Déclaration de M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, sur la coopération culturelle et universitaire entre la France et le Brésil et la lutte contre la pauvreté, Sao Paulo le 9 novembre 2004.

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Circonstance : Voyage de Xavier Darcos au Brésil les 9 et 10 novembre 2004 : participation aux cérémonies du 70ème anniversaire de l'Université de Sao Paulo (USP), le 9

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire d'Etat,
Monsieur le Président de l'Université de Sao Paulo,
Mesdames et Messieurs les Professeurs, chers Collègues,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je suis particulièrement honoré et aussi très ému d'être ici aujourd'hui parmi vous à l'Université de Sao Paulo (USP), pour participer aux cérémonies de célébration de son 70ème anniversaire.
Je veux tout d'abord remercier nos amis brésiliens de m'accueillir aujourd'hui et de m'offrir l'occasion de prendre la parole en cette si heureuse circonstance. C'est là un geste qui témoigne de beaucoup de générosité et de complicité et croyez bien que j'en apprécie la valeur et le sens. Je sais d'ailleurs que le gouverneur de l'Etat de Sao Paulo et le président de l'USP ont, au début de cette année de célébration du 70ème anniversaire, déjà rappelé solennellement le rôle de la France aux côtés du Brésil.
Ce rendez-vous à l'USP est ma première rencontre avec le Brésil, mais aussi avec l'Amérique latine depuis que j'assume les fonctions de ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie. Je ne peux que me réjouir que celle-ci s'effectue au sein de votre université. C'est pour moi plus qu'un symbole. J'ai en effet longtemps enseigné, notamment à la Sorbonne, avant d'être, jusqu'au printemps dernier, ministre de l'Enseignement scolaire.
Je sais la place prestigieuse qu'occupe l'USP dans le paysage universitaire brésilien, mais aussi sud-américain et tout ce que le Brésil "en marche" lui doit. Croyez bien que la France s'honore d'avoir pris une part aussi importante dans la fondation de l'Université en 1934 et d'avoir notamment contribué à l'ouverture de la faculté de philosophie, de lettres et de sciences humaines. Soixante-dix ans après, on peut mesurer combien l'apport de l'Université française fut important. La liste des personnalités venues aider au développement de l'USP est à cet égard éloquente : Claude Levi-Strauss bien sûr, Roger Bastide, Gilles Gaston-Granger, Fernand Braudel, Pierre Monbeig, pour n'en citer que quelques-uns unes. C'est quasiment tout le Collège de France qui est venu, à un moment ou à un autre, s'établir à Sao Paulo...
Aujourd'hui, je suis heureux de constater que l'université française continue d'être parmi les tous premiers partenaires - et peut-être le premier - de l'USP et de l'université brésilienne.
Certes notre coopération a revêtu un caractère différent. Elle s'est modernisée et institutionnalisée : les échanges ont pris le relais des missions universitaires permanentes. Les programmes de bourses, les partenariats entre établissements, les doubles "diplomations", comme celles mises en oeuvre par les Ecoles centrales de Paris, Lyon, Lille et Nantes et l'Ecole Euromed de Marseille, sont autant d'actions qui sont le signe de l'évolution de nos relations universitaires et scientifiques. Celles-ci s'orientent désormais vers un véritable partenariat et vers l'intégration toujours plus grande de nos systèmes d'enseignement supérieur. C'est là aussi, bien sûr, la manifestation d'une certaine maturité de notre relation, mais aussi d'une ouverture et d'une attraction - je n'ose pas dire fascination - réciproques sans lesquelles rien de tout cela n'existerait.
La France est aujourd'hui fière de pouvoir compter près de 1.800 étudiants brésiliens dans ses établissements et d'attribuer 160 bourses d'études pour les meilleurs d'entre eux. J'ajoute que le nombre de ces étudiants a augmenté de plus de 40 % durant ces cinq dernières années.
Mais aujourd'hui où la circulation des idées, des savoirs et des hommes est devenue si évidente, il est utile de rappeler que la mobilité n'est pas tout et notamment qu'elle ne saurait suffire pour fonder les complicités intellectuelles et scientifiques qui sont devenues les nôtres. Rien ne remplace le dialogue et la transmission "en direct" des idées et des savoirs.
Je sais que vous êtes attentifs à cette dimension de notre coopération lorsqu'en 1996, vous prenez la décision de créer une chaire Claude Levi-Strauss au sein de votre Institut d'études avancées, qui est l'équivalent de notre Collège de France, permettant ainsi de nouer une relation approfondie dans le domaine des sciences humaines et sociales et surtout de l'anthropologie.
J'apprends aujourd'hui que vous souhaitez aller plus avant et créer deux nouvelles chaires ; une chaire Roger Bastide en philosophie et en sciences sociales et une chaire Pierre Monbeig dédiée à la géographie et aux études brasilianistes. Permettez-moi, Monsieur le Président de l'USP, de saluer cette initiative et de vous en remercier personnellement. Je puis ici vous assurer que la France se mobilisera pour vous accompagner dans la mise en place de ces chaires et vous proposer les noms de nos meilleurs universitaires pour les occuper.
Avec la création de ces deux nouvelles chaires, et à côté de l'existant, je pense notamment au Cendotec - notre centre de documentation, installé dans vos murs -, nous avons là un dispositif de coopération hors du commun et pour tout dire exemplaire.
Au-delà de notre relation exceptionnelle avec l'USP, la France et le Brésil ont d'autres raisons de se féliciter de leurs relations. C'est tout d'abord notre coopération universitaire, qui vient de fêter ici-même les 25 ans de son grand accord de partenariat. C'est ensuite, tout au long du mois de novembre, une série de débats scientifiques et intellectuels, animés par des personnalités françaises et brésiliennes. C'est enfin le lancement, le 26 novembre, de l'édition brésilienne de l'Atlas du Brésil du géographe français Hervé Théry...
Sur le plan culturel, nous inaugurerons en mars 2005 une Saison du Brésil en France ("Brésil, Brésils"). Ce sera l'occasion de mettre en valeur la richesse, la vitalité et l'originalité de la création artistique et intellectuelle brésilienne, mais aussi de promouvoir un important volet "développement durable" animé par des collectifs d'ONG françaises et brésiliennes.
Une place importante sera faite au rôle des intellectuels français dans la production scientifique et culturelle brésilienne, Germain Bazin pour le baroque, Pierre Verger sur les racines africaines, Roger Bastide et Claude Levi-Strauss sur les Indiens, etc...
Plus d'une centaine de manifestations, sur 600 proposées, se tiendront partout en France, mêlant les événements populaires et les événements plus savants, avec le Louvre, la Bibliothèque nationale de France ou le Centre Pompidou à Paris. Ces manifestations se dérouleront sur tout le territoire français, dans les domaines de l'art contemporain, du patrimoine, de la photographie, de la danse, de la musique ou encore du cinéma. Un moment fort de cette Année du Brésil sera certainement l'accueil par le président Chirac du président Lula Da Silva, à l'occasion de la Fête nationale française le 14 juillet 2005.
Je ne peux évoquer cette Saison brésilienne sans rappeler toute l'importance que la France attache, en organisant de telles manifestations, au thème de la promotion de la diversité culturelle dans le monde.
Notre coopération culturelle fait de la diversité culturelle sa priorité avec tous nos grands partenaires et notamment ceux dont le patrimoine et la culture vivante sont menacés par le mouvement d'uniformisation que porte une certaine mondialisation économique.
Cette priorité s'exprime aujourd'hui aussi au plan juridique à travers l'engagement de la France pour faire élaborer et adopter au sein de l'UNESCO une convention internationale sur la diversité culturelle. Un tel texte a vocation à consacrer juridiquement le droit de tout Etat de se donner une politique culturelle aujourd'hui menacée par la libéralisation du commerce des biens et des services culturels. Nous sommes aujourd'hui bien avancés dans la préparation de cette convention.
La phase actuelle est celle des négociations entre les Etats sur un avant-projet de texte qui sera soumis à l'UNESCO à la fin de l'année 2005. La France y est particulièrement active. Je sais que le Brésil soutient le projet de Convention et est, par ailleurs, un membre actif du Réseau international sur la politique culturelle (RIPC). Le ministre de la Culture, M. Gilberto Gil a rappelé notamment que "le Brésil est une heureuse synthèse interculturelle" et qu'il soutient "fermement et avec enthousiasme" l'ouverture des négociations.
Mais l'enjeu de cette négociation est évidemment aussi et surtout commercial. Ses implications économiques pour les pays y sont considérables. La France soutient que le principe de la liberté des Etats à se donner une politique culturelle passe par la reconnaissance d'une spécificité du traitement des biens culturels dans les négociations commerciales mondiales, à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Sur ce dernier sujet, je sais que la position brésilienne n'est pas encore déterminée. Je souhaite rappeler ici que tout engagement en faveur de la banalisation des biens culturels, c'est-à-dire de leur reconnaissance en tant que biens et services sans spécificité propre ou bien en tant que biens et services pouvant faire l'objet d'un traitement particulier au sein de l'OMC, ôterait une grande part de sa portée à la convention sur la diversité culturelle qui est actuellement en débat.
C'est un sujet évidemment fondamental pour le Brésil, qui est l'un des grands acteurs de la scène culturelle mondiale dans le domaine de l'audiovisuel. Les décisions à prendre auront donc de grands effets sur l'économie du pays. Aussi la France est-elle prête à engager, dans les meilleurs délais, un dialogue avec le Brésil au moment où nous devons nous mettre d'accord au sein de l'UNESCO sur l'avant-projet de convention.
Je reste convaincu, pour ma part, que la diversité culturelle doit être un des grands thèmes de rencontre entre la France et le Brésil, deux pays dont la production culturelle est, historiquement, particulièrement féconde et rayonnante au-delà de leurs frontières. Je souhaite que les positions de nos deux pays soient aussi proches que possible. La France s'emploiera, et j'en porterai moi-même le plaidoyer, à convaincre les Etats membres de l'UNESCO comme le Brésil, de la légitimité de ce combat et de sa cohérence avec notre coopération culturelle, linguistique et universitaire.
Enfin, je tiens à naturellement rappeler qu'au-delà de leur relation bilatérale, nos deux pays sont aujourd'hui unis au plan international dans le combat contre la pauvreté. Nous avons tous en tête la déclaration du président Lula Da Silva le 1er janvier 2003 lors de son investiture à la Présidence, sur la lutte contre la faim au Brésil.
Ce combat a depuis été étendu à la planète entière et partagé par le président Chirac. En septembre dernier, comme vous le savez, le président chilien Lagos et le Premier ministre espagnol Zapatero les ont rejoints pour mobiliser la communauté internationale sur la nécessité de trouver de nouveaux financements pour le développement, notamment pour la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement. C'est là tout l'enjeu de la "déclaration de New York contre la faim et la pauvreté".
Ce "groupe quadripartite", comme on le nomme aujourd'hui, a présenté un rapport proposant différents moyens de créer de nouvelles contributions financières internationales pour le développement. Plusieurs de ces propositions ont d'ailleurs fait l'objet de travaux approfondis dans un groupe de travail créé par le président Chirac : taxation sur les transactions internationales, sur le commerce des armes, sur les transports aériens et maritimes, lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux, etc...
Aujourd'hui, cette initiative a incontestablement inauguré une dynamique. La lutte contre la pauvreté étant légitime et urgente, il faut se donner les moyens de la financer. C'est une percée remarquable qui vient d'être réalisée puisque, pour la première fois, le thème de la création de nouvelles contributions financières pour le développement est pris en compte par les institutions de Bretton Woods. Le Comité du Développement invite à poursuivre les travaux sur le sujet et l'initiative du président Lula Da Silva est mentionnée.
La France s'honore d'être aux côtés du Brésil pour faire avancer cette cause. Cette entreprise s'enracine, d'une certaine façon, sur le socle de valeurs humanistes qui est commun à nos deux pays et qui permet aujourd'hui d'aboutir à une vision du monde fondée sur la solidarité et le développement durable.
Il me plaît de penser que nos rapports de coopération, de confiance et de complicité tissés au cours des décennies passées à l'USP et ailleurs sont probablement fondateurs de ces valeurs partagées, de cette convention. Je vous souhaite un excellent anniversaire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2004)