Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le conflit en Irak, la situation internationale, l'action réformatrice du gouvernement, la laïcité et sur ses voeux pour 2004.

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Circonstance : Présentation des voeux au Sénat, le 13 janvier 2004

Texte intégral

2003, 2004 : une année s'achève, une autre commence.
Une année s'achève, 2003, avec son cortège de crises internationales, sa litanie de péripéties européennes et son lot de difficultés hexagonales.
2003, à l'échelle de notre village planétaire, c'est bien sûr la crise irakienne et sa gestion unilatérale, en marge de l'ONU.
Certes, nous nous réjouissons tous de la chute du régime de Saddam Hussein et de la capture de ce dictateur dévoyé.
Mais nous savons tous qu'il est plus facile de gagner la guerre que de réussir la paix surtout si elle se bâtit sur l'humiliation.
2003, c'est une procession de crises, de tensions, de conflits et de différends territoriaux : dans le sous continent indien, au Proche-Orient, en Afrique, ce continent oublié, en Amérique latine
Une inquiétude chasse l'autre, sans que le monde s'en trouve plus stable et même plus sûr.
Mais 2003, c'est aussi, à l'échelle du monde, une année où le Chef de l'Etat a fait entendre, haut et fort, la voix de la France.
La voix d'une France écoutée, et non pas isolée, qui prône le primat du droit international et du multiralisme sur la guerre préventive unilatérale, la primauté du dialogue sur le monologue et la prévalence de l'ouverture sur le repli.
2003, au regard de la construction européenne, c'est l'année des rendez-vous manqués avec l'impossibilité pour l'union européenne, - impossibilité que j'espère passagère -, de se doter d'une constitution c'est-à-dire d'une règle du jeu, d'un mode d'emploi de l'Europe à 25 et plus si affinités
Mais 2003, c'est aussi l'année d'un progrès considérable sur la voie qui conduit à une défense européenne crédible.
2003, en France, ce fût une année difficile avec une croissance en panne, des déficits publics en expansion et un chômage en hausse.
2003, c'est l'année où d'aucuns ont tenté d'accréditer la thèse d'un prétendu déclin de la France.
Ces pessimistes, dont les théories relèvent davantage du pamphlet masochiste que de l'analyse objective, confondent un déclin soi disant inexorable de notre pays avec une érosion incontestable, mais réversible, de sa capacité d'adaptation, émoussée par l'accumulation de contraintes, de freins et de carcans.
Mais 2003 c'est aussi une année marquée par l'audace réformatrice de notre Premier ministre, notre ancien collègue Jean-Pierre Raffarin.
Avec sa méthode toute sénatoriale, faite d'écoute, de pragmatisme et d'opiniâtreté, il a réussi la réforme des retraites, réforme supposée renverser les gouvernements qui prendraient le risque de l'entreprendre.
Cette action réformatrice va se poursuivre car il nous reste notamment à sauver la sécurité sociale, cet élément constitutif du pacte social qui, grâce au Général de Gaulle, lie les Français depuis la Libération.
Ce retour du bon sens doit être salué à sa juste valeur car contrairement à l'opinion de Descartes, cette qualité n'est pas " la chose du monde la mieux partagée " du moins en politique
Pourtant les mesures de bon sens font preuve de leur efficacité : la hausse du prix des cigarettes dissuade les fumeurs ; la peur du gendarme modifie le comportement des automobilistes
Au terme de ce regard dans le rétroviseur, 2003 apparaît comme une année contrastée, une année difficile, révélatrice de toutes les contradictions du monde, mais aussi une année porteuse d'espoir.
2003, 2004, une année chasse l'autre ; une année entre dans l'histoire, une autre se prépare à y entrer, comme une page blanche dans l'attente de la plume d'un écrivain.
Une page blanche, une page riche d'espoirs, une page ouverte, une page offerte à la volonté politique, une page où tout est encore possible, le meilleur comme le pire, en dépit de la rémanence des lignes de force des mutations du monde.
Dans cet entre-deux millésimes, proche d'un état d'apesanteur propice aux vux les plus généreux, deux certitudes se font jour.
La première est d'ordre mathématique : 2004 sera une année généreuse car c'est une année bissextile. Elle nous gratifie donc d'un jour supplémentaire, le 29 février. Comme le dit la sagesse populaire, " c'est toujours ça de pris "
Certes des esprits chagrins, levés du pied gauche ou du pied droit, objecteront que ce jour surnuméraire a pour effet de repousser trois jours fériés en fin de semaine et donc de nous faire travailler trois jours de plus.
Décidemment le poison des 35 heures est particulièrement délétère : le chemin de la réhabilitation du travail est long et sa pente est forte
2004 devrait être une année passionnante. Il est vrai qu'elle sera fertile en rendez-vous électorauxde toute nature
Seconde certitude qui est, elle, d'ordre chronologique : au cours de l'année 2004, notre pays ne manquera pas, comme chaque année, de céder à sa manie de la commémoration, manie souvent empreinte d'une nostalgie pour le passé et parfois porteuse d'une réflexion pour l'avenir.
A cet égard, l'année 2004 ne nous décevra pas avec la célébration du bicentenaire du Code Civil, ce bloc de granit, ce monument législatif, cet élément fondamental de notre pacte social.
Ou encore le 60ème anniversaire du débarquement en Normandie et de la libération de la France. Cette commémoration pourrait être l'occasion de montrer à nos amis américains, nos grands alliés, que nous n'oublions pas la dette de notre pays à leur égard, tout en soulignant la nécessité de relations transatlantiques apaisées, confiantes et équilibrées.
Dans cette énumération non exhaustive, je n'aurai garde d'oublier le 70ème anniversaire du funeste 6 février 1934 dont l'évocation renvoie, toutes choses égales par ailleurs, au séisme politique du 21 avril 2002.
Cette double évocation me conduit, mes chers amis, à former un vu : écrivons ensemble sur la page blanche de l'année 2004, comme un impératif mobilisateur, le plus beau mot de notre dictionnaire politique, le mot " République ".
Que toutes les femmes et les hommes de bonne volonté s'assignent comme objectif, de réinventer la République, de restituer un sens à ses valeurs et de redonner corps et âme, dans un contexte nouveau, à la trilogie fondatrice et unificatrice de sa devise.
Cette République, que nous voulons réinventer, doit être conçue et vécue non pas comme une fédération de communautés mais comme une communauté de citoyens.
Dans cette perspective, il était temps, sans pour autant rouvrir une boite de Pandore, rallumer la guerre des deux France ou ranimer la querelle scolaire, il était temps de donner, par une refondation du principe de laïcité, un coup d'arrêt à la dérive communautariste et au repli identitaire, exacerbés par les intégrismes religieux.
Principe fondamental, à tous les sens du terme, la laïcité, qui sépare l'espace public de la sphère privée, est, en effet, l'un des piliers essentiels de la citoyenneté, du vouloir vivre ensemble et donc du pacte républicain.
Le débat est désormais clos. Le Parlement sera très prochainement saisi d'un projet de loi prohibant, dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de tenues ou de signes qui manifestent, de manière ostensible, une appartenance religieuse.
Cette réaction est indispensable et salutaire car l'école, comme sans doute d'autres lieux publics, doit demeurer un sanctuaire républicain.
Toutefois, cette nécessaire riposte républicaine ne suffira pas, à elle seule, à contrecarrer la dérive communautariste.
Il nous faudra aussi renforcer notre arsenal de lutte contre les discriminations " négatives " de toute nature, et muscler notre panoplie de lutte contre l'antisémitisme et contre le racisme.
Il nous faudra surtout remettre en marche l'ascenseur social et relancer la machine à intégrer pour faire vivre et redonner un sens à la communauté de citoyens que doit être notre République.
Cette action, indispensable à la survie de notre modèle républicain passe par une politique, volontariste, ambitieuse et d'envergure, de renforcement de l'égalité des chances avec notamment une refonte de notre système éducatif.
Il nous faut réinventer le creuset républicain.
Dans ce combat pour une République refondée, pour une République ressourcée, pour une République rénovée, le Sénat, toutes tendances politiques confondues, sera en première ligne.
Cette réaffirmation de la République passe aussi par un renforcement du rôle du Parlement bicaméral.
Les deux assemblées ne doivent pas être cantonnées dans une fonction exclusive de machine à soutenir le Gouvernement ou dans un rôle unique de machine à voter les lois.
Donnons nous le temps et les moyens de développer, comme nous y incite notre nouvelle Constitution financière, notre fonction de contrôle, d'analyse et d'évaluation.
Dans un contexte d'inflation législative, dégageons du temps, au besoin par l'instauration de procédures simplifiées d'adoption de certains textes, pour débattre, en séance publique, de sujets qui préoccupent nos concitoyens et faire uvre de prospective.
Enfin, une République réincarnée, c'est une République des territoires, une République des proximités.
Ne laissons pas diaboliser la décentralisation, cet oxygène de la République qui libère les énergies locales, accroît l'efficience de l'action publique grâce aux vertus de la gestion de proximité et donne une consistance quotidienne à la démocratie.
Décentralisation ne rime pas inexorablement avec explosion des impôts locaux ; décentralisation ne rime pas inéluctablement avec augmentation des inégalités.
Des garanties, des garde-fous sont désormais inscrits dans notre loi fondamentale et le Conseil constitutionnel semble résolu à leur donner toute leur signification.
Laissons vivre la décentralisation, ce véritable projet de société qui représente l'avenir de notre pays à condition d'être accompagné d'une profonde réforme de l'Etat.
Au terme de mon propos, je voudrais, mes chers amis, formuler l'espoir, en forme de certitude, que l'année 2004 soit l'année de la confiance retrouvée.
Confiance des Françaises et des Français dans la capacité de notre pays à tirer le meilleur parti du retour de la croissance grâce à l'engagement de réformes structurelles, à l'allègement des impôts et des charges, à la maîtrise des dépenses publiques, à la libération de l'esprit d'entreprendre, à l'assouplissement des 35 heures, et, enfin, à la mobilisation pour l'emploi, cette nouvelle ardente obligation.
Confiance des Françaises et des Français dans l'avenir de la France au sein de l'Union européenne, au sein d'une Europe retrouvée, d'une Europe renouvelée, d'une Europe relancée.
Communauté de valeurs et de destin, doublée d'une force économique, l'Europe a besoin d'une ambition pour devenir une puissance politique.
L'Europe doit cesser d'être un nain politique et devenir aussi forte que sa monnaie.
Il est donc nécessaire que des groupes de pays pionniers désireux d'aller plus loin dans l'intégration puissent emprunter la voie des coopérations renforcées.
C'est à ce prix que l'Europe parviendra à se doter d'une défense et d'une politique étrangère communes.
Confiance dans la capacité de rebond de notre pays, confiance dans la faculté de relance de l'Europe et, enfin, confiance dans l'évolution du monde.
Je forme le vu que se dessine en 2004 un autre monde, un monde fondé sur la primauté du droit sur la force, un monde multipolaire, un monde plus équilibré, un monde plus équitable, un monde soucieux de préserver sa diversité culturelle, un monde conscient que le choc des ignorances est plus dangereux que celui des cultures.
Comme vous pouvez le constater, mes chers amis, je demeure un incorrigible optimiste.
A l'instar de Saint-Simon, le Comte pas le Duc, je pense que " l'âge d'or du genre humain n'est point derrière nous, il est au devant, il est dans la perfection de l'ordre social ".
Mesdames, Messieurs, c'est au nom d'un Sénat requinqué, d'un Sénat revigoré, d'un Sénat revivifié, d'un Sénat qui a retrouvé toute sa place dans nos institutions, que j'ai l'honneur et le plaisir de vous présenter mes vux les plus chaleureux pour cette nouvelle année.
Que 2004 soit pour vous et pour tous ceux qui vous sont chers, une belle, bonne et heureuse année.

(source http://www.senat.fr, le 16 janvier 2004)