Texte intégral
QUESTION : Les Nations Unies terminent donc une guerre qu'elles n'avaient pas autorisée. Le dernier mot revient-il enfin à la loi internationale et au droit ?
Alain JUPPÉ : Oui, et il y a, je crois, deux sujets de satisfaction pour la France et pour tous ceux qui cherchent la paix dans ce dossier irakien. Le premier, c'est que précisément cela se passe désormais au Conseil de sécurité des Nations Unies, comme nous l'avons toujours demandé, parce que c'est là que doit se décider la paix ou éventuellement, le rétablissement de la paix. Et deuxième sujet de satisfaction, c'est que le contenu de la résolution va dans le bon sens. La France avait souhaité, depuis des mois et des mois, que les Irakiens recouvrent leur souveraineté, et c'est ce qui est décidé.
QUESTION : La France redevient l'amie de l'Amérique et l'alliée conditionnelle, puisqu'on a accepté un certain nombre de conditions, des États-Unis. Mais les Nations Unies ne marquent-elles pas là l'échec de la politique de l'administration Bush ? Elles lui offrent aussi une porte de sortie, l'Irak ; un cadeau. Les Nations Unies, qui sont en train d'assurer la réélection de Bush ?
Alain JUPPÉ : Je ne sais pas s'il faut analyser les choses en ces termes. La France a suivi la ligne que vous savez, elle a eu raison. Et aujourd'hui, elle a aussi raison, me semble-t-il, de faire preuve aux Nations Unies, de bonne volonté pour qu'on essaye de s'en sortir. Parce que notre intérêt à tous est que l'on trouve une solution de réconciliation des Irakiens et de reconstruction de ce pays.
QUESTION : Va-t-on informer les partis et l'opinion française de ce qui s'est passé aux Nations Unies ? Faut-il un débat ?
Alain JUPPÉ : On le fait en permanence. Il y a des débats à l'Assemblée nationale très régulièrement. La commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale et celle du Sénat en discutent très régulièrement. Il y a les questions d'actualité. Tout le monde est parfaitement informé de ce qui se passe.
QUESTION : Ce matin, l'Europe, en tant que puissance, existe-t-elle davantage ?
Alain JUPPÉ : Je crois. C'est vrai que dans l'affaire irakienne, nous nous sommes divisés, vous en vous en souvenez. Mais depuis, il y a eu beaucoup d'efforts dans les deux sens pour se comprendre et pour définir une attitude commune. Et c'est le cas aujourd'hui. Je crois que l'Union européenne, contrairement à ce qu'on dit parfois, existe sur la scène internationale. Je voudrais évoquer un autre conflit, très lié d'ailleurs à la situation en Irak, et qui est peut être un des plus inquiétants de la planète, celui du Proche Orient, où il y a une position commune de l'Union européenne. Je souhaiterais qu'elle pèse davantage sur la scène internationale.
QUESTION : Les progrès de la construction de l'Europe ont des effets sur nous et la société française. Le noyau dur de la CGT et le syndicat Sud FO et la CFDT ne sont pas dans le coup multiplient les coupures de courant ciblées. Dites-vous : "ça leur passera bien, il faut laisser faire ?"
Alain JUPPÉ : "Laisser faire", sûrement pas. Je crois qu'il faut informer les Françaises et les Français là dessus aussi. EDF est une très grande entreprise et ses salariés sont des bons professionnels. C'est grâce à EDF et...
QUESTION : D'accord, d'accord...
Alain JUPPÉ : Oui, attendez, "d'accord"... Permettez-moi de le dire ! Je pense en particulier à ce qui s'est passé fin 1999 : il y a eu une très forte tempête, les agents d'EDF étaient là, sur le terrain, immédiatement, pour réparer. Je dis cela parce que, aujourd'hui, c'est une petite minorité qui est en train de gâcher l'image d'une grande entreprise publique. On voit bien que des extrémistes ont décidé de prendre les Français en otages ceux qui circulent dans les transports en commun ou d'autres encore. Ceci n'est pas acceptable. Le Gouvernement a eu raison de le dire de manière très forte.
QUESTION : Mais êtes vous de ceux qui réclament des sanctions ?
Alain JUPPÉ : Je réclame surtout le respect de la loi qui est que le service public doit être assuré en continuité. C'est cela le service public. On nous bassine toujours avec le service public, et j'y suis pour ma part très attaché. Mais ça veut dire quoi le service public ? Cela veut dire l'égalité de traitement et d'accès de tous les usagers, et cela veut dire également la continuité du service rendu. Et cela ce n'est pas acceptable, il faut le dire. D'autant que, l'avenir d'EDF n'est pas menacé. Il s'agit au contraire de renforcer...
QUESTION : Mais vous entendez : "Vous allez privatiser ! Vous voulez privatiser à terme !"...
Alain JUPPÉ : Il ne s'agit absolument pas de privatiser. Là dessus, Nicolas Sarkozy a été très clair, en expliquant que la puissance publique resterait majoritaire. Il s'agit simplement de donner à l'entreprise un statut qui lui permette de mieux jouer son rôle sur la scène internationale. EDF n'est pas seule au monde, il y a d'autres entreprises d'électricité en Europe et dans le monde. Il faut donc permettre à EDF de jouer pleinement son rôle.
QUESTION : Vous savez qui pourrait acheter EDF ?
Alain JUPPÉ : Je me le demande bien aujourd'hui, parce qu'il y a une bonne cinquantaine de centrales électriques à démanteler dans les dix ou vingt ans qui viennent ; il y a la nouvelle génération de centrales nucléaires, ce que l'on appelle "les EPR", à construire. Je suis convaincu que la puissance publique restera dans ce domaine de l'électricité, et notamment dans le domaine de l'électricité d'origine nucléaire, qui est le choix français choix heureux d'ailleurs pour l'environnement, je suis persuadé que la puissance publique restera aux commandes.
QUESTION : Si la pression continue de cette façon, peut-on imaginer que le Gouvernement et la majorité retireront le projet de réforme ?
Alain JUPPÉ : Sûrement pas. La détermination du Gouvernement est entière, parce que c'est l'intérêt d'EDF et parce que c'est l'intérêt de la France et des consommateurs français.
QUESTION : Avec un certain courage et de l'humour d'ailleurs, Nicolas Sarkozy est allé demander hier aux coupeurs de courant, "de ne pas se couper de l'opinion". Donc, on peut estimer que c'est l'opinion qui tranchera ?
Alain JUPPÉ : Je crois que les Français ont du bon sens, ils se rendent bien compte qu'il ne faut pas se laisser entraîner dans tout cela par quelques extrémistes.
QUESTION : Cela veut-il dire que Jean-Pierre Raffarin est en train de faire aboutir, même s'il a un peu de mal, ses réformes, y compris, très bientôt, la réforme de l'assurance maladie ?
Alain JUPPÉ : Je le crois. La réforme des retraites est faite ; la réforme des grandes entreprises et des grands services publics est en cours ; quant à la réforme de l'assurance maladie, elle chemine. On n'a pas beaucoup parlé ce matin d'une décision très importante qui a été prise hier soir par la Caisse nationale d'assurance maladie qui, à l'exception de la CGT, laquelle a voté contre, a approuvé le plan de Philippe Douste-Blazy. L'ensemble des partenaires a voté pour ou s'est abstenu. Je crois que c'est une étape extrêmement importante dans le sauvetage de notre assurance maladie.
QUESTION : C'était le sens de ma question. Cela progresse à petits pas mais ça progresse... Vous êtes aussi venu parler de l'Europe...
Alain JUPPÉ : Oui, absolument.
QUESTION : Pourquoi cet échec, l'échec supposé ou apparent, de la campagne pour les européennes de dimanche ? Tout le monde "s'en fout" ?
Alain JUPPÉ : Non, non, non. On dit que "tout le monde s'en fout !". J'étais hier soir, pardonnez-moi, à Lyon, devant 500 ou 600 personnes, et j'ai trouvé de l'enthousiasme. Ce soir, je suis à nouveau à Bordeaux, avec Valéry Giscard d'Estaing ; la semaine dernière, j'étais à Strasbourg. Et je crois qu'il faut bien distinguer la vision parisienne des choses qui, comme toujours, est très éloignée du terrain, et ce qui se passe en réalité. Il y a une campagne qui se fait. Certes, il n'y a pas une mobilisation formidable, ni en France ni ailleurs, je veux bien l'admettre. Mais ceci est peut être lié au fait que nous n'avons pas su, c'est une responsabilité collective, expliquer aux Françaises et aux Français, à quel point le Parlement européen...
QUESTION : Vous n'avez pas "su" ou vous n'avez pas "voulu" ?
Alain JUPPÉ : Non, non, bien sûr qu'on a voulu...
QUESTION : Est-ce que l'on a voulu escamoter le débat ?
Alain JUPPÉ : Non, pas du tout, c'est une interprétation que je ne partage pas. Pour ma part, je mouille ma chemise depuis des semaines et des semaines pour essayer de faire ce travail. Nous n'avons pas su expliquer que le Parlement européen était un lieu de pouvoir. Ce n'est pas une simple Chambre d'enregistrement, c'est l'expression démocratique des peuples européens, et ce Parlement prend des décisions. Il vote...
QUESTION : Oui, mais les gens se disent qu'avec 78 eurodéputés sur près de 750, ils ne vont pas peser lourd pour les grandes décisions...
Alain JUPPÉ : Cela compte... Mais bien sûr qu'on peut peser très lourd, à condition de ne pas se disperser. C'est la raison pour laquelle je crois que la meilleure façon d'assurer à la représentation française le maximum de son efficacité, c'est de voter pour les formations politiques qui ont une vision claire de l'Europe, et en particulier pour l'UMP, bien sûr.
QUESTION : C'est à dire pas François Bayrou ? Lui demandez-vous, ce matin encore, qu'il rejoigne Strasbourg, par efficacité, le parti de la droite PPE ?
Alain JUPPÉ : Il y a quelques années, il dénonçait les gaullistes qui étaient dans leur coin, il les invitait à rejoindre le PPE pour peser de tout leur poids dans une grande formation politique. Voyez comment l'histoire, parfois, balbutie...
QUESTION : A partir de quel score, dimanche soir, direz vous : on n'a pas perdu ?
Alain JUPPÉ : Je ne veux pas entrer dans ces calculs. On verra bien dimanche soir. C'est dans trois ou quatre jours. On en tirera à ce moment là les enseignements. Je voudrais que les trois ou quatre jours qui viennent devant nous, restent encore des jours pendant lesquels nous pouvons convaincre que l'Europe c'est important. Regardez ce qui s'est passé dimanche dernier sur les plages de Normandie. Quand j'ai entendu un vétéran, qui était là, qui venait d'être décoré, évoquer d'abord le sacrifice de beaucoup de ses camarades et ses propres souffrances, et conclure : "Aujourd'hui, l'Europe c'est la paix", je me suis dit que nous devrions bien y réfléchir. Parce que, ce n'est pas acquis pour toujours, quand vous voyez ce qui se passe dans les Balkans en ce moment par exemple...
QUESTION : Quand vous voyez aussi monter aussi, d'une certaine façon, les populismes dans certains pays de l'Europe de l'Est et Centrale qui nous ont rejoints...
Alain JUPPÉ : Absolument. Vous vous dites que l'histoire de l'Europe a basculé après la Deuxième guerre mondiale. Après la Première guerre mondiale, tout le monde a dit : "Plus jamais ça !" Cela a recommencé 30 ans après. Et cette fois ci...
QUESTION : Non, vous n'annoncez pas que cela va recommencer !
Alain JUPPÉ : Non, au contraire, je vous annonce aujourd'hui que, précisément, c'est parce que nous avons fait l'Union européenne que nous pouvons avoir confiance dans l'avenir. Il ne faut pas gâcher cette chance.
QUESTION : Le destin du Gouvernement est-il concerné par des résultats européens médiocres ?
Alain JUPPÉ : Bien sûr que la situation politique sera concernée par les résultats. Vous dites qu'ils seront médiocres, on verra. Vous savez, la capacité des observateurs à se tromper est infinie. Souvenez-vous, avant les régionales, on nous avait prédit un record d'abstention. Il y a eu un record de participation. Alors, attendons de voir. Cela dit, il ne faut pas se tromper d'élections. De même que les élections régionales n'aboutissent pas à changer la majorité parlementaire, de même les élections européennes ne changeront pas la majorité parlementaire.
QUESTION : En Une du Figaro, ce matin, votre prochaine succession à la tête de l'UMP attise les tensions. "Les chiraquiens, dit le Figaro, veulent dissuader Sarkozy d'y aller". Vous aussi ?
Alain JUPPÉ : Écoutez, j'ai décidé d'assumer mes responsabilités pendant cette période de transition, et notamment, pendant les élections européennes. Pour la suite, on ne peut pas trop m'en demander. J'aurai quitté la scène politique, ce sera aux responsables de l'UMP de se mettre d'accord entre eux.
QUESTION : Mais vous ne dites pas : " qu'ils se débrouillent ! " ? Vous qui voulez avant de partir, laisser une majorité pas trop cabossée...
Alain JUPPÉ : A chacun sa responsabilité. J'ai fait mon travail, jusqu'à son terme. Je souhaite bonne chance à ceux qui me succéderont, quels qu'ils soient.
QUESTION : Mais un compromis est-il possible ?
Alain JUPPÉ : J'espère, bien sûr. Je fais appel au rassemblement. Qu'est ce que j'essaye de faire dans ces dernières semaines de présidence de l'UMP ? C'est de rassembler, d'être le rassembleur. J'ai reçu N. Sarkozy récemment au siège de l'UMP, j'ai fait la même chose avec plusieurs membres du Gouvernement. Et donc mon rôle, c'est d'essayer de rassembler. Et je souhaite que mon successeur soit un rassembleur.
QUESTION : L'ultime message... Savez-vous quelle est la ville qui, selon le grand historien Bredel, "ressemble le plus à Venise", où vous n'irez pas ?
Alain JUPPÉ : Amsterdam, peut être, non ?
QUESTION : Non, New York.
Alain JUPPÉ : New York...
QUESTION : C'est bien ?
Alain JUPPÉ : Oui, c'est beau New York. Venise aussi !
QUESTION : Il reste d'ici là d'autres combats et d'autres décisions. [...] Je voudrais dire que vous avez tenu parole, car en décembre vous avez jumelé Bordeaux et Oran. Votre conseil municipal vient de voter une subvention pour les cimetières français d'Oran, chrétiens et juifs. Ils en avaient bien besoin.
Alain JUPPÉ : Merci de le rappeler.
(Source : http://www.u-m-p.org, le 10 juin 2004)
Alain JUPPÉ : Oui, et il y a, je crois, deux sujets de satisfaction pour la France et pour tous ceux qui cherchent la paix dans ce dossier irakien. Le premier, c'est que précisément cela se passe désormais au Conseil de sécurité des Nations Unies, comme nous l'avons toujours demandé, parce que c'est là que doit se décider la paix ou éventuellement, le rétablissement de la paix. Et deuxième sujet de satisfaction, c'est que le contenu de la résolution va dans le bon sens. La France avait souhaité, depuis des mois et des mois, que les Irakiens recouvrent leur souveraineté, et c'est ce qui est décidé.
QUESTION : La France redevient l'amie de l'Amérique et l'alliée conditionnelle, puisqu'on a accepté un certain nombre de conditions, des États-Unis. Mais les Nations Unies ne marquent-elles pas là l'échec de la politique de l'administration Bush ? Elles lui offrent aussi une porte de sortie, l'Irak ; un cadeau. Les Nations Unies, qui sont en train d'assurer la réélection de Bush ?
Alain JUPPÉ : Je ne sais pas s'il faut analyser les choses en ces termes. La France a suivi la ligne que vous savez, elle a eu raison. Et aujourd'hui, elle a aussi raison, me semble-t-il, de faire preuve aux Nations Unies, de bonne volonté pour qu'on essaye de s'en sortir. Parce que notre intérêt à tous est que l'on trouve une solution de réconciliation des Irakiens et de reconstruction de ce pays.
QUESTION : Va-t-on informer les partis et l'opinion française de ce qui s'est passé aux Nations Unies ? Faut-il un débat ?
Alain JUPPÉ : On le fait en permanence. Il y a des débats à l'Assemblée nationale très régulièrement. La commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale et celle du Sénat en discutent très régulièrement. Il y a les questions d'actualité. Tout le monde est parfaitement informé de ce qui se passe.
QUESTION : Ce matin, l'Europe, en tant que puissance, existe-t-elle davantage ?
Alain JUPPÉ : Je crois. C'est vrai que dans l'affaire irakienne, nous nous sommes divisés, vous en vous en souvenez. Mais depuis, il y a eu beaucoup d'efforts dans les deux sens pour se comprendre et pour définir une attitude commune. Et c'est le cas aujourd'hui. Je crois que l'Union européenne, contrairement à ce qu'on dit parfois, existe sur la scène internationale. Je voudrais évoquer un autre conflit, très lié d'ailleurs à la situation en Irak, et qui est peut être un des plus inquiétants de la planète, celui du Proche Orient, où il y a une position commune de l'Union européenne. Je souhaiterais qu'elle pèse davantage sur la scène internationale.
QUESTION : Les progrès de la construction de l'Europe ont des effets sur nous et la société française. Le noyau dur de la CGT et le syndicat Sud FO et la CFDT ne sont pas dans le coup multiplient les coupures de courant ciblées. Dites-vous : "ça leur passera bien, il faut laisser faire ?"
Alain JUPPÉ : "Laisser faire", sûrement pas. Je crois qu'il faut informer les Françaises et les Français là dessus aussi. EDF est une très grande entreprise et ses salariés sont des bons professionnels. C'est grâce à EDF et...
QUESTION : D'accord, d'accord...
Alain JUPPÉ : Oui, attendez, "d'accord"... Permettez-moi de le dire ! Je pense en particulier à ce qui s'est passé fin 1999 : il y a eu une très forte tempête, les agents d'EDF étaient là, sur le terrain, immédiatement, pour réparer. Je dis cela parce que, aujourd'hui, c'est une petite minorité qui est en train de gâcher l'image d'une grande entreprise publique. On voit bien que des extrémistes ont décidé de prendre les Français en otages ceux qui circulent dans les transports en commun ou d'autres encore. Ceci n'est pas acceptable. Le Gouvernement a eu raison de le dire de manière très forte.
QUESTION : Mais êtes vous de ceux qui réclament des sanctions ?
Alain JUPPÉ : Je réclame surtout le respect de la loi qui est que le service public doit être assuré en continuité. C'est cela le service public. On nous bassine toujours avec le service public, et j'y suis pour ma part très attaché. Mais ça veut dire quoi le service public ? Cela veut dire l'égalité de traitement et d'accès de tous les usagers, et cela veut dire également la continuité du service rendu. Et cela ce n'est pas acceptable, il faut le dire. D'autant que, l'avenir d'EDF n'est pas menacé. Il s'agit au contraire de renforcer...
QUESTION : Mais vous entendez : "Vous allez privatiser ! Vous voulez privatiser à terme !"...
Alain JUPPÉ : Il ne s'agit absolument pas de privatiser. Là dessus, Nicolas Sarkozy a été très clair, en expliquant que la puissance publique resterait majoritaire. Il s'agit simplement de donner à l'entreprise un statut qui lui permette de mieux jouer son rôle sur la scène internationale. EDF n'est pas seule au monde, il y a d'autres entreprises d'électricité en Europe et dans le monde. Il faut donc permettre à EDF de jouer pleinement son rôle.
QUESTION : Vous savez qui pourrait acheter EDF ?
Alain JUPPÉ : Je me le demande bien aujourd'hui, parce qu'il y a une bonne cinquantaine de centrales électriques à démanteler dans les dix ou vingt ans qui viennent ; il y a la nouvelle génération de centrales nucléaires, ce que l'on appelle "les EPR", à construire. Je suis convaincu que la puissance publique restera dans ce domaine de l'électricité, et notamment dans le domaine de l'électricité d'origine nucléaire, qui est le choix français choix heureux d'ailleurs pour l'environnement, je suis persuadé que la puissance publique restera aux commandes.
QUESTION : Si la pression continue de cette façon, peut-on imaginer que le Gouvernement et la majorité retireront le projet de réforme ?
Alain JUPPÉ : Sûrement pas. La détermination du Gouvernement est entière, parce que c'est l'intérêt d'EDF et parce que c'est l'intérêt de la France et des consommateurs français.
QUESTION : Avec un certain courage et de l'humour d'ailleurs, Nicolas Sarkozy est allé demander hier aux coupeurs de courant, "de ne pas se couper de l'opinion". Donc, on peut estimer que c'est l'opinion qui tranchera ?
Alain JUPPÉ : Je crois que les Français ont du bon sens, ils se rendent bien compte qu'il ne faut pas se laisser entraîner dans tout cela par quelques extrémistes.
QUESTION : Cela veut-il dire que Jean-Pierre Raffarin est en train de faire aboutir, même s'il a un peu de mal, ses réformes, y compris, très bientôt, la réforme de l'assurance maladie ?
Alain JUPPÉ : Je le crois. La réforme des retraites est faite ; la réforme des grandes entreprises et des grands services publics est en cours ; quant à la réforme de l'assurance maladie, elle chemine. On n'a pas beaucoup parlé ce matin d'une décision très importante qui a été prise hier soir par la Caisse nationale d'assurance maladie qui, à l'exception de la CGT, laquelle a voté contre, a approuvé le plan de Philippe Douste-Blazy. L'ensemble des partenaires a voté pour ou s'est abstenu. Je crois que c'est une étape extrêmement importante dans le sauvetage de notre assurance maladie.
QUESTION : C'était le sens de ma question. Cela progresse à petits pas mais ça progresse... Vous êtes aussi venu parler de l'Europe...
Alain JUPPÉ : Oui, absolument.
QUESTION : Pourquoi cet échec, l'échec supposé ou apparent, de la campagne pour les européennes de dimanche ? Tout le monde "s'en fout" ?
Alain JUPPÉ : Non, non, non. On dit que "tout le monde s'en fout !". J'étais hier soir, pardonnez-moi, à Lyon, devant 500 ou 600 personnes, et j'ai trouvé de l'enthousiasme. Ce soir, je suis à nouveau à Bordeaux, avec Valéry Giscard d'Estaing ; la semaine dernière, j'étais à Strasbourg. Et je crois qu'il faut bien distinguer la vision parisienne des choses qui, comme toujours, est très éloignée du terrain, et ce qui se passe en réalité. Il y a une campagne qui se fait. Certes, il n'y a pas une mobilisation formidable, ni en France ni ailleurs, je veux bien l'admettre. Mais ceci est peut être lié au fait que nous n'avons pas su, c'est une responsabilité collective, expliquer aux Françaises et aux Français, à quel point le Parlement européen...
QUESTION : Vous n'avez pas "su" ou vous n'avez pas "voulu" ?
Alain JUPPÉ : Non, non, bien sûr qu'on a voulu...
QUESTION : Est-ce que l'on a voulu escamoter le débat ?
Alain JUPPÉ : Non, pas du tout, c'est une interprétation que je ne partage pas. Pour ma part, je mouille ma chemise depuis des semaines et des semaines pour essayer de faire ce travail. Nous n'avons pas su expliquer que le Parlement européen était un lieu de pouvoir. Ce n'est pas une simple Chambre d'enregistrement, c'est l'expression démocratique des peuples européens, et ce Parlement prend des décisions. Il vote...
QUESTION : Oui, mais les gens se disent qu'avec 78 eurodéputés sur près de 750, ils ne vont pas peser lourd pour les grandes décisions...
Alain JUPPÉ : Cela compte... Mais bien sûr qu'on peut peser très lourd, à condition de ne pas se disperser. C'est la raison pour laquelle je crois que la meilleure façon d'assurer à la représentation française le maximum de son efficacité, c'est de voter pour les formations politiques qui ont une vision claire de l'Europe, et en particulier pour l'UMP, bien sûr.
QUESTION : C'est à dire pas François Bayrou ? Lui demandez-vous, ce matin encore, qu'il rejoigne Strasbourg, par efficacité, le parti de la droite PPE ?
Alain JUPPÉ : Il y a quelques années, il dénonçait les gaullistes qui étaient dans leur coin, il les invitait à rejoindre le PPE pour peser de tout leur poids dans une grande formation politique. Voyez comment l'histoire, parfois, balbutie...
QUESTION : A partir de quel score, dimanche soir, direz vous : on n'a pas perdu ?
Alain JUPPÉ : Je ne veux pas entrer dans ces calculs. On verra bien dimanche soir. C'est dans trois ou quatre jours. On en tirera à ce moment là les enseignements. Je voudrais que les trois ou quatre jours qui viennent devant nous, restent encore des jours pendant lesquels nous pouvons convaincre que l'Europe c'est important. Regardez ce qui s'est passé dimanche dernier sur les plages de Normandie. Quand j'ai entendu un vétéran, qui était là, qui venait d'être décoré, évoquer d'abord le sacrifice de beaucoup de ses camarades et ses propres souffrances, et conclure : "Aujourd'hui, l'Europe c'est la paix", je me suis dit que nous devrions bien y réfléchir. Parce que, ce n'est pas acquis pour toujours, quand vous voyez ce qui se passe dans les Balkans en ce moment par exemple...
QUESTION : Quand vous voyez aussi monter aussi, d'une certaine façon, les populismes dans certains pays de l'Europe de l'Est et Centrale qui nous ont rejoints...
Alain JUPPÉ : Absolument. Vous vous dites que l'histoire de l'Europe a basculé après la Deuxième guerre mondiale. Après la Première guerre mondiale, tout le monde a dit : "Plus jamais ça !" Cela a recommencé 30 ans après. Et cette fois ci...
QUESTION : Non, vous n'annoncez pas que cela va recommencer !
Alain JUPPÉ : Non, au contraire, je vous annonce aujourd'hui que, précisément, c'est parce que nous avons fait l'Union européenne que nous pouvons avoir confiance dans l'avenir. Il ne faut pas gâcher cette chance.
QUESTION : Le destin du Gouvernement est-il concerné par des résultats européens médiocres ?
Alain JUPPÉ : Bien sûr que la situation politique sera concernée par les résultats. Vous dites qu'ils seront médiocres, on verra. Vous savez, la capacité des observateurs à se tromper est infinie. Souvenez-vous, avant les régionales, on nous avait prédit un record d'abstention. Il y a eu un record de participation. Alors, attendons de voir. Cela dit, il ne faut pas se tromper d'élections. De même que les élections régionales n'aboutissent pas à changer la majorité parlementaire, de même les élections européennes ne changeront pas la majorité parlementaire.
QUESTION : En Une du Figaro, ce matin, votre prochaine succession à la tête de l'UMP attise les tensions. "Les chiraquiens, dit le Figaro, veulent dissuader Sarkozy d'y aller". Vous aussi ?
Alain JUPPÉ : Écoutez, j'ai décidé d'assumer mes responsabilités pendant cette période de transition, et notamment, pendant les élections européennes. Pour la suite, on ne peut pas trop m'en demander. J'aurai quitté la scène politique, ce sera aux responsables de l'UMP de se mettre d'accord entre eux.
QUESTION : Mais vous ne dites pas : " qu'ils se débrouillent ! " ? Vous qui voulez avant de partir, laisser une majorité pas trop cabossée...
Alain JUPPÉ : A chacun sa responsabilité. J'ai fait mon travail, jusqu'à son terme. Je souhaite bonne chance à ceux qui me succéderont, quels qu'ils soient.
QUESTION : Mais un compromis est-il possible ?
Alain JUPPÉ : J'espère, bien sûr. Je fais appel au rassemblement. Qu'est ce que j'essaye de faire dans ces dernières semaines de présidence de l'UMP ? C'est de rassembler, d'être le rassembleur. J'ai reçu N. Sarkozy récemment au siège de l'UMP, j'ai fait la même chose avec plusieurs membres du Gouvernement. Et donc mon rôle, c'est d'essayer de rassembler. Et je souhaite que mon successeur soit un rassembleur.
QUESTION : L'ultime message... Savez-vous quelle est la ville qui, selon le grand historien Bredel, "ressemble le plus à Venise", où vous n'irez pas ?
Alain JUPPÉ : Amsterdam, peut être, non ?
QUESTION : Non, New York.
Alain JUPPÉ : New York...
QUESTION : C'est bien ?
Alain JUPPÉ : Oui, c'est beau New York. Venise aussi !
QUESTION : Il reste d'ici là d'autres combats et d'autres décisions. [...] Je voudrais dire que vous avez tenu parole, car en décembre vous avez jumelé Bordeaux et Oran. Votre conseil municipal vient de voter une subvention pour les cimetières français d'Oran, chrétiens et juifs. Ils en avaient bien besoin.
Alain JUPPÉ : Merci de le rappeler.
(Source : http://www.u-m-p.org, le 10 juin 2004)