Texte intégral
Chers camarades,
C'est toujours un plaisir de nous retrouver dans un Conseil national au lendemain d'une victoire. Ça n'a pas toujours été le cas, il faut goûter ces moments-là et ne pas penser qu'ils vont se répéter toujours de façon mécanique.
Je veux à mon tour saluer d'abord la campagne telle qu'elle a été menée, exprimée, je veux féliciter bien sûr nos élus, avoir une pensée pour ceux qui ne l'ont pas été et qui l'auraient eux aussi mérité. Nous venons de vivre, depuis maintenant trois mois, une séquence électorale assez exceptionnelle qui crée -à l'évidence- une situation politique nouvelle en France et place le Parti socialiste devant ses responsabilités, et pas simplement en France.
Les élections européennes ont d'abord été marquées par un haut niveau d'abstention dans la plupart des pays de l'Union. Cette désaffection n'est pas une indifférence. Elle révèle, et c'est déjà suffisamment grave, de la part des citoyens une incompréhension et une distance qui confirme l'insuffisance démocratique de l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui, et la crise de représentation et de décision des institutions européenne.
Ce n'est pas, comme certains le prétendent, un refus d'Europe qui s'est exprimé. Jamais, en France en tout cas, le vote souverainiste n'avait été aussi faible ; il s'agit là d'un acte politique important dont nous sommes - pour partie - responsables, car nous avons fait le choix d'un vote clairement européen.
Mais il y a un retrait civique, faute d'un enjeu suffisamment lisible de la consultation, et en raison d'un doute sur l'efficacité du vote pour les élections au Parlement européen.
Il faut donc en tirer toutes les leçons utiles ; d'abord pour notre propre pratique au sein du Parlement européen ; ensuite pour approfondir la démocratie des institutions européennes dans la future Constitution. Dans ce contexte, la droite, par le silence de l'exécutif d'abord, le défaut de vision du chef de l'État ensuite, et la crainte, légitime d'ailleurs, du vote lui-même de l'UMP, a encouragé délibérément l'abstention pour éviter la répétition de la sanction et atténuer l'impact même de la consultation. La droite n'y est pas parvenue ; ou plutôt, elle n'y est parvenue qu'à moitié, les Français ont globalement moins voté, mais ils ont encore moins voté pour l'UMP.
Le Parti socialiste, pour sa part, réalise, avec 29 % des voix, son meilleur résultat depuis l'élection au suffrage universel du Parlement européen. Et c'est d'autant plus remarquable que la dispersion des listes n'avait jamais été aussi grande le mode de scrutin jamais aussi compliqué. Dans le cadre d'un scrutin proportionnel où, à la différence des régionales et des cantonales, il n'y avait aucune dynamique majoritaire, le fait que le Parti socialiste ait été capable, non seulement d'être l'instrument de la sanction mais aussi d'être le moyen d'affirmer clairement une vision de l'Europe et donc de permettre aux citoyens d'afficher une préférence, est pour nous un signe de confiance qui devra se traduire demain par une adhésion à notre projet.
Cette progression ne s'est pas faite au détriment de nos partenaires. Aux élections législatives de juin 2002, nous avions retrouvé un étiage élevé, mais nos partenaires avaient été quasiment privés de toute capacité électorale. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Nous avons réussi à faire près de 30 % et nos alliés ont retrouvé leur étiage habituel, aussi bien pour les Verts que pour les communistes et aussi pour les radicaux.
Ce qui veut dire que nous avons gagné l'électorat que nous avions précisément perdu ces dernières années. Le faible score de l'extrême gauche est une heureuse nouvelle car, là aussi, a été payé, et au prix fort, le refus par l'alliance LO-LCR de tout désistement au second tour au moment des régionales et des cantonales.
Il y a eu donc une suite logique de la part de l'électorat de délaisser ce vote puisqu'il ne sert à rien et que démonstration en a été faite.
Bref, le paysage à gauche, celui né le 13 juin, fournit le meilleur cadre de l'indispensable rassemblement à venir. Il y a, d'une part, un Parti socialiste fort, ce qui était notre engagement de Congrès, sans lequel il n'y a pas de succès possible pour la gauche.
Deuxièmement, il y a un Parti socialiste qui ne peut et qui ne veut gouverner seul et qui entend donc respecter ses partenaires et être respectés par eux.
Enfin, il y a une extrême gauche réduite aux marges, c'est sa place. Notre succès, qui doit sans doute beaucoup au vote utile qui était structuré par le choc du 21 avril, est le fruit de décisions collectives qui ont été particulièrement judicieuses ; nous les avons prises ensemble.
Le deuxième choix judicieux, c'est le choix de notre thématique de campagne : l'Europe sociale. Parce que, pour nous, plus de social passe également par plus d'Europe parce que, pour faire plus d'Europe, nous voulons faire plus de social, que tout se tient, et que nous ne considérons pas qu'il y a contradiction entre social et Europe. Nous avons affirmé cette exigence d'une Europe sociale, et cette exigence a été parfaitement partagée par le corps électoral.
Et nous avons structuré la campagne autour de ce seul thème, critiqués que nous étions par la droite, contestés que nous pouvions être par l'extrême-gauche et le PC, il reste que c'est nous, socialistes, qui avons imposé ce thème.
Troisième décision collective utile, c'est d'avoir mobiliser nos fédérations et nos militants parce que nous, nous avons fait campagne et nous avons respecté les électeurs.
Enfin, il y a eu une réelle qualité de nos outils de communication, et ce qui sera finalement une innovation utile par rapport à d'autres scrutins. Voilà pour nos résultats, mais finalement, tout ça peut paraître déjà derrière nous, parce que les élections européennes, après les élections régionales et cantonales, créent une situation politique nouvelle en Europe et en France.
En Europe, parce qu'avec 31 députés, la délégation française est la première du groupe socialiste au sein du Parlement européen, que ce parlement européen n'a jamais été aussi éclaté sans majorité claire, avec des gouvernements européens eux-mêmes désavoués pour l'essentiel par le suffrage universel, et alors même qu'aucun nom ne s'impose d'évidence pour la présidence de la Commission. D'où notre responsabilité.
La voix des socialistes Français portera nécessairement davantage avec notre résultat et dans un tel contexte. Raison de plus pour être, nous les socialistes, un élément de clarté, de vérité et de responsabilité.
Nous devons donc, au sein du groupe socialiste et du Parti socialiste européen, être respectueux des engagements que nous avons pris devant le suffrage universel.
Nous en avons pris trois : l'Europe sociale, le clivage gauche/droite comme ligne de partage au sein du Parlement européen, et le renforcement du Parlement européen, notamment pour améliorer la future Constitution, ce qui doit nous conduire, dans les jours qui viennent à refuser toute alliance qui s'écarterait de ces principes d'action, et à commencer par je ne sais quel accord technique qui ne correspond en aucune manière à une technique démocratique. Demain, j'irai à la réunion des leaders socialistes européens pour porter ce message simple. Nous voulons prendre toutes nos responsabilités, nous ne récusons aucun poste, mais nous voulons les obtenir dans la clarté.
La confusion, l'arrangement, aggraveraient encore l'indifférenciation politique et amplifieraient encore davantage la crise civique qui menace l'Europe. De même faudra-t-il, au lendemain du Conseil européen de Dublin, saisir le Parlement européen pour améliorer le projet de traité constitutionnel.
Enfin, nous devons travailler au sein du Parti socialiste européen pour conforter la majorité qui s'est réunie autour de Poul Rasmussen, à notre initiative, et la doter d'une ligne politique autour de l'Europe telle que nous la voulons : une Europe démocratique, une Europe sociale et une Europe solidaire des grandes questions planétaires. Il ne suffit pas de faire élire dans un Congrès une personnalité que nous aimons bien, il faut aujourd'hui structurer politiquement le Parti des socialistes européens. Voilà notre devoir dans la situation telle qu'elle est créée en Europe.
En France, maintenant, la séquence des scrutins qui viennent de se dérouler a servi de révélateur. La politique menée depuis deux ans par le gouvernement Raffarin n'a plus la confiance des Français, c'est un fait. L'équipe qui l'a conduite n'a plus la crédibilité requise, c'est une évidence. Déjà, au lendemain des élections de mars, la logique aurait voulu, qu'au-delà de quelques reculs de circonstance, le Chef de l'État tire lui-même les conséquences, procède au changement attendu à la tête du gouvernement et modifie profondément la politique suivie. Il a préféré l'obstination et l'entêtement.
Le nouveau désaveu enregistré le 13 juin a été accueilli avec un mélange de désinvolture rare et de mépris insupportable. Le Premier ministre a préféré commenter le résultat de l'équipe de France plutôt que celui de l'UMP dimanche soir ; le Président de la République a annoncé, à Aix-la-Chapelle, le maintien de Jean-Pierre Raffarin en prenant comme témoin de circonstance Gerard Schröder. Quant à Nicolas Sarkozy, il a saisi l'occasion fournie par l'affaiblissement de son propre camp pour partir à l'abordage du navire UMP déserté par son capitaine.
Il ne faudrait pas s'acharner sur le Premier ministre ; ça ne sert aujourd'hui plus à rien ; car, en définitive, le responsable de cette situation, c'est le Chef de l'État lui-même. Sa légitimité n'est pas en cause, pas davantage que celle de la majorité issue des élections législatives de 2002. Ce qui est en cause, c'est une pratique des institutions, une conception de la démocratie et l'abandon du mandat qui lui a été confié par le peuple le 5 mai 2002 et qui consiste tout simplement à respecter le peuple.
Dès lors, le pouvoir est tenté par le passage en force et l'aveuglement : colmatage injuste de l'assurance maladie, privatisation d'EDF-GDF, décentralisation dévoyée, et on voit bien les risques de radicalisation et de conflit. Et avec un MEDEF qui appelle à l'audace dès lors, selon son expression, qu'il n'y a plus d'élections d'ici 2007. Le mieux sans doute pour le MEDEF serait qu'il n'y ait plus d'élection du tout, mais il est obligé encore pour le moment d'attendre quelques échéances venir.
Le Chef de l'État prend donc, là aussi, dans ce contexte, un risque considérable. Trois ans sans rendez-vous électoral ; il est désormais le seul responsable de la situation qu'il a créée.
Plus que jamais, il nous faut considérer c'est une présidence de convenance qu'il pratique, fondée sur son seul confort, sa seule protection et sa plus totale irresponsabilité. Il ne paraît préoccupé que de sa seule existence. Et le seul souci du pouvoir en général, ce n'est pas la situation des Français, c'est l'avenir de l'UMP. Cette forme de comportement aggrave la crise civique.
Dans ce moment, donc, le Parti socialiste est devant ses propres responsabilités. Il doit d'abord maîtriser le temps, et ce n'est pas toujours le plus facile. Nous avons effectivement trois ans sans élections, trois ans où il va falloir à la fois être une opposition crédible et une force de propositions et d'espoir. Maîtriser le temps est la première des obligations.
Il va falloir aussi mobiliser les énergies, ne pas suivre toutes les radicalisations, tous les mécontentements, leur donner un débouché, une perspective, montrer l'utilité de la politique, éviter le découragement et préparer donc l'alternative.
Il faut être une opposition ferme et crédible. Les groupes parlementaires en font la démonstration. Il y a eu déjà des contre-propositions en matière de Sécurité sociale, sur l'assurance maladie, nous devons encore préciser nos positions, de la même manière que, sur EDF, nous devons dire que nous voulons une entreprise à 100 % de capitaux publics. C'est une garantie essentielle, pas simplement pour les salariés de l'entreprise, et ce serait leur faire injure de penser qu'ils ne défendent que leur statut, même si nous n'ignorons pas les petits arrangements qui peuvent se produire, ou les contreparties qui peuvent s'offrir. Mais, il ne s'agit pas simplement du problème des salariés d'EDF, il s'agit d'une conception du service public dans notre pays.
Deuxièmement, il nous faudra mobiliser les collectivités locales ; il faudra, à travers l'association des régions de France, des départements de France, des maires de France, des grandes villes de France, là où nous avons quelques responsabilités, dénoncer les transferts de compétences, évaluer l'ampleur des désengagements de l'Etat et anticiper sur les prélèvements qui, à un moment ou à un autre, devront s'opérer.
Et puis, nous avons à préparer notre projet. Il ne s'agit plus simplement de battre la droite ou l'UMP ; il s'agit d'accomplir une victoire sur nous-mêmes. C'est-à-dire que nous avons, à travers ce projet, à faire preuve de vérité, de dire la réalité aux Français sur la situation qui est aujourd'hui celle de notre pays, lui montrer notre volonté de transformer ce que nous considérons comme insupportable, et d'offrir, là encore, une perspective. Et nous avons aussi à le faire dans l'unité car elle est garante de notre crédibilité.
Je suggère donc une méthodologie nouvelle pour notre projet : il s'agira d'abord d'interroger les Français, de comprendre leurs aspirations, et nous devrons multiplier les formules de questionnaires ou autres qui nous permettront de saisir encore davantage les aspirations de nos concitoyens.
Nous devrons aussi nous adresser aux forces vives, qui devront, là encore, être dans un rapport contractuel avec nous, mobiliser notre réseau d'élus et nos militants. Et je pense que là, est un défi nouveau : nous ne pourrons pas réaliser un nouveau projet en procédant comme d'habitude.
Il faudra donc une forme d'audace sur les sujets, les institutions, l'environnement, le travail, la démocratie, bref, tout devra être regardé, mais avec la volonté de donner une hiérarchie de nos priorités.
Je propose donc que nous puissions installer la Commission nationale du projet avant le départ en vacances, au début du mois de juillet, pour réunir la Commission nationale du projet qui pourrait à ce moment-là réunir non seulement le Bureau national, mais un certain nombre de personnalités, d'élus, de premiers fédéraux, des représentants des groupes parlementaires, ou du comité économique et social, bref, une centaine de personnes dans cette commission nationale du projet.
Il faudra ensuite, nous verrons la méthode, savoir comment nous pourrons procéder, avec des commissions ou des ateliers, mais il nous faut avoir un lieu, un lieu de débat sur la méthode et sur le contenu, même si c'est le Parti qui aura, à chaque étape, le dernier mot.
Notre université d'été pourrait être le premier acte au-delà de cette commission, du travail sur notre projet qui, de toute manière, devra se terminer par un vote militant à la fin du mois de décembre sous la forme d'une ratification par le vote, congrès extraordinaire ou autre, à la fin 2005.
Responsabilité du Parti socialiste quant aux alliances avec nos partenaires. Je pense que, compte tenu de notre bon résultat, et parce que nous avons eu un bon résultat, nous devons montrer notre disponibilité, faire la démonstration que nous sommes prêts dès aujourd'hui, je dis bien dès aujourd'hui, à des discussions, pas simplement sur les postes ou les sièges, et je sais qu'en ce moment, une discussion âpre a lieu avec nos amis communistes et verts sur les sénatoriales. Finalement, cette assemblée finit par intéresser toutes les formations politiques à un moment ou à un autre.
Nous devons donc avoir cette forme de discussion, mais pas simplement sur les postes, aussi sur la manière de riposter à l'action gouvernementale, et c'est pourquoi je reprendrai autant de fois qu'il sera nécessaire l'idée d'un comité de liaison, au moins ne serait ce que pour faire la riposte et la contre-attaque par rapport à un certain nombre de sujets, et notamment l'assurance maladie ou les services publics, ou les collectivités locales.
Nous devons aussi faire en sorte d'évaluer les convergences et les divergences avec nos partenaires, ils nous le demandent. Ils veulent peut-être parfois insister davantage sur les divergences que sur les convergences, en tout cas nous devons montrer que nous sommes ouverts à des discussions, mais avec une règle simple, et c'est là la perspective que nous devons offrir.
Pour nous, les accords, les répartitions de sièges éventuelles, doivent s'inscrire dans une dynamique fondée sur des propositions et un accord politique.
S'il n'y a pas l'accord politique, alors le reste ne peut être que sur le secondaire, le subalterne, et donc nous devons leur dire que nous sommes prêts à discuter, à ouvrir un dialogue sur le fond, sur les places, mais avec le débouché qu'est la plate-forme à un moment pour les élections législatives.
Je veux conclure sur ce qu'il nous reste à faire. Depuis deux ans, chers amis, chers camarades, je crois que nous avons réussi ce redressement après cette défaite injuste et cruelle d'avril 2002. Nous n'avons réussi ce redressement, soyons francs, plus vite que certains ne l'avaient prédit, et à un niveau plus ample que nous-mêmes, nous l'avions imaginé. Mais si nous devons être fiers du chemin parcouru, nous voyons aussi toute la fragilité du résultat. Tout dépend encore de nous, notre capacité à travailler ensemble, à dominer nos inclinaisons ou nos penchants, le sens de la chicane qui parfois nous sépare, le repli sur nous-mêmes qui parfois s'empare de nous, la compétition prématurée qui n'a pas lieu d'être, la précipitation brutale dont nous pouvons être nous-mêmes victimes, l'emballement excessif.
Bref, nous avons un certain nombre de défauts à corriger, mais nous les connaissons. Mais nous avons surtout, et c'est l'essentiel, des atouts ensemble. Nous sommes le plus grand parti de France en termes militants et nous devrons encore faire accéder davantage d'amis au cur même de notre formation politique. Nous sommes le premier parti de France aussi sur le plan électoral. Notre réseau d'élus n'a jamais été aussi large, aussi dense. Nous avons des relations avec les forces vives syndicales, notamment comme rarement dans notre histoire nous avons su en tisser.
Nous avons, même si c'est précaire, retrouvé la confiance des Français. Alors, une nouvelle chance est donnée à la gauche, une chance est donnée au Parti socialiste, il nous faut la saisir.
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 17 juin 2004)
C'est toujours un plaisir de nous retrouver dans un Conseil national au lendemain d'une victoire. Ça n'a pas toujours été le cas, il faut goûter ces moments-là et ne pas penser qu'ils vont se répéter toujours de façon mécanique.
Je veux à mon tour saluer d'abord la campagne telle qu'elle a été menée, exprimée, je veux féliciter bien sûr nos élus, avoir une pensée pour ceux qui ne l'ont pas été et qui l'auraient eux aussi mérité. Nous venons de vivre, depuis maintenant trois mois, une séquence électorale assez exceptionnelle qui crée -à l'évidence- une situation politique nouvelle en France et place le Parti socialiste devant ses responsabilités, et pas simplement en France.
Les élections européennes ont d'abord été marquées par un haut niveau d'abstention dans la plupart des pays de l'Union. Cette désaffection n'est pas une indifférence. Elle révèle, et c'est déjà suffisamment grave, de la part des citoyens une incompréhension et une distance qui confirme l'insuffisance démocratique de l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui, et la crise de représentation et de décision des institutions européenne.
Ce n'est pas, comme certains le prétendent, un refus d'Europe qui s'est exprimé. Jamais, en France en tout cas, le vote souverainiste n'avait été aussi faible ; il s'agit là d'un acte politique important dont nous sommes - pour partie - responsables, car nous avons fait le choix d'un vote clairement européen.
Mais il y a un retrait civique, faute d'un enjeu suffisamment lisible de la consultation, et en raison d'un doute sur l'efficacité du vote pour les élections au Parlement européen.
Il faut donc en tirer toutes les leçons utiles ; d'abord pour notre propre pratique au sein du Parlement européen ; ensuite pour approfondir la démocratie des institutions européennes dans la future Constitution. Dans ce contexte, la droite, par le silence de l'exécutif d'abord, le défaut de vision du chef de l'État ensuite, et la crainte, légitime d'ailleurs, du vote lui-même de l'UMP, a encouragé délibérément l'abstention pour éviter la répétition de la sanction et atténuer l'impact même de la consultation. La droite n'y est pas parvenue ; ou plutôt, elle n'y est parvenue qu'à moitié, les Français ont globalement moins voté, mais ils ont encore moins voté pour l'UMP.
Le Parti socialiste, pour sa part, réalise, avec 29 % des voix, son meilleur résultat depuis l'élection au suffrage universel du Parlement européen. Et c'est d'autant plus remarquable que la dispersion des listes n'avait jamais été aussi grande le mode de scrutin jamais aussi compliqué. Dans le cadre d'un scrutin proportionnel où, à la différence des régionales et des cantonales, il n'y avait aucune dynamique majoritaire, le fait que le Parti socialiste ait été capable, non seulement d'être l'instrument de la sanction mais aussi d'être le moyen d'affirmer clairement une vision de l'Europe et donc de permettre aux citoyens d'afficher une préférence, est pour nous un signe de confiance qui devra se traduire demain par une adhésion à notre projet.
Cette progression ne s'est pas faite au détriment de nos partenaires. Aux élections législatives de juin 2002, nous avions retrouvé un étiage élevé, mais nos partenaires avaient été quasiment privés de toute capacité électorale. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Nous avons réussi à faire près de 30 % et nos alliés ont retrouvé leur étiage habituel, aussi bien pour les Verts que pour les communistes et aussi pour les radicaux.
Ce qui veut dire que nous avons gagné l'électorat que nous avions précisément perdu ces dernières années. Le faible score de l'extrême gauche est une heureuse nouvelle car, là aussi, a été payé, et au prix fort, le refus par l'alliance LO-LCR de tout désistement au second tour au moment des régionales et des cantonales.
Il y a eu donc une suite logique de la part de l'électorat de délaisser ce vote puisqu'il ne sert à rien et que démonstration en a été faite.
Bref, le paysage à gauche, celui né le 13 juin, fournit le meilleur cadre de l'indispensable rassemblement à venir. Il y a, d'une part, un Parti socialiste fort, ce qui était notre engagement de Congrès, sans lequel il n'y a pas de succès possible pour la gauche.
Deuxièmement, il y a un Parti socialiste qui ne peut et qui ne veut gouverner seul et qui entend donc respecter ses partenaires et être respectés par eux.
Enfin, il y a une extrême gauche réduite aux marges, c'est sa place. Notre succès, qui doit sans doute beaucoup au vote utile qui était structuré par le choc du 21 avril, est le fruit de décisions collectives qui ont été particulièrement judicieuses ; nous les avons prises ensemble.
Le deuxième choix judicieux, c'est le choix de notre thématique de campagne : l'Europe sociale. Parce que, pour nous, plus de social passe également par plus d'Europe parce que, pour faire plus d'Europe, nous voulons faire plus de social, que tout se tient, et que nous ne considérons pas qu'il y a contradiction entre social et Europe. Nous avons affirmé cette exigence d'une Europe sociale, et cette exigence a été parfaitement partagée par le corps électoral.
Et nous avons structuré la campagne autour de ce seul thème, critiqués que nous étions par la droite, contestés que nous pouvions être par l'extrême-gauche et le PC, il reste que c'est nous, socialistes, qui avons imposé ce thème.
Troisième décision collective utile, c'est d'avoir mobiliser nos fédérations et nos militants parce que nous, nous avons fait campagne et nous avons respecté les électeurs.
Enfin, il y a eu une réelle qualité de nos outils de communication, et ce qui sera finalement une innovation utile par rapport à d'autres scrutins. Voilà pour nos résultats, mais finalement, tout ça peut paraître déjà derrière nous, parce que les élections européennes, après les élections régionales et cantonales, créent une situation politique nouvelle en Europe et en France.
En Europe, parce qu'avec 31 députés, la délégation française est la première du groupe socialiste au sein du Parlement européen, que ce parlement européen n'a jamais été aussi éclaté sans majorité claire, avec des gouvernements européens eux-mêmes désavoués pour l'essentiel par le suffrage universel, et alors même qu'aucun nom ne s'impose d'évidence pour la présidence de la Commission. D'où notre responsabilité.
La voix des socialistes Français portera nécessairement davantage avec notre résultat et dans un tel contexte. Raison de plus pour être, nous les socialistes, un élément de clarté, de vérité et de responsabilité.
Nous devons donc, au sein du groupe socialiste et du Parti socialiste européen, être respectueux des engagements que nous avons pris devant le suffrage universel.
Nous en avons pris trois : l'Europe sociale, le clivage gauche/droite comme ligne de partage au sein du Parlement européen, et le renforcement du Parlement européen, notamment pour améliorer la future Constitution, ce qui doit nous conduire, dans les jours qui viennent à refuser toute alliance qui s'écarterait de ces principes d'action, et à commencer par je ne sais quel accord technique qui ne correspond en aucune manière à une technique démocratique. Demain, j'irai à la réunion des leaders socialistes européens pour porter ce message simple. Nous voulons prendre toutes nos responsabilités, nous ne récusons aucun poste, mais nous voulons les obtenir dans la clarté.
La confusion, l'arrangement, aggraveraient encore l'indifférenciation politique et amplifieraient encore davantage la crise civique qui menace l'Europe. De même faudra-t-il, au lendemain du Conseil européen de Dublin, saisir le Parlement européen pour améliorer le projet de traité constitutionnel.
Enfin, nous devons travailler au sein du Parti socialiste européen pour conforter la majorité qui s'est réunie autour de Poul Rasmussen, à notre initiative, et la doter d'une ligne politique autour de l'Europe telle que nous la voulons : une Europe démocratique, une Europe sociale et une Europe solidaire des grandes questions planétaires. Il ne suffit pas de faire élire dans un Congrès une personnalité que nous aimons bien, il faut aujourd'hui structurer politiquement le Parti des socialistes européens. Voilà notre devoir dans la situation telle qu'elle est créée en Europe.
En France, maintenant, la séquence des scrutins qui viennent de se dérouler a servi de révélateur. La politique menée depuis deux ans par le gouvernement Raffarin n'a plus la confiance des Français, c'est un fait. L'équipe qui l'a conduite n'a plus la crédibilité requise, c'est une évidence. Déjà, au lendemain des élections de mars, la logique aurait voulu, qu'au-delà de quelques reculs de circonstance, le Chef de l'État tire lui-même les conséquences, procède au changement attendu à la tête du gouvernement et modifie profondément la politique suivie. Il a préféré l'obstination et l'entêtement.
Le nouveau désaveu enregistré le 13 juin a été accueilli avec un mélange de désinvolture rare et de mépris insupportable. Le Premier ministre a préféré commenter le résultat de l'équipe de France plutôt que celui de l'UMP dimanche soir ; le Président de la République a annoncé, à Aix-la-Chapelle, le maintien de Jean-Pierre Raffarin en prenant comme témoin de circonstance Gerard Schröder. Quant à Nicolas Sarkozy, il a saisi l'occasion fournie par l'affaiblissement de son propre camp pour partir à l'abordage du navire UMP déserté par son capitaine.
Il ne faudrait pas s'acharner sur le Premier ministre ; ça ne sert aujourd'hui plus à rien ; car, en définitive, le responsable de cette situation, c'est le Chef de l'État lui-même. Sa légitimité n'est pas en cause, pas davantage que celle de la majorité issue des élections législatives de 2002. Ce qui est en cause, c'est une pratique des institutions, une conception de la démocratie et l'abandon du mandat qui lui a été confié par le peuple le 5 mai 2002 et qui consiste tout simplement à respecter le peuple.
Dès lors, le pouvoir est tenté par le passage en force et l'aveuglement : colmatage injuste de l'assurance maladie, privatisation d'EDF-GDF, décentralisation dévoyée, et on voit bien les risques de radicalisation et de conflit. Et avec un MEDEF qui appelle à l'audace dès lors, selon son expression, qu'il n'y a plus d'élections d'ici 2007. Le mieux sans doute pour le MEDEF serait qu'il n'y ait plus d'élection du tout, mais il est obligé encore pour le moment d'attendre quelques échéances venir.
Le Chef de l'État prend donc, là aussi, dans ce contexte, un risque considérable. Trois ans sans rendez-vous électoral ; il est désormais le seul responsable de la situation qu'il a créée.
Plus que jamais, il nous faut considérer c'est une présidence de convenance qu'il pratique, fondée sur son seul confort, sa seule protection et sa plus totale irresponsabilité. Il ne paraît préoccupé que de sa seule existence. Et le seul souci du pouvoir en général, ce n'est pas la situation des Français, c'est l'avenir de l'UMP. Cette forme de comportement aggrave la crise civique.
Dans ce moment, donc, le Parti socialiste est devant ses propres responsabilités. Il doit d'abord maîtriser le temps, et ce n'est pas toujours le plus facile. Nous avons effectivement trois ans sans élections, trois ans où il va falloir à la fois être une opposition crédible et une force de propositions et d'espoir. Maîtriser le temps est la première des obligations.
Il va falloir aussi mobiliser les énergies, ne pas suivre toutes les radicalisations, tous les mécontentements, leur donner un débouché, une perspective, montrer l'utilité de la politique, éviter le découragement et préparer donc l'alternative.
Il faut être une opposition ferme et crédible. Les groupes parlementaires en font la démonstration. Il y a eu déjà des contre-propositions en matière de Sécurité sociale, sur l'assurance maladie, nous devons encore préciser nos positions, de la même manière que, sur EDF, nous devons dire que nous voulons une entreprise à 100 % de capitaux publics. C'est une garantie essentielle, pas simplement pour les salariés de l'entreprise, et ce serait leur faire injure de penser qu'ils ne défendent que leur statut, même si nous n'ignorons pas les petits arrangements qui peuvent se produire, ou les contreparties qui peuvent s'offrir. Mais, il ne s'agit pas simplement du problème des salariés d'EDF, il s'agit d'une conception du service public dans notre pays.
Deuxièmement, il nous faudra mobiliser les collectivités locales ; il faudra, à travers l'association des régions de France, des départements de France, des maires de France, des grandes villes de France, là où nous avons quelques responsabilités, dénoncer les transferts de compétences, évaluer l'ampleur des désengagements de l'Etat et anticiper sur les prélèvements qui, à un moment ou à un autre, devront s'opérer.
Et puis, nous avons à préparer notre projet. Il ne s'agit plus simplement de battre la droite ou l'UMP ; il s'agit d'accomplir une victoire sur nous-mêmes. C'est-à-dire que nous avons, à travers ce projet, à faire preuve de vérité, de dire la réalité aux Français sur la situation qui est aujourd'hui celle de notre pays, lui montrer notre volonté de transformer ce que nous considérons comme insupportable, et d'offrir, là encore, une perspective. Et nous avons aussi à le faire dans l'unité car elle est garante de notre crédibilité.
Je suggère donc une méthodologie nouvelle pour notre projet : il s'agira d'abord d'interroger les Français, de comprendre leurs aspirations, et nous devrons multiplier les formules de questionnaires ou autres qui nous permettront de saisir encore davantage les aspirations de nos concitoyens.
Nous devrons aussi nous adresser aux forces vives, qui devront, là encore, être dans un rapport contractuel avec nous, mobiliser notre réseau d'élus et nos militants. Et je pense que là, est un défi nouveau : nous ne pourrons pas réaliser un nouveau projet en procédant comme d'habitude.
Il faudra donc une forme d'audace sur les sujets, les institutions, l'environnement, le travail, la démocratie, bref, tout devra être regardé, mais avec la volonté de donner une hiérarchie de nos priorités.
Je propose donc que nous puissions installer la Commission nationale du projet avant le départ en vacances, au début du mois de juillet, pour réunir la Commission nationale du projet qui pourrait à ce moment-là réunir non seulement le Bureau national, mais un certain nombre de personnalités, d'élus, de premiers fédéraux, des représentants des groupes parlementaires, ou du comité économique et social, bref, une centaine de personnes dans cette commission nationale du projet.
Il faudra ensuite, nous verrons la méthode, savoir comment nous pourrons procéder, avec des commissions ou des ateliers, mais il nous faut avoir un lieu, un lieu de débat sur la méthode et sur le contenu, même si c'est le Parti qui aura, à chaque étape, le dernier mot.
Notre université d'été pourrait être le premier acte au-delà de cette commission, du travail sur notre projet qui, de toute manière, devra se terminer par un vote militant à la fin du mois de décembre sous la forme d'une ratification par le vote, congrès extraordinaire ou autre, à la fin 2005.
Responsabilité du Parti socialiste quant aux alliances avec nos partenaires. Je pense que, compte tenu de notre bon résultat, et parce que nous avons eu un bon résultat, nous devons montrer notre disponibilité, faire la démonstration que nous sommes prêts dès aujourd'hui, je dis bien dès aujourd'hui, à des discussions, pas simplement sur les postes ou les sièges, et je sais qu'en ce moment, une discussion âpre a lieu avec nos amis communistes et verts sur les sénatoriales. Finalement, cette assemblée finit par intéresser toutes les formations politiques à un moment ou à un autre.
Nous devons donc avoir cette forme de discussion, mais pas simplement sur les postes, aussi sur la manière de riposter à l'action gouvernementale, et c'est pourquoi je reprendrai autant de fois qu'il sera nécessaire l'idée d'un comité de liaison, au moins ne serait ce que pour faire la riposte et la contre-attaque par rapport à un certain nombre de sujets, et notamment l'assurance maladie ou les services publics, ou les collectivités locales.
Nous devons aussi faire en sorte d'évaluer les convergences et les divergences avec nos partenaires, ils nous le demandent. Ils veulent peut-être parfois insister davantage sur les divergences que sur les convergences, en tout cas nous devons montrer que nous sommes ouverts à des discussions, mais avec une règle simple, et c'est là la perspective que nous devons offrir.
Pour nous, les accords, les répartitions de sièges éventuelles, doivent s'inscrire dans une dynamique fondée sur des propositions et un accord politique.
S'il n'y a pas l'accord politique, alors le reste ne peut être que sur le secondaire, le subalterne, et donc nous devons leur dire que nous sommes prêts à discuter, à ouvrir un dialogue sur le fond, sur les places, mais avec le débouché qu'est la plate-forme à un moment pour les élections législatives.
Je veux conclure sur ce qu'il nous reste à faire. Depuis deux ans, chers amis, chers camarades, je crois que nous avons réussi ce redressement après cette défaite injuste et cruelle d'avril 2002. Nous n'avons réussi ce redressement, soyons francs, plus vite que certains ne l'avaient prédit, et à un niveau plus ample que nous-mêmes, nous l'avions imaginé. Mais si nous devons être fiers du chemin parcouru, nous voyons aussi toute la fragilité du résultat. Tout dépend encore de nous, notre capacité à travailler ensemble, à dominer nos inclinaisons ou nos penchants, le sens de la chicane qui parfois nous sépare, le repli sur nous-mêmes qui parfois s'empare de nous, la compétition prématurée qui n'a pas lieu d'être, la précipitation brutale dont nous pouvons être nous-mêmes victimes, l'emballement excessif.
Bref, nous avons un certain nombre de défauts à corriger, mais nous les connaissons. Mais nous avons surtout, et c'est l'essentiel, des atouts ensemble. Nous sommes le plus grand parti de France en termes militants et nous devrons encore faire accéder davantage d'amis au cur même de notre formation politique. Nous sommes le premier parti de France aussi sur le plan électoral. Notre réseau d'élus n'a jamais été aussi large, aussi dense. Nous avons des relations avec les forces vives syndicales, notamment comme rarement dans notre histoire nous avons su en tisser.
Nous avons, même si c'est précaire, retrouvé la confiance des Français. Alors, une nouvelle chance est donnée à la gauche, une chance est donnée au Parti socialiste, il nous faut la saisir.
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 17 juin 2004)