Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France Inter" le 16 septembre 2004, sur l'enjeu du vote en faveur de la Constitution européenne, et sur le débat interne au parti sur cette question après la prise de position de Laurent Fabius pour le non.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- S. Paoli Jusqu'où donc les socialistes français engageront-ils leur responsabilité dans la construction européenne ? "Un "non" au référendum n'impliquerait pas un arrêt de la construction européenne", dit L. Fabius au Nouvel Observateur publié aujourd'hui. "Le "non" ouvrirait une crise en Europe", affirme au contraire F. Hollande, dans les pages du Monde. Le "non" aujourd'hui sans ambiguïté de L. Fabius et le "oui de combat" de F. Hollande, tracent une ligne de séparation au sein du PS, sous le regard accablé des socialistes européens. Le vote des militants pourra-t-il réduire cette fracture qui affecte le parti et pourrait bientôt exister entre la France et l'Union européenne ?
Un petit voyage, on remonte dans le temps, sur mettons vingt ans : F. Mitterrand, l'union de la gauche, Jospin, la gauche plurielle... Alors, aujourd'hui, quoi ? La gauche éclatée ?
R- Mitterrand, Jospin : une gauche capable de venir au pouvoir, capable aussi de faire des choix et des choix qui ont toujours été européens. S'il y a une continuité dans l'action des socialistes depuis vingt ans, c'est bien d'avoir voulu transformer notre pays et de respecter, à chaque fois, notre engagement européen. Plus encore : d'avoir fait avancer l'Europe. F. Mitterrand, à l'occasion notamment de la réunification allemande, a fait le choix essentiel, historique, de faire la monnaie unique pour arrimer le continent européen à un destin commun. Et puis, L. Jospin, pendant les cinq années où en cohabitation il a eu à prendre des décisions, il a toujours fait à la fois des réformes qui étaient nécessaires en France, que l'on peut contester - 35 heures, emplois-jeunes, lutte contre le chômage - mais toujours dans la volonté de faire avancer aussi l'Europe. C'est cela la continuité. Alors, maintenant, c'est vrai qu'il y a un moment important pour les socialistes. Ils ont entre leurs mains, je parle de chaque militant, à travers le vote qui va avoir lieu à la fin de l'année, non pas simplement de savoir qui demain va diriger le Parti socialiste - ça c'est secondaire - ou qui demain va être candidat - nous verrons bien en 2006 ce qu'il faudra faire - ; ils ont entre leurs mains, pas simplement une réforme à une question qui serait interne : c'est eux, ils doivent en prendre conscience, qui vont décider de l'avenir de la construction européenne à travers ce futur traité constitutionnel.
Q- Mais comment expliquez-vous que les socialistes européens, qui ont un certain recul, puisqu'ils sont à l'intérieur du cercle, ils vous observent, pas un ne croit véritablement que le débat porte sur les enjeux européens ? Tous disent : "ils sont en train de se déchirer sur des enjeux de politique personnelle, de stratégie personnelle et sur la bataille pour la présidence de la République". Ils le disent en tout cas, les Anglais, les Allemands, les Grecs...
R- Les socialistes européens se posent la question simple de savoir si les socialistes français vont faire le choix qui est essentiel pour l'avenir commun...
Q- Ils ne le disent pas comme cela...
R- Attendez : les socialistes européens se moquent parfaitement de savoir qui de L. Fabius, de F. Hollande, de D. Strauss-Kahn sera le prochain candidat. Ils ont approuvé tous, les socialistes européens, le futur traité. Ils ont tous dit que c'était un progrès : un progrès social, un progrès institutionnel, un progrès économique, un progrès démocratique. Pour eux, il n'y avait pas de question à se poser : c'était forcément "oui" et c'est toujours "oui". Alors, il y a une part d'étonnement, en se disant, mais pourquoi, au sein du PS français, le débat se pose ? Est-ce qu'il n'y aurait pas d'autres raisons ? Moi, je n'ai pas à répondre à ses autres raisons : j'ai à faire mon choix et mon choix, il est celui des socialistes européens. Je vais aussi avancer un autre argument : on dit que nous sommes pour l'Europe sociale, j'ai fait campagne sur l'Europe sociale, et aujourd'hui, on voudrait nous faire croire que le traité constitutionnel pourrait entamer cet objectif de l'Europe sociale. Alors, regardons ce que pensent les syndicats européens. C'est quand même eux qui sont en charge de l'avenir de l'Europe sociale. Qu'est-ce qu'ils nous disent ? Ils nous disent qu'il faut approuvé ce traité constitutionnel, parce qu'il va inscrire la Charte des droits fondamentaux, il va reconnaître le rôle des partenaires sociaux. Il va permettre un sommet tripartite sur l'emploi au sein de l'Union européenne et ils encouragent tous les salariés français à dire "oui" à ce traité. Non pas parce que ce serait une avancée dans le socialisme : non, parce qu'il offre enfin des garanties et des droits. Et moi, comme socialiste français, je vais faire le rabat-joie, je vais considérer que ce ne serait pas le moment d'avancée, je vais supputer sur une crise, je vais mettre mon avis en cause, parce que je pense que mon avenir est supérieur à celui de l'avenir de l'Europe ?. Jamais ! Il y a un moment où il faut dire ce que l'on veut en fonction de ses propres engagements, de sa propre histoire, de sa conception de l'avenir, de sa volonté d'Europe. Et c'est ce que je fais. Après, il peut y avoir d'autres considérations. Pour moi, il n'y en a pas d'autres que celles de l'Europe.
Q- Cela veut dire clairement - et de plus en plus clairement désormais - que les militants vont devoir trancher dans une guerre de position. Votre "oui de combat" - c'est la formule que vous utilisiez hier dans les pages du Monde -, le "non" désormais sans ambiguïté de L. Fabius : c'est entre ce "non" là et ce "oui" là que les militants vont devoir choisir ? C'est une guerre de position !
R- Non ! Arrêtez de parler de "guerre" ou de "position" ou de personne !
Q- Mais si !
R- Vous voyez que le débat est décisif. C'est un débat fondamental, ce n'est pas un débat que l'on doit réduire simplement à savoir qui d'un tel ou d'un autre sera le victorieux ou le défunt. Les socialistes français vont décider de l'avenir, parce qu'ils sont la première force politique française. S'ils répondent "oui", le référendum prévu au mois de septembre ou octobre 2005, si nous répondons "oui", les socialistes français, on sait bien que ce référendum sera gagné et que la Constitution européenne verra le jour. Si nous répondons "non" - les militants socialistes en ont parfaitement la possibilité aujourd'hui -, première force politique française, nous savons bien que le référendum sera repoussé et qu'à partir de là, qu'il n'y aura pas de nouvelle Constitution européenne, qu'il n'y aura pas ces avancées, qu'il n'y aura pas cette étape nouvelle. Donc, vous voyez bien que le sujet est quand même majeur, que ce n'est pas simplement de savoir quel est le rapport de force interne, la guerre de position. Non ! Il s'agit de savoir si on franchit, nous - pas les socialistes français mais la France - cette nouvelle étape. C'est cela notre responsabilité.
Q- Mais d'où vient, s'agissant d'un débat aussi important et qui, en effet, comme le faisait remarquer B. Guetta à l'instant, engage des questions très importantes - c'est-à-dire l'alternative à un projet libéral dans le monde, pas simplement en Europe -, d'où vient que beaucoup de ceux qui vous observent en France et à l'extérieur, voient d'abord un débat de politique intérieure avant une grande question européenne ? D'où cela vient-il et comment se fait-il que vous et L. Fabius utilisez à ce point, chacun de son côté, des plans médias ?
R- Je viens chez vous, à la radio, est-ce que c'est un plan média ?!
Q- Vous êtes le bienvenu, mais on voit bien que chacun utilise ses cartes.
R- Je n'ai pas fait de déclaration à la télévision, je ne le suis pas mis dans les journaux plus que nécessaire !
Q- Si, vous étiez dans journaux...
R- Ce serait quand même un paradoxe de dire qu'il y a un plan média quand on vient à la radio ou quand on écrit des papiers dans la presse !
Q- C'est une réalité !
R- Cessons, s'il vous plait de mettre en branle des stratégies... En tout cas, moi, je n'en ai pas. Je n'ai pas de stratégie, je n'ai pas de volonté personnelle, je n'ai pas d'ambition particulière dans cette affaire. Il y a une question qui est posée, elle est simple, les militants socialistes en sont saisis. L'avenir-même de la construction européenne est en cause. Il peut y avoir des arrière-pensées, des utilisations... Moi, je ne fais pas d'utilisation du référendum interne à des fins de stratégie personnelle ; je pose la question et j'attends la réponse des socialistes. Pensez bien que la réponse qui allait de soi, la réponse qui était celle de notre histoire, de notre identité politique, nous socialistes français, la réponse qui était attendue par tous les socialistes européens, la réponse qui est formulée par les syndicats européens, c'est de prendre ce traité constitutionnel, c'est de prendre cette avancée et c'est de faire ensuite le combat nécessaire. Parce que l'Europe, c'est un compromis, ce n'est jamais terminé. Si on veut faire cette alternative au libéralisme, si on veut construire une puissance européenne face à l'hyperpuissance américaine, il faudra le faire avec les Européens. C'est cela le choix fondamental. Alors, permettez-moi : tout autre débat interne, rapport de force, occupation personnelle, plan média, tout cela me parait secondaire par rapport à l'enjeu principal.
Q- Chacun a-t-il conscience, aujourd'hui, de la responsabilité qui est une responsabilité historique ? En effet, le PS, mais la France au-delà du PS, accompagne le projet européen pratiquement depuis son commencement et que là, on est possiblement à un aiguillage.
R- Je pense qu'il est bon, dans une démocratie, puisqu'il va y avoir un référendum dans le pays, puisqu'il y a une question qui est posée dans le PS - et je trouve, de la meilleure des façons, parce qu'on s'interroge sur le rôle des partis politiques, on en voit souvent les machines électorales, les rivalités de personnes, et quand même, là, nous donnons une image exemplaire. C'est vrai qu'il y a une confrontation, mais c'est une image exemplaire, puisque ce sont les militants socialistes eux-mêmes qui vont décider. Dans quel autre parti, aujourd'hui, en France, a-t-on cette démarche-là ? Mais l'enjeu en vaut la peine, parce que vous avez raison : ce qui est en cause, c'est un processus. Je veux surtout insister sur le risque du "oui" et le risque du "non". Si nous disons "oui", perdons-nous quelque chose ? Est-ce que si nous disons "oui", nous reculons ? Est-ce que si nous disons "oui", nous perdons sur nos valeurs ? En aucune manière ! Il n'y a que des avancées, aucun recul. On peut dire qu'il n'y a pas dans le traité un certain nombre de choix que l'on voulait - l'harmonisation fiscale, une politique économique plus volontariste, une politique sociale encore ferme. On peut dire ce qu'il n'y a pas, mais en aucune façon, recul. Quel est le risque du "non" ? On me dit qu'il n'y a pas de risque du "non", mais cela veut dire que les 25 pays qui ont fait un travail pendant plus de trois ans devraient se remettre de nouveau sur le chantier, avec une majorité de gouvernements de droite, avec des conservateurs, des eurosceptiques ? Chacun sait que si nous disons "non", il y a une crise et on ne sait pas comment la dénouer. C'est facile de dire "non", mais le rôle d'un responsable politique, c'est, à un moment, de savoir ce qui se passe le jour d'après et de dire comment on sort, comment on dénoue une crise.
Q- C'est le rapport de force aussi entre l'Europe et par exemple les Etats-Unis qui peut se jouer là ?
R- Je pense qu'il y a une espèce de concomitance. D'un côté, les Américains vont choisir leur futur Président. Soit c'est G. Bush et alors, nous savons bien que cette volonté sera de considérer que l'hyperpuissance peut décider du monde dans son ensemble. Nous en avons, hélas, une illustration. Et il faudra une Europe en face pour y répondre. Soit c'est Kerry ; il voudra tendre la main à l'Europe. Et je souhaite qu'il y ait une main en face de celle de Kerry.
Q- Beaucoup d'observateurs politiques pèsent chacun des mots que vous prononcez, L. Fabius de son côté et les vôtres. Imaginez-vous qu'un jour, ce soit un L. Jospin qui puisse venir faire la part des choses ?
R- Là aussi, je souhaite que L. Jospin s'exprime, c'est normal, sur un sujet de cette importance. Qu'il s'exprime comme ancien Premier ministre.
Q- Vous l'appelez de vos voeux ?
R- Je n'ai pas besoin de l'appeler de mes voeux, puisque je sais qu'il va le faire, il l'a lui-même annoncé. Mais c'est normal : sur un sujet de cette importance, ceux qui ont exercé des responsabilités, ceux qui ont pris des engagements, ceux qui ont agi au nom de la France doivent dire ce qu'ils pensent. Je pense que L. Jospin a raison d'intervenir, mais je ne vous dirai pas ce qu'il va dire, parce que c'est sa liberté
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 septembre 2004)