Discours de M. Laurent Fabius, secrétaire national du Parti socialiste, sur son non au projet de Constitution européenne et sa position en faveur d'un projet alternatif recentré sur les institutions et les valeurs, Paris le 9 octobre 2004.

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Circonstance : Conseil national du PS à Paris le 9 octobre 2004

Texte intégral

Chers camarades, nous avons une discussion pour lancer le débat au sein du Parti, sur la Constitution européenne, je pense comme d'autres camarades l'ont dit avant moi, que cette discussion, nous devons la mener dans le respect des uns et des autres en évitant les dérapages, en évitant les confusions, en évitant les questions de personnes.
Je ne crois pas, pour ma part, que la question essentielle posée par ce texte soit de savoir si, par rapport au Traité précédent, il comporte des avancées. Il y en a effectivement, notamment sur le plan institutionnel. Ou s'il comporte des reculs. Il y en a aussi, notamment sur la défense, sur l'Outremer et sur la laïcité. Mais pour moi, la question, c'est de savoir si cette Constitution comporte oui ou non les dispositions nécessaires pour permettre le développement de la construction européenne que nous jugeons, comme Socialistes, indispensable.
Qu'avons-nous fait au cours des dernières décennies ? Nous avons fait avancer la paix et nous avons réalisé surtout le grand marché intérieur. C'est l'aspect économique qui a dominé les traités que nous avons signé : l'acte unique, le Traité de Maastricht, et comme vous j'y ai pris ma part.
Mais désormais, c'est une phase nouvelle qui s'ouvre et qui comporte à mon sens au moins trois défis nouveaux que doivent absolument relever ceux qui comme nous placent leur espoir dans l'Europe et dans la gauche.
Le premier défi, c'est le défi du nombre. Comment pouvons-nous faire avancer efficacement ensemble 25 pays qui bientôt seront 30. Le deuxième défi, c'est celui de la puissance. Comment, face aux États-Unis, à la Chine, à l'Inde, constituer une union politique dotée d'un gouvernement économique avec une diplomatie et une défense commue. Et le troisième défi, c'est celui du développement solidaire et durable. Comment allons-nous pouvoir orienter notre Union vers le social et vers l'emploi, vers la culture et vers le développement durable ?
Le défaut central du texte de la Constitution est qu'il ne permet, à mon sens, malheureusement pas de répondre à ces défis qui sont les défis d'avenir.
Là où il faudrait, s'agissant du défi du nombre, étendre la règle de la majorité et faciliter les coopérations renforcées pour relever ce défi, c'est, tout le monde l'a reconnu, en général l'unanimité qui prévaut, cependant que les conditions posées à la formation du premier des trois cercles, sont trop restrictives pour êtres vraiment opératoires. Le défi de la puissance, comme ce texte ne permet pas d'obtenir un primat du politique sur le monétaire, et en l'absence d'avancées majoritaires dans le domaine de la fiscalité, je crains qu'un gouvernement économique réel ne puisse pas s'installer et que l'emploi en souffre.
Quant à la question essentielle de la diplomatie et surtout de la défense, les rédactions qui ont finalement été retenues, et qui n'ont pas de précédents, sous placeraient largement sous influence anglo-saxonne et sous dépendance de l'OTAN. Enfin, concernant l'exigence de développement solidaire qui constitue là vraiment notre identité de socialistes, et qui a été bien illustrée par notre programme électoral, victorieux, lorsque nous disons tous ensemble : et maintenant l'Europe sociale. Je crains que cette exigence ne soit pas réellement au rendez-vous. Certes, il y a la charte des droits fondamentaux, elle reprend un texte existant, elle le constitutionnalise, mais tout le monde sait qu'elle ne prévaudra pas juridiquement sur les dispositions nationales moins favorables. L'harmonisation sociale vers le haut est expressément exclue du texte à plusieurs reprises.
Quant à l'emploi, la culture, la recherche, l'éducation, l'environnement, personne ne va contester ici qu'ils ne disposent pas de la priorité indispensable. Et, sur la question des services publics, malgré des affirmations générales qui sont positives et sympathiques, beaucoup redoutent que leur domaine et leurs moyens soient rognés, reniés tant que le principe de leur existence n'aura pas été placé au même rang que la concurrence, ce qui clairement n'est pas le cas.
Dans ces conditions, je pense qu'il est difficile de croire que ce texte puisse correspondre aux ambitions que les Socialistes européens peuvent avoir pour les prochaines décennies. D'autant plus qu'il est prévu que cette Constitution sera très difficile à modifier, voire irréversible, la clause d'unanimité fixée pour toute révision équivalant en fait quand on est à trente, ce qui n'était pas le cas lorsqu'on était quinze, à sa glaciation.
Voilà pourquoi, voulant être très court, au nom même de l'espérance que votre Parti nourrit pour le futur de l'Europe et du dessein de civilisation qu'elle représente, je crois, après avoir, comme chacun d'entre vous, parce que nous sommes partagés, beaucoup réfléchis, qu'il vaut mieux dire non à ce texte. Un autre projet devra alors être mis en chantier avec d'autres partenaires, qui sans doute ne sera pas parfait, mais qui, je le crois et je l'espère, sera plus conforme à notre conviction européenne et socialiste.
Concrètement, ce projet alternatif devra être, premièrement recentré sur les institutions et sur les valeurs. Deuxièmement, être, même si c'est à une majorité très qualifiée, révisable. Troisièmement, permettre une Europe différenciée, c'est-à-dire rendre plus faciles les coopérations renforcées. Enfin, aller davantage, je ne dis pas plus, dans le sens d'une Europe plus sociale. J'ai le sentiment, et c'est ça qui est déterminant, que le oui, qui a ses arguments, mènerait finalement l'Europe là où nous ne voulons pas aller, c'est-à-dire vers une très grande zone de libre-échange qui sera diluée et finalement rien de plus. Je pense donc qu'il est préférable, même si c'est très difficile, de remettre le texte à plat, de le rediscuter, de le retravailler afin d'avancer vers l'Europe que nous souhaitons. Je pense que c'est cela un non utile, un non de volonté politique, un non qui soit déterminé par notre engagement pro-européen.
Et j'ajouterai pour finir une dernière notation à laquelle je n'avais pas pensé, mais que m'inspire ce que j'ai lu récemment dans les journaux : mes camarades, ce débat est important. On peut considérer, soit qu'il est un débat politique, soit qu'il est un débat de conscience. Mais il ne faut pas mélanger les deux. Si on avait considéré que c'était un débat de conscience, alors il ne fallait pas organiser un référendum dans le Parti socialiste, nous en aurions discuté et chacun aurait finalement voté comme il aurait voulu.
Mais nous avons considéré que c'était un débat politique, chacun a ses arguments, chacun a ses positions, mais à la fin, la position qui prévaudra nous engagera tous, et d'abord nous tous, les responsables.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 11 octobre 2004)