Texte intégral
Q- P.-L. Séguillon : Vous avez écouté L. Fabius hier soir. Comment interprétez-vous la réponse de L. Fabius ? Est-ce qu'il a franchi le pas ?
R-J.-P. Chevènement : L. Fabius a posé quatre conditions à son "oui"...
Q- ... qui n'ont rien à voir avec le texte constitutionnel.
R- Disons que le texte constitutionnel aurait pu être différent. Deux de ses conditions reprennent celles que j'avais avancées pendant la campagne présidentielle. Il s'agit de l'assouplissement du Pacte de stabilité budgétaire et il s'agit d'une garantie des services publics. J'avais demandé que soit préservé le modèle français. Mais, je dirais, pour porter un jugement sur la prestation de L. Fabius : bon début mais peut mieux faire. En effet, il oublie de mentionner la compatibilité obligatoire des politiques de défense avec la politique défense de l'Otan. De même, il ne parle pas des statuts de la Banque centrale européenne, et foin du principe de concurrence supérieur à tout autre : principe de concurrence libre et non faussé, qui était déjà dans le Traité de Maastricht...
Q- Donc, il aurait ajouté trois conditions encore ?
R-Il aurait pu ajouter même une condition sur l'assouplissement des coopérations renforcées qui seront rendues très difficiles par ce traité constitutionnel, puisqu'il faut l'accord du Conseil et du Parlement européen. Il aurait pu mieux faire, mais je ne désespère pas de le voir aller maintenant dans la bonne direction. Je pense qu'il fallait faire sauter le couvercle qui pèse sur le Parti socialiste depuis douze ans.
Q- Est-ce que c'est honnête, intellectuellement, de poser des conditions dont on sait par définition qu'elles sont irréalisables dans l'année qui vient, pour dire "oui" ou "non" à la Constitution ?
R-Je ne suis pas là pour distribuer des prix de vertu. Je pense que L. Fabius donne un ébranlement à une orthodoxie qui doit bouger, dans l'intérêt même du pays. Je pense que L. Fabius est suffisamment intelligent pour comprendre qu'effectivement, la manière dont les choses se sont faites, la dérive libérale de l'Europe, peut être corrigée. C'est ce que moi-même je dis depuis plus de douze ans.
Q- Et que vous expliquez dans un livre qui s'appelle "Les défis républicains", chez Fayard, un livre qui retrace votre carrière, l'histoire de la gauche et l'interprétation que vous en faites. Est-ce qu'aujourd'hui, la position de L. Fabius vous donne l'occasion de renouer avec les socialistes, si par exemple, demain, L. Fabius devient le leader du PS ?
R-Notre "non" sera un "non" républicain, un "non" argumenté, construit, favorable à ne réorientation de la construction européenne, une Europe à géométrie variable, une Europe des nations indépendantes et solidaires. Indépendantes parce que le vrai enjeu, c'ezst Europe "européenne" ou bien Europe "américaine". Aujourd'hui, nous sommes en minorité dans l'Europe à 25. La plupart des gouvernements sont inféodés, et puis d'autre part, réorientation d'une construction qui nous désarme dans la compétition mondiale. On le voit avec les délocalisations."
Q- Vous ne répondez pas à ma question. Si, comme vous venez de le dire, bon départ de L. Fabius, coup d'envoi d'une réorientation d'une politique française et européenne, et donc un recadrage du Parti socialiste, est-ce que c'est l'occasion, pour vous qui êtes président d'honneur d'un mouvement qu'il faut bien reconnaître groupusculaire...
R-Non, je me trouve trop dur. Ce n'est pas parce qu'on nous a enlevé les micros et les caméras depuis deux ans, du fait de la fatwa prononcée par les dirigeants socialistes, que nous avons cessé d'exister. Nous avons le mérite de la continuité. Je pense qu'aujourd'hui, nous pourrions en effet boire du petit lait. Mais nous ne raisonnons pas comme cela. Nous nous déterminons par rapport à l'intérêt public.
Q- Mais est-ce que c'est l'occasion pour la gauche de se rassembler ?
R-Disons que cela demandera des débats certainement approfondis, parce qu'on ne peut pas se borner à des considérations purement sociales. Je crois qu'il y a une logique politique. Il faut s'appuyer sur des réalités politiques. Ces réalités politiques, ce sont les nations. C'est l'âme où fonctionne la démocratie, et c'est la raison pour laquelle nous préconisons une Europe à géométrie variable pour aller effectivement vers des objectifs que nous pourrions avoir en commun avec ceux qui dans le Parti socialiste, ont compris que finalement, cette Europe-là détruisait tous les acquis sociaux et renvoyait aux calendes, à nos enfants ou arrière-petits enfants le soin de rétablir un équilibre entre le travail et le capital. Donc, je trouve que c'est très positif cette évolution. Maintenant, il faut qu'elle se développe, et il faut qu'il y ait un débat argumenté. Encore une fois, le Mouvement Républicain et Citoyen ne se détermine pas par rapport à des enjeux de politique politicienne. C'est un parti qui fait des analyses de fond, qui s'efforce de penser mondial. C'est rare.
Q- Néanmoins, après avoir entendu L. Fabius, est-ce que vous allez prendre langue avec lui, pour voir si vous pouvez faire un bout de chemin ensemble ?
R-Mais vous êtes toujours dans la politique politicienne. Mais bien entendu que nous pouvons prendre langue, ce n'est pas le problème. Le problème c'est d'arriver à une proposition construite...
Q- Le problème c'est quand même l'efficacité, et aussi de pouvoir mettre en oeuvre vos orientations ?
R-Je dis que dans une consultation référendaire, le "non" peut l'emporter. Naturellement, on va additionner des "non" qui sont assez différents. Je pense qu'il est tout à fait honorable de rejoindre un "non" argumenté, solidement, depuis longtemps, comme le nôtre. C'est véritablement l'occasion de réorienter la politique française et la politique européenne.
Q- Dans votre livre, vous regrettez le déséquilibre - ou l'équilibre tel qu'il se fait aujourd'hui - entre les Etats-Unis et le reste du monde. Quand on voit ce qui se passe en Irak, en dépit de la position française, est-ce que nous ne sommes pas pris dans un train général - la prise de nos otages le démontre - qui fait notre incapacité à peser sur les affaires du monde ?
R-Evidemment, dans une guerre de civilisation, il n'y a de place que pour les bons et les méchants. C'est très difficile pour la France. Mais je sais gré à J. Chirac, qui me l'avait dit d'ailleurs en septembre 2002, de ne pas avoir associé la France à cette guerre, parce que c'est la possibilité de développer un dialogue des cultures, de faire progresser quand même une autre conception moins sommaire des relations internationales. L'islam est divers, l'occident aussi. Heureusement, la France, l'Allemagne et la Russie ne se sont pas confondues avec les Etats-Unis de M. Bush. On n'a pas empêché la guerre, mais peut-être que demain, on aidera à la restauration d'un Irak souverain, indépendant, avec lequel nous pourrons avoir des relations équilibrées.
[...]
Q- Ce livre "Les défis républicains" c'est donc pas seulement le testament de J.-P. Chevènement, c'est l'occasion d'un rebond ?
R-"Défis républicains", ça commence avec la volonté de reconstruire le Parti socialiste. Et si vous regardez le voile, la Corse, l'Irak, l'Europe, bien d'autres choses encore, on s'aperçoit que j'ai eu raison longtemps avant les autres. C'est souvent ingrat, mais je pense qu'aujourd'hui, beaucoup de Français peuvent savoir qu'il existe dans le paysage des hommes politiques qui ne pensent pas qu'à eux-mêmes.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 septembre 2004)
R-J.-P. Chevènement : L. Fabius a posé quatre conditions à son "oui"...
Q- ... qui n'ont rien à voir avec le texte constitutionnel.
R- Disons que le texte constitutionnel aurait pu être différent. Deux de ses conditions reprennent celles que j'avais avancées pendant la campagne présidentielle. Il s'agit de l'assouplissement du Pacte de stabilité budgétaire et il s'agit d'une garantie des services publics. J'avais demandé que soit préservé le modèle français. Mais, je dirais, pour porter un jugement sur la prestation de L. Fabius : bon début mais peut mieux faire. En effet, il oublie de mentionner la compatibilité obligatoire des politiques de défense avec la politique défense de l'Otan. De même, il ne parle pas des statuts de la Banque centrale européenne, et foin du principe de concurrence supérieur à tout autre : principe de concurrence libre et non faussé, qui était déjà dans le Traité de Maastricht...
Q- Donc, il aurait ajouté trois conditions encore ?
R-Il aurait pu ajouter même une condition sur l'assouplissement des coopérations renforcées qui seront rendues très difficiles par ce traité constitutionnel, puisqu'il faut l'accord du Conseil et du Parlement européen. Il aurait pu mieux faire, mais je ne désespère pas de le voir aller maintenant dans la bonne direction. Je pense qu'il fallait faire sauter le couvercle qui pèse sur le Parti socialiste depuis douze ans.
Q- Est-ce que c'est honnête, intellectuellement, de poser des conditions dont on sait par définition qu'elles sont irréalisables dans l'année qui vient, pour dire "oui" ou "non" à la Constitution ?
R-Je ne suis pas là pour distribuer des prix de vertu. Je pense que L. Fabius donne un ébranlement à une orthodoxie qui doit bouger, dans l'intérêt même du pays. Je pense que L. Fabius est suffisamment intelligent pour comprendre qu'effectivement, la manière dont les choses se sont faites, la dérive libérale de l'Europe, peut être corrigée. C'est ce que moi-même je dis depuis plus de douze ans.
Q- Et que vous expliquez dans un livre qui s'appelle "Les défis républicains", chez Fayard, un livre qui retrace votre carrière, l'histoire de la gauche et l'interprétation que vous en faites. Est-ce qu'aujourd'hui, la position de L. Fabius vous donne l'occasion de renouer avec les socialistes, si par exemple, demain, L. Fabius devient le leader du PS ?
R-Notre "non" sera un "non" républicain, un "non" argumenté, construit, favorable à ne réorientation de la construction européenne, une Europe à géométrie variable, une Europe des nations indépendantes et solidaires. Indépendantes parce que le vrai enjeu, c'ezst Europe "européenne" ou bien Europe "américaine". Aujourd'hui, nous sommes en minorité dans l'Europe à 25. La plupart des gouvernements sont inféodés, et puis d'autre part, réorientation d'une construction qui nous désarme dans la compétition mondiale. On le voit avec les délocalisations."
Q- Vous ne répondez pas à ma question. Si, comme vous venez de le dire, bon départ de L. Fabius, coup d'envoi d'une réorientation d'une politique française et européenne, et donc un recadrage du Parti socialiste, est-ce que c'est l'occasion, pour vous qui êtes président d'honneur d'un mouvement qu'il faut bien reconnaître groupusculaire...
R-Non, je me trouve trop dur. Ce n'est pas parce qu'on nous a enlevé les micros et les caméras depuis deux ans, du fait de la fatwa prononcée par les dirigeants socialistes, que nous avons cessé d'exister. Nous avons le mérite de la continuité. Je pense qu'aujourd'hui, nous pourrions en effet boire du petit lait. Mais nous ne raisonnons pas comme cela. Nous nous déterminons par rapport à l'intérêt public.
Q- Mais est-ce que c'est l'occasion pour la gauche de se rassembler ?
R-Disons que cela demandera des débats certainement approfondis, parce qu'on ne peut pas se borner à des considérations purement sociales. Je crois qu'il y a une logique politique. Il faut s'appuyer sur des réalités politiques. Ces réalités politiques, ce sont les nations. C'est l'âme où fonctionne la démocratie, et c'est la raison pour laquelle nous préconisons une Europe à géométrie variable pour aller effectivement vers des objectifs que nous pourrions avoir en commun avec ceux qui dans le Parti socialiste, ont compris que finalement, cette Europe-là détruisait tous les acquis sociaux et renvoyait aux calendes, à nos enfants ou arrière-petits enfants le soin de rétablir un équilibre entre le travail et le capital. Donc, je trouve que c'est très positif cette évolution. Maintenant, il faut qu'elle se développe, et il faut qu'il y ait un débat argumenté. Encore une fois, le Mouvement Républicain et Citoyen ne se détermine pas par rapport à des enjeux de politique politicienne. C'est un parti qui fait des analyses de fond, qui s'efforce de penser mondial. C'est rare.
Q- Néanmoins, après avoir entendu L. Fabius, est-ce que vous allez prendre langue avec lui, pour voir si vous pouvez faire un bout de chemin ensemble ?
R-Mais vous êtes toujours dans la politique politicienne. Mais bien entendu que nous pouvons prendre langue, ce n'est pas le problème. Le problème c'est d'arriver à une proposition construite...
Q- Le problème c'est quand même l'efficacité, et aussi de pouvoir mettre en oeuvre vos orientations ?
R-Je dis que dans une consultation référendaire, le "non" peut l'emporter. Naturellement, on va additionner des "non" qui sont assez différents. Je pense qu'il est tout à fait honorable de rejoindre un "non" argumenté, solidement, depuis longtemps, comme le nôtre. C'est véritablement l'occasion de réorienter la politique française et la politique européenne.
Q- Dans votre livre, vous regrettez le déséquilibre - ou l'équilibre tel qu'il se fait aujourd'hui - entre les Etats-Unis et le reste du monde. Quand on voit ce qui se passe en Irak, en dépit de la position française, est-ce que nous ne sommes pas pris dans un train général - la prise de nos otages le démontre - qui fait notre incapacité à peser sur les affaires du monde ?
R-Evidemment, dans une guerre de civilisation, il n'y a de place que pour les bons et les méchants. C'est très difficile pour la France. Mais je sais gré à J. Chirac, qui me l'avait dit d'ailleurs en septembre 2002, de ne pas avoir associé la France à cette guerre, parce que c'est la possibilité de développer un dialogue des cultures, de faire progresser quand même une autre conception moins sommaire des relations internationales. L'islam est divers, l'occident aussi. Heureusement, la France, l'Allemagne et la Russie ne se sont pas confondues avec les Etats-Unis de M. Bush. On n'a pas empêché la guerre, mais peut-être que demain, on aidera à la restauration d'un Irak souverain, indépendant, avec lequel nous pourrons avoir des relations équilibrées.
[...]
Q- Ce livre "Les défis républicains" c'est donc pas seulement le testament de J.-P. Chevènement, c'est l'occasion d'un rebond ?
R-"Défis républicains", ça commence avec la volonté de reconstruire le Parti socialiste. Et si vous regardez le voile, la Corse, l'Irak, l'Europe, bien d'autres choses encore, on s'aperçoit que j'ai eu raison longtemps avant les autres. C'est souvent ingrat, mais je pense qu'aujourd'hui, beaucoup de Français peuvent savoir qu'il existe dans le paysage des hommes politiques qui ne pensent pas qu'à eux-mêmes.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 septembre 2004)