Déclaration de M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, sur les performances mais aussi sur les difficultés et les problèmes du secteur du transport, Paris le 14 octobre 2004.

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Circonstance : Ouverture de l'Assemblée générale du CNT (Conseil national des transports) le 14 octobre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je vous remercie, Monsieur le Président de votre propos introductif très libre, très ouvert et fort sympathique, si vous me permettez de qualificatif peut-être incongru.
Le CNT
Je trouve qu'il est regrettable qu'une Assemblée générale du CNT ne se soit pas tenue depuis plus de deux ans. En effet, s'il existe de nombreux organismes de consultation et de concertation, de nombreuses organisations professionnelles, de nombreuses instances de contact entre les décideurs de tous niveaux et de tous ordres dans le domaine des transports, le CNT réunit pour sa part toutes les parties prenantes : parlementaires, élus locaux, représentants de tous les modes de transports, organisations syndicales, administrations, c'est-à-dire tous ceux qui ont quelque chose à dire en matière de transport.
Or les transports ne peuvent pas être réduits à leur part dans le PIB. Ils jouent un rôle déterminant et croissant dans l'économie mais leurs conséquences sociales sont également considérables, ce dont l'on parler relativement peu. Ainsi, les transports urbains en commun sont souvent le mode de déplacement unique de ceux qui n'ont pas les moyens de posséder une voiture. Il faut insister sur cet aspect social et le rapprocher d'autres objectifs et impératifs, qu'il faut concilier avec d'autres considérations. A ce titre, les objectifs environnementaux sont de plus en plus présents et les politiques urbaines de plus en plus influencées par les politiques liées au transport.
Ce sujet est donc suffisamment riche et complexe, faisant jouer des considérations d'ordre extrêmement divers et qui appelle, périodiquement des éclairages que vous êtes les seuls à pouvoir donner, grâce à votre composition. Il n'est pas simple d'organiser des discussions dans le cadre d'une telle formation composite, au sein de laquelle les points de vue exprimés ne sont pas toujours consensuels. Toutefois, sans parler de " miracle ", je pense que l'expression dans un même lieu d'opinions diverses, comme celles qui peuvent s'exprimer ici, est quelque chose d'utile.
Je crois que le Conseil joue un rôle utile et j'ai bien l'intention de le solliciter sur certains grands sujets, en rappelant que le CNT peut également s'autosaisir.
Les raisons d'espérer
Votre panorama du secteur des transports m'a paru quelque peu optimiste. Vous avez vanté les performances des différents modes, notamment des armateurs français, qui sont au premier plan mondial, des transporteurs routiers, toujours plus performants, de la SNCF, qui est un modèle pour le transport des voyageurs. Même si cela est vrai en partie, cela ne correspond pas à la vision que j'ai du secteur au jour le jour, surtout à quelques dizaines de minutes d'une rencontre avec les représentants d'une profession comme celle des transporteurs routiers qui connaît une situation particulièrement préoccupante aujourd'hui.
Il existe des motifs de réconfort et d'optimiste mais aussi de véritables inquiétudes dans ce secteur comme dans d'autres.
Prise de conscience à tout niveau
L'intérêt des responsables de notre pays, à quelque niveau que ce soit, pour les questions de transport, est réconfortant.
Ainsi, les collectivités locales sont très investies dans ce domaine, quelle que soit leur appartenance politique (les transports en commun en milieu urbain, les transports interurbains dans les départements, le transfert du ferroviaire aux régions) ; nous constatons une réaction extrêmement positive des élus locaux, qui s'occupent activement de sujets anciennement ou nouvellement de leur compétence et qui développent des politiques, investissent. Cette marque d'intérêt est d'autant plus réconfortante pour le secteur des transports qu'elle vient de l'ensemble du pays.
Pour sa part, le gouvernement auquel j'appartiens a mené des actions non-négligeables en matière d'investissements d'importance nationale. En effet, dans le secteur des transports, l'investissement appelle une intervention publique lourde.
De même, la création de l'Agence n'est pas un événement anodin. Ceux qui connaissent les finances publiques savent en effet que l'affectation de recettes à des dépences est une espèce d'hérésie dans notre tradition publique française ; le principe est celui de l'unité budgétaire, avec d'un côté les recettes et de l'autre les dépenses, des arbitrages politiques effectués chaque année par le Ministre des Finances sous l'égide du Premier Ministre décidant l'affectation des ressources pour chaque domaine d'activité de l'Etat.
Nous avons enfreint cette règle par une affectation qui est déjà décidée, qui entre dans les faits le 1er janvier ; il s'agit d'un facteur majeur pour le secteur des transports. De grandes infrastructures seront financées grâce à cette décision d'affectation des dividendes des sociétés autoroutières, des redevances domaniales, ainsi que de dotations de l'Etat provenant de recettes de privatisations.
Il est aussi nouveau d'avoir retenu des priorités pour de grands investissements. En effet, nous avons trop l'habitude de dire que tout est prioritaire ; le fait d'avoir fixer des ordres d'inscription dans le temps, qui sont tout à fait limpides pour les premiers d'entre eux - et un peu plus flous dès que l'on s'éloigne dans le temps - constitue un changement important. De toutes parts, tant des élus locaux que des responsables politiques nationaux, l'on constate donc une priorité donnée à l'investissement en matière de transport, même si tous les besoins ne sont pas encore, évidemment, satisfaits. De fait, comme tous les pays européens, la France dépense beaucoup en fonctionnement, ce qui réduit les ressources pour les investissements (recherche, université...). Néanmoins, nous avons de véritables motifs d'optimisme.
Partenariats publics privés
Vous avez évoqué les PPP : je suis intimement persuadé que nous ne pourrons, demain dans notre pays, réaliser les infrastructures dont nous avons besoin sans conjonction entre les financements publics, qui sont toujours nécessaires, et privés, lorsqu'il est possible d'encaisser des péages. Ce mixage est le garant de la réalisation des grandes infrastructures de transport dans notre pays. De ce point de vue, il faut que nos administrations et nos établissements publics changent de culture ; en la matière, nous évoluons trop lentement et nous ne sommes pas assez imaginatifs. Nous devons donc changer de vitesse. Peut-être votre assemblée pourrait-elle d'ailleurs apporter son éclairage sur ce sujet des financements publics/privés des grandes infrastructures de transport. Cela me semble un sujet digne d'intérêt, si vous voulez bien le retenir.
Les difficultés
La concurrence
Je souhaite évoquer l'intrusion d'une concurrence, à des degrés divers mais toujours redoutable, au sein du secteur des transports. Le maritime connaît cette concurrence depuis très longtemps, ce qui a d'ailleurs conduit la flotte française à passer du 5ème au 31ème rang mondial. Des questions doivent donc être posées. La concurrence concerne également le secteur routier : à l'international, nous ne sommes plus compétitifs, constat que nous effectuons avec désolation ; cette question est aussi importante que celles qui sont relatives aux délocalisations ou aux fermetures d'entreprises dans l'industrie. Il s'agit d'un sujet majeur auquel nous sommes aujourd'hui confrontés. Pour sa part, l'aérien connaît évidemment la même concurrence très forte ; nous avons la chance de disposer d'une entreprise de dimension internationale, qui s'en sort bien aujourd'hui mais qui est sans arrêt confrontée à une concurrence exacerbée. A l'avenir, dans le cadre du droit européen, le secteur ferroviaire sera confronté à une concurrence qui prendra des formes différentes mais qui sera une réalité.
Dans ce contexte, le sujet majeur est aujourd'hui celui de la compétitivité, de la bonne organisation de notre secteur des transports, quels que soient les modes, pour faire face à une concurrence qui est une réalité. Cela ne doit pas induire pour autant la disparition du service public ou des financements. Les transports en commun seront toujours subventionnés ; de même, une partie des transports ferroviaires relève également de l'intervention publique, sous peine qu'elle n'existe plus. Pour autant, cette intrusion massive de la concurrence, ancienne dans certains secteurs, nouvelle dans d'autres et future pour d'autres encore, constitue le trait dominant du paysage des transports.
L'harmonisation
Dans ce cadre, l'harmonisation, que vous avez évoquée, me paraît être un sujet central. Elle se fera en partie par des évolutions économiques naturelles, par des interventions normatives, volontaristes et grâce à la construction européenne. Il s'agit d'un chantier énorme, de moyen/long terme. Il est vrai que la perspective d'une harmonisation à cinq ans ne constitue pas une réponse satisfaisante pour les entreprises qui font déjà face à des difficultés. Au plan global, il s'agit néanmoins d'une voie dans laquelle nous devons nous engager de manière déterminée. Il est indispensable que le droit social, par exemple dans le transport routier, ou la fiscalité sur les produits pétroliers soient harmonisés au sein de l'Union européenne. Comment parler de concurrence si, au sein de l'Union européenne, les conditions du fonctionnement de base des entreprises sont si différentes ?
Cette harmonisation est déjà en uvre dans le domaine du transport maritime. Les clichés des bateaux poubelles et des équipages exploités en provenance du Tiers-monde, cassant les prix et brisant toute compétitivité des flottes des pays développés, sont encore malheureusement d'actualité. Toutefois, les politiques appliquées par les Etats-Unis dans leurs eaux territoriales et par l'Europe, depuis les catastrophes malheureuses de l'Erika et du Prestige, ont pour effet de chasser les bateaux poubelles mais aussi de faire remonter le niveau de qualification et la rémunération des équipages. Lorsque des normes sont imposées et que les moyens sont donnés pour en assurer le respect, ce qui est le travail des Etats, les conséquences sont donc heureuses pour la sécurité maritime, les marins concernés et la concurrence qui peut revenir à terme plus raisonnable.
Comme je l'ai dit, certains secteurs du transport appellent et appelleront toujours des subventions publiques ; d'autres relèvent de l'économie. Lorsque des entreprises sont mises face à face et que le transport est un maillon d'une chaîne économique, nous ne devons pas nous faire d'illusion : aucun Etat, durablement, ne subventionnera un mode de transport qui est à vocation strictement économique. Il est normal que des subventions d'amorçage soient accordées et des investissements effectués, notamment dans les ports et les plates-formes. En revanche, ne croyons pas que, durablement, un secteur économique ou un mode de transport, aussi intelligent ou positif pour l'environnement soit-il, survivra à coup de subventions publiques. Même si cela était souhaitable, les finances publiques de nos Etats européens n'y survivraient pas.
L'intermodalité
Il est donc normal d'amorcer, de soutenir, d'investir grâce à des fonds publics mais l'intermodalité reste avant tout une affaire d'entreprise. C'est la performance des entreprises et leur capacité à travailler en harmonie les unes avec les autres, comme dans les autres secteurs de l'économie, qui permettra ou pas le succès de telle ou telle solution intermodale intelligente. Tout le monde doit faire des efforts, l'Etat notamment. En effet, nous avons largement négligé les ports français par le passé ; nous n'avons pas su effectuer les réformes nécessaires pour que nos ports soient aussi efficaces et compétitifs que les grands ports du Nord de l'Europe.
La différence n'est pas issue des conditions naturelles mais de la capacité à réagir, que nous n'avons pas eue. L'Etat en porte sa part de responsabilité, qui n'a pas su faire adopter les réformes quand il le fallait, qui n'a pas toujours mené une politique intermodale intelligente. Ainsi, les dessertes ferroviaires de nos ports sont souvent sous-dimensionnées ; c'est la raison pour laquelle, dans nos priorités ferroviaires pour 2004 et 2005, nous avons mis fortement l'accent sur la desserte du port du Havre, dans la perspective de Port 2000, en prévoyant un renforcement du contournement de Rouen et de l'agglomération parisienne, qui est absolument indispensable pour le fret.
Le fret ferroviaire
De même, si nous avons été brillants en matière de transport des voyageurs, alors que les Allemands ont raté leur implantation sur ce créneau, nous n'avons pas été à la hauteur pour le fret ferroviaire, alors que les Allemands ont su être présents. Ayons la lucidité de dire que nous n'avons pas été à la hauteur et que nous n'avons pas le droit de ne pas progresser. Cela n'est pas toujours facile de revenir au premier plan dans des secteurs où, pendant très longtemps, nous n'avons pas su ce qu'était une véritable performance ferroviaire, en accord avec les impératifs de plus en plus contraignants des entreprises (fiabilité, régularité et efficacité économique). Si nous ne réagissons pas, nous ne disposerons plus d'un secteur du fret ferroviaire à un horizon qui n'est pas si lointain que cela.
Le transport combiné
Le transport combiné est un mode intelligent et d'avenir. Pour autant, nous ne permettrons son développement que lorsque tous les maillons de la chaîne du transport respecteront les exigences d'une économie contemporaine, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Les subventions ne changeront rien en la matière. Il faut que ces subventions se poursuivent dans un premier temps car ce serait une folie d'y mettre un terme brutalement ; en revanche, l'avenir dépendra de votre capacité à vous organiser.
La France à Bruxelles
Par ailleurs, il est vrai que nous ne sommes pas suffisamment orientés vers l'international et le niveau européen. Il s'agit là de l'un des traits de la culture française ; nous devons nous forcer. De fait, nous devrions être présents tous les jours à Bruxelles, tant les entreprises, que les organisations professionnelles, les pouvoirs publics et les syndicats. En effet, la présence des organisations syndicales à Bruxelles ou à Strasbourg est absolument indispensable. En tant que Français, nous avons besoin de penser davantage au plan européen. En la matière, votre suggestion est extrêmement positive. De fait, les réorganisations administratives ne constituent pas l'essentiel ; ce sont les hommes et les femmes qui jouent le rôle le plus important, grâce à leurs capacités d'adaptation et de réaction. C'est pourquoi nous devons faire en sorte aujourd'hui de créer une connexion évidente entre notre administration nationale et l'échelon européen. Sans savoir si elle émane du CNT ou du seul Président Gille, je souhaite retenir la suggestion effectuée.
Enfin, je ne souhaite pas terminer sans saluer les travaux que vous avez conduits, quelques fois apparemment modestes mais utiles (fluvial, accessibilité des handicapés, contrats types pour le transport). Je forme l'espoir très sincère d'un véritable travail en commun avec le Conseil national des transports, à l'Assemblée générale duquel je suis très heureux de participer ce matin.
(Source http://www.cnt.fr, le 23 novembre 2004)