Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le bilan de l'année 2003, Paris le 5 janvier 2004.

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Circonstance : Présentation des voeux des assemblées constitutionnelles à M. le Président de la République, Paris le 5 janvier 2004

Texte intégral

Avant de vous présenter les vux du Sénat de la République, vous me permettrez, Monsieur le Président de la République, d'avoir une pensée émue pour nos compatriotes victimes de la tragique catastrophe aérienne de Charm el-Cheikh, et une pensée fraternelle, empreinte de compassion, pour leurs familles et leurs proches.
2003, 2004 : une année s'achève, une autre commence.
Une année s'achève, 2003, avec son cortège de crises internationales, de péripéties européennes et de difficultés hexagonales.
2003, à l'échelle de notre village planétaire, c'est bien sûr la crise irakienne et sa gestion unilatérale.
Certes, nous nous réjouissons tous de la chute du régime de Saddam Hussein et de la capture de ce dictateur dévoyé.
Mais nous savons tous qu'il est plus facile de gagner la guerre que de réussir la paix surtout si elle se bâtit sur l'humiliation.
2003, c'est une litanie de crises, de tensions, de conflits et de différends territoriaux : dans le sous continent indien, au Proche-Orient, en Afrique, en Amérique latine
Une inquiétude chasse l'autre, sans que le monde s'en trouve plus stable et même plus sûr.
Mais 2003, c'est aussi, Monsieur le Président de la République, une année où vous avez fait entendre, haut et fort, la voix de la France.
La voix d'une France écoutée qui prône le primat du droit international sur la guerre préventive unilatérale, la primauté du dialogue sur le monologue et la prévalence de l'ouverture sur le repli.
Non la France n'est pas isolée et elle n'est jamais aussi grande, elle n'est jamais aussi généreuse que lorsqu'elle tutoie l'universel.
2003, au regard de la construction européenne, c'est l'année des rendez-vous manqués avec l'impossibilité pour l'union européenne, - impossibilité que j'espère passagère -, de se doter d'une constitution c'est-à-dire d'une règle du jeu, d'un mode d'emploi de l'Europe à 25 et plus si affinités
Mais 2003, c'est aussi l'année d'un progrès considérable sur la voie qui conduit à une défense européenne crédible.
En effet, l'échec du sommet de Bruxelles ne doit pas occulter l'adoption d'une déclaration qui prévoit la création, dès cette année, d'une cellule capable de planifier des opérations autonomes de l'Union européenne.
L'Europe doit cesser d'être un nain politique.
L'Europe doit devenir aussi forte que sa monnaie.
2003, en France, ce fût une année difficile avec une croissance en panne, des déficits publics en expansion et un chômage en hausse.
2003, c'est l'année où d'aucuns ont tenté d'accréditer la thèse d'un prétendu déclin de la France.
Ces pessimistes, dont les théories relèvent davantage du pamphlet masochiste que de l'analyse objective, ne tiennent pas compte de la nouvelle donne induite par la mondialisation, source de relativité.
Ils confondent, en outre, un déclin soi disant inexorable de notre pays avec une érosion incontestable de sa capacité d'adaptation qui a été émoussée par l'accumulation de contraintes, de freins et de cancans.
Mais 2003 c'est aussi une année marquée par l'audace réformatrice de notre Premier ministre, notre ancien collègue Jean-Pierre Raffarin.
Avec sa méthode faite d'écoute, de pragmatisme et d'opiniâtreté, il a réussi la réforme des retraites, réforme pourtant jugée impossible par son prédécesseur car supposée renverser les gouvernements qui prendraient le risque de l'entreprendre.
Cette action réformatrice va se poursuivre car il nous reste notamment à sauver la sécurité sociale, ce pilier de notre pacte républicain institué par le Général de Gaulle.
Ce retour du bon sens doit être salué à sa juste valeur car contrairement à l'opinion de Descartes, cette qualité n'est pas " la chose du monde la mieux partagée " du moins en politique
Pourtant les mesures de bon sens font preuve de leur efficacité : la hausse du prix des cigarettes dissuade les fumeurs ; la peur du gendarme modifie le comportement des automobilistes
On ne fera jamais assez l'éloge du bon sens en politique
Au terme de ce regard dans le rétroviseur, 2003 apparaît comme une année contrastée.
2003, 2004, une année chasse l'autre ; une année entre dans l'histoire, une autre se prépare à y entrer, comme une page blanche dans l'attente de la plume d'un écrivain.
la volonté politique, une page où tout est encore possible, le meilleur comme le pire, en dépit de la rémanence des lignes de force des mutations du monde.
Dans ce vide propice aux vux les plus généreux, trois certitudes se font jour.
La première est d'ordre mathématique : 2004 sera une année généreuse car c'est une année bissextile. Elle nous gratifie donc d'un jour supplémentaire, le 29 février. Comme le dit la sagesse populaire, " c'est toujours ça de pris "
Certes des esprits chagrins, levés du pied gauche ou du pied droit, objecteront que ce jour surnuméraire a pour effet de repousser trois jours fériés en fin de semaine et donc de nous faire travailler trois jours de plus.
Décidemment le poison des 35 heures est particulièrement délétère : le chemin de la réhabilitation du travail est long et sa pente est forte
Deuxième certitude, celle là asiatique : dans le calendrier chinois, l'année 2004 deviendra, à partir du 22 janvier, l'année du singe, animal très respectable et très respecté.
Dans l'horoscope chinois, c'est de bon augure. En effet, cette année du singe 2004 devrait être placée sous le signe de l'ouverture d'esprit, de la tolérance, de l'innovation et d'une meilleure reconnaissance des droits de la femme.
L'année du singe devrait être propice à la négociation, au commerce et à la prospérité des hommes comme des Nations.
Bref, une année passionnante comme l'a dit notre ami, notre ministre, Jean-François Copé.
Il est vrai qu'elle sera fertile en rendez-vous électorauxde toute nature
Par l'effet d'une conjonction astrale, cette année bénéfique le sera encore plus pour les natifs du signe du singe.
Quel bon présage, Monsieur le Président, car mes indicateurs du XIIIème arrondissement de Paris m'ont informé que vous étiez né sous le signe du singe Bravo, Monsieur le Président.
Enfin, troisième et dernière certitude qui est, elle, d'ordre chronologique : au cours de l'année 2004, notre pays ne manquera pas, comme chaque année, de céder à sa manie de la commémoration, souvent empreinte d'une nostalgie pour le passé et parfois riche d'une réflexion pour l'avenir.
A cet égard, l'année 2004 ne nous décevra pas avec la célébration du bicentenaire du Code Civil, ce bloc de granit, ce monument législatif, cet élément fondamental de notre pacte social.
Ou encore, la commémoration du centenaire du début de l'entente cordiale avec le Royaume-Uni, ce partenaire incontournable pour l'édification d'une indispensable défense européenne.
Ou encore le 60ème anniversaire du débarquement en Normandie et de la libération de la France qui pourrait être l'occasion de montrer à nos amis américains, nos grands alliés, que nous n'oublions pas la dette de notre pays à leur égard, tout en soulignant la nécessité de relations transatlantiques apaisées, confiantes et équilibrées.
Dans cette énumération non exhaustive, je n'aurai garde d'oublier le 70ème anniversaire du funeste 6 février 1934 dont l'évocation renvoie, toutes choses égales par ailleurs, au séisme politique du 21 avril 2002.
Cette double évocation me conduit, Monsieur le Président, à former le seul vu que je m'autorise aujourd'hui : écrivons ensemble sur la page blanche de l'année 2004 le mot " République ".
Que toutes les femmes et les hommes de bonne volonté s'assignent comme objectif, sous votre autorité, de réinventer la République, de restituer un sens à ses valeurs et de redonner corps et âme, dans un contexte nouveau, à la trilogie fondatrice et unificatrice de sa devise.
Je sais, Monsieur le Président, que vous êtes conscient de cette responsabilité historique.
Votre rôle de dernier rempart de la République au printemps 2002, vous a conféré, par l'onction du suffrage universel et en raison de votre équation personnelle, la triple stature de protecteur de la République et de ses valeurs rénovées, d'éclaireur de l'avenir de notre pays dans un monde incertain et de gardien de l'unité nationale menacée par des forces centrifuges.
Cette République, que nous voulons réinventer, doit être conçue et vécue non pas comme une fédération de communautés mais comme une communauté de citoyens.
Cette conception exigeante je sais qu'elle vous anime, Monsieur le Président, ou plutôt Monsieur le Père de la République.
Vos actes en témoignent, qu'il s'agisse du rétablissement de l'autorité républicaine ou de votre décision, - que j'espérais -, de donner, par une refondation du principe de laïcité, un coup d'arrêt à la dérive communautariste et au repli identitaire, exacerbés par les intégrismes religieux.
Principe fondamental, à tous les sens du terme, la laïcité est l'un des piliers essentiels de la citoyenneté, du vouloir vivre ensemble et donc du pacte républicain.
La laïcité est consubstantielle de la République car elle se trouve au confluent de ses trois valeurs fondatrices : la liberté, car la laïcité garantit l'exercice de la liberté de conscience et de la liberté religieuse dans le respect de l'ordre public ; l'égalité, car la laïcité traite à égalité les religions même si celles-ci ne sont pas égales au regard de l'impératif républicain de l'égalité des sexes ; la fraternité, enfin, car la laïcité établit une séparation entre la sphère privée et l'espace public qui permet aux citoyens de vivre ensemble sans faire offense à leurs convictions individuelles.
Le débat est désormais clos. Le Parlement sera saisi, - j'espère très rapidement -, d'un projet de loi prohibant le port dans les écoles, les collèges et les lycées publics, de tenues ou de signes qui manifestent, de manière ostensible, une appartenance religieuse.
Cette réaction est indispensable et salutaire car l'école doit demeurer un sanctuaire républicain.
Toutefois, cette nécessaire riposte républicaine ne suffira pas, à elle seule, à contrecarrer la dérive communautariste.
Il nous faudra aussi renforcer notre arsenal de lutte contre les discriminations " négatives " de toute nature, et muscler notre panoplie de lutte contre l'antisémitisme et contre le racisme.
Il nous faudra également tarir la source du fanatisme religieux que constituent bien souvent l'humiliation, l'exclusion ou l'absence de perspectives.
Il nous faudra surtout remettre en marche l'ascenseur social et relancer la machine à intégrer.
Cette action, indispensable à la survie de notre modèle républicain, - tel est son enjeu -, passe par une politique, volontariste et ambitieuse, de renforcement de l'égalité des chances avec notamment une refonte de notre système éducatif.
Dans ce combat pour une République refondée, pour une République ressourcée, pour une République rénovée, sachez, Monsieur le Président, que le Sénat, toutes tendances politiques confondues, sera attentif aux souhaits de votre Gouvernement.
D'une manière générale, Monsieur le Président, la réaffirmation de la République passe aussi par un renforcement du rôle du Parlement bicaméral.
Les deux assemblées, - mais je ne voudrais pas engager mon ami Jean-Louis Debré -, ne doivent pas être cantonnées à une fonction exclusive de machine à soutenir le Gouvernement ou de machine à voter les lois.
Donnons nous le temps et les moyens de développer, comme nous y incite notre nouvelle Constitution financière, notre fonction de contrôle, d'analyse et d'évaluation.
Dans un contexte d'inflation législative, dégageons du temps, au besoin par l'instauration de procédures simplifiées d'adoption de certains textes, pour débattre, en séance publique, de sujets qui préoccupent nos concitoyens et faire uvre de prospective.
Enfin, une République réincarnée, c'est une République des territoires, une République des proximités.
Ne laissons pas diaboliser la décentralisation, cet oxygène de la République qui libère les énergies locales, accroît l'efficience de l'action publique grâce aux vertus de la gestion de proximité et donne une consistance quotidienne à la démocratie.
Décentralisation ne rime pas inexorablement avec explosion des impôts locaux ou avec augmentation des inégalités.
Des garanties, des garde-fous sont désormais inscrits dans notre loi fondamentale et le Conseil constitutionnel semble résolu à leur donner toute leur signification.
Laissons vivre la décentralisation, ce véritable projet de société qui représente l'avenir de notre pays à condition d'être accompagné d'une profonde réforme de l'Etat.
Au terme de mon propos, je voudrais, Monsieur le Président, mes chers amis, formuler l'espoir, en forme de certitude, que l'année 2004 soit l'année de la confiance retrouvée.
Confiance des Françaises et des Français dans l'avenir de la France au sein d'une Europe à redynamiser.
Confiance des Françaises et des Français dans la capacité de notre pays à tirer le meilleur parti du retour de la croissance grâce à l'engagement de réformes structurelles, à l'allègement des impôts et des charges, à la maîtrise des dépenses publiques, aux mesures prises en faveur de la création d'entreprises et, enfin, à la mobilisation pour l'emploi, cette nouvelle ardente obligation.
Comme Saint-Simon, le Comte pas le Duc, je pense que " l'âge d'or du genre humain n'est point derrière nous, il est au devant, il est dans la perfection de l'ordre social ".
Monsieur le Président, j'ai l'honneur et le plaisir de vous présenter, au nom de mes collègues et à titre personnel, tous vux les meilleurs et les plus chaleureux pour l'année nouvelle.
Que 2004 soit pour vous, pour votre épouse et pour tous ceux qui vous sont chers, une belle, bonne et heureuse année.

(source http://www.senat.fr, le 8 janvier 2004)