Texte intégral
Q - Que veut dire "pouvoir" dans le monde d'aujourd'hui ?
R - Le pouvoir est souvent compris comme étant l'affirmation du droit du plus fort. Je pense que le pouvoir devrait être l'affirmation du plus juste, du plus responsable, du plus soucieux de l'intérêt général et collectif. Le pouvoir doit être au service d'une ambition collective, d'une sécurité collective, d'une solidarité collective. C'est toute l'ambition que j'ai pour l'Europe. Que l'Europe, forte de son expérience, compte tenu de son passé de violence et de guerres civiles, de barbaries, retienne cette leçon : le pouvoir n'est fort que lorsqu'il est légitime et au service des peuples, de nos principes et idéaux. On ne peut fonder que sur ces ambitions-là, c'est la seule façon que le pouvoir ne soit pas contesté.
Q - Quel est l'état actuel des relations franco-américaines ?
R - La France veut travailler avec les Etats-Unis, veut aider les Etats-Unis, parce que notre destin est commun. C'est un destin mondial. Personne ne peut espérer trouver seul des solutions. C'est pour cela que nous voulons multiplier les contacts avec l'administration américaine, pour arriver à déterminer le bon chemin.
Q - Pourtant, le climat est assez tendu entre Washington et Paris ces jours-ci ?
R - Notre amitié est très ancienne, la France est un des rares grands pays européens qui n'ont jamais été en guerre avec les Etats-Unis, mais l'amitié consiste à se parler franchement. Nous voulons dire à nos amis américains, et je l'ai souvent répété à Colin Powell, que dans le monde d'aujourd'hui il est très important de réfléchir aux moyens de la puissance et de l'influence. Nous sommes dans un monde nouveau. On ne peut pas utiliser au XXIème siècle, les mêmes armes qu'au XIXème siècle. C'est en structurant et en coordonnant, et non en laissant la loi de la jungle se répandre à travers la planète, que nous réussirons à bâtir un nouvel ordre mondial. Il faut donc plus de volonté et d'ambition, et c'est ce que j'ai dit aux néo-conservateurs aux Etats-Unis. Dans le monde d'aujourd'hui il n'y a pas ceux qui seraient issus de Mars (comme les Américains), ou de Vénus (comme les Européens). Il n'y a que des citoyens de la terre, des Etats et des peuples qui doivent s'unir et travailler ensemble. Arrêtons de penser qu'il y a d'un côté les bons et de l'autre les méchants. Nous sommes dans un monde où il faut essayer de rassembler toutes les bonnes volontés.
Q - Sous quelles formes envisagez-vous cette coopération?
R - Au moment de la première phase de la crise irakienne, quand nous avons travaillé ensemble pour rédiger la résolution 1441 avec l'administration américaine, nous nous sommes beaucoup concertés. Je pense qu'il faut que nous revenions à ce travail diplomatique qui suppose à la fois beaucoup d'ambition et beaucoup d'humilité. Nous devons privilégier cette capacité à travailler en commun, à se concerter, à multiplier les initiatives communes. Il ne faut pas oublier, au milieu de ces difficultés, le fait que dans beaucoup de domaines cette coopération a progressé et avancé. Je pense à la coopération contre le terrorisme. Les Etats-Unis et la France sont deux des grands pays qui ont sans doute le plus et le mieux coopéré dans le domaine du terrorisme, au niveau de la coopération policière, du renseignement et de l'assistance judiciaire.
Q - Pourtant, beaucoup d'Américains reprochent à la France de ne pas soutenir leur guerre contre le terrorisme.
R - Nous avons été très conscients du traumatisme qu'a représenté le 11 septembre pour les Etats-Unis. Cela a été un véritable choc pour un pays qui est la première puissance mondiale. Mais le 11 septembre, les Etats-Unis se sont rendu compte que cette leur puissance pouvait s'accompagner aussi de certaines vulnérabilités. Notre conviction est que face à cette vulnérabilité, il n'y a pas de réponse par la puissance classique. Notre conviction est que face à cette vulnérabilité, la puissance classique ne suffit pas. L'outil militaire ne saurait être la seule réponse. Notre capacité de réponse aux crises doit être une capacité d'influence politique animée par l'esprit de justice et l'exigence d'un nouvel ordre international.
Q - C'est quoi exactement, ce nouvel ordre international?
R - Pour être efficace dans les différentes crises internationales, qu'il s'agisse de l'Irak ou du Proche-Orient, il faut être légitime. Cette légitimité, personne ne l'a davantage que les Nations unies. Ce qui est en train de se passer sur la scène internationale est très important, parce que tous ensemble nous observons les limites de la puissance, de l'engagement militaire, de la politique sécuritaire. Nous le disons depuis longtemps, une politique de sécurité seule, et la situation au Proche-Orient le montre, ne permet pas d'obtenir plus de sécurité. Il faut une stratégie politique et globale. Nous avons besoin de constituer une gouvernance mondiale, une démocratie mondiale, qui permettra à chacun des Etats de s'unir ensemble au sein de la communauté internationale pour apporter des réponses. Je crois que la meilleure réponse à la crise, à la violence, est l'action et la responsabilité collective de la communauté internationale. La responsabilité collective est incarnée aujourd'hui par les Nations unies, par des institutions capables de faire travailler ensemble les Etats.
Q - Que signifie cette notion de "multipolarité" que la France évoque si souvent ?
R - Cette notion a été la source de certains malentendus notamment avec nos amis américains. Ceux-ci font référence à l'Europe du XIXème siècle qui connaissait des rivalités permanentes. Mais la multipolarité, pour nous, ne se situe pas dans une opposition avec la puissance américaine. La multipolarité est déjà une réalité qu'il s'agisse de l'Europe ou de la Chine, du Mercosur en Amérique du Sud ou encore de l'Afrique. Ce que nous disons, c'est que si des liens se développent pacifiquement entre ces différents pôles, nous favoriserons la prospérité, la sécurité et la stabilité. Il ne s'agit ni de rivalité ni de compétition, mais d'une véritable complémentarité entre ces pôles.
Q - Quelles leçons tirez-vous de la situation en Irak ?
R - La grande leçon de l'Irak c'est la nécessité de l'unité de la communauté internationale et la nécessité d'une légitimité de l'action internationale pour être efficace. Nous avons raté une occasion à la fin de la guerre de travailler ensemble sous l'égide des Nations unies. Face à la multiplication des attentats et des opérations de guérillas en Irak, nous devons aujourd'hui saisir l'opportunité d'affirmer la souveraineté irakienne. Il appartient aux Irakiens de prendre eux-mêmes en main leur destin. Le pire serait que cette crise conduise les Etats-Unis à un nouvel isolationnisme. Les Etats-Unis ont des responsabilités mondiales et ont vocation à participer pleinement à l'équilibre et au développement de notre monde. Ce sont les modalités qui doivent être adaptées, certainement pas l'objectif de notre mission commune de paix, de stabilité et de développement. Nous avons toujours dit que nous étions prêts à nous engager activement pour soutenir un processus de responsabilité collective. Les Français, les Russes et les Allemands, toute la communauté internationale est prête à se mobiliser dans ce but.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 janvier 2004)
R - Le pouvoir est souvent compris comme étant l'affirmation du droit du plus fort. Je pense que le pouvoir devrait être l'affirmation du plus juste, du plus responsable, du plus soucieux de l'intérêt général et collectif. Le pouvoir doit être au service d'une ambition collective, d'une sécurité collective, d'une solidarité collective. C'est toute l'ambition que j'ai pour l'Europe. Que l'Europe, forte de son expérience, compte tenu de son passé de violence et de guerres civiles, de barbaries, retienne cette leçon : le pouvoir n'est fort que lorsqu'il est légitime et au service des peuples, de nos principes et idéaux. On ne peut fonder que sur ces ambitions-là, c'est la seule façon que le pouvoir ne soit pas contesté.
Q - Quel est l'état actuel des relations franco-américaines ?
R - La France veut travailler avec les Etats-Unis, veut aider les Etats-Unis, parce que notre destin est commun. C'est un destin mondial. Personne ne peut espérer trouver seul des solutions. C'est pour cela que nous voulons multiplier les contacts avec l'administration américaine, pour arriver à déterminer le bon chemin.
Q - Pourtant, le climat est assez tendu entre Washington et Paris ces jours-ci ?
R - Notre amitié est très ancienne, la France est un des rares grands pays européens qui n'ont jamais été en guerre avec les Etats-Unis, mais l'amitié consiste à se parler franchement. Nous voulons dire à nos amis américains, et je l'ai souvent répété à Colin Powell, que dans le monde d'aujourd'hui il est très important de réfléchir aux moyens de la puissance et de l'influence. Nous sommes dans un monde nouveau. On ne peut pas utiliser au XXIème siècle, les mêmes armes qu'au XIXème siècle. C'est en structurant et en coordonnant, et non en laissant la loi de la jungle se répandre à travers la planète, que nous réussirons à bâtir un nouvel ordre mondial. Il faut donc plus de volonté et d'ambition, et c'est ce que j'ai dit aux néo-conservateurs aux Etats-Unis. Dans le monde d'aujourd'hui il n'y a pas ceux qui seraient issus de Mars (comme les Américains), ou de Vénus (comme les Européens). Il n'y a que des citoyens de la terre, des Etats et des peuples qui doivent s'unir et travailler ensemble. Arrêtons de penser qu'il y a d'un côté les bons et de l'autre les méchants. Nous sommes dans un monde où il faut essayer de rassembler toutes les bonnes volontés.
Q - Sous quelles formes envisagez-vous cette coopération?
R - Au moment de la première phase de la crise irakienne, quand nous avons travaillé ensemble pour rédiger la résolution 1441 avec l'administration américaine, nous nous sommes beaucoup concertés. Je pense qu'il faut que nous revenions à ce travail diplomatique qui suppose à la fois beaucoup d'ambition et beaucoup d'humilité. Nous devons privilégier cette capacité à travailler en commun, à se concerter, à multiplier les initiatives communes. Il ne faut pas oublier, au milieu de ces difficultés, le fait que dans beaucoup de domaines cette coopération a progressé et avancé. Je pense à la coopération contre le terrorisme. Les Etats-Unis et la France sont deux des grands pays qui ont sans doute le plus et le mieux coopéré dans le domaine du terrorisme, au niveau de la coopération policière, du renseignement et de l'assistance judiciaire.
Q - Pourtant, beaucoup d'Américains reprochent à la France de ne pas soutenir leur guerre contre le terrorisme.
R - Nous avons été très conscients du traumatisme qu'a représenté le 11 septembre pour les Etats-Unis. Cela a été un véritable choc pour un pays qui est la première puissance mondiale. Mais le 11 septembre, les Etats-Unis se sont rendu compte que cette leur puissance pouvait s'accompagner aussi de certaines vulnérabilités. Notre conviction est que face à cette vulnérabilité, il n'y a pas de réponse par la puissance classique. Notre conviction est que face à cette vulnérabilité, la puissance classique ne suffit pas. L'outil militaire ne saurait être la seule réponse. Notre capacité de réponse aux crises doit être une capacité d'influence politique animée par l'esprit de justice et l'exigence d'un nouvel ordre international.
Q - C'est quoi exactement, ce nouvel ordre international?
R - Pour être efficace dans les différentes crises internationales, qu'il s'agisse de l'Irak ou du Proche-Orient, il faut être légitime. Cette légitimité, personne ne l'a davantage que les Nations unies. Ce qui est en train de se passer sur la scène internationale est très important, parce que tous ensemble nous observons les limites de la puissance, de l'engagement militaire, de la politique sécuritaire. Nous le disons depuis longtemps, une politique de sécurité seule, et la situation au Proche-Orient le montre, ne permet pas d'obtenir plus de sécurité. Il faut une stratégie politique et globale. Nous avons besoin de constituer une gouvernance mondiale, une démocratie mondiale, qui permettra à chacun des Etats de s'unir ensemble au sein de la communauté internationale pour apporter des réponses. Je crois que la meilleure réponse à la crise, à la violence, est l'action et la responsabilité collective de la communauté internationale. La responsabilité collective est incarnée aujourd'hui par les Nations unies, par des institutions capables de faire travailler ensemble les Etats.
Q - Que signifie cette notion de "multipolarité" que la France évoque si souvent ?
R - Cette notion a été la source de certains malentendus notamment avec nos amis américains. Ceux-ci font référence à l'Europe du XIXème siècle qui connaissait des rivalités permanentes. Mais la multipolarité, pour nous, ne se situe pas dans une opposition avec la puissance américaine. La multipolarité est déjà une réalité qu'il s'agisse de l'Europe ou de la Chine, du Mercosur en Amérique du Sud ou encore de l'Afrique. Ce que nous disons, c'est que si des liens se développent pacifiquement entre ces différents pôles, nous favoriserons la prospérité, la sécurité et la stabilité. Il ne s'agit ni de rivalité ni de compétition, mais d'une véritable complémentarité entre ces pôles.
Q - Quelles leçons tirez-vous de la situation en Irak ?
R - La grande leçon de l'Irak c'est la nécessité de l'unité de la communauté internationale et la nécessité d'une légitimité de l'action internationale pour être efficace. Nous avons raté une occasion à la fin de la guerre de travailler ensemble sous l'égide des Nations unies. Face à la multiplication des attentats et des opérations de guérillas en Irak, nous devons aujourd'hui saisir l'opportunité d'affirmer la souveraineté irakienne. Il appartient aux Irakiens de prendre eux-mêmes en main leur destin. Le pire serait que cette crise conduise les Etats-Unis à un nouvel isolationnisme. Les Etats-Unis ont des responsabilités mondiales et ont vocation à participer pleinement à l'équilibre et au développement de notre monde. Ce sont les modalités qui doivent être adaptées, certainement pas l'objectif de notre mission commune de paix, de stabilité et de développement. Nous avons toujours dit que nous étions prêts à nous engager activement pour soutenir un processus de responsabilité collective. Les Français, les Russes et les Allemands, toute la communauté internationale est prête à se mobiliser dans ce but.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 janvier 2004)