Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le soutien de l'Etat à la création théâtrale et la production audiovisuelle, Paris le 3 mai 2004.

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Circonstance : Colloque "La journée des auteurs" organisé par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques à Paris le 3 mai 2004

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis et membres de la société des auteurs,
Je suis très heureux de pouvoir vous rejoindre, et je tiens tout d'abord à remercier Christine Miller et Pascal Rogard de m'avoir invité à clore cette journée d'échange et de rencontre.
Je voudrais les remercier, ainsi que tous les participants, car ce dialogue entre les auteurs et les représentants des institutions est plus que jamais nécessaire aujourd'hui.
Et il est indispensable au ministre que je suis. Mon agenda, vous le savez, est mobilisé par la volonté de contribuer à régler les problèmes des intermittents, qui ne sont pas sans lien avec vos débats.
Car au coeur de ma mission, passionnante et exigeante, il y a une triple responsabilité : encourager la création, favoriser l'accès de tous les publics aux oeuvres et maintenir et développer l'emploi culturel.
Ce triptyque indissociable - la création, les publics, l'emploi, - c'est ma feuille de route. Et les auteurs y tiennent une place centrale.
Je suis convaincu que dans la société française d'aujourd'hui, traversée par des fractures, des violences, qui défont notre tissu social, bousculée par la mondialisation, dans une Europe nouvelle, dont la culture peut devenir la " langue commune " -, les créateurs ont un rôle majeur à jouer pour apporter à nos concitoyens, non pas des certitudes inébranlables, mais des questions et des réponses, qui, comme le disait Malraux, sont " de l'ordre de l'esprit ".
Les auteurs vivants que vous représentez, dans la diversité éclatante de leurs talents, sont au premier rang de ce combat que je souhaite mener avec vous. Pour la liberté de l'esprit. Pour la diversité de la culture.
Vous avez déjà pu juger de la détermination du gouvernement auquel j'appartiens, à préserver le budget de la culture et de la communication.
D'abord parce que cela correspond à une très forte attente de nos concitoyens, très attachés à la vitalité et à la diversité de la création culturelle aujourd'hui.
Car la création a connu, au cours de ces vingt dernières années, un formidable renouvellement.
C'est particulièrement le cas du spectacle vivant avec l'évolution des formes dans des genres traditionnels comme l'opéra ou la danse et l'apparition de genres nouveaux comme le cirque contemporain, les arts de la rue ou les musiques actuelles. Le spectacle vivant, c'est aujourd'hui un public de 7 à 10 millions de personnes.
C'est aussi l'explosion des pratiques : 280 000 élèves suivent une formation (hors des écoles privées) ; 47 % des Français ont pratiqué au cours de leur vie une activité artistique. Deux jeunes sur cinq, de 15 à 19 ans, jouent d'un instrument de musique. Un jeune sur cinq danse. Six millions de Français participent chaque année à un projet de spectacle vivant. Plus de six cents festivals constellent le territoire. Ce foisonnement est aussi celui d'un public potentiel pour toutes les oeuvres.
Au coeur du spectacle vivant, il y a bien sûr le théâtre, qui nous ramène à l'essentiel, en trouvant un langage permettant de cesser de rester " le nez collé à la vitre du petit écran, à regarder voler les mouches de l'incompréhensible actualité " (Valère Novarina).
Et je serai particulièrement attentif à la place de ceux qui sont à la source de la création dramatique, les auteurs.
J'attache beaucoup de prix à la découverte de nouveaux talents. La commission d'aide aux auteurs d'oeuvres dramatiques joue dans ce domaine un rôle déterminant, avec le concours de nombreux professionnels.
Je tiens à assurer aux oeuvres d'auteurs dramatiques vivants la meilleure place dans la création et la diffusion des spectacles dans les établissements subventionnés.
L'étude réalisée récemment par le Centre national du théâtre, a donné lieu à controverses. Votre société l'a trouvée trop optimiste. Elle montre tout de même que les auteurs contemporains ont d'ores et déjà une place significative, qui doit, bien sûr, être améliorée. Cette première analyse doit être enrichie. Il nous faut améliorer les données dont nous disposons sur le spectacle vivant, comme nous y invite Bernard Latarjet dans son rapport.
Il faut aussi renforcer les liens entre les lieux et les talents. Jean-Louis Barrault disait " qu'il n'y a de théâtre vivant que si les auteurs y sont attachés ". Il ajoutait : " ce sont les auteurs autant que les troupes qui font les théâtres ".
Vous savez que dans leur cahier des charges, les centres dramatiques nationaux doivent réaliser trois créations d'auteurs vivants, de langue française, par période de trois ans et je serai très attentif au respect de cette obligation.
Je tiens également à rappeler l'importance des aides apportées par le Centre National du Livre aux écritures théâtrales, à leur publication, et à leur diffusion.
En 2003, avec les bourses d'écriture, les subventions aux revues, les aides aux éditeurs, aux librairies et aux bibliothèques, ce sont au total 570 000 euros que le CNL a consacré aux livres de théâtre.
J'ajoute que, dans les comités d'attribution des aides aux compagnies dramatiques, la présence d'oeuvres nouvelles a une importance déterminante et je donnerai des directives aux directeurs régionaux des affaires culturelles pour approfondir encore cette orientation.
Enfin, je veux rappeler que le ministère de la culture soutient en collaboration étroite avec la SACD, le fonds de développement de la création théâtrale contemporaine et le fonds de création lyrique.
Votre directeur général, Pascal Rogard, a proposé d'ouvrir un débat sur la notion de domaine public payant dans le spectacle vivant. Je suis prêt à étudier cette hypothèse. Avec vigilance sur le domaine public, l'un des piliers de notre droit de la propriété littéraire et artistique, hérité de Beaumarchais, de la Révolution et de l'abolition des privilèges. Car le libre accès de tous aux oeuvres est une valeur démocratique.
Vous savez que je dois également veiller à l'équilibre économique des établissements subventionnés qui font face, depuis quelques années, à des charges nouvelles : je pense à la fiscalisation des associations, à la réduction du temps de travail ou à l'augmentation des cotisations sociales.
Je suis certain d'une chose : la création apporte toujours un " plus " au spectateur, en termes qualitatifs, et c'est cela qui compte.
Et le spectateur audiovisuel ?
Je suis conscient de mes responsabilités à l'égard de la création audiovisuelle et du cinéma, aux côtés de tous les acteurs de ce secteur majeur pour le dynamisme de notre culture, de notre société, de notre économie.
Dans une société de plus en plus individualiste, la télévision tient parfois lieu de lien social. Et ce lien n'est pas séparé de celui qui s'instaure avec le spectacle vivant. Le téléspectateur doit avoir accès, en particulier sur les chaînes publiques, à l'extraordinaire créativité que j'évoquais il y a un instant. Je me félicite que la modification du contrat d'objectifs et de moyens de France télévisions prévoit de renforcer la diffusion de programmes de culture et de connaissance à des heures d'écoute significatives. C'est une exigence et j'y veillerai.
Or la création audiovisuelle se trouve aujourd'hui dans une situation paradoxale.
Jamais autant de moyens d'expression n'ont été aussi nombreux et facilement accessibles au grand public. Le succès de la télévision par voie hertzienne, par satellite, le lancement de la télévision par ADSL, la TNT demain, le succès d'Internet, la forte croissance du DVD, l'équipement des foyers français en ordinateurs, en " home cinéma ", en lecteurs DVD sont autant d'outils au service de la création audiovisuelle.
Les auteurs devraient se réjouir de cette situation inédite dans l'histoire de la culture. Et pourtant, je constate que votre sentiment général est très mitigé.
Briser le cercle vicieux pour enclencher un nouveau cercle vertueux de la création.
Je déplore ce cercle vicieux, qui se nourrit du paradoxe que je viens de décrire et de l'insatisfaction des auteurs, mais aussi des autres acteurs de la chaîne professionnelle de l'audiovisuel. Ce cercle vicieux favorise l'incompréhension dont nous ne pourrons sortir durablement que par le dialogue. Et j'entends briser ce cercle vicieux, pour enclencher un nouveau cercle vertueux de la création audiovisuelle.
Une exigence : analyser et comprendre
Il me paraît indispensable, à partir d'un constat incontestable, de comprendre et d'analyser les faiblesses de notre économie de la production, afin d'y porter remède.
Beaucoup a déjà été fait :
Les " bilans " du CNC donnent une image des difficultés actuelles de la production audiovisuelle aidée.
Le rapport intéressant commandé par Jean-Jacques Aillagon à M. Antoine Schwarz a permis de poser les éléments d'un diagnostic d'ensemble.
Les analyses stimulantes de M. Serge Siritzky sur la production de fiction ont ouvert d'intéressantes pistes de propositions.
Il faut toutefois aller encore plus loin et procéder à une véritable évaluation de notre dispositif de soutien à la production audiovisuelle. Nous disposons désormais d'un recul suffisant pour le faire.
Je vous annonce que je vais demander à M. David Kessler et M. Alain Seban, d'engager très rapidement, dans le cadre de l'observatoire de la production audiovisuelle indépendante, une évaluation de l'efficacité du dispositif de soutien à la production audiovisuelle et du décret du 9 juillet 2001. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel participe aux travaux de cet observatoire.
Je vais réunir, dans les semaines qui viennent, sous ma présidence effective, cette instance de dialogue, qui est le lieu naturel de confrontation et d'échange entre producteurs, auteurs et diffuseurs.
L'évolution du cadre réglementaire :
C'est sur la base de cette analyse des insuffisances du dispositif actuel qu'il faudra envisager les évolutions du cadre réglementaire complexe qui régit aujourd'hui notre paysage audiovisuel.
Son objectif est bien de favoriser la création d'une production française originale. Il ne s'agit donc surtout pas d'une simple comptabilité de quotas, qui risquerait, à la longue, d'uniformiser la création.
Je sais que c'est dans cet esprit, que les négociations entre Canal plus et les organisations du cinéma se poursuivent à un rythme intensif. Je souhaite qu'elles puissent aboutir au mieux des intérêts de chacune des parties.
Le maintien et le développement d'une création originale forte suppose évidemment des moyens financiers conséquents.
Des aménagements réglementaires au régime de soutien financier à la production audiovisuelle que gère le CNC vont prochainement être publiés. Les producteurs titulaires de comptes automatiques pourront utiliser une partie des sommes inscrites sur ce compte pour développer des projets, donc rémunérer des auteurs, sans pour autant être astreint à rembourser ces aides si le projet n'entre pas en production.
Mais cette mesure n'est pas en soi suffisante.
Je souhaite que le CNC réfléchisse à une mesure de soutien davantage dédiée à la création originale.
Le débat sur la création a été relancé par la décision du Conseil d'Etat, qui a reconnu la qualité d' " oeuvre audiovisuelle " au sens du décret de 1990, à l'émission " Popstars ".
Cette réflexion doit naturellement se poursuivre et contribuer à l'évaluation que je viens d'annoncer. Elle est actuellement entre les mains du Conseil supérieur de l'audiovisuel, dont l'avis nous aidera à progresser.
Je note que les pistes tracées par les uns et les autres s'orientent moins vers une révision profonde de la définition de l'oeuvre, que vers une meilleure valorisation, dans le cadre des obligations des diffuseurs, de la production d'oeuvres " de stock " : fictions, animations, documentaires.
La question essentielle est bien celle de l'adéquation du dispositif en vigueur aux buts d'intérêt général qu'il poursuit. La création dans sa qualité, dans sa diversité, dans son dynamisme se situe pour moi au premier plan de cette évaluation.
Une urgence : enrayer les délocalisations
Il existe déjà un diagnostic incontestable : c'est celui du coût élevé de la production en France, entraînant l'explosion des délocalisations, qui menace notre tissu d'industries techniques et ébranle l'ensemble de la filière de la production audiovisuelle et cinématographique.
Je suis résolu à agir, pour enclencher, dans les meilleurs délais, car je considère qu'il y a urgence, un mouvement de relocalisation des tournages.
La mise en place de fonds régionaux, abondés par le CNC, est une première réponse.
Vous savez que cette mesure, comme l'a annoncé le Premier ministre, en recevant la SACD, bénéficiera autant à la production audiovisuelle qu'à la production cinématographique.
Je serai attentif à sa mise en oeuvre. Je sais que le CNC y travaille. Je compte également beaucoup sur les travaux de la mission confiée à Christian Kert pour éclairer la mise en place de ces fonds régionaux.
Je souhaite compléter cet arsenal en étendant à l'audiovisuel le crédit d'impôt institué en faveur du cinéma.
Je me réjouis que le décret fiscal relatif à ce crédit d'impôt pour le cinéma vienne de paraître au Journal officiel.
L'extension de ce mécanisme à l'audiovisuel constituera, dans la perspective de la préparation du budget 2005, la priorité de mon ministère dans le domaine fiscal.
Je vous assure de ma détermination à plaider avec énergie en faveur de cette mesure.
Mais je tiens à l'assortir dès maintenant d'une condition essentielle.
Ma feuille de route, je vous l'ai dit, est un triptyque dont les volets sont inséparables : l'effort accompli en faveur de la création et des publics devra s'accompagner de perspectives précises pour l'emploi et en particulier pour l'emploi stable.
Toute amélioration du financement de la production audiovisuelle devra se traduire par des emplois. Car je suis aussi le ministre de l'emploi dans l'audiovisuel. De l'entrée dans la vie professionnelle jusqu'à la fin. C'est pourquoi je souhaite que la concertation engagée avec vous sur la retraite des auteurs, pour marquer des avancées substantielles, se poursuive et soit menée à terme.
J'attends aussi avec beaucoup d'intérêt le rapport commandé à Fabrice Fries sur la vidéo. Je souhaite qu'il nous éclaire sur la façon dont ce secteur puisse se montrer plus transparent et plus respectueux du droit des auteurs.
Dans un paysage culturel en pleine mutation, je suis heureux que les auteurs, avec votre société, prennent leur destin en main.
Je veux, pour conclure - provisoirement - cette première rencontre, vous remercier à mon tour pour votre écoute et vous faire part d'un engagement : vous serez associés à toutes les décisions qui vous concernent.
Car c'est avec vous, avec la force de vos talents, que je veux construire un vrai projet pour la création et la diversité culturelles pour notre pays, conforme à nos ambitions dans le cadre de la nouvelle Europe, et au message de la France.
Je sais que vos métiers, ne voguent pas - tout comme le mien - sur un long fleuve tranquille. Mais ils sont vraiment parmi les plus beaux métiers du monde !
Et je souhaite de tout coeur, avec vous, aller jusqu'aux " remous plein d'ivresses du grand fleuve Diversité " (Victor Segalen, Stèles).
Je vous remercie.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 4 mai 2004)