Texte intégral
Q - Dans le budget 2000, le ministère des Affaires étrangères fait figurer comme l'une de ses priorités le développement de l'appui aux Français de l'étranger. Comment cela se traduit-il concrètement ?
R - Cette priorité est fondée sur le constat qu'une partie des Français à l'étranger qui sont des nationaux ou des binationaux vivent dans des conditions sociales souvent précaires ; il n'y a pas que les communautés d'expatriés qui sont venues là avec de grandes entreprises qui conquièrent des marchés, il y a aussi des gens qui vivent dans ces pays depuis longtemps et dans des circonstances difficiles. Il faut donc les aider davantage. Cela prend plusieurs aspects : il y a le problème de l'accès de nos ressortissants à l'enseignement français à l'étranger et notamment, la question des bourses. Là-dessus, un effort véritablement significatif a été fait, à tel point que nous aurons augmenté de 25 %, en trois exercices les sommes budgétaires consacrées à la distribution de bourses. En 1997, nous avons eu une progression de 185 millions de francs et nous sommes arrivés en 2000 à 232 millions par rapport à ce programme de bourses. C'est, je crois, un effort très sensible et par ailleurs, très apprécié.
Nous faisons le mieux possible dans le cadre du budget dont nous disposons. Cette année, sur arbitrage du Premier ministre, le budget augmentera au total de 0,6 %. Ce n'est pas grand chose mais c'est beaucoup plus important que ces dernières années où nous avons vu ce budget se réduire. C'est un effort significatif, encore une fois, nous faisons le mieux possible, et ce chiffre de 232 millions en l'an 2000 par rapport à cette politique de bourses est considéré par, notamment les sénateurs représentant les Français à l'étranger, comme très significatif et cela a été salué.
Mais il y a autre chose : l'aide aux personnes les plus en difficultés et ces crédits-là sont en progression sensibles. Ils atteignent, dans le budget de cette année 113 millions de Francs. J'ai demandé au directeur des Français à l'étranger d'étudier, ce qui est en train d'être fait, un certain nombre de mesures proposées par Mme Ben Guiga qui a fait un rapport remarqué sur ces questions pour voir ce que nous pouvons faire, en plus de ce que nous faisons déjà.
Q - Où en est-on sur ce rapport ? Y a-t-il un certain nombre de mesures qui sont déjà envisagées ? Quel calendrier vous donnez-vous pour les mettre en application ?
R - Les études sont en cours, je ne peux pas vous en dire plus actuellement. C'est un rapport important, très sérieux. La question des bourses et plus encore l'aide aux personnes les plus en difficultés va exactement dans le sens de ce que souhaitait Mme Ben Guiga. Pour le reste, il faut étudier les mesures une par une. Dès que nous aurons terminé cet examen et que nous aurons vu ce que nous pouvons faire dans le cadre du budget 2000 et des suivants, je le ferai savoir bien entendu.
Q - Dès votre arrivée au ministère en 1997, vous avez souhaité assouplir la politique des visas. Où en est-on aujourd'hui ?
R - J'avais constaté en 1997, ainsi que mon collègue Jean-Pierre Chevènement, que les mesures restrictives prises par les trois gouvernements précédents, soient pour des raisons de sécurité liées au risque terroriste, soit dans l'idée de mieux maîtriser les flux migratoires, avaient abouti à une situation excessive. On avait fait tomber une sorte de herse entre la France et de très nombreux pays qui ont, avec elle et depuis longtemps, des relations étroites. Les familles, les hommes d'affaires, les artistes, les gens de culture, les hommes politiques, toutes ces personnes ou personnalités rencontraient de tels obstacles pour venir en France que ces relations étaient en train d'être brisées. C'était même dangereux pour notre image, choquant sur le plan humain, dommageable pour notre influence par rapport au reste du monde.
Nous avons inversé cette tendance, à la fois dans le cas de l'Algérie, mais pas uniquement dans ce cas. Nous avons facilité notamment la venue des étudiants, la circulation des personnes qui ont besoin de travailler régulièrement avec la France, des hommes d'affaires ou autre. Tout cela a été entériné et renforcé par une nouvelle loi votée en 1998 mais tout ne dépend pas de la loi, et nous avons pris, Jean-Pierre Chevènement et moi, des mesures qui facilitent l'obtention des visas pour des étudiants qui voudraient venir se former en France. Nous avons facilité le regroupement familial dans certains cas. C'est une politique responsable, c'est-à-dire que nous continuons à nous inscrire strictement dans une approche de maîtrise des flux migratoires qui doit être ouverte, souple et qui doit s'adapter au besoin des uns et des autres, et à l'évolution des situations.
Une autre innovation importante a été apportée depuis : l'obligation de motiver les refus de visas, notamment lorsque l'on refuse des visas à des catégories qui sont théoriquement encouragées, comme les étudiants que je vous citais ou les hommes d'affaires. Dès lors qu'il y a motivation, il peut y avoir contestation, le contentieux se développe et c'est en quelque sorte sain car cela montre qu'il y a des processus et des méthodes démocratiques et des recours qui sont clairs et nets. Nous les traitons et tout cela s'inscrit dans une politique de visas qui permet à la fois de mieux réguler, qui permet à la France de retrouver son visage, un visage hospitalier, accueillant, et qui nous permet de remettre en vigueur les principaux vecteurs de l'influence française dans le monde.
Pour mettre en uvre cette politique de visas, nous avons, par ailleurs, mis en place un programme d'améliorations de très nombreux consulats dans les pays dans lesquels il y a le plus de demandes, les pays du Maghreb, la Roumanie, des pays d'Afrique. Nous avons commencé par Alger ou Tunis, c'est tout à fait spectaculaire et dans de nombreux pays maintenant, les gens peuvent aller chercher un visa, attendre dans des conditions décentes, les salles ont été aménagées, il y a des toilettes, des distributeurs de boissons, les formulaires ont été modifiés, l'attente a été très raccourcie. Tout cela couplé avec la politique de modernisation qui fait que la façon dont les demandes de visas sont traitées est faite de façon plus rapide. Au total, cela forme je crois une nouvelle politique de traitement des visas.
Q - Pouvez-vous donner quelques chiffres ?
R - L'effort mené pour moderniser notamment l'accueil dans les consulats dans les pays les plus sensibles dont j'ai parlé a été de 35 millions par an depuis trois ans. Cet effort sera poursuivi cette année.
Q - Quelle est l'évolution du nombre de visas accordés ces dernières années ?
R - En 1998, c'était autour de 2 millions, en 1999 aussi, vous pourriez donc me dire que c'est la même chose. Cela dit, il y a un certain nombre de pays pour lesquels l'obligation de visas a été supprimée. Ce qui fait que si nous sommes aux mêmes chiffres, c'est qu'il y a eu une augmentation pour les autres. Nous chiffrons cette augmentation a près de 8 %. En 1999 par rapport à 1997, on considère que l'augmentation est de plus 5 %. Je reviens une année en arrière, cela vous donne un ordre de grandeur.
Les catégories qui ont le plus bénéficié de l'augmentation que je cite sont les étudiants, nous avons là une politique active menée par Claude Allègre et moi-même. Nous avons créé une agence pour cela, Edufrance, qui améliore l'offre de formations françaises de haut niveau et dans toutes les régions du monde, y compris celles avec lesquelles nous n'avions pas de relations traditionnelles. Les zones dans lesquelles on voit apparaître les chiffres montrant cette augmentation de visas attribués, sont le Maghreb, c'est l'une de nos relations traditionnelles, mais aussi l'Asie, c'est plus nouveau et un peu en arrière, l'Afrique francophone.
Q - Sur Edufrance créée il y a quinze moi avec le ministre Claude Allègre, vous avez créé cette agence spécialisée pour favoriser je cite : " la politique d'ouverture et d'accueil en direction des étudiants, des professeurs, des scientifiques étrangers. Quinze mois après, où en est-on en ce qui concerne les chiffres, en ayant en mémoire que dans un récent rapport sénatorial, Jacques Chaumont soulignait qu'entre 1990 et 1999, le nombre des étudiants étrangers en France étaient passés de 15 % à 7 %.
R - Le rapport Chaumont exprime très bien, de façon très pertinente le diagnostic que nous avons fait Claude Allègre et moi, avant que le rapport ait eu lieu. Il y a un aspect accueil, la France, traditionnellement accueille des étudiants de pays qui sont liés à elle depuis longtemps, dans les régions méditerranéenne ou africaine, et qui viennent terminer leurs études supérieures en général. Mais, il y a aussi un phénomène mondial, une sorte de marché de la formation de haut niveau et dans le monde entier, c'était en tout cas notre analyse, il y a des jeunes gens ou des jeunes femmes, dans toute les régions du monde, qui souhaitent aller dans un pays pour poursuivre, pour couronner et compléter et perfectionner leur formation. En général, ils vont aux Etats-Unis ou bien, lorsqu'ils sont asiatiques, ils vont en Australie, car l'Australie a réussi à bâtir une politique comme celle que nous voulons faire avec Edufrance qui attire maintenant un tiers des étudiants de haut niveau qui ont perfectionné leur savoir dans un pays étranger.
La Grande Bretagne a perdu la situation qui était la sienne à cet égard. Ceux qui allaient en Grande Bretagne vont directement aux Etats-Unis. La France était menacée de perdre sa situation à travers l'érosion que les chiffres que vous citez manifeste, et donc nous avons repris l'initiative et nous estimons que la France doit être un pays proposé.
C'est un peu tôt pour indiquer des chiffres mais ce que je peux vous dire, c'est que nous avons pris des dispositions correspondant à cela, et nous avons assoupli les procédures d'attribution de visas pour les étudiants qui en font la demande dans ce cadre. D'autre part, au sein d'Edufrance, sont représentés et travaillent ensemble toutes les grandes écoles, toutes les universités qui ont des politiques de présentation de leurs produits de formations à l'extérieur, mais tout cela n'était pas assez coordonné. Nous avons l'intention de créer, académie par académie, des maisons pour les étudiants de telle région du monde, de l'ASEAN, du Mercosur, du Maghreb, pour qu'il y ait un lieu en France, pas forcément à Paris, pour qu'ils s'y retrouvent et qu'on leur apporte tous les éléments d'informations, d'aides et d'accompagnement dont ils ont besoin. J'ajoute que chaque fois qu'il y a eu une opération Edufrance, une sorte de salon de l'éducation de haut niveau proposée par la France, en Inde, en Egypte, ou au Mexique, ces demandes ont explosé. Il y a donc dans tous ces grands pays du monde, un réservoir considérable de gens qui ont sans doute toujours envie de passer une année aux Etats-Unis ou d'avoir un moment de formation là-bas, mais qui veulent aussi venir en France parce qu'il y a la qualité de la formation française, parce qu'il y a l'intérêt de la langue française en plus des autres langues déjà connues, parce que c'est un pays clef de l'Europe et parce que c'est l'un des éléments de la diversité culturelle mondiale pour laquelle nous nous battons sur tous les fronts.
Q - Depuis un certain temps, vous avez décidé d'assouplir la politique des visas. Je souhaiterai que nous nous arrêtions un instant sur le cas de l'Algérie. Comment cela se passe-t-il aujourd'hui ?
R - A propos de l'Algérie, en 1997, nous étions tombés à un niveau trop bas. Il est tout à fait impératif de prendre des précautions sérieuses en matière de sécurité, il est tout à fait normal d'appliquer également avec l'Algérie une politique générale de maîtrise des flux migratoires, mais en 1997, nous étions tombés en dessous de 50 000 visas par an, alors qu'il y a quelques années nous étions à 600 ou 700 000 parfois plus. Tout cela avait atteint un stade qui mettait en péril la trame même de cette relation et cela n'avait pas vraiment été souhaité à ce point-là par aucun des gouvernements antérieurs. Donc, il fallait redresser la barre mais dans des conditions qui soient incontestables sur le plan de la sécurité, sur le plan de la maîtrise. Nous n'avons pas fixé de chiffres ni de quotas car nous ne travaillons pas de cette façon-là. Nous sommes remontés petit à petit pour l'année écoulée nous aurons accordé 145 000 visas. Ce n'était pas un chiffre décidé à l'avance, nous avons facilité la délivrance de visa dans des conditions où nous étions sûrs de ne prendre aucun des risques que je signalais et nous avons constaté que les choses avaient remonté ainsi. Mais, il faut tenir compte du fait que, aux pires moments des événements que l'Algérie a connu, nous avons dû, parce que plusieurs personnes au service des visas avaient été assassinées, replier sur Nantes plusieurs services déconcentrés du ministère des Affaires étrangères et installer un bureau spécial qui traite les visas en Algérie, par correspondance. Naturellement, c'est une situation transitoire, l'objectif est de rétablir en Algérie une situation permettant de traiter les demandes comme elles le sont au Maroc, en Tunisie ou ailleurs.
Q - Justement, ce mardi, le consulat général d'Alger retrouve ses responsabilités en matière de visas. Comment cela se traduira-t-il concrètement ?
R - Cela se traduit par le fait que tout Algérien qui vient au consulat général d'Alger, ou qui est en correspondance avec lui pour demander un visa, a la réponse par ce consulat général, et la partie du traitement des affaires qui reste faite à Nantes est invisible du point de vue du demandeur. Nous avons donc franchi un pas important pour rétablir une situation normale par rapport à l'Algérie. Comme les moyens du service des visas ont été formidablement améliorés, et que les conditions d'accueil et d'attente ont été également complètement transformées au consulat général d'Alger, vous avez là quelque chose qui, non seulement est symbolique et annonciateur du rétablissement progressif d'une situation normale dans nos relations avec l'Algérie, mais qui est même emblématique de notre politique des visas, sur tous les plans. L'objectif, au-delà de ce consulat général d'Alger, est de rouvrir petit à petit nos autres consulats que nous avions dû fermer pour les raisons que je rappelais, à commencer par celui d'Annaba et nous avons à finaliser des négociations que nous avons entreprises avec les autorités algériennes après mon voyage en juillet dernier. Nous ne pouvons pas les rouvrir tels qu'ils étaient car là aussi, sur le plan de l'accès, de la sécurité, de la qualité de l'aménagement, du confort, de l'hospitalité, les choses ne sont pas parfaites. Nous voulons rouvrir des consulats qui soient corrects, qui nous fassent honneur et dans lesquels les gens soient bien accueillis et bien traités. Maintenant qu'il y a un nouveau gouvernement en Algérie, j'espère que nous allons obtenir rapidement les réponses et les arbitrages dont nous avons besoin pour mener à bien les travaux, les aménagements nécessaires. Nous avons provisionné dans notre budget 2000 les sommes nécessaires pour cela.
Q - On incite beaucoup les Français à partir à l'étranger mais, sur place, ils ont souvent peu d'aide des instances françaises. Y a-t-il quelques hypothèses pour que cela évolue ?
R - Il y a 188 pays dans le monde. Je ne pense pas qu'il y ait un pays au monde qui fasse plus que la France et d'ailleurs, lorsque l'on en parle avec les représentants des Français de l'étranger, avec les sénateurs élus par les Français de l'étranger, lorsque l'on voyage et que l'on compare, on s'aperçoit qu'il y a deux ou trois pays qui ont une politique de présence et d'accompagnement, un embryon de politique sociale parfois ou des éléments de politique scolaire, mais très peu. Il y a l'Espagne, l'Italie, peut-être la Grèce sur certains plans, mais notre effort en terme de budget, en terme d'effectifs, en terme de réseau, d'accompagnement est incomparable et je crois que la situation est plutôt l'inverse. La France est le pays au monde qui fait le plus pour ses ressortissants. Naturellement, on peut toujours perfectionner. On le fait avec les arbitrages que j'ai pris sur la question de bourses, sur la question de l'aide sociale et des mesures encore à préciser que nous tirerons des suggestions de Mme Ben Guiga. Mais, il faut bien voir quel est le point de départ, et en réalité, je crois que les Français de l'étranger le savent et je voyage constamment, chaque fois, on me le confirme. Ce qui n'empêche pas d'être vigilant, à l'affût de toutes les possibilités d'améliorations.
Je crois qu'il faut conclure sur une idée simple, la communauté des Français à l'étranger est dynamique et la France fait beaucoup pour elle mais les Français aussi font beaucoup pour leur pays en étant présents et actifs et en étant sur tous les fronts, de la coopération, de la culture et de la recherche des marchés./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2000)
R - Cette priorité est fondée sur le constat qu'une partie des Français à l'étranger qui sont des nationaux ou des binationaux vivent dans des conditions sociales souvent précaires ; il n'y a pas que les communautés d'expatriés qui sont venues là avec de grandes entreprises qui conquièrent des marchés, il y a aussi des gens qui vivent dans ces pays depuis longtemps et dans des circonstances difficiles. Il faut donc les aider davantage. Cela prend plusieurs aspects : il y a le problème de l'accès de nos ressortissants à l'enseignement français à l'étranger et notamment, la question des bourses. Là-dessus, un effort véritablement significatif a été fait, à tel point que nous aurons augmenté de 25 %, en trois exercices les sommes budgétaires consacrées à la distribution de bourses. En 1997, nous avons eu une progression de 185 millions de francs et nous sommes arrivés en 2000 à 232 millions par rapport à ce programme de bourses. C'est, je crois, un effort très sensible et par ailleurs, très apprécié.
Nous faisons le mieux possible dans le cadre du budget dont nous disposons. Cette année, sur arbitrage du Premier ministre, le budget augmentera au total de 0,6 %. Ce n'est pas grand chose mais c'est beaucoup plus important que ces dernières années où nous avons vu ce budget se réduire. C'est un effort significatif, encore une fois, nous faisons le mieux possible, et ce chiffre de 232 millions en l'an 2000 par rapport à cette politique de bourses est considéré par, notamment les sénateurs représentant les Français à l'étranger, comme très significatif et cela a été salué.
Mais il y a autre chose : l'aide aux personnes les plus en difficultés et ces crédits-là sont en progression sensibles. Ils atteignent, dans le budget de cette année 113 millions de Francs. J'ai demandé au directeur des Français à l'étranger d'étudier, ce qui est en train d'être fait, un certain nombre de mesures proposées par Mme Ben Guiga qui a fait un rapport remarqué sur ces questions pour voir ce que nous pouvons faire, en plus de ce que nous faisons déjà.
Q - Où en est-on sur ce rapport ? Y a-t-il un certain nombre de mesures qui sont déjà envisagées ? Quel calendrier vous donnez-vous pour les mettre en application ?
R - Les études sont en cours, je ne peux pas vous en dire plus actuellement. C'est un rapport important, très sérieux. La question des bourses et plus encore l'aide aux personnes les plus en difficultés va exactement dans le sens de ce que souhaitait Mme Ben Guiga. Pour le reste, il faut étudier les mesures une par une. Dès que nous aurons terminé cet examen et que nous aurons vu ce que nous pouvons faire dans le cadre du budget 2000 et des suivants, je le ferai savoir bien entendu.
Q - Dès votre arrivée au ministère en 1997, vous avez souhaité assouplir la politique des visas. Où en est-on aujourd'hui ?
R - J'avais constaté en 1997, ainsi que mon collègue Jean-Pierre Chevènement, que les mesures restrictives prises par les trois gouvernements précédents, soient pour des raisons de sécurité liées au risque terroriste, soit dans l'idée de mieux maîtriser les flux migratoires, avaient abouti à une situation excessive. On avait fait tomber une sorte de herse entre la France et de très nombreux pays qui ont, avec elle et depuis longtemps, des relations étroites. Les familles, les hommes d'affaires, les artistes, les gens de culture, les hommes politiques, toutes ces personnes ou personnalités rencontraient de tels obstacles pour venir en France que ces relations étaient en train d'être brisées. C'était même dangereux pour notre image, choquant sur le plan humain, dommageable pour notre influence par rapport au reste du monde.
Nous avons inversé cette tendance, à la fois dans le cas de l'Algérie, mais pas uniquement dans ce cas. Nous avons facilité notamment la venue des étudiants, la circulation des personnes qui ont besoin de travailler régulièrement avec la France, des hommes d'affaires ou autre. Tout cela a été entériné et renforcé par une nouvelle loi votée en 1998 mais tout ne dépend pas de la loi, et nous avons pris, Jean-Pierre Chevènement et moi, des mesures qui facilitent l'obtention des visas pour des étudiants qui voudraient venir se former en France. Nous avons facilité le regroupement familial dans certains cas. C'est une politique responsable, c'est-à-dire que nous continuons à nous inscrire strictement dans une approche de maîtrise des flux migratoires qui doit être ouverte, souple et qui doit s'adapter au besoin des uns et des autres, et à l'évolution des situations.
Une autre innovation importante a été apportée depuis : l'obligation de motiver les refus de visas, notamment lorsque l'on refuse des visas à des catégories qui sont théoriquement encouragées, comme les étudiants que je vous citais ou les hommes d'affaires. Dès lors qu'il y a motivation, il peut y avoir contestation, le contentieux se développe et c'est en quelque sorte sain car cela montre qu'il y a des processus et des méthodes démocratiques et des recours qui sont clairs et nets. Nous les traitons et tout cela s'inscrit dans une politique de visas qui permet à la fois de mieux réguler, qui permet à la France de retrouver son visage, un visage hospitalier, accueillant, et qui nous permet de remettre en vigueur les principaux vecteurs de l'influence française dans le monde.
Pour mettre en uvre cette politique de visas, nous avons, par ailleurs, mis en place un programme d'améliorations de très nombreux consulats dans les pays dans lesquels il y a le plus de demandes, les pays du Maghreb, la Roumanie, des pays d'Afrique. Nous avons commencé par Alger ou Tunis, c'est tout à fait spectaculaire et dans de nombreux pays maintenant, les gens peuvent aller chercher un visa, attendre dans des conditions décentes, les salles ont été aménagées, il y a des toilettes, des distributeurs de boissons, les formulaires ont été modifiés, l'attente a été très raccourcie. Tout cela couplé avec la politique de modernisation qui fait que la façon dont les demandes de visas sont traitées est faite de façon plus rapide. Au total, cela forme je crois une nouvelle politique de traitement des visas.
Q - Pouvez-vous donner quelques chiffres ?
R - L'effort mené pour moderniser notamment l'accueil dans les consulats dans les pays les plus sensibles dont j'ai parlé a été de 35 millions par an depuis trois ans. Cet effort sera poursuivi cette année.
Q - Quelle est l'évolution du nombre de visas accordés ces dernières années ?
R - En 1998, c'était autour de 2 millions, en 1999 aussi, vous pourriez donc me dire que c'est la même chose. Cela dit, il y a un certain nombre de pays pour lesquels l'obligation de visas a été supprimée. Ce qui fait que si nous sommes aux mêmes chiffres, c'est qu'il y a eu une augmentation pour les autres. Nous chiffrons cette augmentation a près de 8 %. En 1999 par rapport à 1997, on considère que l'augmentation est de plus 5 %. Je reviens une année en arrière, cela vous donne un ordre de grandeur.
Les catégories qui ont le plus bénéficié de l'augmentation que je cite sont les étudiants, nous avons là une politique active menée par Claude Allègre et moi-même. Nous avons créé une agence pour cela, Edufrance, qui améliore l'offre de formations françaises de haut niveau et dans toutes les régions du monde, y compris celles avec lesquelles nous n'avions pas de relations traditionnelles. Les zones dans lesquelles on voit apparaître les chiffres montrant cette augmentation de visas attribués, sont le Maghreb, c'est l'une de nos relations traditionnelles, mais aussi l'Asie, c'est plus nouveau et un peu en arrière, l'Afrique francophone.
Q - Sur Edufrance créée il y a quinze moi avec le ministre Claude Allègre, vous avez créé cette agence spécialisée pour favoriser je cite : " la politique d'ouverture et d'accueil en direction des étudiants, des professeurs, des scientifiques étrangers. Quinze mois après, où en est-on en ce qui concerne les chiffres, en ayant en mémoire que dans un récent rapport sénatorial, Jacques Chaumont soulignait qu'entre 1990 et 1999, le nombre des étudiants étrangers en France étaient passés de 15 % à 7 %.
R - Le rapport Chaumont exprime très bien, de façon très pertinente le diagnostic que nous avons fait Claude Allègre et moi, avant que le rapport ait eu lieu. Il y a un aspect accueil, la France, traditionnellement accueille des étudiants de pays qui sont liés à elle depuis longtemps, dans les régions méditerranéenne ou africaine, et qui viennent terminer leurs études supérieures en général. Mais, il y a aussi un phénomène mondial, une sorte de marché de la formation de haut niveau et dans le monde entier, c'était en tout cas notre analyse, il y a des jeunes gens ou des jeunes femmes, dans toute les régions du monde, qui souhaitent aller dans un pays pour poursuivre, pour couronner et compléter et perfectionner leur formation. En général, ils vont aux Etats-Unis ou bien, lorsqu'ils sont asiatiques, ils vont en Australie, car l'Australie a réussi à bâtir une politique comme celle que nous voulons faire avec Edufrance qui attire maintenant un tiers des étudiants de haut niveau qui ont perfectionné leur savoir dans un pays étranger.
La Grande Bretagne a perdu la situation qui était la sienne à cet égard. Ceux qui allaient en Grande Bretagne vont directement aux Etats-Unis. La France était menacée de perdre sa situation à travers l'érosion que les chiffres que vous citez manifeste, et donc nous avons repris l'initiative et nous estimons que la France doit être un pays proposé.
C'est un peu tôt pour indiquer des chiffres mais ce que je peux vous dire, c'est que nous avons pris des dispositions correspondant à cela, et nous avons assoupli les procédures d'attribution de visas pour les étudiants qui en font la demande dans ce cadre. D'autre part, au sein d'Edufrance, sont représentés et travaillent ensemble toutes les grandes écoles, toutes les universités qui ont des politiques de présentation de leurs produits de formations à l'extérieur, mais tout cela n'était pas assez coordonné. Nous avons l'intention de créer, académie par académie, des maisons pour les étudiants de telle région du monde, de l'ASEAN, du Mercosur, du Maghreb, pour qu'il y ait un lieu en France, pas forcément à Paris, pour qu'ils s'y retrouvent et qu'on leur apporte tous les éléments d'informations, d'aides et d'accompagnement dont ils ont besoin. J'ajoute que chaque fois qu'il y a eu une opération Edufrance, une sorte de salon de l'éducation de haut niveau proposée par la France, en Inde, en Egypte, ou au Mexique, ces demandes ont explosé. Il y a donc dans tous ces grands pays du monde, un réservoir considérable de gens qui ont sans doute toujours envie de passer une année aux Etats-Unis ou d'avoir un moment de formation là-bas, mais qui veulent aussi venir en France parce qu'il y a la qualité de la formation française, parce qu'il y a l'intérêt de la langue française en plus des autres langues déjà connues, parce que c'est un pays clef de l'Europe et parce que c'est l'un des éléments de la diversité culturelle mondiale pour laquelle nous nous battons sur tous les fronts.
Q - Depuis un certain temps, vous avez décidé d'assouplir la politique des visas. Je souhaiterai que nous nous arrêtions un instant sur le cas de l'Algérie. Comment cela se passe-t-il aujourd'hui ?
R - A propos de l'Algérie, en 1997, nous étions tombés à un niveau trop bas. Il est tout à fait impératif de prendre des précautions sérieuses en matière de sécurité, il est tout à fait normal d'appliquer également avec l'Algérie une politique générale de maîtrise des flux migratoires, mais en 1997, nous étions tombés en dessous de 50 000 visas par an, alors qu'il y a quelques années nous étions à 600 ou 700 000 parfois plus. Tout cela avait atteint un stade qui mettait en péril la trame même de cette relation et cela n'avait pas vraiment été souhaité à ce point-là par aucun des gouvernements antérieurs. Donc, il fallait redresser la barre mais dans des conditions qui soient incontestables sur le plan de la sécurité, sur le plan de la maîtrise. Nous n'avons pas fixé de chiffres ni de quotas car nous ne travaillons pas de cette façon-là. Nous sommes remontés petit à petit pour l'année écoulée nous aurons accordé 145 000 visas. Ce n'était pas un chiffre décidé à l'avance, nous avons facilité la délivrance de visa dans des conditions où nous étions sûrs de ne prendre aucun des risques que je signalais et nous avons constaté que les choses avaient remonté ainsi. Mais, il faut tenir compte du fait que, aux pires moments des événements que l'Algérie a connu, nous avons dû, parce que plusieurs personnes au service des visas avaient été assassinées, replier sur Nantes plusieurs services déconcentrés du ministère des Affaires étrangères et installer un bureau spécial qui traite les visas en Algérie, par correspondance. Naturellement, c'est une situation transitoire, l'objectif est de rétablir en Algérie une situation permettant de traiter les demandes comme elles le sont au Maroc, en Tunisie ou ailleurs.
Q - Justement, ce mardi, le consulat général d'Alger retrouve ses responsabilités en matière de visas. Comment cela se traduira-t-il concrètement ?
R - Cela se traduit par le fait que tout Algérien qui vient au consulat général d'Alger, ou qui est en correspondance avec lui pour demander un visa, a la réponse par ce consulat général, et la partie du traitement des affaires qui reste faite à Nantes est invisible du point de vue du demandeur. Nous avons donc franchi un pas important pour rétablir une situation normale par rapport à l'Algérie. Comme les moyens du service des visas ont été formidablement améliorés, et que les conditions d'accueil et d'attente ont été également complètement transformées au consulat général d'Alger, vous avez là quelque chose qui, non seulement est symbolique et annonciateur du rétablissement progressif d'une situation normale dans nos relations avec l'Algérie, mais qui est même emblématique de notre politique des visas, sur tous les plans. L'objectif, au-delà de ce consulat général d'Alger, est de rouvrir petit à petit nos autres consulats que nous avions dû fermer pour les raisons que je rappelais, à commencer par celui d'Annaba et nous avons à finaliser des négociations que nous avons entreprises avec les autorités algériennes après mon voyage en juillet dernier. Nous ne pouvons pas les rouvrir tels qu'ils étaient car là aussi, sur le plan de l'accès, de la sécurité, de la qualité de l'aménagement, du confort, de l'hospitalité, les choses ne sont pas parfaites. Nous voulons rouvrir des consulats qui soient corrects, qui nous fassent honneur et dans lesquels les gens soient bien accueillis et bien traités. Maintenant qu'il y a un nouveau gouvernement en Algérie, j'espère que nous allons obtenir rapidement les réponses et les arbitrages dont nous avons besoin pour mener à bien les travaux, les aménagements nécessaires. Nous avons provisionné dans notre budget 2000 les sommes nécessaires pour cela.
Q - On incite beaucoup les Français à partir à l'étranger mais, sur place, ils ont souvent peu d'aide des instances françaises. Y a-t-il quelques hypothèses pour que cela évolue ?
R - Il y a 188 pays dans le monde. Je ne pense pas qu'il y ait un pays au monde qui fasse plus que la France et d'ailleurs, lorsque l'on en parle avec les représentants des Français de l'étranger, avec les sénateurs élus par les Français de l'étranger, lorsque l'on voyage et que l'on compare, on s'aperçoit qu'il y a deux ou trois pays qui ont une politique de présence et d'accompagnement, un embryon de politique sociale parfois ou des éléments de politique scolaire, mais très peu. Il y a l'Espagne, l'Italie, peut-être la Grèce sur certains plans, mais notre effort en terme de budget, en terme d'effectifs, en terme de réseau, d'accompagnement est incomparable et je crois que la situation est plutôt l'inverse. La France est le pays au monde qui fait le plus pour ses ressortissants. Naturellement, on peut toujours perfectionner. On le fait avec les arbitrages que j'ai pris sur la question de bourses, sur la question de l'aide sociale et des mesures encore à préciser que nous tirerons des suggestions de Mme Ben Guiga. Mais, il faut bien voir quel est le point de départ, et en réalité, je crois que les Français de l'étranger le savent et je voyage constamment, chaque fois, on me le confirme. Ce qui n'empêche pas d'être vigilant, à l'affût de toutes les possibilités d'améliorations.
Je crois qu'il faut conclure sur une idée simple, la communauté des Français à l'étranger est dynamique et la France fait beaucoup pour elle mais les Français aussi font beaucoup pour leur pays en étant présents et actifs et en étant sur tous les fronts, de la coopération, de la culture et de la recherche des marchés./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2000)