Interview de M. Jean-François Lamour, ministre des sports, à Europe 1 le 29 octobre 2003, sur le danger des logiques communautaires se développant dans les quartiers en difficulté, notamment concernant la pratique du sport par les jeunes filles et sur le dopage.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. "Les sports sont touchés, eux aussi, par le fondamentalisme religieux". Je vous ai entendu parler devant la commission Stasi : vous avez mis en garde contre ce que vous appelez "des logiques communautaires et des dérives qui se développent dans les quartiers en difficulté". D'abord, est-ce que vous n'exagérez pas un peu la menace ?
- "Je n'exagère pas la menace, je dis simplement que dans un certain nombre de quartiers, il y a effectivement des actes de pression, surtout sur les jeunes filles, qu'on empêche de pratiquer un sport tel que je l'aime et tel que je souhaite qu'il soit respecté."
En quoi est-ce nouveau ?
- "C'est qu'il y a une vraie tendance à l'augmentation de ces actes de pression. Par exemple, dans un club de lutte, dans le Nord de la France, on a séparé la pratique des hommes et des femmes. Alors que, bien évidemment, l'association c'est le lieu de liberté où les uns et les autres peuvent pratiquer ensemble une discipline."
Qui se plaint ? Comment ça remonte vers vous ?
- "La plupart du temps, les dirigeants bénévoles et les éducateurs sportifs."
Est-il vrai que l'on demande de plus en plus souvent des horaires particuliers et réservés aux femmes pour l'accès aux gymnases et aux piscines ?
- "Vous avez eu l'actualité des créneaux piscines ; vous savez ce que cela veut dire "le créneau piscine" ? Cela veut dire que les jeunes femmes peuvent pratiquer seules, sans le regard des hommes, avec du personnel des piscines exclusivement féminin. Alors, j'allais vous dire : pourquoi pas finalement ? Ce qui m'ennuie beaucoup dans cette histoire, c'est qu'une jeune femme qui va s'inscrire dans le club, elle va certes pratiquer la natation à l'entraînement, mais le jour où elle voudra faire de la compétition, c'est un lieu de mixité, c'est un lieu où il y a des spectateurs, elle ne pourra pas le faire. Et le sport, la pratique sportive dans notre pays, c'est tout autre chose. C'est justement cet espace de liberté, cette progression qui permettent d'accéder à la compétition et au respect de l'autre."
Je vous ai entendu dire, que "la demande est présentée souvent de façon identitaire et revendicative". Qu'est-ce que cela veut dire "revendicative", et par qui ?
- "Encore une fois, pour reprendre un certain nombre d'exemples, vous avez une famille, souvent un oncle, un père ou un frère, qui vient, j'allais dire "négocier" l'inscription de la jeune fille dans un club, qui vient dire qu'il est d'accord pour que sa fille ou sa soeur vienne pratiquer une discipline, mais qu'il souhaite qu'elle la pratique de façon encadrée, c'est-à-dire hors du regard des hommes, ce qui est totalement inadmissible. Et vous avez ces fameux dirigeants bénévoles, les éducateurs, qui sont très démunis devant cette situation et qui, quelquefois, quand ils sont un peu en position de faiblesse, parce que la demande est forte, sont obligés d'accepter ce type de pratique."
C'est-à-dire que les jeunes musulmanes vont pratiquer ou pratiquent déjà de moins en moins les sports, ou en tout cas, certains sports ?
- "Il faut dire les choses comme elles sont : c'est vrai que les jeunes filles, à partir de 12 ans, de façon générale, pratiquent moins de sport ; elles ont d'autres intérêts dans la vie. Mais c'est vrai que dans un certain nombre de quartiers, cette tendance à la baisse de la pratique est beaucoup plus affirmée. Je crois que là, il y a, encore une fois, vraiment à chercher, à définir pourquoi ces jeunes femmes ne pratiquent plus. C'est tout l'objet de la recherche que j'ai engagée avec N. Ameline, sur un groupe de travail qui va définir..."
Vous avez dit, hier : '"Elles sont mises en tutelle".
- "Elles sont quelque part soumises à une certaine pression qui les empêche effectivement de pratiquer un sport."
Et quand à l'école il y a absence en gym, il y a des mots d'excuse qui viennent des parents ? Est-ce qu'il y a quelquefois des certificats médicaux ?
- "C'est du domaine de X. Darcos et de L. Ferry, donc, je ne parlerai pas à leur place. Mais ce que je sais, pour en avoir parlé avec certains professeurs d'éducation physique à l'école, c'est qu'effectivement, il y a souvent des mots d'excuse, des certificats qui permettent à des jeunes filles de ne pas pratiquer la gymnastique ou l'éducation physique pour un certain nombre de raisons ; là aussi, pour des raisons de mixité, pour des raisons de pratique d'un certain nombre de sports qui ne conviennent pas à une certaine idée de telle ou telle religion. Et c'est inacceptable."
Mais pour leur défense, est-ce que l'on ne peut pas dire que les parents sont libres d'empêcher leur fille de sauter en hauteur, de courir, de nager ?
- "Non, c'est tout le contraire. Je pense qu'une jeune fille est libre de pratiquer les sports que vous venez de décrire. Et qu'il faut absolument qu'ensemble nous arrivions à convaincre les familles que notre société, que la société française, cette société laïque, permet cette pratique."
Et donc, en ce moment, autour de vous, des dirigeants de clubs, de fédérations etc., vous disent qu'on cherche à protéger le corps, à le cacher, à le priver d'exercice, que le corps devient l'ennemi ?
- "Oui, finalement, c'est la négation du corps, c'est la négation d'une certaine expression et surtout d'un projet individuel. J'ai vécu toute ma vie par le sport, grâce au sport j'ai progressé dans la vie, grâce à l'entraînement, grâce à la rencontre avec des maîtres d'armes, avec des athlètes, étrangers ou français ; je me suis construit comme ça. Il est tout à fait normal que des jeunes hommes et des jeunes femmes s'engagent exactement dans la même voie. Or on les en empêche..."
C'est-à-dire que le sport ne serait plus ce qu'il a longtemps été - et vous le montrez à travers votre exemple -, un phénomène important d'intégration ?
- "C'est du lien social, c'est du brassage. C'est ce brassage qui permet effectivement, au travers d'un club, de s'identifier à une pratique, peut-être même quelquefois à une communauté. On a souvent connu des clubs de foot, portugais, algériens, mais ces clubs-là allaient participer à des compétitions. Or, aujourd'hui, ces clubs, ce que j'appelle "des clubs de bas de tour", les clubs qui ne sont pas inscrits à la préfecture, qui n'existent pas formellement..."
Toutes les associations qui naissent comme ça...
- "Voilà, mais qui créent leurs propres championnats parallèles, des championnats inter quartiers, mais qui n'ont aucune réalité en termes d'organisation..."
C'est pour cela que vous dites qu'il y a un développement de clubs sportifs communautaires en France ?
- "Oui, mais encore une fois, je parle bien de ces clubs qui n'ont aucune identité, qui ne sont pas inscrits en préfecture et il se créent, ce que j'appelle "des championnats fermés", où finalement, c'est une ethnie contre une autre ethnie qui organise son propre championnat. Je crois que là aussi, il faut être très attentif à éviter ce type de ghettoïsation de la pratique sportive."
Encore une question à propos de ce que vous dites - je cite : "Le sport devient parfois le théâtre de pratiques d'exclusion et de prosélytisme". Qui sont les prosélytes - c'est-à-dire "des personnes, selon le Larousse, qui tentent d'imposer, de propager leurs idées"?
- "Je fais le parallèle avec ce qui se passe à l'école avec le voile. Le voile, qu'est-ce que c'est aujourd'hui ? Vous rentrez à l'école qui est un lieu fermé, et vous êtes très visible. Vous rentrez ou non avec le voile. Après, il faudra définir s'il faut ou non une loi, c'est une autre affaire. Le domaine associatif, cet espace de liberté, est propice finalement au développement d'un certain nombre de messages. Ce sont des messages qui, encore une fois, dans le domaine du sport, sont de très beaux messages, mais qui peuvent être utilisés à des fins d'extrémisme. C'est là où est le danger et c'est effectivement là où il faut vraiment pointer du doigt ce type de pratiques, et rappeler, informer les familles, informer les éducateurs, les élus locaux également, pour lutter ensemble contre ce phénomène."
Autrement dit, si J. Chirac n'avait pas réuni une commission de la laïcité, la commission Stasi, les Français n'auraient jamais connu ces comportements à l'école, à la piscine, sur les stades, ou on aurait attendu le moment trop tardif pour agir ?
- "Vraiment, l'initiative du président de la République et cette commission menée et présidée par B. Stasi, est très importante parce qu'elle nous permet de collecter ces informations qui sont finalement assez parcellaires, mais qui démontrent cette tendance. Il nous faudra maintenant trouver des solutions également."
Je ne veux pas faire de la politique ni de la polémique, mais votre gouvernement qui supprime des emplois jeunes, vous ne croyez pas qu'il fallait au contraire les garder pour aller travailler dans les quartiers, sur le terrain ?
- "L'emploi jeune est un emploi à durée déterminée. F. Fillon a signé avec J.-P. Raffarin, il y a quelques jours, le 100.000ème contrat jeune, 100.000 contrats à durée indéterminée dans le secteur marchand. Je préfère ce type d'emploi. Rien n'empêche, bien évidemment, d'aider le monde associatif avec, par exemple, le CIVIS, qui est en train d'être mis en place."
Ne commencez pas tout de suite les régionales à Paris ! Je rappelle que vous serez numéro 2 sur la liste D. Versini, et qu'en campagne, vous aurez probablement Bernadette Chirac à vos côtés pour vous aider. Vous avez créé, ou Monsieur Chirac vous a demandé de créer "La Fondation du sport". Je lis que le président de cette fondation sera P. Dauzier, un Corrézien. D'abord, est-ce que vous le confirmez ?
- "P. Dauzier est aujourd'hui le président de l'association qui va préfigurer la fondation. Il est en train de convaincre - et il le fait de très bonne façon - les entreprises à venir participer à cet outil de mécénat dans le domaine sportif. On va pouvoir, grâce à cette fondation, qui a va être purement privée - ce n'est pas le bras armé du ministère, c'est une fondation - porter un certain nombre de projets associatifs, aider les sportifs à s'insérer, construire des équipements de proximité. Là, il y a un beau sujet. Je vais vous dire : dans ce domaine, le sport va rejoindre la culture. Le sport est un outil aussi noble que la culture et l'outil de mécénat, va pouvoir aider..."
Vous avez beaucoup à dire, on sent que vous en avez besoin... Vous partez pour la Chine avec une vingtaine de chefs d'entreprise. Il y a dans l'air, naturellement, les Jeux Olympiques de Pékin de 2008. Et là, on constate en ce moment qu'il y a de plus en plus de sportifs et d'athlètes américains de haut niveau, qui se dopent. On vient d'en repérer sept, qui étaient au Championnats du monde ici, qui ont participé à des compétitions avec un stimulant - le Modafinil -, il paraît que cela se développe. Et on trouve sans arrêt des nouvelles molécules...
- "La molécule d'actualité, c'est la fameuse TAG, qui été découverte par le laboratoire de Los Angeles. Un mot là dessus : je crois que nous démontrons, entre le laboratoire de Los Angeles et la laboratoire français de Châtenay-Malabry, une excellente coopération, une grande réactivité, qui nous permettra de recontrôler les 400 prélèvements des Championnats du monde, pour voir si cette fameuse molécule de TAG est présente. Il y aura des sanctions ; la Fédération internationale a dit qu'il y aurait des sanctions, si on trouvait ces molécules."
C'est-à-dire que les Américains qui ont obtenu des médailles ici, aux Championnats du monde, vont devoir les rendre ?
- "En tout cas, ils peuvent avoir effectivement peur de rendre leurs médailles. C'est une grande avancée que ce travail de coopération internationale. C'est, je pense, synonyme d'efficacité dans les années qui viennent."
Les Américains se réveillent dans ce domaine ?
- "Bien sûr, oui."
Alors, bon voyage en Chine, merci d'être venu.
(source http://www.jeunesse-sports.gouv.fr, le 3 novembre 2003)