Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaire étrangères, avec LCI le 25 octobre 2004, sur le sort des otages français en Irak, le dialogue euro-méditerranéen, la future conférence internationale sur l'Irak et le processus de démocratisation, le plan israélien de retrait de la bande de Gaza, la composition de la Commission européenne, la date du référendum portant sur la Constitution européenne et les élections américaines.

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Q - Hier, dans un entretien accordé à Radio-Orient, Fadel al Roubaïy, qui est le représentant du Haut Comité des forces nationales contre l'occupation en Irak, a dit que la libération des otages français, nos deux confrères et leur chauffeur, était imminente. Quel crédit accordez-vous à ce type de propos ?
R - Voilà plus de deux mois que nous avons ce genre d'échos, d'informations, de prédictions, donc je serai très prudent. Je veux dire que nous continuons à travailler, maintenant qu'une certaine sérénité a été retrouvée, patiemment, sérieusement, avec de la discrétion, parce qu'encore une fois, c'est l'une des conditions de la sécurité de Christian Chesnot, de Georges Malbrunot et de leur chauffeur syrien que de travailler ainsi, dans la discrétion, avec de la patience et de la ténacité. Je garde l'espoir que leur libération est possible, voilà ce que je peux dire aujourd'hui.
Q - Pouvez-vous dire que le contact est établi ou rétabli avec le groupe des ravisseurs ?
R - Nous avons établi, rétabli un certain nombre de contacts, de fils, de dialogues, tous les contacts, les dialogues, tous les fils utiles. Laissez-nous travailler, laissez les services français, l'administration française travailler car c'est, encore une fois, la condition de la sécurité des otages.
Q - Hier, vous vous êtes retrouvé avec les représentants du Forum méditerranéen qui est un groupe informel qui se réunit chaque année, sur cette question et sur la question de l'Irak. Avez-vous eu des échanges qui vous semblent optimistes ou pessimistes ?
R - Nous travaillons, en ce moment même, avec plusieurs de nos collègues : des ministres de l'Union européenne du Sud-méditerranéen, et ceux de l'autre rive, les ministres marocain, tunisien, turc, algérien et égyptien. Bien sûr, nous parlons de l'Irak et nous parlons de ce conflit central qu'est le conflit israélo-palestinien. Nous cherchons ensemble comment faire pour que l'Union européenne soit utile, comment faire pour que les Américains s'engagent et qu'ils le fassent fortement, comment faire pour que les pays arabes continuent à parler d'une seule voix.
Q - Précisément va se tenir à Charm El Cheikh, une conférence internationale sur l'Irak qui rassemblera les représentants des pays voisins, les représentants du G8 ainsi que l'ONU, l'Organisation islamique et la Ligue arabe. Vous avez souhaité que, dans cette conférence, soit évoqué l'horizon, qui serait le départ des troupes de la force qui se trouve en Irak. Ce n'est pas mentionné dans le projet de communiqué, cela influencera-t-il votre type de participation ?
R - Nous souhaitons être utiles et, avec les autres pays européens, que l'on sorte de cette spirale de violence et de terreur que l'on voit tous les jours et qui, d'ailleurs, fait que la libération de nos deux compatriotes est si difficile, car c'est aussi l'une des raisons, celle de l'instabilité, de l'insécurité en Irak. Il faut donc sortir de cette situation. On en sortira par la négociation, par la discussion, par la politique, par un processus politique et donc, à un moment donné, par des élections et, le moment venu, par le retrait des troupes internationales, notamment des troupes américaines.
Oui, je pense que, pour que cette conférence soit utile - je ne pose pas de préalable, la France ne pose pas de préalable, mais on peut dire les conditions dans lesquelles on réussit une conférence de cette nature et à quel point elle peut être utile -, je pense qu'il faut garder l'horizon des élections, parce que c'est l'étape indispensable pour la démocratie en Irak et la souveraineté du pays.
Q - Peuvent-elles avoir lieu en janvier prochain, à votre avis, et dans les circonstances actuelles ?
R - Cela va être difficile, mais nous pensons qu'il faut tout faire pour qu'elles aient lieu au moment prévu, parce que c'est une étape indispensable, une vérification populaire indispensable. Et je pense qu'il faut aussi, à un moment ou à un autre, parler du retrait des troupes étrangères car ce sera le vrai signal du retour à la souveraineté.
Je pense aussi qu'il faut que, d'une manière ou d'une autre, soient associées à cette conférence, les forces politiques, toutes les communautés, tous les groupes en Irak qui renoncent à la violence et qui veulent s'inscrire dans un processus démocratique.
Q - Mais, qu'appelez-vous les groupes qui renoncent à la violence ? La résistance aujourd'hui, certains groupes de résistants qui agissent par la violence peuvent, demain, dire qu'ils cessent d'employer ce moyen ?
R - Si vous voulez que la stabilité revienne, que la démocratie revienne, que la souveraineté revienne en Irak, il faudra bien que tous ceux qui utilisent la violence y renoncent et la proposition doit être faite d'inscrire tous ceux qui le veulent dans un processus démocratique. Bien sûr, la condition est que l'on renonce à la violence pour s'inscrire dans un processus démocratique et politique. Voilà ce que je peux dire aujourd'hui.
Q - Vous vous êtes rendu en Israël et, au cours de cette visite, vous avez salué comme courageux le plan d'Ariel Sharon d'évacuation de Gaza et d'une partie des Territoires palestiniens qui sera soumis à la Knesset aujourd'hui. De son côté, le ministre des Affaires étrangères israélien a dit que ce n'était qu'un leurre, il s'agit seulement de geler la Feuille de route et surtout d'éviter un État palestinien.
R - Ce n'est pas le ministre israélien qui a dit cela, c'est l'un des conseillers de M. Sharon et le Premier ministre l'a démenti. Ce qui me paraît important, c'est que M. Sharon, que j'ai en effet rencontré la semaine dernière, ait dit "nous gardons notre soutien à la Feuille de route". Celle-ci prévoit, ce qui est l'objectif que nous souhaitons tous, deux États : un État d'Israël dans la sécurité, et nous ne transigerons jamais avec la sécurité d'Israël, et un État palestinien indépendant et viable.
Maintenant, le chemin est encore long pour y parvenir, mais il faut garder cet objectif. En attendant, tout ce qui nous rapproche de cet objectif est utile. Voilà pourquoi j'ai, en effet, soutenu cette première étape, pour moi c'est une première étape, que constitue le retrait d'un premier territoire occupé qui est le territoire de Gaza. Maintenant, il ne suffit pas de se retirer de Gaza, je l'ai dit à M. Sharon, il faut réussir ce retrait, il faut que ce premier territoire soit viable, stable et donc, nous avons peut-être, Américains, Européens, pays arabes, un rôle à jouer pour accompagner la réussite de ce retrait. Et puis, il restera tout le reste, il restera la Cisjordanie pour atteindre l'établissement d'un État palestinien stable et indépendant.
Q - Parlons très rapidement de l'Europe puisque cette semaine, sera signée à Bruxelles, la Constitution européenne qui sera soumise ensuite à référendum. La Commission de José Manuel Barroso qui sera présentée au Parlement européen - vous étiez Commissaire européen - l'estimez-vous à la hauteur des enjeux institutionnels politiques et économiques qui vont être ceux de l'Europe dans les semaines et les mois à venir ?
R - Alors que la Commission n'a pas encore commencé son travail le 1er novembre, comment voulez-vous que je fasse un tel procès d'intention ?
Q - Je parlais de sa composition.
R - Il y a, dans cette Commission, des gens, des hommes et des femmes, de grande qualité, à commencer par notre compatriote Jacques Barrot, qui a un poste très important tous les transports en Europe, il y a un président qui, lui aussi, est un homme de très grande autorité, l'ancien Premier ministre portugais, et je lui fais confiance. Maintenant, le Parlement a une échéance qui est ce vote. C'est une décision qui lui appartient souverainement. Je peux simplement souhaiter que tout le monde soit en ordre de marche, la Commission, le Parlement, le Conseil des ministres et que l'on puisse travailler, car il y a beaucoup d'enjeux, de défis qui ne peuvent pas attendre.
Q - Je parlais de la Constitution européenne, elle sera signée vendredi prochain, souhaitez-vous que le référendum qui devra donner la parole aux Français soit assez proche, c'est-à-dire au printemps prochain, ou au contraire retardé pour davantage de débats dans l'opinion ?
R - La date du référendum que le président de la République a voulu, c'est l'affaire et le choix du président. Il sera fonction de la révision de notre propre Constitution, pour l'adapter éventuellement à la Constitution européenne ou pour en tenir compte. Cela prendra un certain temps. Franchement, je ne peux pas dire si ce sera avant l'été ou après. Ce que je souhaite simplement, c'est que l'on n'attende pas pour avoir un vrai débat en France sur les questions européennes qui intéressent, qui inquiètent, ceux qui nous écoutent, un vrai débat pour dire en quoi ce petit texte-là est utile. Moi, j'y ai travaillé à ce texte, j'y ai beaucoup travaillé et je peux dire que c'est un progrès, y compris pour l'Europe sociale, les services publics, les droits des citoyens, la politique étrangère et la politique de défense européennes. Ce texte est un progrès et je vais déployer beaucoup d'énergie, avec Claudie Haigneré et les autres membres du gouvernement, pour expliquer en quoi il est utile pour que l'Europe fonctionne.
Q - D'un mot, les élections américaines vont avoir lieu, John Kerry, George Bush sont à peu près à égalité dans les sondages, le choix des Américains sera-t-il déterminant pour la politique étrangère et pour votre vision du monde ?
R - En toute hypothèse, le choix du président des États-Unis appartient aux Américains et il est fondamental.
Q - Avez-vous un préféré ?
R - Non, naturellement ! Ne demandez pas au ministre français des Affaires étrangères de se mêler d'un choix électoral qui appartient aux Américains. Mais nous avons besoin d'une nouvelle alliance, basée sur le respect mutuel. L'alliance n'est pas l'allégeance avec les États-Unis et je vais travailler également cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2004)