fait pour que Flosse redevienne le président de la Polynésie, au mépris du vote du mois de mai. Je veux croire encore que, dans les jours qui viennent, Jacques Chirac nous accordera audience. Si tel n'était pas le cas, je considérerais que les relations entre le pouvoir et l'opposition seraient durablement altérées.
Q - A une semaine de l'élection américaine, croyez-vous à la victoire de John Kerry ?
R - Je l'espère. Pour la stabilité du monde, pour l'équilibre de la planète, le choix de Kerry m'apparaît essentiel. Mais quel que soit le vainqueur, le monde aura besoin d'une Europe forte. Si Bush est réélu, on ne peut pas laisser l'hyperpuissance américaine décider seule du sort de la planète. Et s'il est battu, il faudra bien que la main de Kerry rencontre celle de l'Europe.

(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 27 octobre 204)