Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à l'occasion de la commémoration du 50ème anniversaire du 1er novembre 1954, point de départ de la guerre d'Algérie, à Paris le 28 octobre 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Commémoration du 50ème anniversaire du 1er novembre 1954, début de la guerre d'Algérie, à Paris, siège du PCF à Paris le 28 octobre 2004.

Texte intégral

Cher(e)s ami(e)s,
Cher(e)s camarades,
Merci à toutes et à tous d'être venus si nombreux.
Je veux saluer en particulier la présence de Monsieur l'Ambassadeur d'Algérie, de Madame Simone de Bollardière, de Messieurs Sadek Hadjérès, de Zohair Bessaa, André Mandouze, et Charles Sylvestre, Gilles Lemaire, Sarah Alexander, Jean-Pierre Lledo
Nous sommes réunis, ici, au siège du Parti communiste, pour marquer, 50 ans après, ce que fut le 1er novembre 1954 pour l'Algérie, pour la France et pour les communistes.
Ce 1er novembre 1954, c'est une guerre qui commence. Une sale guerre coloniale. En fait, on pourrait dire que cette guerre commença le 8 mai 1945, avec les émeutes de Sétif et la sauvage répression des forces françaises. Pour beaucoup d'historiens, elle a commencé dès la conquête, en 1830. Ce qui est une façon de souligner à juste titre la violence fondatrice du fait colonial dans toutes ses dimensions.
Rappelons qu'il aura fallu attendre 45 ans, avec une loi de 1999, pour que l'on mette un terme à une scandaleuse hypocrisie, pour qu'enfin ce que l'on désigna comme les "opérations" en Afrique du Nord ou "les événements d'Algérie" prennent l'appellation officielle et légitime de guerre.
Permettez-moi d'ajouter qu'il est inacceptable que le gouvernement de M. Raffarin ait pu croire opportun, voici deux ans, d'imposer le 5 décembre, date sans signification véritable, comme date d'hommage aux victimes des combats d'Afrique du Nord, en lieu et place du 19 mars, date du cessez-le-feu.
Puisqu'on a reconnu officiellement la guerre d'Algérie, pourquoi ne pas vouloir reconnaître le 19 mars comme la fin de cette guerre? La dernière grande guerre coloniale de la France. Et j'ajoute, une guerre qui aurait très bien pu être évitée si la volonté de négociation l'avait emporté sur l'aveuglement et l'escalade répressive.
Ce désaccord politique sur une date de commémoration révèle, malgré un intérêt récent et bienvenu, dans notre pays, pour le débat et la réflexion sur le passé colonial, la difficulté du travail de mémoire. Pourtant, ce travail s'impose : il faut faire l'histoire la guerre d'Algérie, il faut en parler. Elle continue de peser sur l'inconscient collectif de nos peuples. Elle s'impose pour toutes les générations : celles qui l'ont vécue comme celles, les plus jeunes, qui peuvent ignorer les faits et pourtant pressentent le drame. On voit bien comment les discriminations à l'égard des hommes et des femmes venus d'Algérie ont succédé aux régime colonial. Et aujourd'hui encore.
On mesure, en fait, à quel point la guerre d'Algérie fut un traumatisme puissant et durable.
Pour le peuple algérien, principale victime. La guerre d'Algérie laissa le pays exsangue, meurtri.
Le bilan des victimes est effarant. Des centaines de milliers d'Algériens, des dizaines de milliers de militaires français morts dans les combats. Des dizaines de milliers de harkis tués pendant ou après la guerre Mesurons l'ampleur de la tragédie pour le peuple algérien qui a subi une épouvantable et sanglante répression, avec l'humiliation, la torture, les exécutions sommaires mais aussi les ratonnades, la chasse au faciès. La fin justifiait les moyens. Peu importe le viol des consciences et les droits de l'homme! Les autorités françaises voulurent "maintenir l'ordre" quel qu'en soit le prix. Des crimes irréparables furent commis. Jusqu'à ce fatidique et symbolique 17 octobre 1961, où des milliers d'algériens défilèrent dans Paris afin d'exiger le respect de leur dignité tout en exprimant leur volonté d'indépendance pour leur pays. Ils furent l'objet d'une monstrueuse répression commandée par le ministre Frey, le Préfet Papon, et couverte par le gouvernement.
Mais cette guerre fut un drame pour le peuple français aussi.
Comment le peuple de France, même dans ses divisions et ses contradictions, aurait-il pu ne pas vivre ces 8 années de guerre meurtrières contre un autre peuple, comme un choc majeur? Souvenons-nous -je sais qu'ici, certains l'ont encore en mémoire- de la douleur des familles, des mères, des enfants, là-bas et ici. On peut dire, on doit dire, que le peuple français aussi, dans son contexte, fut, d'une certaine manière, victime de ce colonialisme. Même s'il n'en eut pas toujours, loin de là, la claire conscience. Et même si au sein de notre peuple, des forces nombreuses ont nourri la haine contre les algériens en cherchant à justifier l'injustifiable.
Et si des exactions furent commises du côté algérien, elles ne peuvent en aucun cas diminuer si peu que ce soit la responsabilité du colonisateur.
La guerre d'Algérie a laissé dans notre pays des souffrances lancinantes, des incompréhensions profondes, des rancurs durables
C'est près d'un million de "Pieds-noirs" qu'on appela "rapatriés" d'Algérie, mais qui vécurent leur départ comme un exil et une profonde déchirure
C'est 1,2 millions d'appelés du contingent obligés de participer à une guerre cruelle et inutile
Ce sont 150.000 algériens qui s'installèrent en France, harkis déracinés, parqués et méprisés.
Certaines de ces victimes vivent, aujourd'hui encore, ce drame, tant les esprits ont été frappés.
Rares sont les faits qui entrent dans l'histoire avec une telle charge émotionnelle, brûlante, contradictoire. Pourtant, durant près de 30 ans, ce fut plutôt le silence et "l'oubli" volontaire. Comme s'il était indécent de rappeler quels gouvernements de l'époque, quelles forces politiques ont délibérément choisi la répression et la guerre pour maintenir un système colonial en assumant les horreurs qui vont avec. On voit bien la difficulté morale et politique qu'il y a à endosser de tels choix.
On le sait : rien ne peut être dépassé tant qu'il n'y a pas acceptation de sa propre responsabilité et compréhension pour la blessure de l'autre.
Aujourd'hui, c'est l'ensemble des citoyens de France qu'il faut aider à mieux connaître, à assumer cette période si terrible de notre histoire et de l'histoire du rapport franco-algérien. C'est un travail à faire sur soi. C'est surtout un travail collectif qui appartient à tous: à l'Etat, à l'ensemble des forces politiques et sociales, à l'école, aux historiens, aux juristes, aux médias et à la presse. L'Humanité y prend d'ores et déjà une part très importante. L'Appel des Douze contre la torture, dont plusieurs signataires sont ici ce soir, est une contribution éminente et marquante dans cet esprit.
Il nous faut, 50 ans après, franchir ensemble un pas décisif et positif dans la conscience collective. Dans cet esprit, j'appelle le Président de la République, Monsieur Jacques Chirac, à effectuer le geste solennel consistant à reconnaître le tort fait à la nation algérienne par le colonialisme, la répression et la guerre. Notre pays en sortira grandi. Ce sera le signe d'un regard français apaisé sur son propre passé, le signe d'une volonté de réconciliation définitive dans la dignité. La voix de la France dans le monde n'en sera que plus respectée.
Chers amis et camarades,
Le Parti communiste français se sent concerné par la nécessité d'une nouvelle approche de l'histoire, en général, et de la sienne, en particulier. Et contrairement à ce que j'ai lu dans le quotidien du soir, la guerre d'Algérie n'est pas pour nous un sujet d'embarras.
Nous avons pris la décision d'ouvrir nos propres archives, il y a dix ans déjà. Attitude confirmée par le choix de confier la gestion et la communication de l'ensemble des fonds à un centre public, celui des Archives Départementales de la Seine-Saint-Denis. Dès l'achèvement du transfert des documents, courant 2005, ils y seront de nouveau accessibles.
Pour ce qui touche à la guerre d'Algérie, les conséquences de cette démarche sont loin d'être symboliques. Seront accessibles, en effet:
- les relevés de décisions des réunions du Bureau politique et du Secrétariat du PCF de 1954 à 1962;
- les enregistrements des sessions du Comité central;
- un fonds de documents émanant de la Section de Politique extérieure;
- les archives personnelles de son responsable, Raymond Guyot, qui concernent entre autres les liens de solidarité avec les jeunes réfractaires et emprisonnés;
- la collection intégrale du matériel de propagande (tracts et brochures) édité au plan national;
Je veux d'ailleurs vous annoncer ce soir que notre Camarade François Hilsum, qui joua un rôle important durant cette période, m'a remis personnellement hier la collection complète des bulletins édités clandestinement par le parti communiste et destinés aux soldats du contingent. C'est un geste politique fort que je veux saluer. Je remettrai ces précieux documents qui m'ont été confiés aux archives publiques pour être versées au fonds du PCF.
Notre parti poursuit le travail visant à la restitution et à l'appropriation critique de sa propre histoire, en évitant la simplification et la caricature. Nous nous sentons engagés par ce besoin d'histoire et de mémoire, nous voulons inciter à cela et nous produisons les gestes qu'il faut pour que cette histoire soit restituée dans sa complexité et, autant que possible, dans sa vérité.
Pour la guerre d'Algérie comme pour toute autre période, il faut s'attacher à dire comment les choses se sont passées. Et ne pas avoir peur des mots.
En 1954, lorsqu'éclate l'insurrection armée, pour une écrasante majorité du peuple français, l'Algérie c'est la France. Ce sont trois "départements" de la République française. Plus d'un siècle de propagande, de l'école à la presse, des Expositions coloniales aux cartes postales racistes, est passé par là.
Et les forces politiques qui appellent alors à maintenir l'ordre contre le mouvement national algérien, à affirmer l'autorité de l'Etat et ce que l'on nomma "l'unité de la patrie" ces forces politiques prennent donc appui sur un sentiment populaire largement majoritaire. Seul le PCF, comme force politique, marqué par un combat anti-colonial identitaire, est engagé dans le mouvement qui conduira à l'indépendance.
En 1954, même s'il n'emploie pas le mot " indépendance ", même s'il n'est pas exempté de tâtonnements, de débats, le PCF, dénonce immédiatement avec force la répression et développe sa solidarité avec le peuple algérien. Comme grande force politique française, il est isolé dans sa réaction.
Dès le 8 novembre 1954, il affirme, je cite: " Les événements qui se déroulent actuellement en Algérie résultent essentiellement du refus opposé par les gouvernements français aux revendications nationales de l'immense majorité des Algériens, ce refus s'ajoutant à une misère généralisée et croissante, conséquence directe du régime colonial qui sévit dans ce pays". Le PCF appelle à "reconnaître le bien-fondé des revendications à la liberté du peuple algérien" et à "discuter de ces revendications avec les représentants qualifiés de l'opinion publique algérienne ". Avec ces mots là, on peut penser que le parti communiste porte l'exigence concrète de faire admettre la perspective de l'indépendance. Ainsi commence le long travail pour aboutir à faire reconnaître la légitimité de la revendication du droit à l'autodétermination, portée par le FLN et l'ensemble du mouvement national algérien. " Non, l'Algérie n'est pas la France ", peut-on lire à la une du " Soldat " en juillet 1955.
Mais le gouvernement dirigé alors par Pierre Mendès France, qui vient de signer les accords avec le Vietnam et a évité l'affrontement en Tunisie et au Maroc, n'a aucune hésitation. Il ordonne la répression.
Un long et difficile combat commençait dans lequel les communistes rencontrèrent des personnalités, des avocats, des syndicats, des organes de presse : l'Express, France-Observateur, et Témoignage Chrétien, dont je voudrais saluer l'apport
Il en fallut du temps et du travail politique dans une société mâtinée par le colonialisme et l'esprit d'empire, pour que cette grande diversité de forces et d'expressions anti-coloniales sorte de l'isolement en devenant capable, contre la répression et malgré une censure sévère, de créer une dynamique pour la paix et pour l'indépendance de l'Algérie.
Le sens que les communistes donnent alors à leur action était d'agir avec des mots d'ordre contre le colonialisme, susceptibles de faire réfléchir, et de rassembler largement, et si possible des majorités. Rassembler pour la paix en Algérie parce que refuser la guerre c'était indissociablement exiger comme alternative une solution politique négociée avec les Algériens. C'était faire reconnaître l'existence d'un problème national en Algérie.
Je voudrais souligner l'apport des femmes dans cette lutte. Un apport qui ne se cantonnait pas à l'action sociale et à la solidarité avec le peuple Algérien en détresse, même si c'étaient là des tâches nobles que les femmes communistes avaient à cur. On se souvient aussi des manifestations de femmes pour dénoncer la guerre, demander l'ouverture de négociations, il y avait aussi les lettres et les pétitions incitant à des prises de position personnelles. Je veux citer également l'action de celles qui s'engagèrent pour aider directement le FLN. A ce propos, je sais combien celles et ceux qui avaient fait ce choix se sont sentis abandonnés. Le débat existait dans notre parti sur les chemins à emprunter, il n'était pas dénué d'incompréhensions.
L'engagement quotidien des militants communistes, des organisations et des directions du parti, avec l'Humanité, qui pour son engagement a été saisie et censurée à maintes reprises, fut considérable, permanent et certainement décisif pour que le climat politique et l'opinion publique française finissent par basculer en contribuant à la défaite des tenants de la répression et du colonialisme.
Ce n'est qu'à la fin du conflit, après le putsch des généraux, après les crimes sans nom de l'OAS, après la violence et les morts de Charonne, le 8 février 1962, que la masse de la population bascula vraiment dans le mouvement contre la guerre, comme en témoignent les centaines de milliers de manifestants pour les obsèques des martyrs de Charonne. Le cessez-le-feu qui intervient en mars 1962 est accompagné, cependant, d'un regain de violence terroriste en Algérie et en France, organisé par l'ensemble des forces fascisantes regroupées dans l'OAS.
Durant ces 8 années de guerre, les communistes n'ont cessé d'agir : en organisant des distributions de tracts, des rassemblements, des manifestations, des meetings, des débrayages dans les entreprises Action clandestine, action ouverte contre la conscription, au sein de l'armée, en France, en Algérie même Je pense aux soldats du refus. Je pense à ceux qui ont milité au sein de l'armée. Je pense aux avocats. Ce fut difficile. Ce fut courageux. Nombreux sont les camarades qui ont d'ailleurs écrit sur leur expérience, qui ont décrit leur parcours de militants. On ne connaît pas assez, on ne reconnaît pas assez, cette multitude d'actes politiques effectués individuellement ou au nom de la direction du PCF pour la solidarité, la justice et pour les droits du peuple algérien. Je crois que nous devons, ce soir, rendre hommage à toutes celles et ceux qui se sont ainsi engagés. Je ne peux citer chacun d'eux, tellement ils sont nombreux. Je veux leur dire qu'ils sont un honneur pour notre parti.
Permettez-moi de saluer la mémoire de Maurice Audin, victime d'un cruel assassinat, dont une place de Paris porte désormais le nom, à l'initiative du groupe communiste à l'Hôtel-de-Ville. Permettez-moi de rappeler l'importance considérable du témoignage d'Henri Alleg, avec son livre "La Question". Il y eut là deux moments décisifs, lourds de sens, qui ont pesé dans la manifestation de la conscience collective contre la barbarie du colonialisme, et qui ont suscité l'engagement de nombreux intellectuels.
Je tiens aussi à évoquer, avec émotion, le combat commun des communistes français et des communistes algériens. Le Parti communiste algérien et l'équipe d' " Alger républicain " avaient su réunir des travailleurs d'origine européenne, arabe et kabyle. Leur internationalisme, c'était leur force. Sans notre mutuelle solidarité, le combat eut été encore bien plus difficile.
Bien sûr, dans ce combat, il y eut des succès et des échecs, des hésitations et des débats. Je crois qu'un recul critique est toujours nécessaire. Mais notre parti ne doit ni mythifier, ni dénigrer ce qui a été fait.
Ne nous cachons pas que le vote "des pouvoirs spéciaux", le 12 mars 1956, demeure un élément extrêmement controversé. Si le contexte politique du moment marqué par le net succès du Front républicain et du Parti communiste aux élections du mois de janvier a pu justifier sur ce vote, il en reste cependant un geste difficile à assumer, qui pèse encore aujourd'hui sur la mémoire du PCF. Il faut, à mon sens, replacer l'intervention du parti communiste sur la guerre d'Algérie dans le contexte plus global des années cinquante. Au cours de ces années agitées, le PCF est un peu déboussolé. Il peine à reconstruire une stratégie et se voit guetté par l'isolement et le repli. Dans ce contexte, d'une destalinisation difficile, deux piliers de son action lui conservent un enracinement dans la société : son intervention sur le terrain social jamais démentie, son combat anticolonial, source de nombreux engagements de militantes et de militants. Ces deux fronts sur lesquels le PCF tient bon, sont cependant marqués eux aussi par le blocage politique général auquel il est confronté.
Ainsi, le vote des pouvoirs spéciaux souleva, à l'époque, beaucoup d'incompréhension, y compris au sein du Parti, et avec certains militants non communistes engagés dans l'action. Nous sommes conscients de cela. Les communistes et leurs directions continuaient cependant l'action. Il faudra quelques mois au PCF pour se rendre compte qu'il n'obtiendra, malgré son poids politique, ni un nouveau Front populaire pour le changement, ni la négociation pour une solution au conflit algérien. Ce fut un échec.
Le groupe de travail "le PCF et la guerre d'Algérie", qui se réunit et organise des auditions, dans un grand esprit d'ouverture, depuis février 2001 a eu, je le sais, de longs échanges sur la question.
Le gouvernement SFIO de Guy Mollet, avec le soutien de la droite, choisit la guerre totale. Il utilisa ce vote pour le justifier.
Il faudra bien d'autres évolutions dans le champ politique français, en Algérie évidemment, et sur le plan international pour changer le rapport de forces et aller enfin vers l'indépendance algérienne, au prix d'une crise majeure et de l'écroulement de la IVème République.
En disant cela, chers amis et camarades, je n'ai évidemment pas le sentiment d'aller au bout des explications ou des critiques nécessaires. Je souhaite qu'on laisse le débat ouvert et que chacun puisse être entendu et compris pour ce qu'il a vécu, pour ce qu'il a fait, pour les valeurs qu'il défend.
Le groupe de travail, dont j'ai parlé, "le PCF et la guerre d'Algérie", continuera à offrir un lieu de réflexions et un espace de débats contradictoires très utiles. L'engagement de notre parti dans cette période tourmentée de l'histoire n'est pas sans contradictions. Pouvait-il en être autrement ? Etre le parti que l'on peut titiller sur cet engagement là, c'est pour nous un honneur. De ce combat, avec la lucidité qu'il imposent, nous pouvons être fiers.
Chers amis et camarades,
Le 1er novembre 1954 est à la fois le début d'une guerre et la fin d'une période historique: la fin de l'Empire français, l'avènement de la France contemporaine, et d'un ordre international nouveau dans lequel s'affirme la puissance américaine au sortir de la 2ème guerre mondiale. Les relations internationales se structurent sur l'affrontement des blocs. De grandes batailles anti-impérialistes se dessinent alors. La Conférence de Bandoung en 1955, qui réaffirme le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, en donne la portée pour la vingtaine d'années qui va suivre. Dans ce nouveau contexte, une France plus atlantiste et trop souvent arrogante ne saura pas, ne voudra pas, construire avec l'Algérie la relation de coopération "privilégiée" qui aurait du s'imposer dans l'intérêt commun. Le rapport franco-algérien s'est alors si profondément dégradé, au cours des années, à force d'occasions manquées, qu'on a pu parler, dans les années 90, d'un embargo qui ne dit pas son nom.
Depuis le début des années 2000, un nouveau cours des relations franco-algérienne se construit. Un Traité d'amitié pourrait être signé en 2005. L'hommage officiel -tardif mais ô combien mérité- rendu récemment aux combattants d'origine algérienne pour la part qu'ils ont prise dans la libération de la France, en témoigne.
Ce nouveau cours franco-algérien, les communistes français l'ont souhaité et demandé des années durant. Non pas pour "tourner la page" du colonialisme et de la guerre -ce serait d'ailleurs impossible- mais pour construire ensemble un autre avenir.
Il faut pour cela sortir de la carence politique volontaire dans laquelle on a plongé les relations franco-algériennes pendant de si nombreuses années.
Il y a d'abord des questions très concrètes qui devront trouver les solutions tant attendues : par exemple le nombre des visas octroyé par la France; l'égalité dans le niveau des retraites des anciens combattants; et tout ce qui peut favoriser les échanges
Il y a des gestes à faire, je pense particulièrement au droit de vote des résidents étrangers : l'attente et l'injustice n'ont que trop duré.
On comprend bien l'importance de ces problèmes très sensibles et la nécessité de leur trouver ensemble des solutions réelles et durables.
Au-delà de ces questions d'administration civile très humaines, le nouveau cours des relations franco-algériennes couvre d'autres domaines: celui des accords militaires et de la sécurité; celui d'une relance des investissements français en Algérie, en particulier. Si une telle coopération devait s'inscrire dans l'esprit atlantiste et néo-libéral dominant en Europe, avec l'obsession prioritaire de la concurrence et de la liberté du capital privé alors nous ne saurions avaliser un nouveau cours qui risquerait de s'apparenter à une reconquête économique d'esprit néo-colonial. L'Algérie ne doit pas devenir un champ de guerre économique et notamment, de rivalités franco-américaines pour les marchés et les hydrocarbures.
La France se doit d'avoir une grande ambition positive pour ses relations avec l'Algérie.
Réussir un "partenariat d'exception" franco-algérien, c'est développer la coopération dans tous les domaines économiques, sociaux et culturels possibles, dans un esprit d'égalité et de respect mutuel. Cela veut dire aussi, de façon indissociable, transformer les accords d'association euro-méditerranéens dans leur contenu et dans leurs objectifs.
Ces accords, on le sait, fondent principalement l'ouverture d'une zone de libre échange à l'horizon 2010. Il est consternant que cette conception étroitement capitaliste puisse constituer le cur de la vision que les Européens se font de leur rapport à la Méditerranée. Il y a là plus qu'une carence, une faute grave et un danger pour l'avenir: si l'on ne voit pas que la sécurité, la résolution des conflits, la démocratie - et je voudrais réaffirmer aujourd'hui notre solidarité avec les journalistes emprisonnés et mis sous surveillance-, le développement dans cette région appellent de façon pressante des politiques de coopération diversifiées, des solidarités fortes, des partenariats efficaces alors les crises, les instabilités, les violences perdureront avec des intégrismes et des ultra-nationalismes aux effets redoutables. La France et l'Union européenne ont une lourde responsabilité vis-à-vis de l'Algérie, du Maghreb et pour toute cette région. Il est urgent d'assumer dignement le passé pour pouvoir affronter ensemble des enjeux décisifs pour l'avenir. On ne construira pas une Europe de paix, de sécurité, de justice, sans un espace euro-méditerranéen de dialogues, de solidarités et de partenariats véritables. Une Europe qui agisse pour le respect du droit, des valeurs humaines universelles et des principes de la Charte des Nations Unies.
Chers amis et camarades,
L'histoire du 1er novembre 1954 et de la guerre d'Algérie est porteuse de sens et de leçons pour tout le monde. Et jusqu'aujourd'hui. Son enseignement essentiel tient probablement dans la force des aspirations populaires à la liberté, à la souveraineté. Comme le rappelle si justement Henry de Montherlant dans "Le Maître de Santiago": "les colonies sont faites pour être perdues" Puisse cette leçon de l'histoire porter ses fruits là où elle n'est pas encore entendue.
Je vous remercie.
(Source http://www.ocf.fr, le 2 novembre 2004)