Texte intégral
J.-P. Elkabbach -. Pour la dixième fois, N. Sarkozy est donc à Ajaccio pour parler économie, emploi, avenir pour les Corses. Les continentaux en ont assez de tant d'efforts qui paraissent vains. Je ne sais pas si vous avez une idée pour en sortir. La prévision de R. Barre ne finira-t-elle pas par s'appliquer : "S'ils veulent l'indépendance, qu'on la leur donne !" ?
J.-P. Chevènement : "C'est la tentation munichoise, celle du lâche soulagement. On se débarrasse de la Corse, mais on s'imagine que cela peut marcher, que l'on peut avoir, en quelque sorte, une île mafieuse au milieu de la Méditerranée. Non ! La majorité des Corses veut que la République reste en Corse, veut que la Corse reste française. Ils l'ont exprimé par un référendum ; alors que tous les partis de l'establishment, le Gouvernement, les autonomistes, les indépendantistes leur prêchaient le "oui", ils ont dit "non" à des concessions excessives..."
Le ministre de l'Intérieur a donc raison de s'obstiner, d'abord de confirmer la présence de l'Etat dans l'île, et deuxièmement, comme il le dit, de s'attaquer en priorité à l'argent du crime, obtenu "par le racket, le plasticage, l'économie souterraine" ? Vous le saviez ?
J.-P. Chevènement : "On le sait depuis longtemps ! Et je salue le revirement à 180 degrés de N. Sarkozy. Mieux vaut tard que jamais ! Mais ce revirement est le résultat de l'échec, de son échec, de l'échec de son référendum..."
Mais sur le fond, est-ce qu'une part du nationalisme corse porte le masque de la mafia ?
J.-P. Chevènement : "Mais c'est l'évidence ! Vous avez lu le livre de Santoni, qui s'appelait "Pour solde de tout compte." C'était une description tout à fait exacte de la réalité. Et M. Pieri, sorti de prison, se retrouve à la tête d'un groupe puissant, avec des hôtels de luxe - l'hôtel du Golfe, l'hôtel des Sablettes -, des boutiques, etc."
Mais à votre époque, vous le saviez ?
J.-P. Chevènement : "Mais bien entendu ! Et je ferais observer à N. Sarkozy que l'on n'a pas attendu qu'il se réveille pour attaquer ce mouvement mafieux aux tiroirs-caisses. Je rappelle les enquêtes sur le Crédit Agricole, sur la CADEC [Caisse de développement de la Corse, ndlr]..."
La commission d'enquête parlementaire, J. Glavany, les déclarations de Charasse... ?
J.-P. Chevènement : "Oui, une commission d'enquête parlementaire qui avait rendu un rapport tout à fait intéressant, celle de J. Glavany. Je ne parle pas du rapport Forni qui, flétrissant l'inefficacité de la police, avait ouvert la voie à un retournement de politique et au dialogue avec les indépendantistes. Il y a eu un vrai travail de fait. Malheureusement, comme toujours, les gouvernements manquent de continuité. Ce dont la Corse a besoin, pour répondre à votre question, c'est de fermeté, de fermeté sereine mais de fermeté dans l'application de la loi. Et elle a aussi besoin de développement."
Pensez-vous que N. Sarkozy, en promettant une aide économique qu'il va annoncer tout à l'heure, est sur des pistes qui peuvent amener vers une solution ? Ou est-ce que c'est encore de l'argent qui est donné à la Corse et qui va disparaître dans des chemins qu'il a lui-même dénoncés ?
J.-P. Chevènement : "Ce n'est pas de l'argent donné à la Corse, c'est de l'argent donné à certains Corses, auxquels on a toujours remboursé leurs dettes. Je vois que ces 25 millions d'euros - ce n'est pas tout à fait négligeable - vont aller à l'apurement de la dette agricole. Mais voilà quinze ans que l'on apure la dette agricole ! Donc, distribution de dragées d'un côté, mais aussi déclarations inquiétantes pour la suite. Vous avez remarqué que N. Sarkozy évoque l'expérimentation législative dans le domaine de l'application de la loi Littoral ou de la loi Montagne. Or chacun sait que les indépendantistes veulent s'approprier cette formidable rente qui vient du gisement de beauté qu'est la Corse. Je suis donc inquiet de l'entendre dire qu'il est ouvert au dialogue avec les "nationalistes sincères." Cela veut dire quoi ? Pour moi, il y a un critère : la renonciation à la violence."
Il ajoute aussi que l'élection de mars va peut-être provoquer un vrai changement, l'Assemblée territoriale passant de 7 à 25 femmes. A ce moment-là, les choses seront peut-être un peu plus pragmatiques, un peu plus faciles et peut-être moins violentes ?
J.-P. Chevènement : "On peut l'espérer... J'ai connu I. Gandhi au moment de la guerre avec le Pakistan, j'ai connu la Dame de Fer... J'aurais un point de vue plus nuancé ! Les femmes ont des qualités que l'on prête quelque fois aux hommes..."
Vous avez parlé de C. Pieri. Est-ce que l'information judiciaire qui est menée par le juge Courroye contre lui est du harcèlement contre un présumé innocent malgré tout, ou une action logique ?
J.-P. Chevènement : "Il y a eu une médiatisation inutile. Quand N. Sarkozy a dit qu'on allait faire tomber C. Pieri "comme Al Capone", ce n'est pas au ministre de l'Intérieur de dire cela, surtout devant les caméras. Mais pour le reste, on a tout à fait raison d'enquêter sur les sources de revenu de C. Pieri et de beaucoup d'autres. Je trouve cela tout à fait justifié. Mais on n'a pas besoin de le dire sinon on s'expose effectivement - comme d'habitude d'ailleurs - au regain des attentats. On voit qu'il n'y a jamais eu autant d'attentats..."
Mais chaque mesure d'ordre est suivie d'une vague de violence...
J.-P. Chevènement : "Il y a une seule année où il y a eu moins de 100 attentats, c'était 1998. C'est la seule année où le nombre des attentats est tombé en dessous de 100."
Vous parlez de la Corse comme si vous aviez trouvé la solution. Est-ce qu'elle n'avait pas provoqué votre rupture avec L. Jospin et en partie la défaite à la présidentielle de 2002 ? Est-ce que cela ne reste pas, pour vous aussi, une sorte de blessure ?
J.-P. Chevènement : "J'ai maintenu mon cap. Et à partir du moment où L. Jospin a retourné sa politique et où je n'ai pas pu canaliser le processus de Matignon, à partir du moment où on a parlé d'expérimentation législative, de statut de collectivité unique, bref, de territoire d'Outre-mer, j'ai rendu mon tablier. Mais ce qui a manqué à l'Etat, c'est la continuité. Moi, je n'ai pas manqué de continuité. Mais naturellement, il faut tenir bon sur un long laps de temps, parce qu'il y a à la fois le rétablissement de l'Etat de droit, et il y a le développement de la Corse qui sera, à terme, la vraie solution."
On appelle un élu corse, N. Alfonsi, qui est à Ajaccio. Bonjour, M. Alfonsi. Dans dix minutes, vous allez dialoguer avec N. Sarkozy. Est-ce que vous allez lui donner raison de "traquer", comme il dit, "l'argent du crime" ? Ou est-ce que c'est tard ?
N. Alfonsi : "Je vais effectivement le rencontrer à 8h30. Il a raison de porter le fer sur un certain nombre de problèmes qui sont généralement masqués, notamment par rapport à ce que peut ressentir sur la Corse la communauté nationale. Et sur ce plan-là, je partage son avis. Cette médiatisation est certes un peu excessive, mais chacun sait aussi que c'est un peu le retour du bâton, les nationalistes étant les grands spécialistes de la médiatisation de problèmes souvent insignifiants..."
D'ailleurs, hier, les nationalistes promettaient de manifester à Ajaccio pour montrer leur force. Ils ont manifesté et ils étaient à peine une poignée ; ils ont fait, si l'on dit les choses franchement, un "bide..".
N. Alfonsi : "Ils ont fait un bide... Ils étaient, d'après ce que l'on dit sur une chaîne publique, 200. Une autre chaîne publique - d'ailleurs, voilà les contradictions habituelles auxquelles nous sommes livrés - parle de "plusieurs centaines." Il y a là un problème qui porte et qui pèse sur la situation en Corse : un excès de médiatisation qui, à mon avis, peut donner à l'opinion nationale et à la communauté nationale, le sentiment de porter de faux jugements sur la situation en Corse."
Y a-t-il des signes d'évolution positifs ?
N. Alfonsi : "Je considère qu'avoir changé de politique, notamment après l'échec du référendum, est une bonne chose. On aurait pu commencer par là. Je donne acte à N. Sarkozy que son héritage était difficile, hormis - je le souligne - la période que vient d'évoquer J.-P. Chevènement quand il était aux affaires. Donc, on ne peut pas charger N. Sarkozy sur ce point. Il fait ce qu'il peut, dans une situation et d'une société corse qui, généralement, n'a pas tendance à s'assumer, à se responsabiliser à tous les niveaux d'ailleurs. Nous sommes pas encore devenus des professionnels de la décentralisation, il faut le dire..."
Mais est-ce que vous placez, vous aussi, C. Pieri parmi les "innocents victimes de l'Etat colonial" ?
N. Alfonsi : "L'Etat colonial n'a jamais existé pour moi. Ce concept m'est donc totalement étranger. Je ne vois donc pas comment il pourrait en être la victime. Au demeurant, d'ailleurs, je ne pense pas qu'il faille réduire le problème de la société corse et de la situation en Corse à cet aspect, qui est certes important - la mafiosité, la "gangrénisation" - pardonnez-moi ce barbarisme - de la société corse. Ce que je crois surtout, c'est que l'action des nationalistes n'a plus, même aux yeux des nationalistes, aucune lisibilité. Sont-ils pour l'indépendance, sont-ils pour l'autonomie ? On évoque en permanence, on tente de promouvoir des nationalistes dits "non violents" par rapport aux nationalistes qui mettraient des bombes..."
Mais vous dites qu'il n'y en a pas ?
N. Alfonsi : "Je veux dire par là, qu'ils se retrouvent quand même tous quand il s'agit d'attaquer l'Etat sur le concept de "répression", qui est un mot creux au demeurant, comme celui de "dialogue." Parce que, dans un régime démocratique, le concept de dialogue ne se fait d'ailleurs que dans les assemblées."
Je vous laisse rejoindre N. Sarkozy, merci d'avoir été avec nous M. Alfonsi... Je me retourne vers vous, J.-P. Chevènement...
J.-P. Chevènement : "Je salue le courage de N. Alfonsi, qui est des rares à avoir mené le combat, avec E. Zuccarelli et quelques autres, pour le "non" au référendum, qui a ouvert la voie, en effet, à la seule perspective raisonnable."
Comprenez-vous que le juge antiterroriste, G. Thiel, se déclare incompétent dans l'enquête contre la gendarmerie de Luri, en Haute-Corse, et qu'elle soit renvoyée dans l'île, devant le tribunal de Bastia, qui vit en permanence sous la menace ?
J.-P. Chevènement : "C'est parfaitement son droit, la justice est indépendante. Mais ce qui était scandaleux, c'étaient les manifestations au premier rang desquelles on voyait M. Talamoni, M. Simeoni, le fameux "sage", qui venaient jeter des cailloux contre la brigade de gendarmerie ! Il faut quand même savoir mettre le holà."
Bientôt, l'Europe va, non sans mal, s'élargir et peut-être adopter une nouvelle Constitution. Y aura-t-il alors une Europe à 25 ou, comme le dit E. Balladur, "deux Europe" au moins ?
J.-P. Chevènement : "Il y en aura au moins deux, et probablement même davantage. L'essentiel est qu'elle s'organise autour du noyau dur franco-allemand, avec un projet clair : celui d'une Europe européenne, d'un véritable acteur dans le domaine industriel, technologique, stratégique. Il est évident que l'Europe à 25, 27 ou 33 demain, ne marchera pas. Il faut donc des coopérations resserrées qu'on appellera "renforcées" ou "structurées.."."
C'est ce qui est en train de se faire et qui va se faire ?
J.-P. Chevènement : "Disons que ce qui se prépare, c'est un texte complexe, avec des conditions excessivement restrictives. Le texte actuel est un texte dangereux, notamment par le fait qu'il ne remet pas en cause l'architecture des politiques économiques et monétaires, le statut de la Banque centrale, l'euro qui asphyxie notre économie..."
Le président de la République vous a reçu à l'Elysée, où vous avez naturellement parlé de l'Europe. Reste-t-il toujours le mystère du référendum ou du Congrès de Versailles ?
J.-P. Chevènement : "Je lui ai demandé un référendum, parce que je crois qu'il faut donner un coup d'arrêt à l'emballement de cette machine devenue folle. Mais j'ai senti que le président de la République n'était pas très chaud. Et si j'en juge par les déclarations de M. Juppé, qui demande un accord bipartisan ; si j'en juge par les déclarations de M. Hollande qui demande simplement que cela se fasse simultanément partout... Je dirais que les socialistes, aujourd'hui, pour certains d'entre eux, découvrent le traité de Maastricht, découvrent qu'il y a dans le texte de la Constitution européenne, non pas un contenu qu'on pourrait faire évoluer, mais que c'est un..."
Donc, avec votre flair, vous dites qu'il n'y aura pas de référendum ?
J.-P. Chevènement : "Personnellement, je ne veux pas prendre cette décision, parce que je demande la tenue de ce référendum. Mais je crois qu'il y aurait une majorité de Français pour dire "non" aujourd'hui et c'est une raison qui fera que les tenants de l'establishment, gauche et droite confondues, ceux qui ont été derrière le Traité de Maastricht, au fond, préféreront la voie parlementaire."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 octobre 2003)
J.-P. Chevènement : "C'est la tentation munichoise, celle du lâche soulagement. On se débarrasse de la Corse, mais on s'imagine que cela peut marcher, que l'on peut avoir, en quelque sorte, une île mafieuse au milieu de la Méditerranée. Non ! La majorité des Corses veut que la République reste en Corse, veut que la Corse reste française. Ils l'ont exprimé par un référendum ; alors que tous les partis de l'establishment, le Gouvernement, les autonomistes, les indépendantistes leur prêchaient le "oui", ils ont dit "non" à des concessions excessives..."
Le ministre de l'Intérieur a donc raison de s'obstiner, d'abord de confirmer la présence de l'Etat dans l'île, et deuxièmement, comme il le dit, de s'attaquer en priorité à l'argent du crime, obtenu "par le racket, le plasticage, l'économie souterraine" ? Vous le saviez ?
J.-P. Chevènement : "On le sait depuis longtemps ! Et je salue le revirement à 180 degrés de N. Sarkozy. Mieux vaut tard que jamais ! Mais ce revirement est le résultat de l'échec, de son échec, de l'échec de son référendum..."
Mais sur le fond, est-ce qu'une part du nationalisme corse porte le masque de la mafia ?
J.-P. Chevènement : "Mais c'est l'évidence ! Vous avez lu le livre de Santoni, qui s'appelait "Pour solde de tout compte." C'était une description tout à fait exacte de la réalité. Et M. Pieri, sorti de prison, se retrouve à la tête d'un groupe puissant, avec des hôtels de luxe - l'hôtel du Golfe, l'hôtel des Sablettes -, des boutiques, etc."
Mais à votre époque, vous le saviez ?
J.-P. Chevènement : "Mais bien entendu ! Et je ferais observer à N. Sarkozy que l'on n'a pas attendu qu'il se réveille pour attaquer ce mouvement mafieux aux tiroirs-caisses. Je rappelle les enquêtes sur le Crédit Agricole, sur la CADEC [Caisse de développement de la Corse, ndlr]..."
La commission d'enquête parlementaire, J. Glavany, les déclarations de Charasse... ?
J.-P. Chevènement : "Oui, une commission d'enquête parlementaire qui avait rendu un rapport tout à fait intéressant, celle de J. Glavany. Je ne parle pas du rapport Forni qui, flétrissant l'inefficacité de la police, avait ouvert la voie à un retournement de politique et au dialogue avec les indépendantistes. Il y a eu un vrai travail de fait. Malheureusement, comme toujours, les gouvernements manquent de continuité. Ce dont la Corse a besoin, pour répondre à votre question, c'est de fermeté, de fermeté sereine mais de fermeté dans l'application de la loi. Et elle a aussi besoin de développement."
Pensez-vous que N. Sarkozy, en promettant une aide économique qu'il va annoncer tout à l'heure, est sur des pistes qui peuvent amener vers une solution ? Ou est-ce que c'est encore de l'argent qui est donné à la Corse et qui va disparaître dans des chemins qu'il a lui-même dénoncés ?
J.-P. Chevènement : "Ce n'est pas de l'argent donné à la Corse, c'est de l'argent donné à certains Corses, auxquels on a toujours remboursé leurs dettes. Je vois que ces 25 millions d'euros - ce n'est pas tout à fait négligeable - vont aller à l'apurement de la dette agricole. Mais voilà quinze ans que l'on apure la dette agricole ! Donc, distribution de dragées d'un côté, mais aussi déclarations inquiétantes pour la suite. Vous avez remarqué que N. Sarkozy évoque l'expérimentation législative dans le domaine de l'application de la loi Littoral ou de la loi Montagne. Or chacun sait que les indépendantistes veulent s'approprier cette formidable rente qui vient du gisement de beauté qu'est la Corse. Je suis donc inquiet de l'entendre dire qu'il est ouvert au dialogue avec les "nationalistes sincères." Cela veut dire quoi ? Pour moi, il y a un critère : la renonciation à la violence."
Il ajoute aussi que l'élection de mars va peut-être provoquer un vrai changement, l'Assemblée territoriale passant de 7 à 25 femmes. A ce moment-là, les choses seront peut-être un peu plus pragmatiques, un peu plus faciles et peut-être moins violentes ?
J.-P. Chevènement : "On peut l'espérer... J'ai connu I. Gandhi au moment de la guerre avec le Pakistan, j'ai connu la Dame de Fer... J'aurais un point de vue plus nuancé ! Les femmes ont des qualités que l'on prête quelque fois aux hommes..."
Vous avez parlé de C. Pieri. Est-ce que l'information judiciaire qui est menée par le juge Courroye contre lui est du harcèlement contre un présumé innocent malgré tout, ou une action logique ?
J.-P. Chevènement : "Il y a eu une médiatisation inutile. Quand N. Sarkozy a dit qu'on allait faire tomber C. Pieri "comme Al Capone", ce n'est pas au ministre de l'Intérieur de dire cela, surtout devant les caméras. Mais pour le reste, on a tout à fait raison d'enquêter sur les sources de revenu de C. Pieri et de beaucoup d'autres. Je trouve cela tout à fait justifié. Mais on n'a pas besoin de le dire sinon on s'expose effectivement - comme d'habitude d'ailleurs - au regain des attentats. On voit qu'il n'y a jamais eu autant d'attentats..."
Mais chaque mesure d'ordre est suivie d'une vague de violence...
J.-P. Chevènement : "Il y a une seule année où il y a eu moins de 100 attentats, c'était 1998. C'est la seule année où le nombre des attentats est tombé en dessous de 100."
Vous parlez de la Corse comme si vous aviez trouvé la solution. Est-ce qu'elle n'avait pas provoqué votre rupture avec L. Jospin et en partie la défaite à la présidentielle de 2002 ? Est-ce que cela ne reste pas, pour vous aussi, une sorte de blessure ?
J.-P. Chevènement : "J'ai maintenu mon cap. Et à partir du moment où L. Jospin a retourné sa politique et où je n'ai pas pu canaliser le processus de Matignon, à partir du moment où on a parlé d'expérimentation législative, de statut de collectivité unique, bref, de territoire d'Outre-mer, j'ai rendu mon tablier. Mais ce qui a manqué à l'Etat, c'est la continuité. Moi, je n'ai pas manqué de continuité. Mais naturellement, il faut tenir bon sur un long laps de temps, parce qu'il y a à la fois le rétablissement de l'Etat de droit, et il y a le développement de la Corse qui sera, à terme, la vraie solution."
On appelle un élu corse, N. Alfonsi, qui est à Ajaccio. Bonjour, M. Alfonsi. Dans dix minutes, vous allez dialoguer avec N. Sarkozy. Est-ce que vous allez lui donner raison de "traquer", comme il dit, "l'argent du crime" ? Ou est-ce que c'est tard ?
N. Alfonsi : "Je vais effectivement le rencontrer à 8h30. Il a raison de porter le fer sur un certain nombre de problèmes qui sont généralement masqués, notamment par rapport à ce que peut ressentir sur la Corse la communauté nationale. Et sur ce plan-là, je partage son avis. Cette médiatisation est certes un peu excessive, mais chacun sait aussi que c'est un peu le retour du bâton, les nationalistes étant les grands spécialistes de la médiatisation de problèmes souvent insignifiants..."
D'ailleurs, hier, les nationalistes promettaient de manifester à Ajaccio pour montrer leur force. Ils ont manifesté et ils étaient à peine une poignée ; ils ont fait, si l'on dit les choses franchement, un "bide..".
N. Alfonsi : "Ils ont fait un bide... Ils étaient, d'après ce que l'on dit sur une chaîne publique, 200. Une autre chaîne publique - d'ailleurs, voilà les contradictions habituelles auxquelles nous sommes livrés - parle de "plusieurs centaines." Il y a là un problème qui porte et qui pèse sur la situation en Corse : un excès de médiatisation qui, à mon avis, peut donner à l'opinion nationale et à la communauté nationale, le sentiment de porter de faux jugements sur la situation en Corse."
Y a-t-il des signes d'évolution positifs ?
N. Alfonsi : "Je considère qu'avoir changé de politique, notamment après l'échec du référendum, est une bonne chose. On aurait pu commencer par là. Je donne acte à N. Sarkozy que son héritage était difficile, hormis - je le souligne - la période que vient d'évoquer J.-P. Chevènement quand il était aux affaires. Donc, on ne peut pas charger N. Sarkozy sur ce point. Il fait ce qu'il peut, dans une situation et d'une société corse qui, généralement, n'a pas tendance à s'assumer, à se responsabiliser à tous les niveaux d'ailleurs. Nous sommes pas encore devenus des professionnels de la décentralisation, il faut le dire..."
Mais est-ce que vous placez, vous aussi, C. Pieri parmi les "innocents victimes de l'Etat colonial" ?
N. Alfonsi : "L'Etat colonial n'a jamais existé pour moi. Ce concept m'est donc totalement étranger. Je ne vois donc pas comment il pourrait en être la victime. Au demeurant, d'ailleurs, je ne pense pas qu'il faille réduire le problème de la société corse et de la situation en Corse à cet aspect, qui est certes important - la mafiosité, la "gangrénisation" - pardonnez-moi ce barbarisme - de la société corse. Ce que je crois surtout, c'est que l'action des nationalistes n'a plus, même aux yeux des nationalistes, aucune lisibilité. Sont-ils pour l'indépendance, sont-ils pour l'autonomie ? On évoque en permanence, on tente de promouvoir des nationalistes dits "non violents" par rapport aux nationalistes qui mettraient des bombes..."
Mais vous dites qu'il n'y en a pas ?
N. Alfonsi : "Je veux dire par là, qu'ils se retrouvent quand même tous quand il s'agit d'attaquer l'Etat sur le concept de "répression", qui est un mot creux au demeurant, comme celui de "dialogue." Parce que, dans un régime démocratique, le concept de dialogue ne se fait d'ailleurs que dans les assemblées."
Je vous laisse rejoindre N. Sarkozy, merci d'avoir été avec nous M. Alfonsi... Je me retourne vers vous, J.-P. Chevènement...
J.-P. Chevènement : "Je salue le courage de N. Alfonsi, qui est des rares à avoir mené le combat, avec E. Zuccarelli et quelques autres, pour le "non" au référendum, qui a ouvert la voie, en effet, à la seule perspective raisonnable."
Comprenez-vous que le juge antiterroriste, G. Thiel, se déclare incompétent dans l'enquête contre la gendarmerie de Luri, en Haute-Corse, et qu'elle soit renvoyée dans l'île, devant le tribunal de Bastia, qui vit en permanence sous la menace ?
J.-P. Chevènement : "C'est parfaitement son droit, la justice est indépendante. Mais ce qui était scandaleux, c'étaient les manifestations au premier rang desquelles on voyait M. Talamoni, M. Simeoni, le fameux "sage", qui venaient jeter des cailloux contre la brigade de gendarmerie ! Il faut quand même savoir mettre le holà."
Bientôt, l'Europe va, non sans mal, s'élargir et peut-être adopter une nouvelle Constitution. Y aura-t-il alors une Europe à 25 ou, comme le dit E. Balladur, "deux Europe" au moins ?
J.-P. Chevènement : "Il y en aura au moins deux, et probablement même davantage. L'essentiel est qu'elle s'organise autour du noyau dur franco-allemand, avec un projet clair : celui d'une Europe européenne, d'un véritable acteur dans le domaine industriel, technologique, stratégique. Il est évident que l'Europe à 25, 27 ou 33 demain, ne marchera pas. Il faut donc des coopérations resserrées qu'on appellera "renforcées" ou "structurées.."."
C'est ce qui est en train de se faire et qui va se faire ?
J.-P. Chevènement : "Disons que ce qui se prépare, c'est un texte complexe, avec des conditions excessivement restrictives. Le texte actuel est un texte dangereux, notamment par le fait qu'il ne remet pas en cause l'architecture des politiques économiques et monétaires, le statut de la Banque centrale, l'euro qui asphyxie notre économie..."
Le président de la République vous a reçu à l'Elysée, où vous avez naturellement parlé de l'Europe. Reste-t-il toujours le mystère du référendum ou du Congrès de Versailles ?
J.-P. Chevènement : "Je lui ai demandé un référendum, parce que je crois qu'il faut donner un coup d'arrêt à l'emballement de cette machine devenue folle. Mais j'ai senti que le président de la République n'était pas très chaud. Et si j'en juge par les déclarations de M. Juppé, qui demande un accord bipartisan ; si j'en juge par les déclarations de M. Hollande qui demande simplement que cela se fasse simultanément partout... Je dirais que les socialistes, aujourd'hui, pour certains d'entre eux, découvrent le traité de Maastricht, découvrent qu'il y a dans le texte de la Constitution européenne, non pas un contenu qu'on pourrait faire évoluer, mais que c'est un..."
Donc, avec votre flair, vous dites qu'il n'y aura pas de référendum ?
J.-P. Chevènement : "Personnellement, je ne veux pas prendre cette décision, parce que je demande la tenue de ce référendum. Mais je crois qu'il y aurait une majorité de Français pour dire "non" aujourd'hui et c'est une raison qui fera que les tenants de l'establishment, gauche et droite confondues, ceux qui ont été derrière le Traité de Maastricht, au fond, préféreront la voie parlementaire."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 octobre 2003)