Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, et de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, à TF1 le 9 janvier 2000, sur les rapports entre la CFDT et le patronat, la réduction du temps de travail, le financement des retraites et la situation de l'emploi.

Prononcé le

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

RUTH ELKRIEF : (...) Voilà, on retrouve NICOLE NOTAT sur le plateau. On parle évidemment de sujets sociaux. L'autre grand sujet d'actualité dont on parle un peu tous les jours c'est la survie du système de gestion des organismes, donc de la protection sociale, la Sécurité sociale, les caisses vieillesses. Jusqu'à présent, c'était géré par les syndicats, le patronat et l'Etat. Et depuis quelques semaines, le MEDEF, l'organisation patronale, menace de se retirer. Alors on va écouter ensemble Ernest-Antoine Seillière et puis vous allez nous donner votre avis. Mais c'est intéressant parce que Jacques Chirac est aussi intervenu sur la question. On écoute Ernest-Antoine Seillière, le patron du MEDEF.
RUTH ELKRIEF : Bonjour Ernest-Antoine Seillière. Merci beaucoup de nous recevoir dans la salle à manger du MEDEF, l'organisation patronale. Nous allons bien sûr parler des grands sujets, c'est-à-dire votre menace de quitter les organismes paritaires comme la Sécurité sociale, les retraites et puis un petit peu, bien sûr, de l'actualité. Mais, je voudrais qu'on parle un peu de vous et peut-être de l'image que vous donnez parfois. Celle d'un monsieur qui dit non, celle d'un monsieur qui ne veut pas des 35 heures, qui menace de quitter la Sécurité sociale, qui, éventuellement, refuse de recevoir Martine Aubry pour qu'elle s'explique. Est-ce que vous êtes sûr que cela sert l'image des patrons ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si on dit " non ", c'est parce qu'on est obligé de le faire, parce qu'on exagère beaucoup en face et donc, il a fallu s'affirmer. Et s'affirmer, ça veut dire, dire ce que les entrepreneurs pensent. Et dire ce que les entrepreneurs pensent, ça veut dire, dire " non " quand on veut intervenir de façon excessive dans leur intimité d'entreprise, se substituer au rôle social des uns et des autres. Mais nous n'avons en réalité qu'un objectif, dire " oui ", et je crois que c'est probablement en train de venir.
RUTH ELKRIEF : Néanmoins vous, est-ce qu'avec le MEDEF, vous ne voulez pas vous substituer à un parti politique ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors ça c'est ou une plaisanterie, ou l'argument de ceux qui ne savent pas répondre aux nôtres et qui nous disent, vous faites de la politique comme si c'était d'abord une insulte et comme si nous essayions de nous substituer à quiconque. Je le redis de façon tout à fait claire, nous n'avons aucune ambition politique, aucun rôle politique partisan. Ce que nous voulons, bien entendu, c'est compter lourd dans la société française au nom des entrepreneurs parce que les entreprises c'est ce qu'il y a aujourd'hui, on peut le regretter, mais c'est comme ça, le plus important.
RUTH ELKRIEF : Et à propos de l'actualité, l'image des entrepreneurs. Vous savez, il y a monsieur Thierry Desmarest, le patron de TotalFina. On dit qu'il a cafouillé, que c'était un petit peu délicat. Qu'est-ce que vous avez ressenti ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez. Moi j'ai ressenti, en fait, qu'il était dans une position difficile et qu'il a fait le maximum pour être à la hauteur de ses responsabilités. Bon, il a peut-être en effet eu des moments de difficulté vis-à-vis de l'opinion, ça peut arriver à tout le monde. Mais vous savez, dans cette affaire, un bateau fait naufrage, ce n'est pas la faute du capitalisme, du libéralisme, de l'économie de marché. C'est tout de même un incident technique. Il y a qu'en France, si vous voulez, où on a tendance à dire, la marée noire c'est de droite, la tempête c'est de gauche, etc. C'est une politisation qui nous paraît, à nous, complètement absurde et les entrepreneurs font tout pour sortir du domaine politique.
RUTH ELKRIEF : Quand on voit les dégâts de la tempête et la façon dont les services de l'Etat ont réagi, est-ce que ce n'est pas la démonstration que les services de l'Etat sont efficaces, parfois aussi efficaces que ceux du privé ? Est-ce que ça, ça n'a pas donné un petit coup à votre libéralisme ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Là aussi, si vous voulez, il n'y a qu'en France qu'une tempête sert l'Etat ou dessert les entreprises. C'est un phénomène naturel devant lequel la nation, au total, se met dans la solidarité, les entrepreneurs, les entreprises, les premiers. Et je dis d'ailleurs aux entrepreneurs, décomplexez-vous, soyez naturels dans la nation, vous y occupez une place centrale, exprimez-vous, soyez, je dirais, à l'aise dans notre pays puisqu'en fait c'est vous qui en ferez l'avenir.
RUTH ELKRIEF : Alors parlons effectivement de cette actualité puisque, dans une dizaine de jours, le MEDEF doit prendre une décision capitale. Rester ou quitter les organismes paritaires, c'est-à-dire par exemple les caisses d'assurance maladie ou les caisses vieillesse qui sont gérées, depuis 1945, par l'Etat, les syndicats de salariés et les patrons. Vous avez menacé de quitter ces organismes en disant, l'Etat tue le social, nous n'avons plus aucune marge de manoeuvre dans la gestion de ces organismes, nous partons. Alors ma question est très simple aujourd'hui, vous partez ou vous restez ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah écoutez. Nous avons convoqué les représentants de nos organisations territoriales qui sont donc 600 avec des machines à voter et nous allons leur poser la question et débattre.
RUTH ELKRIEF : Ernest-Antoine Seillière, vous avez dit, nous n'avez jamais caché votre opinion personnelle. Vous, vous êtes plutôt pour quitter les organismes paritaires.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Comment vous dire, je suis venu pour ça. Je suis venu à la tête du MEDEF...
RUTH ELKRIEF : ... pour quitter les organismes paritaires ?...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... Non, non, non. Pour dire, nous ne pouvons pas être, censés être responsables des systèmes sociaux qui sont essentiels pour les Français et ne pas avoir le pouvoir d'y prendre la moindre décision. Nous ne voulons pas rester dans cet état de potiche, comme je l'ai souvent dit. Alors de deux choses l'une, ou bien nous sommes responsables avec les syndicats, avec les salariés des systèmes sociaux français et nous allons vraiment nous en occuper pour en faire des systèmes modernes, efficaces et, si possible, moins coûteux. Parce que tout ça coûte horriblement cher et beaucoup de gens disent que c'est mal géré et ils n'ont pas tort. Ou bien alors l'Etat se sert de nous pour,ayant mis ses larges mains dans tout ceci et quelquefois d'ailleurs pour prendre dans la caisse, et à ce moment-là nous disons, écoutez, prenez les choses en main, ce n'est plus nous. Quand on voit la ministre de la Solidarité, en réalité, traiter de problème mineur en ce qui concerne le fonctionnement de la Sécurité sociale, chacun comprend qu'il y a un travers. Ce n'est pas à l'Etat de décréter que tel remboursement doit être fait pour tel médicament. On en est arrivé, là aussi, à un dirigisme absurde. Reconstruire le système social, c'est ça notre ambition, c'est la refondation sociale dont on parle beaucoup en ce moment et qui est à notre initiative, je me permets de vous le faire remarquer.
RUTH ELKRIEF : Et justement, effectivement Jacques Chirac a parlé de cela. Il a parlé de démocratie sociale, de sa volonté de rétablir le dialogue social. Est-ce que vous l'avez pris comme un soutien à votre initiative ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, incontestablement. D'entendre le Chef de l'Etat dire, c'est une bonne démarche, je la reprends à mon compte, je pense que le pays devrait en effet se mettre dans ce sens ... Je vous dis tout de suite d'ailleurs que j'espère beaucoup que le Premier ministre et le gouvernement vont reprendre cette initiative à leur compte. Il n'y a aucune raison que ceci ne soit pas une démarche nationale, il n'y a rien de partisan dans tout ceci.
RUTH ELKRIEF : Est-ce que, Ernest-Antoine Seillière, ça pourrait vous convaincre de rester finalement dans les organismes paritaires pour entamer un dialogue social sous de nouvelles bases et ne pas, peut-être, déserter le champ social ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous savez, vous avez parlé de menace. Il ne s'agit pas de menace, c'est un constat.
RUTH ELKRIEF : Il y en a qui disent que quitter par exemple la Sécurité sociale ça vous donnerait l'occasion de créer, pas vous personnellement, mais un certain nombre de patrons, de créer des assurances privées, sans complexe.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors nous n'avons pas à l'esprit je ne sais quelle manoeuvre. Tout ceci c'est la manière dont on veut détruire un peu dans l'oeuf notre initiative de refondation sociale si fondamentale, nous semble-t-il, pour l'avenir et la réussite encore une fois de l'économie, de l'emploi dans notre pays. Alors on verra tout. Il y aura des gens qui proposeront certainement des choses qui déplairont à d'autres. Mais rechercher l'accord par la négociation c'est proposer, écouter et finalement se rallier ensemble sur quelque chose.
RUTH ELKRIEF : Un mot sur les retraites. Bien sûr c'est la réforme majeure attendue. Le gouvernement doit faire part de ses orientations en février prochain. Il y a un rapport de monsieur René Teulade, au Conseil Economique et Social, qui a été divulgué. On le dit très optimiste. Est-ce que, à votre avis, le gouvernement va faire cette réforme sur les retraites ou bien, comme certains le disent, l'occulter ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, si franchement on ne veut pas regarder la réalité en face, qui est d'une totale évidence : il y a des phénomènes démographiques lourds et présents qui vont faire qu'il y aura moins d'actifs pour payer la retraite de plus de gens à la retraite. Nous avons besoin, nous en réalité et ça c'est aussi la démocratie sociale, de vivre avec la réalité et de ne pas essayer d'y échapper pour des raisons tactiques, politiques ou autres.
RUTH ELKRIEF : La baisse du chômage, la croissance qui se maintient. Pour vous, ça ne change pas les données sur les retraites ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si on voit l'expansion s'affirmer, alors bien entendu, on peut assouplir les règles. Mais dire, on va connaître pendant 40 ans une expansion qui nous dispense de regarder le sujet, très honnêtement c'est irresponsable. Et nous, nous ne pouvons pas, bien entendu, une minute envisager de rester dans un système paritaire où on dirait qu'il n'y a pas de problème pour les retraites, alors qu'on voit s'accumuler des centaines de milliards non financés pour régler les retraites.
RUTH ELKRIEF : Une des choses que vous voulez, Ernest-Antoine Seillière, c'est qu'on revoit les régimes spéciaux de retraite. D'ailleurs ceux des fonctionnaires. Et j'ai envie de dire, est-ce que vous vous mettez parfois à la place de Lionel Jospin qui est un peu le patron des fonctionnaires. Vous, vous êtes un patron. Quand vous avez une pilule difficile à faire passer à vos salariés, comment vous faites, vous avez une recette miracle ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Les fonctionnaires, ils font partie de la nation. Il n'y a pas tellement de raison qu'ils aient des privilèges par rapport aux autres salariés. On ne peut pas accepter, nous, que les coûts collectifs de la nation soient ad aeternum, pour l'éternité, ce qu'ils sont. Nous sommes dans une compétition européenne et mondiale très angoissante et si les coûts collectifs de la nation sont trop forts, eh bien qu'est-ce que vous voulez, on sera plus cher que les autres. En ce qui concerne les fonctionnaires, alors là vraiment je laisse le Premier ministre s'en occuper et je lui dis bonne chance.
RUTH ELKRIEF : Vous le connaissez bien, Lionel Jospin. Vous étiez avec lui à l'ENA. Est-ce que vous êtes d'accord lorsqu'il dit lui-même à des journalistes, dans un avion qui le conduit à Tokyo : " je suis un rigide qui évolue, un protestant athée et un austère qui se marre " ? C'est comme ça que vous le voyez, vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Moi, je n'ai pas à formuler de jugement sur celui qui fut un camarade et qui est actuellement un très grand responsable de notre pays. Mais ce que je peux vous dire, c'est que nous avons beaucoup ri ensemble. C'est vrai que dans notre vie d'étudiant et ensuite de jeune fonctionnaire - puisque j'ai été fonctionnaire, donc je sais ce dont je parle et quelquefois comme un alcoolique repenti -, je sais ce dont il faut se méfier. Eh bien, nous avons eu l'occasion, bien entendu, de nombreuses rencontres et de nombreuses occasions à la fois de travailler sérieusement mais également saisir l'humour des choses.
RUTH ELKRIEF : C'est un austère qui se marre pour vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, disons que moi je suis un marrant sérieux., alors.
RUTH ELKRIEF :
NICOLE NOTAT, pour vous, c'est une adversaire ou une alliée ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est une grande syndicaliste et nous n'avons jamais formulé, à l'égard des syndicats de notre pays, la moindre critique.
RUTH ELKRIEF : Merci beaucoup Ernest-Antoine Seillière.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Merci bien. Retour sur le plateau
RUTH ELKRIEF : Voilà, vous avez écouté le patron des patrons. Il a l'air de vous apprécier. Il y a un axe Notat-Seillière, Seillière-Notat ?
NICOLE NOTAT : Non, ce serait si facile de décrire les choses comme ça. Moi, j'attends de Seillière, après l'avoir entendu aujourd'hui, j'entends qu'il a envie de s'affirmer. J'aimerais bien qu'après s'être affirmé longtemps, il le dit dans l'opposition, dans le refus, il s'affirme. Peut-être est-ce l'occasion, la semaine prochaine, dans les responsabilités, dans la volonté de construire, pour l'époque que nous vivons aujourd'hui, des relations sociales modernes. Et de garantir aux salariés, c'est ça qu'on attend, que l'adaptation de l'économie ne se fait pas au détriment des garanties individuelles et collectives des salariés, voilà l'enjeu.
RUTH ELKRIEF : Alors, concrètement. C'est vrai que beaucoup de syndicalistes disent, le MEDEF ne veut pas se mettre à la table des négociations et refuse de discuter. Là, dans ce qu'il dit, il a l'air de vouloir. A votre avis, ils vont partir où ils vont rester, les patrons, dans les organismes paritaires ?
NICOLE NOTAT : Je ne vais pas faire de pronostic. Ce que je sais, et la délégation patronale et le président du MEDEF le sait en particulier, c'est que : ou bien, comme vient de le laisser entendre le président du MEDEF, il est véritablement décidé à construire l'avenir sur des bases modernes, sur des bases renouvelées qui prennent en considération les besoins des salariés, les besoins de protection, de moindre précarité, de formation qu'il faut garantir pour chacun dans un monde qui bouge. De précarité qui doit reculer, la mobilité des salariés ne doit pas être synonyme de toujours plus de précarité et d'insécurité. S'il est d'accord pour construire ces choses-là, dans un bon équilibre, entre l'optimisation du développement des entreprises qui ont besoin d'être performantes, mais aussi en prenant en compte les impératifs sociaux, les besoins sociaux que les salariés, à juste titre, revendiquent, alors, je dis oui nous avons là un vrai et beau chantier à ouvrir. Mais, il faut être crédible sur cet objectif.
RUTH ELKRIEF : Qu'est-ce que vous attendez concrètement ?
NICOLE NOTAT : Si la semaine prochaine, monsieur Seillière nous dit, on ouvre tous ces chantiers et qu'en même temps il dit, on claque la porte de la Sécu, eh bien, il ne sera pas crédible. Que les choses doivent changer aussi dans les organismes paritaires et la Sécu, c'est une évidence. Le statu quo, personne ne le revendique, on a besoin de dépoussiérer.
RUTH ELKRIEF : C'est vous qui la gérer la Caisse d'assurance maladie. Donc, est-ce que ça veut dire que c'est vous qui avez un peu raté cette gestion puisqu'on la conteste aujourd'hui ?
NICOLE NOTAT : Non. Ca veut dire, si vous voulez, qu'ayant justement des responsabilités à la tête de ces organismes, nous sommes bien placés pour voir ce qui fonctionne bien, ce qui fonctionne moins bien et pour voir ce qu'il faudrait changer. Donc, nous aussi, nous sommes partants pour des évolutions, des adaptations, à condition de le faire sérieusement. Et donc, j'espère que la semaine prochaine le MEDEF ne fera pas une contre-performance par rapport à ce que vient d'expliquer son président.
RUTH ELKRIEF : Donc vous leur dites, restez ?
NICOLE NOTAT : Restez pour qu'au moins on réfléchisse, on tente de réfléchir ensemble aux conditions d'adaptation, de rénovation du paritarisme français.
(source http://www.medef.fr, le 11 janvier 2000)